Je sais bien qu’il y a, dans Cicéron même, de ces petits détails de vanité ; mais, dans l’orateur romain, ces faiblesses d’amour-propre sont relevées par la beauté du style, par une éloquence harmonieuse et douce, par une certaine fierté de sentiment républicain qui s’y mêle, enfin par le souvenir de ses grandes actions, et le parallèle qu’il fait souvent de lui-même et de ses travaux, avec ces grands de Rome, endormis sous les images de leurs ancêtres, fiers d’un nom qu’ils déshonoraient, inutiles à l’État et prétendant à le gouverner, rejetant tous les travaux et aspirant à toutes les récompenses.
L’auteur du Conseiller d’État, après avoir raconté qu’une femme délaissée par son mari va se jeter dans les bras de son amant, se borne à ajouter ces paroles de l’Évangile : « Que celui de vous qui est sans péché, jette la première pierre à cette femme96. » Grandes et sublimes paroles sans doute, mais qu’il faut prendre garde de détourner de leur vrai sens ! […] Il y a, comme couverture, cette grande théorie de la responsabilité du pouvoir : si les riches mésusent de leurs richesses, c’est faute des enseignements que l’État pourrait et devrait leur donner218. […] Regardez en bas : ce ne sont qu’âmes d’élite, intelligences sublimes, capacités merveilleuses et non soupçonnées, hommes d’État, savants, poètes, inventeurs, tous génies souffrants et méconnus, que l’insouciance de la société laisse languir dans la misère et l’abandon.