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1745. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Et c’est cet homme, enchevêtré, il est vrai, par son éducation, par sa naissance, par ses alentours (son Journal en fait foi) et tous ses liens originels de famille, de paroisse, de cléricature, dans l’idée ecclésiastique la plus étroite, c’est cet homme religieux, d’ailleurs, et qui se croit charitable, qui a des pratiques vraiment chrétiennes, qui chaque fois qu’il lui naît un enfant, par exemple, le fait tenir sur les fonts baptismaux « par deux pauvres », c’est lui qui va devenir un persécuteur acharné, subtil, ingénieux, industrieux, impitoyable, de chrétiens plus honnêtes que lui, un tourmenteur du corps et des âmes, et le bourreau du Béarn. […] Et puis, quand, tout cela sera fait et parfait, quand il se sera maintenu au premier rang des ministres du second ordre force de zèle et de miracles administratifs ; quand il pourra se vanter auprès du roi d’avoir accompli ses désirs les plus chers, d’avoir converti vingt-deux mille âmes sur vingt-deux mille, moins quelques centaines, et cela dans l’espace d’environ seize mois ; quand il aura plus que personne contribué, par cette fausse apparence d’une réussite aisée, au fatal Édit qui s’ensuivit ; lorsqu’il aura inscrit de gaieté de cœur son nom dans l’histoire au-dessous de celui de Baville, ce même, honnête homme s’en ira jouir de sa réputation acquise, dans une intendance heureuse et plus facile, il s’y fera aimer, aimer surtout des savants qu’il assemblera et présidera volontiers, et avec une entière compétence ; il fondera des chaires, il fera des fouilles, il découvrira d’antiques cités enfouies, en même temps qu’il embellira les cités nouvelles ; il recherchera des manuscrits, il aura un riche cabinet de médailles, il sera auprès des curieux l’aménité même et recueillera pour tant de services pacifiques et d’attentions bien placées des éloges universels. […] « Heureux, est-on tenté de s’écrier quand on lit ces choses, heureux qui réussit à passer sa vie sans être dans ces alternatives de faveur et de disgrâce ; que les nécessités d’une carrière, l’aiguillon d’un continuel avancement ne commandent pas ; qui n’a pas soif de pouvoirs et d’honneurs ; qui n’est pas ballotté entre Colbert et Louvois, au risque d’oublier entre les deux sa conscience, d’étouffer ses scrupules et d’y perdre même le sentiment d’humanité ; qui n’est ni persécuteur ni victime, ni hypocrite, ni dupe, ni écrasant ni écrasé ; qui, après avoir connu sans doute quelques traverses de la vie et avoir essuyé quelques amertumes inévitables (sans quoi il ne serait pas homme), s’échappe le plus tôt qu’il peut, retire son âme de la foule et de la presse (comme dit Montaigne), passe le restant de ses jours « entre cour et jardin », ne voyant qu’autant qu’il faut et n’étant pas vu ; aussi loin de l’ovation que de l’insulte ; qui se soustrait en soi-même aux appels et aux tentations de la fortune non moins qu’aux irritations sourdes de l’envie et des comparaisons inégales qu’elle suggère, aux ennuis de toutes sortes, aux iniquités souvent qui s’en engendrent ; qui aime de tout temps quelques-unes de ces choses innocentes et paisibles qu’aimait et cultivait Foucault dans la dernière moitié de sa vie, mais sans en avoir taché comme lui le milieu, sans y avoir imprimé une note brûlante, et en pouvant, d’un bout à l’autre, reparcourir doucement, à son gré, et supporter du moins tous ses souvenirs ! 

1746. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Note »

« Quiconque a tous ses sens et ses membres et possède des amis, quiconque n’est pas jeté pour jamais sur une terre étrangère, ni détenu dans les repaires de l’oppression, et n’a pas dans l’âme des causes de trouble irréparable, ne doit jamais se dire tout à fait malheureux. […] Il faudrait distinguer scrupuleusement ce qui vient du sort et ce qui vient de son âme. […] La joie nous paraît un peu ridicule, mais non le contentement. — La paix est dans notre âme, et l’indulgence dans notre cœur.

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