Ce n’est pas avec une vertueuse sensibilité que ces poètes nous peignent la passagère destinée de l’homme ; si leur âme se montrait capable d’émotions profondes, on leur demanderait de combattre la tyrannie, au lieu de chanter l’usurpateur. […] Des réflexions morales se mêlent à leur poésie descriptive ; on croit apercevoir des regrets et des souvenirs dans tout ce que les poètes écrivaient alors ; et c’est sans doute par cette raison qu’ils réveillent plus que les Grecs une impression sensible dans notre âme. […] Des vers de Tibulle à Délie, le quatrième chant de l’Énéide, Ceyx et Alcione, Philémon et Baucis, peignent les sentiments de l’âme avec cette langue des Latins dont le caractère est si imposant. […] C’est l’homme tel qu’on le voit, tel qu’il se montre ; ce sont les fortes couleurs, les beaux contrastes du vice et de la vertu ; mais on ne trouve dans l’histoire ancienne, ni l’analyse philosophique des impressions morales, ni l’observation approfondie des caractères, ni les symptômes inaperçus des affections de l’âme. […] Suétone qui a fait l’histoire du règne des empereurs, Ammien Marcellin, Velleius Paterculus, dans la dernière partie de son histoire, ne peuvent être comparés en rien à aucun de ceux qui ont écrit les siècles de la république ; et si Tacite a su les surpasser tous, c’est parce que l’indignation républicaine vivait dans son âme, et que ne regardant pas le gouvernement des empereurs comme légal, n’ayant besoin de l’autorisation d’aucun pouvoir pour publier ses livres, son esprit n’était point soumis aux préjugés naturels ou commandés qui ont asservi tous les historiens modernes jusqu’à ce siècle.
Et puis si ces vers sont vraiment beaux, ils vous doreront l’âme d’une lueur d’aube : on ne lit jamais trop de beaux vers. […] Parce que tu apportes, avec un pan du grand ciel bleu, l’âme des bois fleuris et sonores, parce que tu sens trop bon l’air libre dans ces lourdes salles gorgées de parfums artificiels et qu’éclaire uniquement la morte clarté des lampes, tes Maîtres te prendront en haine ; ils t’enseveliront à jamais au plus profond de la cave sans espoir. […] Âmes chantournées, ils s’efforcent d’accumuler des voiles précieusement brodés autour d’un vide qu’ils baptisent Isis. […] « Alors apprends ton métier, travaille, cherche ton rythme aux empires profonds de ton âme, avec patience, avec acharnement. […] Va, suis-le, il est l’enfant nouveau qui dira ton âme à toi et la dira librement, se moquant de la Rime riche et de la Rime rare, du nombre et de la quantité des syllabes et des choses « bien faites » et de tout cela qu’inventèrent les Maîtres et les Habiles. » IV « Or, sais-tu ce qui arrivera ?