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1882. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Les vieux souvenirs de cette race sont pour moi plus qu’un curieux sujet d’étude ; c’est la région où mon imagination s’est toujours plu à errer, et où j’aime à me réfugier comme dans une idéale patrie… Ô pères de la tribu obscure au foyer de laquelle je puisai la foi à l’invisible, humble clan de laboureurs et de marins à qui je dois d’avoir conservé la vigueur de mon âme en un pays éteint, en un siècle sans espérance, vous errâtes sans doute sur ces mers enchantées où notre père Brandan chercha la terre de promission ; vous contemplâtes les vertes îles dont les herbes se baignaient dans les flots ; vous parcourûtes avec saint Patrice les cercles de ce monde que nos yeux ne savent plus voir. […] Inutiles tous deux en ce monde, qui ne comprend que ce qui le dompte ou le sert, fuyons ensemble vers l’Éden splendide des joies de l’âme, celui-là même que nos saints virent dans leurs songes. […] Renan, dans ses diversions vers l’Art, n’a rien écrit de plus fin, de plus pénétrant, de plus touchant, que ce qu’il a donné sur la Tentation du Christ, d’Ary Scheffer ; c’est dans ce morceau d’une parfaite élégance et d’un exquis raffinement moral qu’il nous a peut-être livré le plus à nu le secret de son procédé, la nature et la qualité de son âme, et la visée de son aspiration dernière : « Toute philosophie, dit-il, est nécessairement imparfaite, puisqu’elle aspire à renfermer l’infini dans un cadre limité… L’Art seul est infini… C’est ainsi que l’Art nous apparaît comme le plus haut degré de la critique ; on y arrive le jour où, convaincu de l’insuffisance de tous les systèmes, on arrive à la sagesse… » Ceux qui craignaient d’abord que, malgré les précautions sincères de M. 

1883. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite.) »

Il y a certes des beautés de différentes sortes et de différents degrés ; les manifestations de la vie et de l’âme humaine sont infinies. […] L’intérêt du sujet d’Œdipe en général, c’est précisément le crime innocent, involontaire, et (une fois la mythologie admise) de voir le pauvre mortel la proie et le jouet du sort, sous la main des Dieux ; et l’intérêt de l’Œdipe-Roi, en particulier, c’est la découverte par degrés, la gradation admirablement ménagée dans la révélation du crime, c’est le voile qui se lève lentement, péniblement, peu à peu, dans l’âme d’Œdipe, dans l’âme de Jocaste, jusqu’à ce qu’il soit entièrement déchiré et que l’affreuse vérité éclate aux yeux des coupables involontaires et aux yeux de tous.

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