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31. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite et fin.) »

Dans Ingres, c’est l’idéal et le style, c’est la beauté absolue et en quelque sorte abstraite ; — chez Delacroix, c’est la couleur non moins absolue, le mouvement et la passion, qu’il s’attache à démontrer en chaque toile par une reproduction des plus fidèles. […] Et tout ainsi que pour la symphonie transposée et réduite, ce sont toujours des sons qu’on entend, de même dans ses articles ce n’est pas de l’encre qu’il emploie, ce sont des couleurs et des lignes ; il a une palette, il a des crayons. […] tous sans distinction, les plus belles toiles comme les plus médiocres, doivent disparaître dans un temps donné ; la gravure perpétuera la composition et les traits, non les couleurs. […] Il aime enfin tout ce qui a saveur et couleur. […] Il y a du trop ; il y a des jours où la couleur est disproportionnée aux choses et où elle déborde.

32. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 7, que les genies sont limitez » pp. 67-77

Ces peintres flegmatiques ont donc eu la perseverance de chercher par un nombre infini de tentatives, souvent réïterées sans fruit, les teintes, les demi-teintes, enfin toutes les diminutions de couleurs necessaires pour dégrader la couleur des objets, et ils sont ainsi parvenus à peindre la lumiere même. […] Nos hollandois, au nombre desquels on voit bien que je ne comprens pas ici les peintres de l’école d’Anvers, ont bien connu la valeur des couleurs locales, mais ils n’en ont pas sçû tirer le même avantage que les peintres de l’école venitienne. Le talent de colorier, comme l’a fait Le Titien, demande de l’invention, et il dépend plus d’une imagination fertile en expedients pour le mêlange des couleurs, que d’une perseverance opiniâtre à refaire dix fois la même chose. […] Il entendoit très-bien le clair-obscur, et il a surpassé dans la couleur locale ses concurrens.

33. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Léon Cladel »

Ce livre éblouissant n’est pas un livre fait avec les combinaisons propres à tout livre, mais un tableau pris du pied des choses, presque contondant de relief, presque poignardant de couleur. Les pusillanimes d’organisation, les vues ophtalmiques, les sens qui se croient délicats parce qu’ils sont faibles, se plaindront de la violence d’une œuvre qui, par la couleur et le style, rappelle Rubens et Rabelais ; mais moi, non ! […] L’œil de Cladel fait grandiose l’objet en le regardant, et le républicain, chez lui, est tellement peintre, qu’il rajeunit et splendifie par la couleur les vieilles rengaines républicaines, quand elles lui tombent sous le pinceau. […] Les choses qu’il devrait le plus avoir en horreur, les choses les plus répugnantes à un grand artiste, les misérables vulgarités du Siècle, par exemple, il les inonde d’un flot de couleur qui les transfigure, comme la lumière d’or de Murillo ruisselant sur la teigne de son Pouilleux. […] Le républicain et le libre penseur apparaissent encore dans son livre, mais ils s’y noient dans la couleur au fond de laquelle ils vont sombrer, et, quand ce sera fait, rien ne troublera plus cette mer d’écarlate lumineuse.

34. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hervilly, Ernest d’ (1839-1911) »

Hervilly, Ernest d’ (1839-1911) [Bibliographie] La Lanterne en verres de couleurs (1868). — Les Baisers (1872). — Jeph Affagard (1873). — Le Harem (1874). — La Belle Saïnara, comédie en un acte et en vers (1876). — Le Bonhomme Misère, comédie en trois actes et en vers (1878). — Le Grand Saint-Antoine-de-Padoue (1883). — Les Bêtes à Paris (1886). — Héros légendaires (1889). — Aventures du Prince Frangipane (1890). — L’Ïle des Parapluies (1890). — Trop grande (1890). — La Vision de l’écolier puni (1890). — En bouteille (1893). — Seule à treize ans (1893). — Les Chasseurs d’édredons (1895). — L’Hommage à Flipote (1896). — Au bout du monde ! […] Alphonse Lemerre Au théâtre, La Belle Saïnara, comédie en un acte et en vers, joint, comme certains de nos plus charmants tableaux de genre, la couleur locale japonaise à la couleur locale parisienne. […] Charles Le Goffic Poète, il est l’auteur de la Lanterne en verres de couleurs  ; des Baisers ; du Harem ; du Grand Saint-Antoine-de-Padoue ; des Bêtes à Paris.

35. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Loutherbourg » pp. 224-226

Comme tout s’éloigne, s’enfuit, se dégrade insensiblement, et lumières et couleurs et objets ! […] N’est-ce pas là la vraie couleur, le vrai caractère, la vraie peau de ces animaux ? […] La couleur et la touche de Loutherbourg sont fortes ; mais, il faut l’avouer, elles n’ont ni la facilité, ni toute la vérité de celles de Vernet. […] De près l’ouvrage ne paraît qu’un tas informe de couleurs grossièrement appliquées.

36. (1896) Hokousaï. L’art japonais au XVIIIe siècle pp. 5-298

Série d’une grande finesse dans le trait et d’une remarquable douceur de couleur. […] Et l’album contient, représentés en deux couleurs, — une couleur grisâtre, une couleur rougeâtre, — d’abord des motifs élémentaires comme une tige de bambou, une fleur d’iris, des lapins éclairés par la lune, puis des motifs plus compliqués, comme une tortue, un faisan doré, un paon. […] Il avait les yeux comme un faucon et la barbe couleur d’or. […] Puis, c’est un tableau d’une cinquantaine de couleurs employées par le maître, et à la page suivante, au-dessus de deux mains qui tiennent un pinceau penché, délayant de la couleur dans une soucoupe, ces recommandations : Les couleurs ne doivent être ni trop épaisses, ni trop claires, et le pinceau doit se tenir couché ; autrement il produit des malpropretés ; — l’eau du coloriage plutôt claire que foncée, parce qu’elle durcirait le ton ; — le contour jamais trop net, mais très dégradé ; — n’employer la couleur que lorsqu’elle a reposé et qu’on a rejeté la poussière montée à la surface ; — la couleur fondue avec le doigt, et jamais avec le pinceau ; ne passer la couleur que sur les lignes noires de l’ombre, où seulement la couleur peut se superposer. […] Le feuillage offre sa verdure et la fleur sa couleur.

37. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

Une demi-heure après, tout s’éteignait ; il ne restait plus qu’un pan de ciel clair derrière le Panthéon ; des fumées roussâtres tournoyaient dans la pourpre mourante du soir et fondaient les unes dans les autres leur couleur vague. […] C’est hier que j’ai eu ce spectacle, et aujourd’hui, à mesure que j’écris, je le revois faiblement, mais je le revois ; les couleurs, les formes, les sons qui m’ont frappé se renouvellent pour moi ou à peu près. […] Cet effacement est plus ou moins grand pour un même esprit, selon les diverses sortes de sensations, et c’est ce que l’on exprime en disant que tel homme a surtout la mémoire des formes, tel autre celle des couleurs, tel autre celle des sons. — Pour mon compte, par exemple, je n’ai qu’à un degré ordinaire celle des formes, à un degré un peu plus élevé celle des couleurs. […] « J’entendis une fois, dit Lieber, un prédicateur, homme de couleur, décrire les tourments de l’enfer. […] La guérison ne fut accompagnée de rien de particulier, excepté la présence de fantômes de trois pieds de haut environ, proprement habillés de jaquettes couleur de pois verts et de culottes de la même couleur.

38. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Beaufort » pp. 308-316

Je sais bien que toutes ces figures sont sans expression ; je sais bien que la composition entière est froide, blanchâtre, grisâtre et sans couleur. […] Vous n’en trouverez pas sur le pont le prix de la toile ; cela est raide, sans couleur, sans expression, sans esprit ; ni linge, ni étoffe, ni dessin. […] Autres tableaux Monsieur Descamp, c’est vous encore. à la platitude, à la mauvaise couleur grise, au défaut d’esprit, d’expression, et de toutes les parties de la peinture, c’est vous. […] Point de grâce, point de chair, point de couleur ; cou, bras, mains noires, le bras qui soutient la tête, paralitique et décharné ; vêtemens grossiers et raides ; et le tout si pâle, si pâle, si gris, qu’on dirait que l’artiste n’avait pas vingt-quatre sous dans sa poche pour avoir six vessies. […] Il y a de la couleur et de l’expression.

39. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Restout » pp. 187-190

La couleur du tout est faible ; mais les reflets de lumière sont bien entendus. La tête d’Euridice est sotte, ses pieds et ses mains sont mal dessinés ; mais la couleur de toute la figure fait plaisir. […] Du reste, même faiblesse de couleur. […] Même faiblesse de composition, de couleur et de caractères.

40. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Parrocel  » p. 156

L’Adoration des rois de Parocel est si faible, si faible, et d’invention et de dessin et de couleur. […] Dites-moi, s’il vous plaît, comment un coussin de couleur a pu se trouver dans une étable, où la misère nous réfugie, et où l’haleine de deux animaux réchauffe un nouveau-né contre la rigueur de la saison. […] et pourvu que les ombres et les lumières soient bien entendues, que le dessin soit pur, que la couleur soit vraie, que les caractères soient beaux, serons-nous satisfaits ?

41. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre premier. Les sensations totales de l’ouïe et leurs éléments » pp. 165-188

Plusieurs de ces noms sont ambigus, et les mots saveur, odeur, son, couleur, chaleur désignent tantôt une propriété plus ou moins mal connue des corps environnants, des particules liquides ou volatiles, des vibrations aériennes ou lumineuses, tantôt l’espèce bien connue des sensations que ces corps, particules et vibrations, excitent en nous. […] Cette feuille de papier est de couleur blanche ; cela signifie que, en vertu de sa texture particulière, cette feuille de papier, une fois éclairée, peut éveiller en nous la sensation de la couleur blanche. — Deux autres distinctions moins faciles ne sont pas moins nécessaires. […] Parfois même, une seconde opération surajoutée la place plus loin ; les sons et les couleurs, qui ne sont que des sensations, nous semblent aujourd’hui situés, non dans nos organes, mais au loin, dans l’air ou à la surface des objets extérieurs ; le lecteur verra, dans l’examen de la perception extérieure, comment l’éducation des sens produit ce recul apparent. […] Chacun de ces sens forme un domaine à part ; ni l’odeur, ni la saveur, ni la couleur, ni le son, ni la sensation du contact ne peuvent être ramenés l’un à l’autre, et, dans chaque sens, il y a plusieurs domaines non moins séparés entre eux ; la saveur salée, la saveur amère et la saveur sucrée, comme le bleu, le rouge et le jaune, comme les sensations de chaleur, de pression, de chatouillement, semblent également irréductibles entre elles. — La seule donnée intrinsèque qu’on trouve commune à tous ces domaines si profondément distincts, c’est le degré d’intensité ; chaque sensation est capable de plus et de moins ; elle est un degré dans une grandeur ; l’odeur, la saveur, le son, la clarté, la pression, peuvent être plus ou moins forts. […] Chacun sait que dans un accord il y a deux sons, que dans une couleur ordinaire il y a plusieurs couleurs ; il faut avancer d’un pas et voir si les sensations de son, de couleur et les autres qui nous paraissent simples ne sont pas, elles aussi, composées : de sensations plus ; simples. — La psychologie est aujourd’hui en face des sensations prétendues simples, comme la chimie à son début était devant les corps prétendus simples.

42. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre deuxième. Rapports du plaisir et de la douleur à la représentation et à l’appétition »

Seuls, les états intellectuels qui les accompagnent, sensations, perceptions, jugements, raisonnements, leur communiquent une couleur distinctive et établissent entre eux des différences discernables. […] On pourrait appliquer aux couleurs le raisonnement de Hartmann : nous comparons ensemble diverses couleurs, donc il n’y a au fond qu’une couleur plus ou moins intense à laquelle s’ajoutent des modifications étrangères à la couleur même. […] Les sens supérieurs, qui paraissent n’avoir aujourd’hui presque rien d’affectif, sont un développement ultérieur et un raffinement des autres ; à y regarder de près, on trouverait dans tout son et dans toute couleur une combinaison de plaisirs et de peines à l’état naissant. […] Et cependant, pour nous-mêmes, les couleurs et les sons ont toujours, si nous y regardons de près, une nuance tantôt sérieuse, tantôt gaie : c’est ce qui les rend propres à devenir des moyens d’émotion esthétique. […] Par exemple, une sensation produite par une couleur peut, à un certain moment, être agréable ; puis, sans changer de nature, mais en se prolongeant, elle peut devenir indifférente ou même désagréable.

43. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

Non-seulement nous faisions de la couleur locale dans nos vues et dans nos tableaux, mais nous en mangions. […] La couleur ne lui paraissait pas une sensualité coupable, un mirage tentateur. […] Le rapin dominait encore chez nous le poète, et les intérêts de la couleur nous préoccupaient fort. […] Quelle couleur heureuse, et gaie, et transparente ! […] Il y avait autant de lâches de couleur que de taches d’encre sur les marges de ces beaux livres sans cesse feuilletés.

44. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Du Rameau » pp. 288-298

Cependant cette composition n’est pas d’un enfant ; il y a de la couleur, de la verve, même de la fougue. […] Tout ce cortège d’êtres symboliques est trop monotone de lumière et de couleur, et ne chasse point la justice en devant. ô la dégoûtante bête que ce mouton ! […] La cruauté qu’on voit à gauche par le dos est très-chaude de couleur. […] Je ne me le remets pas, mais on dit qu’il est très-beau, bien dessiné, bien ressenti, fait d’humeur, d’une bonne couleur, d’un style large et mâle. […] La couleur est vigoureuse, les passages bien variés, bien vrais, mais il n’y a nulle solidité ; ce sont des têtes à fondre au soleil comme de la neige.

45. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Madame Vien » p. 173

Elle a son aile pendante, elle est accroupie ; ses petits sont sous elle, à l’exception de quelques-uns qui s’échappent ou vont s’échapper ; elle est peinte d’une grande vigueur et vérité de couleur ; ses petits très-moelleusement ; c’est leur duvet, leur innocence, leur étourderie poussinière ; tout est bien, jusqu’aux brins de paille dispersés autour de la poule. […] Assez chaud de couleur, il est froid d’expression, sans vie ; c’est presque un oiseau de bois, tant il est raide, lisse et monotone. […] Les serins sont ingrats par la monotonie de la couleur.

46. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Deshays » pp. 208-217

La couleur en est forte, et plus peut-être que vraie. […] De là l’impossibilité de rendre les reflets imperceptibles des objets les uns sur les autres ; il y a pour lui des couleurs ennemies qui ne se réconcilieront jamais. […] De là la nécessité d’un certain choix d’objets et de couleurs. […] C’est qu’à mon avis, ce n’est ni par sa couleur, ni par les astres dont il étincelle pendant la nuit, que le firmament nous transporte d’admiration. […] Voilà le principal défaut de ce tableau, auquel on peut encore reprocher une couleur un peu crue et, comme dans le Mariage de la Vierge, plus forte que vraie.

47. (1889) Les premières armes du symbolisme pp. 5-50

Si une forêt entre dans ses vers, qu’elle ne soit pas verte : bleue, voilà une couleur décadente pour une forêt. […] Mais puisque, suivant Baudelaire, les parfums, les couleurs et les sons se répondent, c’est-à-dire puisqu’un parfum peut donner les mêmes rêves qu’un son et un son les mêmes rêves qu’une couleur, si une couleur est insuffisante pour suggérer une sensation, on use du parfum correspondant, et, si le parfum ne suffit pas non plus, on peut recourir au son. […] En appliquant aux mots le principe de l’analogie, on trouverait que les sons qui les composent correspondent à des couleurs et à des parfums. […] L’abus de la pompe, l’étrangeté de la métaphore, un vocabulaire neuf où les harmonies se combinent avec les couleurs et les lignes : caractéristiques de toute renaissance. […] Tomber dans l’excès des figures et de la couleur le mal n’est pas grand et ce n’est pas par là que périra notre littérature.

48. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

Tout cet azur, ces flots de lumière et de couleur, ces fonds d’or et bleu de ciel, qui étaient habituels à sa poésie, et qu’il transporte, en les voilant à peine, dans sa prose, pouvaient-ils se mêler impunément à des tableaux tels que ceux qu’il avait à offrir ? […] Sa couleur ment. […] Je laisse, on le voit, de côté le but politique, l’intention calculée peut-être, et je ne m’en prends qu’à ce qui est de la couleur littéraire presque inévitable et involontaire chez un talent du genre de celui de M. de Lamartine. […] Mais sur tout cela il peut dire qu’il a jeté sa poudre d’or et versé son torrent de couleurs. […] Tous ces portraits séduisent à première vue, et offrent des traits heureux, des couleurs neuves : mais, en général, ils sont outrés et passent la mesure.

49. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Loutherbourg » pp. 258-274

Sans ce mérite un poëte ne vaut presque pas la peine d’être lu ; il est sans couleur. […] Si les ciels, les eaux, les nuées de Loutherbourg sont durs et crus, c’est la suite de sa vigueur affectée et de la difficulté de mettre d’accord, quand on a forcé de couleur quelques objets. […] C’est conserver sur la toile aux objets imités la couleur des êtres de la nature dans toute sa force, dans toute sa vérité, dans tous ses accidens. […] Il y a des terrasses, des roches, des arbres, des eaux imités à miracle et d’un ton de couleur très-chaud, très-piquant. […] Il a de la couleur, il peint d’une manière ragoûtante et facile ; ses effets sont piquans.

50. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

le monde, qu’il ne voit plus, prend dans sa tête les couleurs furieuses de l’impossible, qui valent mieux que tous les outre-mers et tous les vermillons ! […] Après la révolution de 1830, quand (on peut le dire) on avait, dans des œuvres que tout le monde connaît, remué, pour ainsi parler, la couleur à la pelle, un grand historien, sans être pour cela un débauché de couleur, pouvait faire donner à la couleur tout ce qu’elle pouvait donner, lorsqu’il s’agissait de peindre et de ressusciter le temps le plus épique de notre histoire ! […] Moderne, délicat, il ne trempa que l’extrémité de son pinceau dans le cuvier de couleur barbare ou de couleur mystique et légendaire qui aurait pu lui servir de palette, s’il avait été le peintre géant qu’il fallait, et par cela seul qu’il ne voulut pas être barbare, comme n’aurait pas manqué de l’être tout grand artiste qui aurait eu à peindre un sujet barbare comme le sien, il resta de fait au-dessous, comme effet d’impression, de tous ces moines qui avaient moins de goût que lui, mais qui avaient plus d’énergie, et dont son histoire, pour ceux qui savent les lire, ne remplacera pas les chroniques et le mauvais latin, si sublime dans son incorrecte grandeur ! […] Augustin Thierry, dont la supériorité est principalement dans sa faculté d’écrire l’histoire et, en l’écrivant, de la peindre ; si tout en se servant de la couleur, il en a diminué les férocités dans un sujet qui, toutes, les appelle ; s’il s’est raccourci par la mesure, ainsi qu’hélas ! […] Où l’auteur des Récits mérovingiens éteint sa couleur, l’auteur des Récits d’histoire romaine n’en met point, parce qu’en réalité il n’en a pas.

51. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Amédée Van Loo  » pp. 139-140

La couleur est dans un tableau, ce que le style est dans un morceau de littérature. […] Mais de tous les temps le style et la couleur ont été des choses précieuses et rares. […] La couleur d’un morceau de peinture passe, et la réputation d’un grand peintre ne se transmet à la postérité que par les qualités que la gravure peut conserver ; et quelquefois la gravure ôte des défauts à un tableau et quelquefois aussi elle lui en donne.

52. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Restout le fils » pp. 284-285

Il y a dans le morceau d’Anacréon couleur, entente de lumières, vigueur et transparence. […] Le corps, la gorge et les épaules de la courtisane sont de chair et peints dans la pâte à pleines couleurs. […] Votre Diogène ressemble à un gueux qui tend la main de bonne foi ; et puis il est sale de couleur.

53. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Baudouin » pp. 198-202

Dans le morceau dont il s’agit ici la mariée est d’un joli ensemble, la tête en est bien dessinée, mais le mari vu par le dos a l’air d’un sac sous lequel on ne ressent rien ; sa robe de chambre l’emmaillotte, la couleur en est terne. […] Il a du dessin, des idées, de la chaleur, de la couleur. […] Il faut être juste, dans cette petite composition, où vous avez loué un certain cheval blanc, je conviens qu’il est d’une finesse de couleur étonnante ; mais convenez que la tête en est fort mauvaise. […] Au gué, qui fait le pendant, le ciel est joli, et les figures très-finies ; mais il s’en manque un peu qu’au maréchal elles aient cet esprit-là. à la botte rajustée la couleur est douce, mais n’est-elle pas un peu grise ? […] Il y a là du beau-père, ce n’est pas du Baudouin pur. — Maître Denis, de la douceur ; il y a de l’effet, la couleur est jolie.

54. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Heredia, José Maria de (1842-1905) »

Charles Morice D’un rêve d’or et de sang, bellement théâtral, M. de Heredia fait des poèmes sans pensées et pleins de mouvements et de couleur, des vers sonores et rudes. […] Il y a là comme une gageure, et elle est toujours gagnée ; il y a là comme un parti pris de montrer que notre « gueuse fière », c’est à savoir la langue française, est capable, pour qui connaît ses ressources, des richesses de couleur et des richesses de sonorité les plus rares et les plus abondantes que jamais langue colorée et langue sonore ait pu étaler ; et ce parti pris, je suis enchanté que M. de Heredia ait montré par le succès qu’on pouvait le prendre. Couleurs et sonorités, ce n’est pas tout Heredia, et je crois que je le montrerai, mais c’est bien ses deux qualités essentielles et les deux dons tout particuliers qu’il a reçus. […] Ferdinand Brunetière Le triomphe de M. de Heredia, c’est la couleur, — si peut-être celui de M. 

55. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 10, objection tirée des tableaux pour montrer que l’art de l’imitation interesse plus que le sujet même de l’imitation » pp. 67-70

Nous examinons comment l’artisan a fait pour tromper nos yeux, au point de leur faire prendre des couleurs couchées sur une superficie pour de veritables fruits. […] Les tableaux de l’école lombarde sont admirez, bien que les peintres s’y soïent bornez souvent à flater les yeux par la richesse et par la verité de leurs couleurs, sans penser peut-être que leur art fût capable de nous attendrir : mais leurs partisans les plus zelez tombent d’accord qu’il manque une grande beauté aux tableaux de cette école, et que ceux du Titien, par exemple, seroient encore bien plus précieux s’il avoit traité toujours des sujets touchans, et s’il eut joint plus souvent les talens de son école aux talens de l’école romaine. Le tableau de ce grand peintre qui répresente saint Pierre martyr, religieux dominiquain, massacré par les vaudois, n’est peut-être pas, tout admirable qu’il est par cet endroit, son tableau le plus précieux par la richesse des couleurs locales ; cependant de l’aveu du cavalier Ridolfi, l’historien des peintres de l’école de Venise, c’est celui qui est le plus connu et le plus vanté.

56. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

Cela n’est pas douteux : un homme rappelle l’autre ; un art traduit l’autre ; la pensée passe par le marbre, par le dessin, par la couleur, par le son, au lieu de passer par la plume ; mais c’est toujours la pensée, c’est toujours la littérature. […] L’artiste dont les œuvres expriment le plus de ce Sursum corda, de cette réalisation de l’idéal par la parole, les sons, les couleurs, les formes, est le plus véritablement artiste entre tous les artistes. […] La peinture ne faisait qu’imprimer sur ces murailles des dessins sans perspective, plats comme ces murailles elles-mêmes ; elle ne savait qu’éblouir les yeux de la foule par des éclaboussures de couleurs violentes à travers les vitraux peints des ogives des temples ; elle restait dans l’enfance. […] Il effaça pour jamais de sa palette ces teintes vertes et ces nuances grises qu’il avait imitées jusque-là des couleurs ternes de Paris et du Jura, et il y substitua, non pas des couleurs, mais des rayons liquides fondus sur ses toiles. […] Le génie de Robert y prit ce caractère de grandiose, de force, de sévérité dans le beau qui s’attacha depuis cette époque à son pinceau comme une couleur indélébile.

57. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Pierre » pp. 200-201

Ce Mercure qui fait ici le rôle principal est si faible de couleur qu’on le prendrait pour un nuage gris. Le tout a l’air ou d’une première ébauche, ou d’un mauvais tableau ancien dont on a enlevé la couleur en le nettoyant. […] C’est une grande nudité de femme ivre, âgée, chairs molles, gorge flétrie, ventre affaissé, cuisses plates, hanches élevées ; fade de couleur, mal dessinée, surtout par les jambes ; moulue, dont les membres vont se détacher incessamment, usée par la débauche des hommes et du vin.

58. (1763) Salon de 1763 « Peintures — La Grenée » pp. 206-207

Titon est d’une couleur vineuse. […] Ce morceau pour le caractère noble et voluptueux de la femme, la vérité des chairs et l’effet, est digne de Carle Vanloo, lorsqu’il ne s’était pas fait une couleur outrée. […] Gardez-vous bien de mettre cette ébauche en couleur ; ce serait du temps et de l’huile perdus.

59. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. (Tome XII) » pp. 157-172

Ses exposés sont tout au plus de grands dessins tracés d’un crayon net et léger, avec le sentiment vrai des lignes, mais sans couleur. […] Thiers craint avant tout de pousser au tableau, à la couleur, au relief, à tout ce qui se détache et qui vise à un effet littéraire ou dramatique. […] Dans la figure d’un vieux prince de l’Église, au nez rouge et boursouflé, au visage sensuel, aux yeux petits mais perçants, il n’apercevait rien de laid ou de repoussant, cherchait la nature, l’admirait dans sa réalité, se gardait d’y rien changer, et n’y mettait du sien que la correction du dessin, la vérité de la couleur, l’entente de la lumière, et ces mérites, il les trouvait dans la nature bien observée, car dans la laideur même elle est toujours correcte de dessin, belle de couleur, saisissante de lumière. […] Chaque historien a sa glace et aussi son diorama du fond25, ou plutôt glace et diorama ne font qu’un, et il est des historiens, tels que Tacite, chez qui l’expression et la couleur sont tellement inhérentes à la pensée et la pensée tellement inhérente au fait, que l’on ne peut les séparer ni concevoir l’un sans l’autre : ce n’est qu’un tableau. […] Thiers étant d’avis qu’il convient d’adoucir et d’amortir un peu les couleurs, il s’ensuivrait que sa glace, à lui, devrait être non pas simplement incolore, mais adoucissante à l’égard des objets et légèrement décolorante.

60. (1888) La critique scientifique « Avant-propos »

Taine, un chapitre de Roodbu sur la peinture, les recherches de Posnettbv sur la littérature de clan, de Parker sur l’origine des sentiments que nous associons à certaines couleurs, de Rentonbw et de Bainbx sur les formes du style. […] Ogden Nicholas Rood (1831-1902) : ce physicien américain, héritier de Helmholtz, a proposé en 1879 une « théorie scientifique des couleurs », appuyée sur leur mise en ordre à travers une « roue chromatique ». Ces idées furent introduites en France en 1881 (Théorie scientifique des couleurs et leurs applications à l’art et à l’industrie, Germer-Baillière) ; elles eurent en particulier une grande influence sur Seurat et les néo-impressionnistes.

61. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 22, que le public juge bien des poëmes et des tableaux en general. Du sentiment que nous avons pour connoître le mérite de ces ouvrages » pp. 323-340

Est-il décidé autrement que par le sentiment general que certaines couleurs sont naturellement plus gaïes que d’autres couleurs. […] On seroit aussi ridicule aux Indes en soutenant que le noir est une couleur gaïe, qu’on le seroit à Paris en soutenant que le verd-clair et la couleur de chair sont des couleurs tristes.

62. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Taine » pp. 231-243

Taine, si gentil en Scaramouche, a ajouté d’autres losanges à son costume et il les a coupés dans Montesquieu, dans Auguste Comte et dans Goethe… Or, comme la couleur mange quelquefois l’étoffe, l’esprit épigrammatique, le tour d’ironie ont disparu sous tout cela. […] Taine l’entend si bien ainsi qu’il ajoute : « Chacun regarde avec des lunettes de portée et de couleurs diverses… Et l’on s’est disputé et battu, l’un disant que les choses sont vertes, d’autres qu’elles sont jaunes, d’autres enfin qu’elles sont rouges… Mais voici que nous apprenons l’optique morale… que nous découvrons que la couleur n’est pas dans les objets, mais en nous-mêmes. » Et que, par conséquent, tout le monde a raison ou tort ! […] Taine avait donnée de cette optique morale qui fait que la couleur est en nous-mêmes, car, si elle n’est que cela, pourquoi M. Taine, qui a d’autres lunettes que les miennes, aurait-il la prétention de m’imposer cette couleur sur Macaulay ou du moins de me la faire respecter ?

63. (1761) Salon de 1761 « Récapitulation » pp. 165-170

Le tabellion est vêtu de noir, culotte et bas de couleur, en manteau et en rabat, le chapeau sur la tête. […] L’enfant qui est entre les jambes du tabellion est excellent pour la vérité de son action et de sa couleur. […] Je crois Teniere fort supérieur à Greuze pour la couleur. […] Un homme riche qui voudrait avoir un beau morceau en émail, devrait faire exécuter ce tableau de Greuze par Durand qui est habile avec les couleurs que M. de Montami a découvertes.

64. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gautier, Théophile (1811-1872) »

La tige, plantée dans le sable humide, différentes fleurs bizarrement assorties composaient ces gerbes aux vives couleurs… J’ai cru voir là une image assez fidèle de la poésie de M.  […] Sainte-Beuve Son premier voyage en Espagne qui est de 1840, et qui fut, dans sa vie d’artiste, un événement, lui avait fourni des notes nouvelles, d’un ton riche et âpre, bien d’accord avec tout un côté de son talent ; il y avait saisi l’occasion de retremper, de refrapper à neuf ses images et ses symboles ; il n’était plus en peine désormais de savoir à quoi appliquer toutes les couleurs de sa palette. […] Tu leur prodiguais tes odes nouvelles, Embaumant l’Avril et couleur du ciel. […] les dieux (si les dieux y peuvent quelque chose) Devraient ravir ce corps dans une apothéose, D’incorruptible éther l’embaumer pour toujours ; Et l’âme, l’envoyer dans la Nature entière Savourer librement, éparse en la matière, L’ivresse des couleurs et la paix des contours ! […] Leconte de Lisle Toi, dont les yeux erraient, altérés de lumière, De la couleur divine au contour immortel.

65. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « quelque temps après avoir parlé de casanova, et en abordant le livre des « pèlerins polonais » de mickiewicz. » pp. 512-524

Hugo, je disais, après quelques mots sur sa Comédie de la Mort (15 septembre 1838) : … Voilà pour l’éloge ; mais, à peine sorti de cette pièce, et en continuant la lecture du volume à travers les autres pièces de tous les tons qui le composent, on ne tarde pas à s’apercevoir que le procédé de l’auteur ne se conforme pas toujours au sujet, n’est pas, tant s’en faut, proportionné à l’idée ou au sentiment, qu’il y a parti pris dans le mode d’expression exclusivement tourné à la couleur et à l’image. […] On a le talent, l’exécution, une riche palette aux couleurs incomparables, un orchestre aux cent bouches sonores ; mais, au lieu de soumettre tous ces moyens et, si j’ose dire, tout ce merveilleux attirail à une pensée, à un sentiment sacré, harmonieux, et qui tienne l’archet d’or, on détrône l’esprit souverain, et c’est l’attirail qui mène. […] Du moment que l’esprit, le talent, se tournent vers ce système de tout dire en image et de tout peindre en couleurs, ils peuvent aller très-loin et faire de vrais tours de force ; mais le vrai centre est déplacé. Le procédé propre à l’art du style est d’emprunter à tous les arts, soit pour les couleurs, soit pour la forme, soit pour les sons, mais sans se borner à aucun de ces moyens, et surtout en les dominant et les dirigeant tous par la pensée et le sentiment, dont l’expression la plus vive est souvent immédiate et sans image. […] On a tant renchéri de nos jours sur les couleurs ; on a, ce semble, oublié tout à fait les odeurs.

66. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gabrielle d’Estrées. Portraits des personnages français les plus illustres du XVIe siècle, recueil publié avec notices par M. Niel. » pp. 394-412

C’est à cette condition seulement que le rang de Gabrielle à la Cour avait une excuse spécieuse, une couleur. […] Quand elle était en habit de cheval, elle aimait la couleur verte : Le vendredi 17 mars (1595), dit L’Estoile, il fit un grand tonnerre à Paris avec éclairs et tempête, pendant laquelle le roi était à la campagne, qui chassait autour de Paris avec sa Gabrielle, nouvellement marquise de Montceaux, côte à côte du roi qui lui tenait la main. […] Or, dans l’inventaire de la garde-robe de Gabrielle, on lit la description de cet élégant habit de cheval, qui donne idée de ce que pouvait être celui dont L’Estoile a été frappé : Un capot et une devantière pour porter à cheval, de satin couleur de zizolin, en broderie d’argent avec du passement d’argent mis en bâtons rompus ; dessus des passepoils de satin vert. […] Et ladite devantière doublée de taffetas couleur de zizolin, avec le chapeau de taffetas aussi couleur de zizolin, garni d’argent, prisé deux cents écus. […] Ses yeux étaient de couleur bleue et d’un mouvement prompt, doux et clairs.

67. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Ramond, en même temps qu’il observait la nature en géologue, en physicien et en botaniste, s’appliquait expressément à rendre l’aspect et la physionomie des lieux, la teinte diverse des rochers, la couleur des eaux et jusqu’à l’individualité des monts. […] C’est ainsi qu’en se dirigeant vers le Marboré, après avoir traversé d’affreuses solitudes, et en arrivant à Gavarnie, d’où se découvre presque en entier le grand cirque du fond, au mur demi-circulaire, avec ses rochers à figure de tours, avec ses neiges aux flancs et ses cascades, il dira de cette belle masse, qui est la partie la plus connue du Marboré : Son volume et sa hauteur la feraient croire très voisine de Gavarnie ; mais sa couleur, qui tient de l’azur des hautes régions de l’atmosphère et de l’or de la lumière répandue sur les objets distants, avertit qu’on aura plus d’un vallon à parcourir avant de l’atteindre. […] Quiconque ne connaît point les monts du premier ordre, ne saurait se former une idée de cette couleur dorée et transparente, qui teint les plus hautes sommités de la terre. […] Tout s’élève ou s’abaisse suivant de justes proportions ; rien ne trouble l’harmonie d’un dessin dont la sévérité modère la hardiesse ; et une couleur transparente et pure, un gris clair légèrement animé de rose, sympathisant également avec la lumière et l’ombre dont il adoucit le contraste, accompagne dans l’azur du ciel des cimes qui en ont revêtu d’avance les teintes éthérées. Il excelle à rendre cette couleur presque indescriptible des hauts lieux, ces rayons d’un soleil sans nuages, mais sans ardeur ; ces caractères des glaciers que l’œil exercé distingue de loin et que l’amant des hauteurs désire, cette teinte bleuâtre, cette coupure nette, ces fentes à vive arête qui le réjouissent, et de près, lorsqu’on y marche, lorsque le bâton et les crampons n’y mordent qu’à peine, « la couleur de ce bleu de ciel qui est l’ombre des glaciers ».

68. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

C’est l’imagination qui a enseigné à l’homme le sens moral de la couleur, du contour, du son et du parfum. […] La couleur obtient ainsi plus d’énergie et de fraîcheur. […] Pourquoi donc cette couleur terreuse dont la face et le bras sont revêtus ? […] Chez lui aussi on retrouve cette savante et naturelle intelligence de la couleur, si rare parmi nous. […] Ingres ont très-inutilement conservé un semblant de couleur.

69. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Sa couleur était vraie, et telle qu’elle se voyait naturellement aux objets représentés ; il savait ce qu’il faisait, il faisait ce qu’il avait sous les yeux : que lui demandait-on de plus ? […] Cependant il ne cherche son effet ni dans la ligne proprement dite, ni dans la couleur. […] Il mettra juste le pli, la couleur qu’il voit. […] Cette ville toute couleur de terre ressemble plutôt à celles des Abruzzes qu’à tout ce que nous connaissons du littoral de l’Afrique. […] Figure-toi une délicieuse décoration d’opéra, tout de marbre blanc, et des peintures de couleurs les plus vives d’un goût charmant, des eaux coulant de fontaines ombragées d’orangers, de myrtes, etc. ; enfin un rêve des Mille et une Nuits.

70. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vien » pp. 74-89

Les autres acolytes se soutiennent très bien à côté de lui et pour la forme et pour la couleur. […] Ces deux personnages qui conversent sur le fond sont d’une couleur sale, mesquins de caractère, pauvres de draperie ; du reste, assez bien ensemble. […] Il règne ici la plus belle harmonie de couleur, une paix, un silence qui charment. […] Tous les caractères de têtes paroissent avoir été étudiés d’après le premier de ces maîtres, et le grouppe des jeunes hommes qui est à droite et de bonne couleur, est dans le goût de Le Sueur. […] La couleur en est un peu compacte.

71. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hebel »

À la profondeur de son sentiment, à la teinte passionnée de ses superstitions, à la couleur de sépia répandue dans ses poèmes et qui rappelle la vieille « Aikie », la vieille enfumée, on reconnaît dans Burns cette virginité du génie que Dieu met sous la garde de l’ignorance pour les plus aimés de ses poètes, et que Hebel — littéraire d’habitude, de sentiment, d’horizon, comme La Fontaine lui-même, — n’avait pas. […] On a chaud de toute cette bonne et grasse couleur qu’il étend sur la nature et les choses visibles ; on est tout attendri du sentiment moral qui spiritualise et poétise cette couleur d’École hollandaise appliquée sur des sujets allemands, fomentations délicieuses pour l’imagination et pour le cœur ! […] On sent tout de suite, en l’ouvrant, à la nouveauté de la couleur, à l’exactitude de certains détails de costumes et de mœurs, et presque à l’air qu’on y respire, que cette traduction doit être fidèle autant que peut l’être cette chose impossible : une traduction en vers !

72. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre I : Variations des espèces à l’état domestique »

Certaines couleurs et certaines particularités de constitution s’appellent réciproquement. D’après les observations recueillies par Heusinger, il paraîtrait que les Moutons et les Cochons blancs sont affectés par les poisons végétaux d’une autre manière que les individus d’autres couleurs. […] Quelques faits concernant la couleur des Pigeons méritent qu’on s’y arrête. […] combien les fruits des différentes espèces de Groseilliers sont variés en grosseur, en couleur, en forme, en villosité ! […] Les sauvages de l’Afrique méridionale apparient leurs Bœufs de trait d’après leur couleur, comme font les Esquimaux pour leurs attelages de Chiens.

73. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 49, qu’il est inutile de disputer si la partie du dessein et de l’expression, est préferable à celle du coloris » pp. 486-491

Leurs yeux sont organisez, de maniere que l’harmonie et la verité des couleurs y excite un sentiment plus vif que celui qu’elle excite dans les yeux des autres. Un autre homme, dont les yeux ne sont point conformez aussi heureusement, mais dont le coeur est plus sensible que celui du premier, trouve dans les expressions touchantes un attrait superieur au plaisir que lui donnent l’harmonie et la verité des couleurs locales. […] Celui qui défend la superiorité du Poussin, ne conçoit pas donc qu’on puisse mettre au-dessus d’un poëte, dont les inventions lui donnent un plaisir sensible, un artisan qui n’a sçû que disposer des couleurs, dont l’harmonie et la richesse lui font un plaisir médiocre.

74. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers populaire  »

Vous avez la main teindue (teinte) De couleur de violette… Ce n’est pas d’un effet bien désagréable. […] la couleur violette Est encore la plus belle, Ô beau rossignolet, Oh ! la couleur violette Est encore la plus belle. […] Au premier tour de danse La belle change de couleur, Ô beau rossignolet, Au premier tour de danse La belle change de couleur.

75. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

Ainsi le sombre azur, qu’on suppose la couleur du dieu père et conservateur des êtres, Wichnou, est aussi la couleur de l’amour. […] Cette couleur appartient à Siva, dieu de la guerre et de la destruction des êtres. L’héroïsme magnanime a pour couleur le rouge clair ou le rose, symbole de la divinité du cœur, représentée par Indra, le roi des dieux secondaires. Le gris, couleur de la cendre, de la terre nue, de la mer terne sous les nuages, est le symbole de la tristesse ; le noir, de la terreur et des enfers. […] La couleur de leur teint foncé ressemble à la nuance du col azuré de la colombe ; leurs épaules ont la largeur de celles du monarque des forêts.

76. (1874) Premiers lundis. Tome II « Théophile Gautier. Fortunio — La Comédie de la Mort. »

Portoul ; non-seulement il se raille volontiers de la direction humanitaire dans la critique ou dans l’art, mais il se passe très bien, dans l’une et dans l’autre, d’un point de vue moral et d’un but utile quelconque ; il lui suffît en toutes choses de rencontrer ou de chercher la distinction, la fantaisie, l’éclat, la rareté de forme ou de couleur. […] Il sortit donc de ces années préparatoires avec un renfort de couleur, une science de tons et une décision d’images à tout prix, qui, après quelques essais moins remarqués, ont trouvé enfin leur cadre et leur jour : dans l’école, aujourd’hui renouvelée, de M.  […] Son livre de poésie, qui le classe véritablement, La Comédie de la Mort, s’intitule ainsi, non-seulement à cause de la première pièce qui porte ce titre particulier, mais aussi, sans doute, à cause d’une impression générale de mort qui réside au fond de la pensée du poète, qui ne le quitte pas même aux plus gais moments, et qui ne fait alors que le convier à une jouissance plus vive de cette terre et de ses couleurs.

77. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une conspiration sous Abdul-Théo. Vaudeville turc en trois journées, mêlé d’orientales — Première journée (1865). Les soucis du pouvoir » pp. 215-224

Et la couleur locale, malheureux ! tu veux donc la fouler aux pieds, la couleur locale, l’anéantir, l’annihiler ? […] Que par tes soins les viandes défendues soient précipitées dans le Bosphore, et que mes sujets observent le jeûne dans toute sa rigueur, et avec toute la couleur locale désirable. — Ah !

78. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

En général, tout ce début n’est pas net ; l’auteur voudrait dire et ne dit pas ; mais j’arrive à l’opinion fondamentale, et je la résume ainsi : André Chénier, en regard de l’antiquité, n’est qu’un copiste, un disciple qui s’attache à la superficie et aux couleurs plutôt qu’à l’esprit ; il abonde en emprunts forcés, il pille au hasard et fait de ses larcins grecs et latins un pêle-mêle avec les fausses couleurs de son siècle. […] « Une expression d’un goût aussi moderne que celle de l’héréditaire éclat suffit sans doute, ajoute-t-il, pour détruire toute l’harmonie de la couleur antique. » Et il continue de raisonner en ce sens. […] Les Centaures, notez-le bien, étaient fils de la nue, et le poëte dit de Riphée, l’un des plus superbes, qu’il rappelait les couleurs de sa mère, en d’autres termes, qu’il …. portait sur ses crins, de taches colorés, L’héréditaire éclat des nuages dorés. […] remy s’était borné à faire remarquer qu’André Chénier, malgré tout, était de son temps ; à indiquer en quoi il composait avec le goût d’alentour, comment dans tel sujet transposé, dans tel cadre de couleur grecque, il se glisse un coin, un arrière-fond peut-être de mœurs et d’intérêt moderne, on n’aurait eu qu’à le suivre dans ses analyses. […] Je me le suis dit depuis bien longtemps, André Chénier, non pas quant à l’action, mais quant à la couleur, a été pour nous une espèce de Walter Scott antique et poétique : il a donné le ton.

79. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1880 » pp. 100-128

La moitié de la verdure persistante est de la couleur d’un artichaut à la barigoule, l’autre moitié de la couleur du papier brouillard, avec lequel nos mères faisaient leurs papillotes. […] Alors il est parti à la campagne, pour une propriété de sa famille, et il est parti avec sept vessies de couleur, emportant sur lui, selon une expression de son frère, toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. […] De l’impériale, on lui jette sa petite malle, et sa grosse boîte à couleurs, qui s’ouvre en tombant, et dont les pinceaux et les couleurs se répandent dans le ruisseau. […] Un toupet en escalade, fait comme de cheveux en fil d’archal, un œil sans couleur, triangulairement voilé par l’ombre d’une profonde arcade sourcilière, et dans cet œil un regard d’aveugle.

80. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

Souvent, la contemplation de la couleur suffit à amener la guérison. […] Personne ne niera, au contraire, le rôle des couleurs dans la vie. […] Nous avons des couleurs préférées. […] L’étude des goûts et des couleurs devrait faire partie de la psychologie. […] La couleur a son importance.

81. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ferdinand Denis »

C’est donc rendre service aux poètes, c’est ouvrir de nouvelles sources à leurs inspirations, que de leur mettre sous les yeux quelques scènes des tropiques envisagées sous cet aspect, et de leur montrer en même temps comme exemple la couleur particulière qu’elles répandent sur la poésie des indigènes. […] Les mœurs africaines, la traite et la révolte des esclaves, y sont peintes des plus vives couleurs, et l’on y puise une généreuse indignation contre un trafic hautement désavoué par la conscience des peuples. […] Denis nous transporte dans les bocages d’Otahiti, séjour charmant de la poésie et de la volupté, où le navigateur oublie l’Europe et la patrie ; soit qu’aux bords sacrés du Guige, il nous retrace les caractères des beaux lieux qu’il arrose, la plénitude de la végétation, des villes au sein des forêts, (les gazelles et les biches auprès du buffle et du tigre, l’éléphant sauvage et sa vaste domination sur les hôtes des bois, et ses guerres sanglantes contre des armées entières de chasseurs ; soit qu’accomplissant cette fois toute sa mission, il nous montre la littérature portugaise passant du Gange au Tage, et qu’il présente les fables des Indiens, et leurs riantes allégories, et leurs croyances si douces et si terribles tour à tour ; alors, en s’adressant aux poètes, il est poète lui-même ; sa pensée, singulièrement gracieuse, s’embellit encore d’une expression dont l’exquise pureté s’anime des couleurs orientales. Si la beauté confie à la colombe messagère le secret qu’elle n’oserait révéler à ses austères gardiens, il ajoute : « Prête à voir l’oiseau charmant s’élever dans les airs, en emportant les vœux de sa tendresse, elle voudrait le retenir, comme on retient un aveu qui va s’échapper. » S’il parle des bouquets mystérieux qui racontent et les tendres inquiétudes et les douces espérances d’une jeune captive : « Messager, dit-il, plus discret que notre écriture, maintenant si connue, son parfum est déjà un langage, ses couleurs sont une idée. » L’ouvrage dont nous venons de rendre compte est suivi d’une espèce de nouvelle historique sur la vie du Camoëns.

82. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Michel Van Loo » pp. 66-70

" cette première est de bonne couleur " . […] L’ abbé de Breteuil , tout aussi ressemblant, plus éclatant de couleur, mais moins vigoureux, moins sage, moins harmonieux. […] Rien de la sagesse de couleur du cardinal de Choiseul . […] L’écritoire, les livres, les accessoires aussi bien qu’il est possible, quand on a voulu la couleur brillante et qu’on veut être harmonieux.

83. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

Je ne fais que mentionner les critiques d’art qui, par métier, rendent compte des Salons et s’efforcent de traduire par des combinaisons de mots des combinaisons de couleurs et de lignes. […] N’a-t-il pas déclaré que, en écrivant Madame Bovary, il avait voulu faire quelque chose nuance cloporte ou punaise et, en composant Salammbô, une œuvre couleur pourpre. […] Pour toucher à l’extrême limite où puisse, semble-t-il, atteindre l’invasion des procédés des peintres dans la littérature, il ne restait plus qu’à proclamer que les syllabes des mots ont leur couleur propre. […] Elle fit peindre les murs de couleurs gaies. […] Les femmes de la cour portent alors des habits de couleur brune, uniforme ; les cheveux se dissimulent sous une ample coiffe noire ; l’ensemble a quelque chose de triste et de monacal.

84. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

En ce jour, nous rappelant Sedan, j’ai vu, avec le soleil levant, arriver dans le jardin, le père et la mère Kallenberg, qui, avec des gestes de pontifes, ont hissé le pavillon aux couleurs allemandes. […] Nous avons passé des heures, au milieu de ces formes, de ces couleurs, de ces choses de bronze, de porcelaine, de faïence, de jade, d’ivoire, de bois, de carton, de tout cet art capiteux et hallucinatoire. […] Au milieu de la lecture, Popelin se met à prendre de petits morceaux de papier, et sur leur surface mouillée, fait tomber des taches de couleur, imitant les marbrures du papier peigne. […] Le passage s’élargit entre des paravents, sur lesquels sont drapées des étoffes de la Chine, des étoffes du Maroc lamées d’or, et contre lesquels sont entrouverts des cartons, laissant voir des bouts de dessins et des papiers de toute couleur. […] Le teint un peu orangé, un œil qui a la couleur grise d’un œil d’oiseau, et dans les moments d’attention, sur son front, au-dessus du nez, des rides dessinant comme un if lumineux.

85. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre II. Du sens et de la valeur des mots »

La plupart du temps, la pensée s’exprime par des combinaisons passagères de termes qui se limitent réciproquement et projettent les uns sur les autres le reflet de leur couleur. […] Le sentiment du style est précisément le discernement délicat de l’élasticité des mots : il faut posséder, par un don naturel ou une patiente étude, le secret de cette sorte de manipulation chimique, qui, par la combinaison des mots, change la couleur, le parfum, le son, la nature même de chacun d’eux et peut obtenir un tout, homogène et simple en apparence, où les éléments associés n’ont souvent gardé aucune de leurs propriétés individuelles. […] C’est une des raisons qui obligent de condamner l’ancienne théorie du style noble : elle attribuait aux mots un degré invariable d’énergie, et méconnaissait cette pénétration réciproque, cette sensible communication, qui reflète sur les uns la couleur des autres, et les imprègne de leur vertu.

86. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. Le théâtre romantique »

Les auteurs : Dumas ; la couleur locale ; l’action ; le pathétique brutal et physique. […] Pour la couleur locale, le poète détendra la raideur de l’action : il y coulera des scènes désintéressées de contemplation, des tableaux de mœurs sans autre but qu’eux-mêmes, comme l’étonnante conversation littéraire du temps de Louis XIII que nous inflige Hugo dans Marion de Lorme. […] Sous l’étalage de la couleur locale, sous le déploiement des tirades emphatiques, Dumas trouve moyen de révéler le tempérament d’un dramaturge. […] Aussi a-t-il beau dresser pédantesquement toute la bibliographie d’un sujet ; la couleur historique jure avec le thème poétique ; elle fait l’effet d’être plaquée ; elle s’écaille. […] Alors la comédie crée un univers de la couleur de ce sentiment, et la vérité morale est entière dans l’absolue fantaisie de la construction scénique.

87. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1861 » pp. 361-395

Une lanterne jette un reflet dans l’ombre pleine d’objets, sur le casque d’un pompier, sur un visage, sur un bout de jupe à la couleur éclatante. […] Dans Madame Bovary, je n’ai eu que l’idée de rendre un ton, cette couleur de moisissure de l’existence des cloportes. […] La personnalité si bien dissimulée de l’auteur, dans Madame Bovary, transperce ici, renflée, déclamatoire, mélodramatique, et amoureuse de la grosse couleur, de l’enluminure. […] On ne peut nier que par la volonté, le travail, la curiosité de la couleur empruntée à toutes les couleurs de l’Orient, il n’arrive, par moments, à un transport de votre cerveau, de vos yeux, dans le monde de son invention ; mais il en donne plutôt l’étourdissement que la vision, par le manque de gradation des plans, l’éclat permanent des teintes, la longueur interminable des descriptions. […] Même peinture laiteuse, même touche aux petits damiers de couleur fondus dans la masse, même égrenure beurrée, même empâtement rugueux sur les accessoires, même picotement de bleus, de rouges francs dans les chairs, même gris de perle dans les fonds.

88. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

En effet, disent ces derniers, le propre des Français est de tout juger par l’esprit, même les formes et les couleurs. Il est vrai que, comme il n’y a pas de langue qui puisse exprimer les finesses de la forme ou la variété des effets de la couleur, du moment qu’on veut en discourir, on est réduit, faute de pouvoir exprimer ce qu’on sent, à décrire d’autres sensations qui peuvent être comprises par tout le monde. […] Diderot, dans ses Salons, a trouvé la seule et vraie, manière de parler aux Français des beaux-arts, de les initier à ce sentiment nouveau, par l’esprit, par la conversation, de les faire entrer dans la couleur par les idées. Combien, avant d’avoir lu Diderot, auraient pu dire avec Mme Necker : « Je n’avais jamais vu dans les tableaux que des couleurs plates et inanimées ; son imagination leur a donné pour moi du relief et de la vie ; c’est presque un nouveau sens que je dois à son génie. » Ce sens nouveau et acquis s’est fort développé chez nous depuis lors ; espérons qu’il nous est devenu tout à fait naturel aujourd’hui29. […] Diderot a innové dans la langue, et y a fait entrer des couleurs de la palette et de l’arc-en-ciel : il voit déjà la nature à travers l’atelier et par la lunette du peintre.

89. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre III : Sentiments et Volonté »

Cette apparente simplicité est uniquement un exemple de ce mode d’association qui unit intimement plusieurs idées, qu’elles paraissent être non plus plusieurs idées, mais une seule. » Un son, une couleur, un objet quelconque sont appelés beaux ou sublimes, selon les idées qu’ils éveillent en nous par association. […] En Chine, le blanc est la couleur du deuil, et conséquemment est loin d’être réputé beau. En Espagne, le noir plaît parce que c’est la couleur du vêtement des grands55. […] C’est que ceux qui n’associent aucune idée agréable avec des sons ou des couleurs ne sentent pas le beau. […] Ne pourrait-on pas dire tout aussi bien qu’il est la couleur du vêtement des grands, parce qu’il plaît aux Espagnols ?

90. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Champfleury ; Desnoireterres »

On a chaud de toute cette bonne et grasse couleur qu’Hebel étend sur la nature et les choses visibles ; on est encore tout attendri du sentiment moral qui spiritualise et poétise cette couleur d’école hollandaise appliquée sur des sujets allemands, et voilà que de ces fomentations délicieuses pour l’imagination et pour le cœur on entre dans le froid de la nudité et de la pauvreté réunies, — pauvreté d’idées, nudité de style, toutes les indigences à la fois ! […] Champfleury, comme tous les hommes de son triste système, décrit pour décrire, mais il ne peint pas ; car peindre, c’est nuancer les couleurs, c’est entendre les perspectives, c’est creuser ou faire tourner par les ombres, c’est éclairer par le sentiment presque autant que par la lumière.

91. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

Dans leur enthousiasme pour la beauté de l’homme, après lui avoir autant que possible ravi l’ondulation de ses lignes si harmonieusement balancées, ils ont été jusqu’à revêtir de couleurs leurs édifices, afin de mieux imiter la nature par une apparence de vie. […] J’erre tout le jour, muet, dans ces ruines, et je rentre l’œil ébloui de formes et de couleurs, le cœur plein de mémoire et d’admiration ! […] Or, voyager, c’est traduire ; c’est traduire à l’œil, à la pensée, à l’âme du lecteur, les lieux, les couleurs, les impressions, les sentiments que la nature ou les monuments humains donnent au voyageur. […] non pas avec des lignes et des couleurs, comme le peintre, chose facile et simple ; non pas avec des sons, comme le musicien ; mais avec des mots, avec des idées qui ne renferment ni sons, ni lignes, ni couleurs. […] Elles forment, de ce côté du temple, un chaos ruisselant de marbre de toutes formes, de toutes couleurs, jeté, empilé, dans le désordre le plus bizarre et le plus majestueux : de loin, on croirait voir l’écume de vagues énormes qui viennent se briser et blanchir sur un cap battu des mers.

92. (1763) Salon de 1763 « Sculptures et gravures — Tapisserie »

Mon ami, il n’est guère moins difficile de faire prendre des laines pour de la couleur, que de la couleur pour des chairs, et je ne crois pas qu’il y ait quelque chose dans toute l’Europe qui puisse lutter contre nos ouvrages des Gobelins.

93. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

L’expérience montre que l’idée persistante d’une couleur brillante fatigue le nerf optique : cette idée implique donc une force qui produit ses effets dans les organes. On sait que la perception d’un objet coloré est souvent suivie d’une sensation qui nous fait voir l’objet avec les mêmes contours, mais avec la couleur complémentaire de la couleur réelle : si, par exemple, j’ai regardé un disque rouge, j’ai ensuite l’image d’un disque vert ; or il peut en être de même pour une simple représentation, en apparence toute mentale : elle laisse aussi, quoique avec une intensité moindre, une image consécutive complémentaire. Les yeux fermés, pensons fortement à une couleur très vive et tenons-la longtemps fixée devant notre imagination ; par exemple, représentons-nous avec assez de force une croix d’un rouge éclatant ; si, après cela, nous ouvrons brusquement les yeux pour les porter sur une surface blanche, nous y verrons, durant un instant très court, l’image de la croix, mais avec la couleur complémentaire : le vert. […] On peut donc admettre, avec Bain et Spencer, que, pour se rappeler la couleur rouge, il faut éprouver, à un certain degré, quelque chose de l’état cérébral et mental que la couleur rouge produit. […] Les uns perdent la mémoire des figures, d’autres des couleurs, d’autres d’une seule couleur, d’autres des nombres, d’autres de plusieurs nombres seulement.

94. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

Ce dernier, plus jeune, moins engagé, fut aussi celui qui résuma le plus nettement. « L’auteur du Discours dont il s’agit, écrivait Mme de Staël, est peut-être le premier qui ait pris vivement la couleur d’un nouveau siècle. » Cette couleur consistait déjà à réfléchir celle du passé et à la bien saisir plutôt qu’à en accuser une à soi. […] Guizot n’aimait pas avant tout à raconter ; on l’a dit mieux que nous ne le pourrions redire13, l’exposition qui abrége en généralisant avait pour lui plus d’attraits ; bien des faits sous sa plume étaient resserrés en de savants résumés qui eussent pu aussi se dérouler autrement et prendre couleur. […] S’attachant à des époques lointaines, peu connues, réputées assez ingrates, traduisant de sèches chroniques avec génie, il devait serrer tout cela de si près et percer si avant, qu’il en tirerait couleur, vie et lumière. […] Si l’on voulait citer des morceaux, on aurait la bataille d’Azincourt, le meurtre de Jean sans Peur, l’épisode de la Pucelle, la rentrée de Charles VII, à Paris opposée à celle du roi anglais Henri VI, et tant d’autres pages d’émotion ou de couleur ; mais ce serait faire tort et presque contre-sens à la méthode de l’auteur que de se prendre ainsi à des morceaux, là où il a voulu surtout le développement varié et continu. […] Il fallait conserver à tout le livre sa couleur, son unité, se priver de quelques avantages pour en recueillir d’autres.

95. (1860) Ceci n’est pas un livre « Hors barrières » pp. 241-298

il se livra à l’enthousiasme public, — vêtu d’une veste en toile blanche et d’un pantalon de couleur : il est aimé d’une sympathie qui lui permet de ces insolences. […] Il arrivait chaque soir, à la même heure — au même café, s’appuyant d’une main sur la large pomme d’ivoire d’une canne courte et trapue, — et de l’autre, sur un parapluie couleur feuille morte. […] Le Capitole, construction d’un style encore innommé, est une longue bicoque en plâtre — couleur lilas pâle. […] En somme, beaucoup de couleurs : — sans compter la couleur locale. […] Ce qu’on me parlait là, c’était un espagnol de fantaisie : la couleur locale tendait à s’effacer.

96. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Fervaques et Bachaumont(1) » pp. 219-245

Ils peignent leur Rolande et ses vices avec un sans-souci de peintres indifférents à tout ce qui n’est pas la couleur et la plastique de leur peinture, et avec une impassibilité plus légère, mais aussi positive que celle de Flaubert, le plus fieffé matérialiste de peinture qu’il y ait dans ce temps de matérialisme en toutes choses… Ils disent le long de leur roman que Rolande a le don de fascination, ce qui est bien facile à dire quoique pas une seule fois on ne comprenne qu’elle l’ait dans le roman où elle se meut, mais ce don de fascination qu’ils lui ont fait, évidemment elle l’a pour eux. […] Les chroniqueurs d’habitude se marquent, en ce fourmillement de faits, par l’absence de jugement supérieur sur les événements et les choses, de repli d’âme, de réflexion sur ces faits qu’on n’a souci que de raconter en les peignant de couleurs vives. Toutes les couleurs y sont, excepté la couleur de l’âme des auteurs. […] Mais il ne trouva ni en lui, ni hors de lui, de couleur pour peindre ces ombres pâles. […] En ces romans de Μ. de Vielcastel, qui avaient la prétention d’être des livres de caste et des satires de cette caste, ce qui devait affiler le trait et exaspérer la couleur, on parlait identiquement la même langue mondaine que le roman de Feuillet, et on y rencontrait les mêmes inanités que dans la chronique de Bachaumont.

97. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

L’air, la couleur, l’eau, le roc, la fleur, la montagne, aspirés par son regard jusqu’à son être intime, allument en lui un enthousiasme qui déborde en accents d’un panthéisme grandiose. « Creusons sous son réalisme, et qu’y trouvons nous ? […] La méconnaissance de ce principe a engendré la ruine des Préraphaélites qui, tout en proscrivant le bitume de leurs toiles, n’ont pas su, pour cela, rendre aux couleurs leur authentique vérité.‌ […] D’où l’absence de toute couleur réellement vivante chez presque tous les maîtres anciens, qui toujours rendaient un ton réel par un ton faux, quand ils n’en atténuaient pas purement et simplement l’éclat véritable, considéré comme contraire à l’art. […] J’entends que le peintre moderne ne détournant plus son regard des mille couleurs qui viennent le frapper, a cessé de méconnaître l’importance du rendu scrupuleux de la lumière. Cette fidèle observation des couleurs réelles de la nature l’a conduit à les traduire sur la toile dans leur authentique et intégrale valeur, à les prendre pour ce qu’elles sont.‌

98. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre premier. Sensation et pensée »

Ce n’est pas l’ordre de mes sensations de couleurs qui vient de moi, qui est la part de ma conscience ; ce sont ces sensations elles-mêmes en tant que senties, en tant qu’ayant telle nuance intérieure, telle qualité propre. […] N’est-ce pas aussi impossible que de déclarer une chose bleue sans avoir la sensation de la couleur bleue et par un acte de pensée pure ? […] Reprenons l’exemple des couleurs. — « Voici du bleu et du rouge, disent les modernes disciples de Platon, vous jugez que ces deux couleurs différent ; mais la différence vous apparaît-elle bleue ou rouge ? La différence a-t-elle une couleur ? […] Tous les faits intérieurs doivent être considérés sous ce triple aspect, qu’un philosophe anglais, Lewes, par comparaison avec les trois couleurs fondamentales du spectre solaire, appelait le « spectre mental ».

99. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Deux tragédies chrétiennes : Blandine, drame en cinq actes, en vers, de M. Jules Barbier ; l’Incendie de Rome, drame en cinq actes et huit tableaux, de M. Armand Éphraïm et Jean La Rode. » pp. 317-337

Et il y a la « couleur locale », la fâcheuse couleur locale romaine, dont se sont si heureusement passés Corneille dans Polyeucte et Racine dans Britannicus. […] … Voici le stoïcien, et c’est Épagathus ; l’épicurien, et c’est Lucien de Samosate ; le politique étroit, pusillanime, cruel par terreur, et c’est Septime Sévère ; l’esclave chrétienne, et c’est Blandine. — Et voici la fâcheuse couleur locale. […] Jules Barbier, dans son avant-dernière scène, met bravement cette note de couleur scientifique, un peu inattendue dans une tragédie chrétienne : « Ponticus complètement anesthésié ». […] Une déplorable « couleur locale » ne cesse d’égayer la pièce.

100. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Brenet »

Elle est faible de couleur ; mais il y a de l’harmonie ; l’enfant est joli, la figure de la Vierge n’est du moins empruntée de personne ; les mages ne sont ni sans effet, ni sans caractère. […] Vos licteurs sont faibles de couleur, froids et un peu roides.

101. (1874) Portraits contemporains : littérateurs, peintres, sculpteurs, artistes dramatiques

Son individualité propre disparaît alors tout à fait sous les couleurs dont il la recouvre. […] Les deux seules couleurs employées sont le bleu céleste, le blanc de neige avec quelques tons nacrés pour ombre. […] Mais ne voyez pas en eux des romanciers qui veulent charger la hâte leur palette de couleur locale. […] Nos visages couleur d’écrevisse étaient impayables, et notre tournure… c’est à décrire ! […] Si la couleur de Decamps est plus phosphorescente, le dessin de Marilhat a plus d’élégance.

102. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre I : L’histoire de la philosophie »

Mais un fait est en réalité un faisceau d’inférences : un fait aussi simple que celui de voir une pomme sur une table, suppose outre la simple sensation de couleur, le rappel des idées de rondeur, saveur, etc. […] La lumière, la couleur, le son, le goût sont tous des états de conscience : ce qu’ils sont en dehors de la conscience, à titre d’existence per se, nous ne pouvons le savoir ni l’imaginer, parce que nous ne pouvons les concevoir que comme nous les connaissons. La lumière avec ses myriades de formes et de couleurs ; le son avec ses milliers de formes sont le vêtement dont nous habillons le monde. […] Nos sens nous informent de certaines qualités sensibles, étendue, couleur, etc. […] Gall nous attribue vingt-sept facultés, parmi lesquelles celles de la vénération, de l’individualité, de la couleur, de l’éventualité, et bien d’autres qui évidemment ne sont point du tout des facultés originales.

103. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

S’il entre dans un salon, à peine a-t-il passé la porte, que déjà la couleur des objets, leur harmonie ou leurs contrastes, leur arrangement et la subtile personnalité qui s’en dégage se sont révélés à lui, il peut les redire et n’aura besoin, pour cela, d’aucun effort. […] Les expositions de tout genre, la multiplication des livres illustrés et des affiches, la fréquentation du théâtre, les voyages économiques répandent jusque dans la foule la science des formes et des couleurs. […] Fromentin n’a pas abusé des violences de couleur. […] Il n’a pas indiqué, lui peintre, la couleur d’une seule robe de Madeleine. […] Les vues hardies sur la fin propre de l’art, sur le rôle du peintre, sur sa formation, sur la science des couleurs et leur emploi, abondent aussi bien que les mots pittoresques, dans les Maîtres d’autrefois.

104. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — II »

Si celle-ci ne les surprend et ne les enchaîne, en quelque sorte, par une expression rapide et flexible, qui leur donne à l’instant de la couleur et du corps, tout lui échappe aussitôt, et il ne lui reste plus qu’à combiner ensemble des syllabes et des rimes pour se consoler ou du moins s’étourdir. […] Plus de divagations alors, plus d’exagération ; il ne perd point de vue, il n’altère point ce qu’il sent ; le tableau se compose sans efforts, et chaque idée apporte avec elle sa couleur. […] De là un éclat brillanté qui blesse ; nulle gradation de couleurs, nulle science des lointains : le pli d’un manteau tient autant de place que la plus noble pensée. […] Hugo se garde surtout de l’excès de sa force ; qu’à l’heure de la méditation, il sache attendre à loisir ses propres rêves, les laissant venir à lui et s’y abandonnant plutôt que de s’y précipiter ; qu’à l’heure de produire, il se reparte sans cesse aux impressions naïves qu’il veut rendre, les contemple longuement avant de les retracer, et plus d’une fois s’interrompe en les retraçant pour les contempler encore ; que, n’épuisant pas à chaque trait ses couleurs, il approche par degrés de son idéal, et consente, s’il le faut, à rester au-dessous plutôt que de le dépasser, ce qui est la pire manière de ne pas l’atteindre.

105. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Charles De Rémusat »

C’est un homme d’esprit, mais de peu de couleur, de peu de flamme. […] Il me souvient de l’avoir vu un jour à l’Institut, ayant oublié son habit de cérémonie et portant un costume d’été, de couleur nankin indécis, et tout, l’habit, le gilet, jusqu’aux gants, et, Dieu me pardonne ! le visage et même les cheveux de Rémusat étaient de cette gracieuse couleur homogène et sans tapage, et je ne dis pas cela pour le flatter, mais cela lui allait très bien, cela le traduisait à merveille. […] Avec ces figures-là il faut aller dru, verser de la couleur à flots pour en faire jaillir de la vie !

106. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Ronsard »

Mais tous, tous, tant qu’ils aient été et quoi qu’ils soient, ont été plus ou moins trempés dans ce cuvier de couleur vermeille qui est la couleur de la vie et de la poésie de Ronsard, et dont ceux-ci sont ressortis écarlates, ceux-là pourprés ou seulement roses, mais tous érubescents, tous teints de cette ardente couleur de la vie que les xviie et xviiie  siècles, voués à l’incolore, avaient effacé partout et fini par ne connaître plus ! […] Ce poète, ce grand seigneur, cet homme de cour, qui n’aima jamais que deux paysannes, deux filles tout près de la nature, rencontrées au bord des rivières et des bois : Simples glayeuls, à couleur arc-en-cine, et qu’il engrava en ses vers sous les noms, de Marie et de Cassandre, — car la troisième, qu’on y trouve aussi sous le nom de Synope, il n’est pas bien sûr qu’il l’ait aimée, — aima donc au-dessous de lui, comme les hommes vraiment grands, qui descendent presque toujours vers la femme qu’ils aiment, tandis que les petits veulent monter vers elle, — et il eut dans l’expression de son double amour une ampleur d’embrassement, un si vaste réchauffement de cœur, un emportement de geste si impérieux dans la caresse, que ses Sonnets et ses autres pièces intitulées : Amours, effacent par la passion, le mouvement et l’image, tout ce qui a jamais parlé d’amour.

107. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Hallé » p. 199

On ne sent nulle part le nu sous cet amas d’étoffe lourde et de couleur de terre. […] Et puis, vos couleurs sont sales et crues ; vous êtes d’une fadeur de monotonie insupportable.

108. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — J — Jaubert, Ernest (1856-1942) »

Jaubert, Ernest (1856-1942) [Bibliographie] La Couleur des heures (1898). — Fleurs de symbole (1896). — Tel est pris, un acte (1897). […] Or, Jaubert est de ceux qui savent ces choses ; et c’est cela la Couleur des heures.

109. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre deuxième. La force d’association des idées »

En effet, des représentations de même qualité pour l’esprit, comme la couleur rouge, la couleur rose, la couleur pourpre, sont des représentations de même siège dans le cerveau : les représentations visuelles ont pour siège commun les centres visuels du cerveau ; les représentations de l’ouïe ont pour siège commun le centre auditif ; notre cerveau a des casiers tout faits à l’avance, tout préparés par la sélection naturelle, et ces casiers sont ses diverses régions. […] Qu’une image particulière de la vue, comme celle de la couleur rouge, ébranle le centre visuel, cet ébranlement se répandra par diffusion dans le centre visuel tout entier ; il tendra à susciter l’image plus ou moins précise d’autres couleurs similaires, ou encore celle de la couleur en général, puis, par une sélection nouvelle, celle de l’étendue, et ainsi de suite.

110. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Orientales » (1829) — Préface de l’édition originale »

L’auteur de ce recueil n’est pas de ceux qui reconnaissent à la critique le droit de questionner le poëte sur sa fantaisie, et de lui demander pourquoi il a choisi tel sujet, broyé telle couleur, cueilli à tel arbre, puisé à telle source. […] Du reste, ni louanges ni reproches pour les couleurs employées, mais seulement pour la façon dont elles sont employées. […] Les couleurs orientales sont venues comme d’elles-mêmes empreindre toutes ses pensées, toutes ses rêveries ; et ses rêveries et ses pensées se sont trouvées tour à tour, et presque sans l’avoir voulu, hébraïques, turques, grecques, persanes, arabes, espagnoles même, car l’Espagne c’est encore l’Orient ; l’Espagne est à demi africaine, l’Afrique est à demi asiatique.

111. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 18, qu’il faut attribuer la difference qui est entre l’air de differens païs, à la nature des émanations de la terre qui sont differentes en diverses regions » pp. 295-304

La couleur du vague de l’air, celles des nuages qui font un horrison colorié au coucher comme au lever du soleil, dépendent de la nature des exhalaisons qui remplissent l’air et qui se mêlent avec les vapeurs dont ces nuages sont formez. Or tout le monde peut observer que le vague de l’air et les nuages qui brillent à l’horison ne sont pas de la même couleur dans tous les païs. […] Dans les Païs-Bas le vague de l’air est d’un bleu pâle, et les nuages de l’horison n’y sont teints que de couleurs blanchâtres.

112. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Miłosz, Oskar Wladisław de Lubicz (1877-1939) »

La vie d’un sage ne vaut pas, ma Salomé, ta danse d’Orient sauvage comme la chair, et ta bouche couleur de meurtre, et tes seins couleur de désert.

113. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Drouais, Roslin, Valade, etc »

Celui de Madame De Marigny est assez bien entendu pour l’effet d’une couleur agréable, mais la touche en est molle, il y a de l’incertitude de dessin, la robe est bien faite ; la tête est tourmentée ; la figure s’affaisse, s’en va, ne se soutient pas, elle a l’air mannequiné ; les bras sont livides et les mains sans formes, la gorge plate et grisâtre ; et puis sur le visage un ennui, une maussaderie, un air maladif qui nous affligent. […] Cette allégorie de Valade choque les yeux par le discordant ; elle est pesamment faite, sans aucune intelligence de lumières et d’effet ; figures détestables de couleur et de dessin ; nuage dense à couper à la scie ; femmes longues, maigres et raides ; grands manequins en petit ; énorme Minerve, bien corpulée, bien lourde.

114. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre II. Des tragédies grecques » pp. 95-112

Elle représentait, sous les couleurs les plus effrayantes, les tourments des criminels. […] Leur art dramatique ressemblait à leur peinture, où toutes les couleurs sont vives, où tous les objets sont placés sur le même plan, sans que les lois de la perspective y soient observées. […] Enfin, il existe dans la nature morale, comme dans la lumière du soleil, un certain nombre de rayons qui produisent des couleurs tranchantes ou distinctes : vous variez ces couleurs par leur mélange, mais vous n’en pouvez créer une entièrement nouvelle.

115. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Et c’est cette classification que j’aperçois, beaucoup plus que la couleur et la forme des choses. […] Celui-là s’attachera aux couleurs et aux formes, et comme il aime la couleur pour la couleur, la forme pour la forme, comme il les perçoit pour elles et non pour lui, c’est la vie intérieure des choses qu’il verra transparaître à travers leurs formes et leurs couleurs. […] Pour un moment au moins, il nous détachera des préjugés de forme et de couleur qui s’interposaient entre notre œil et la réalité. […] Ce que le peintre fixe sur la toile, c’est ce qu’il a vu en un certain lieu, certain jour, à certaine heure, avec des couleurs qu’on ne reverra pas. […] Des sons arrivent encore confusément à l’oreille, des couleurs circulent encore dans le champ de la vision : bref, les sens ne sont pas complètement fermés.

116. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Fragonard » p. 280

Fragonard Tableau ovale représentant des groupes d’enfans dans le ciel. c’est une belle et grande omelette d’enfans ; il y en a par centaines, tous entrelacés les uns dans les autres, têtes, cuisses, jambes, corps, bras, avec un art tout particulier ; mais cela est sans force, sans couleur, sans profondeur, sans distinction de plans. […] Couleur fade.

117. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1894 » pp. 185-293

Ce n’est plus la mode des couleurs esthètes. […] Dans ce moment, il y a un curieux effort de la lithographie et de la gravure vers la reproduction de la couleur. […] C’est peint dans un délavage d’huile ambrée, où les couleurs ont quelque chose des couleurs amorties d’insectes, pris dans un morceau d’ambre, et des accessoires, si joliment enlevés d’une touche à la fois spirituelle et flottante. […] Mais il faut le dire, il y a des reconstitutions de Jérusalem, lavées de couleurs, qui ont un peu du caractère des grandes cités ninivites, peintes par le peintre anglais Martins. […] Le premier kakémono, d’O Kio représente des petits chiens, lippus, mafflus, rhomboïdaux, dont l’un dort, la tête posée sur le dos de l’autre, dessinés d’un pinceau courant dans un lavis d’encre de Chine, mêlé d’un peu de couleur rousse sur les chiens, d’un peu de couleur verdâtre sur une plante herbacée.

118. (1759) Salon de 1759 « Salon de 1759 — Carle Van Loo » pp. 92-93

C’est une décoration théâtrale avec toute sa fausseté ; un faste de couleur qu’on ne peut supporter ; un Jason d’une bêtise inconcevable. […] La couleur a bien de l’éclat.

119. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Amédée Vanloo » p. 218

Son Saint Thomas inspiré du Saint-Esprit dans la composition de ses ouvrages, vous fera sentir, mieux que tout discours, ce que c’est que le défaut d’harmonie dans la couleur. […] Le temps a enlevé la couleur ; mais la force de la composition et des caractères, le génie de l’artiste est resté.

120. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — J — Joncières, Léonce de »

Dans chacun de ces vers d’une couleur ardente, dont l’envolée fait saigner, dans l’air, l’aile des ibis, on sent l’amour profond de la vieille race disparue et de ses superstitions admirables. […] Léonce de Joncières vient de publier et qui contient de nombreux morceaux pleins de couleur et de force descriptive.

121. (1761) Salon de 1761 « Gravure —  Casanove  » pp. 163-164

Quelle couleur ! […] Ce sont des paysages, avec des soldats ; les figures sont simples ; et la couleur vigoureuse.

122. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Mais, il faut bien le reconnaître, c’est la charcuterie, cette spécialité de la charcuterie, qui trône sur toutes les autres mangeailles étalées ici avec un luxe de couleurs qui fait venir vraiment par trop d’eau à la bouche… Oui ! […] Il n’est plus capable que de décrire, de décrire sans cesse et toujours, les viandes, et leurs couleurs, et leurs nuances, et leurs oppositions. […] L’auteur du Ventre de Paris, dont la chair, pour parler comme lui, est faite des chairs mêlées de Victor Hugo, Théophile Gautier et Flaubert, malgré son amour monstrueux des choses basses, des couleurs criantes jusqu’à vociférer, et son cynique mépris des inspirations morales et des beautés intellectuelles dans les œuvres, a du talent encore. […] À côté des pains de beurre à la livre, dans des feuilles de poirée, s’élargissait un cantal géant, comme fendu à coups de hache ; puis venaient un chester, couleur d’or, un gruyère, pareil à une roue tombée de quelque char barbare (c’est beau et glorieux pour un fromage !) […] … Quand on publie des livres si hauts en couleur, on ne doit pas avoir peur de l’effet de sa couleur, son seul crime, à lui, dit M. 

123. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

Pour tout ce qui est paysage, couleur, accompagnement, les premières pièces de Mme Valmore rappellent cette littérature ; Parny et Mme Dufrenoy s’y joignirent sans doute, mais elle a plus d’abandon, d’abondance et de mollesse que ces deux élégiaques un peu brefs et concis. […] Nous qui avons succédé à ce goût, qui en avons d’abord senti les défauts et avons réagi contre, nous commençons à discerner les nôtres ; à force de prétention au vrai et au réel, un certain factice aussi nous a gagnés ; quel effet produiront bientôt nos couleurs, nos rimes, nos images, nos étoffes habituelles ? […] Les Pleurs, qui viennent de paraître, avec plus de rhythme et de couleur que les précédents volumes. offrent aussi, l’avouerai-je ? […] Le rhythme serré a remplacé les vers libres, dont l’usage était familier à Mme Valmore ; enchâssées là dedans, parsemées de paillettes étrangères et d’un brillant minutieux, les ellipses de la pensée échappent, se dérobent davantage, et de là cette obscurité de sens au milieu et à cause du plus de couleur. […] J’ai été reçue et baptisée en triomphe, à cause de la couleur de mes cheveux, qu’on adorait dans ma mère. — Elle était belle comme une vierge, on espérait que je lui ressemblerais tout à fait, mais je ne lui ai ressemblé qu’un peu : et si l’on m’a aimée, c’était pour autre chose qu’une grande beauté.

124. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, romans (1832) »

C’est une étude piquante et profitable à faire que de rapprocher l’une de l’autre ces deux productions, dont le fond essentiel et la forme, restés les mêmes, ont subi pourtant bien des intercalations et des refontes, à six ans de distance, dans un âge où chaque année, pour le poëte, est une révolution, et lui amène, comme pour l’oiseau, une mue dans la voix et dans les couleurs. […] Puis, lorsque plus tard encore il vit sans doute qu’illusions pour illusions il ne fallait pas être trop dédaigneux des premières, il revint à Bug, le remania, conserva le cadre, mais le redora en mille manières, enrichit le paysage de ces couleurs où la Muse lui avait récemment appris à puiser, compliqua les événements, introduisit entre ses personnages le seul sentiment qui ait un attrait souverain pour la jeunesse, et d’où sortent les rivalités, les perfidies, les sacrifices, les incurables blessures ; il mit l’amour, il montra la douce Marie. […] Hugo publia Bug-Jargal modifié de la sorte, il venait de donner son deuxième volume d’Odes et Ballades qui reluit de couleurs pareilles et nous rend en rhythmes merveilleux le même point de vue doublement tranché.  […] Cet autre roman étrange, moins brillant, moins haut en couleur que le Bug-Jargal définitif, et plus analogue à la manière sobre et précise des premières odes dont il forme le lien avec les secondes, fut compris de travers à sa naissance, et on y chercha je ne sais quelle inspiration désordonnée, au lieu de le classer parmi les romans chevaleresques dont il remplissait à la rigueur toutes les conditions.

125. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VIII. Quelques étrangères »

L’éponge — et c’est pourquoi quelques-uns crient au miracle — est trempée non dans l’eau, mais dans les plus éclatantes couleurs. Certaines taches, avec du recul et de la bonne volonté, semblent belles dans leur imprécision et font rêver, comme « les fentes des murailles, la cendre du foyer, les nuages, les fanges », comme tout ce qui est lumière ou couleur affranchie du dessin et de la logique. […] L’amour de la couleur, quand il s’accompagne d’une indifférence aussi complète au dessin et d’une aussi effroyable impuissance logique, me paraît un symptôme sûr de la manie destructive. […] Néron incendiant Rome est un coloriste qui, pour exaspérer la couleur ardente, détruit complètement la ligne.

126. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

D’intéressantes expériences ont montré que, si on diminue l’intensité de la lumière, toutes les couleurs, à l’exception du rouge spectral, donnent place tôt ou tard à un simple gris sans couleur distincte. Outre une certaine intensité, une certaine durée est nécessaire pour produire la sensation d’une couleur déterminée : le spectre solaire, vu instantanément, n’apparaît pas de sept couleurs, mais seulement de deux, faiblement rouge du côté gauche et bleu du côté droit.

127. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1852 » pp. 13-28

Petit nez très relevé au bout couleur de nèfle. Oreilles couleur de vieille cire, avec dessus un duvet blanc comme sur les orties. […] Si la Revue des Deux Mondes changeait de couleur sa couverture, elle perdrait 2 000 abonnés… Amusez-vous, allez, on regrette ça plus tard, il n’est plus temps… À propos, vous avez écrit un joli article sur cet ornemaniste, sur ce Possot… Vous avez quelque chose de lui, hein ? […] Mélanie met sa toilette la plus pimpante, réunissant sur sa personne tous ses  ; et nous voilà dans cette forêt, où chaque arbre semble un modèle entouré d’un cercle de boîtes à couleurs.

128. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 201-216

Jusque-là, tout est bien… Mais, au moment où l’on fait si virilement sa confession d’un système, il ne faut pas faire profession d’un autre et ajouter : « Je me suis efforcé, en cette nouvelle édition, d’introduire, dans la résurrection de mes personnages, la réalité cruelle que moi et mon frère nous avions introduite dans le roman, m’appliquant à les dépouiller de cette couleur épique que l’Histoire leur donne, même dans les époques les plus décadentes… » Assurément, si l’Histoire donne de la couleur épique à des événements ou à des personnages qui n’en ont pas ou qui ont peut-être tout le contraire, l’Histoire a tort. […] Mais s’appliquer, délibérément et de parti-pris, à ôter la couleur épique dans l’Histoire, à n’y voir que la réalité cruelle, qui n’est pas cruelle, quand elle est la réalité juste, — c’est se maintenir dans une erreur qui n’est pas d’hier en MM. de Goncourt, et qui les a faits (malheureusement !) […] La haine ou la peur de la couleur épique a tout rapetissé.

129. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. Ve et VIe volumes. »

Quoi qu’il en soit de ce reproche, la couleur du livre, car il en a une, est la plus convenable possible, parce qu’elle est la plus patriotique. […] A cela, pourtant, le blâme, ne saurait trouver à reprendre : au milieu de tant de périls qui tonnent sur la Révolution, la couleur du livre, sans cesser d’être nationale, est devenue militaire, et comme telle est restée pure, aussi pure que les couleurs de notre drapeau.

130. (1767) Salon de 1767 « De la manière » pp. 336-339

La couleur ? Mais le soleil de l’art n’étant pas le même que le soleil de la nature ; la lumière du peintre, celle du ciel ; la chair de la palette, la mienne ; l’œil d’un artiste, celui d’un autre ; comment n’y aurait-il point de manière dans la couleur ? […] Comment n’y aurait-il pas un vice de technique, résultant des faux mélanges ; un vice de l’école ou de maître ; un vice de l’organe, si les différentes couleurs ne l’affectent pas proportionnellement ?

131. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Breton, Jules (1827-1906) »

Daudet À une époque où les littérateurs se préoccupent tellement de l’art de peindre qu’ils lui empruntent des procédés, des termes particuliers, il est curieux de voir les peintres entrer dans le domaine de la poésie avec cet éternel souci de la couleur qui peut leur devenir en littérature une qualité ou un écueil. […] S’il voit, dans son village natal, passer une procession de communiantes, il est amusé, retenu par cette impression de blancheur innocente, et, désespérant de fixer avec des couleurs matérielles cette candeur fragile, il chante délicatement son bonheur.

132. (1888) Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes « Petit glossaire »

… Au lieu de préparer sur la palette la valeur d’un morceau ou un bon mélange où s’aveuliraient les couleurs, ils les trouvent sur la toile par l’action… […] dis, deux, et Khromos, couleur. […] … Tes lèvres le parvis où s’éventairent les parfums et les couleurs des fleurs et des fruits. […] Smaragdin Adj. — De couleur émeraude. […] — Harmonie de couleurs grec : sun ensemble et chromos couleur.

133. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1867 » pp. 99-182

La cuirasse toute chargée d’histoire et d’allégories, bardant l’empereur de bas-reliefs, dont la saillie d’art rappelle le casque du centurion de Pompéi, et dont les couleurs effacées, délavées, font songer au rose pâle des vieux ivoires. […] Une petite chambre, où il y a deux lits, tout encombrée de paquets vagues et couleur de misère, au milieu desquels reluisent les dorures de la table. […] Hébert peint ce portrait avec des pinceaux fins, fins, et presque pas du tout chargés de couleur, miniaturant et miniaturant le soupçon de ton qu’il pose. […] Ici, quelle fantaisie, quel imprévu de taches et de couleurs. […] La salle blanchie à la chaux, sur laquelle s’enlève la couleur naturelle du bois des poutrelles et des planches des petites loges, en forme de box.

134. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Challe  » pp. 141-142

Il paraît avoir été peint il y a cent ans ; mais il est bien plus vieux encore pour la manière que pour la couleur. […] L’enfant qui recueille sur des tablettes les dernières paroles de Socrate me paraît très beau et de caractère, et de couleur, et de simplicité, et de lumière.

135. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Bachelier  » pp. 147-148

Il y a des enfants qui grimpent à des arbres ; il y en a qui sont montés sur des boucs, sur des béliers ; il y en a de toutes sortes d’espèces et de couleur ; mais point de vérité. […] Aussi les objets sont-ils ici tous détachés les uns des autres ; ce sont des groupes isolés, des masses de couleurs tranchantes, sur un fond très éclairé.

136. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

Cette réflexion est la première qui s’offre quand il s’agit de l’écrivain dont je voudrais aujourd’hui donner une juste idée ; Ramond, mort le 14 mai 1827, membre de l’Académie des sciences, objet d’un éloge historique de Cuvier, apprécié de tous les savants comme historien et géographe des montagnes, mais non assez estimé et prisé des littérateurs comme peintre et comme ayant heureusement marié les couleurs de Buffon et de Rousseau aux descriptions précises des De Luc et des Saussure. […] Dans son trajet de l’abbaye d’Engelberg au Dittlisberg, Ramond rencontre bien des difficultés, des dangers, mais aussi de ces jouissances sans nom qu’il décrit de la sorte : Du haut de notre rocher, nous avions une de ces vues dont on ne jouit que dans les Alpes les plus élevées : devant nous fuyait une longue et profonde vallée, couverte dans toutes ses parties d’une neige dont la blancheur était sans tache ; çà et là perçaient quelques roches de granit, qui semblaient autant d’îles jetées sur la face d’un océan ; les sommets épouvantables qui bordaient cette vallée, couverts comme elle de neiges et de glaciers, réfléchissaient les rayons du soleil sous toutes les nuances qui sont entre le blanc et l’azur ; ces sommets descendaient par degrés en s’éloignant de nous, et formaient un longue suite d’échelons dont les derniers étaient de la couleur du ciel, dans lequel ils se perdaient. […] On peut dire que pendant l’été il n’y a point de nuit pour ces sommets ; du fond de la plaine, on les voit teints de pourpre longtemps après le coucher du soleil, quand les vallées sont déjà ensevelies dans les ténèbres ; et longtemps avant l’aurore, ils en annoncent le retour, par une belle couleur rose admirablement nuancée sur les glaces d’argent et d’azur qui couronnent leurs cimes. Par un de ces accidents de chaleur qui ont lieu quelquefois jusqu’au milieu des glaces et des neiges les plus élevées, tout d’un coup les voyageurs sont surpris d’arriver à un endroit entièrement découvert de neiges : Rien de plus délicieux dans la nature que le gazon que nous foulions ; à peine abandonné par les neiges, il était déjà émaillé d’une innombrable quantité de fleurs dont les couleurs étaient d’une vivacité que les fleurs de la plaine n’atteignent jamais, et qui répandaient l’odeur la plus suave. […] Il a les mêmes traits, la même physionomie, les mêmes gestes ; seulement, la couleur de ses yeux est différente, et l’ensemble de ses traits est un peu plus délicat.

137. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

Le botaniste nous laisse considérer dans une plante les feuilles et les fleurs tout ensemble, les sinuosités de sa forme, les nuances de ses couleurs, la diversité des herbes qui l’environnent, la figure du sol où elle croît. […] Il la voit donc enrichie de ses détails et environnée de ses circonstances ; l’idée simple, tombant sur son esprit comme sur un prisme, se déploie en mille couleurs. […] Tout, dès lors, est varié, mobile, intéressant, animé ; chacun des mots qu’on touche en parcourant la fable soulève une foule de pensées incertaines et fugitives, comme chaque pierre qu’on déplace en suivant un chemin découvre une multitude d’êtres, de figures et de couleurs. […] L’ourse, pour sa peau déguisée, En voulait être mieux prisée, Autres dient que c’est une bête Qui de la pel et de la tête Ressemble à la belle panthère, A qui autre ne s’accompère, Tant par y a couleur diverse. […] C’est que le peintre n’a pas seulement reproduit les couleurs et les traits de son modèle.

138. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bertrand, Aloysius (1807-1841) »

Par malheur, Bertrand ne composa pas en ce moment assez de vers de la même couleur et de la même saison pour les réunir en volume ; mécontent de lui et difficile, il retouchait perpétuellement ceux de la veille ; il se créait plus d’entraves peut-être que la poésie rimée n’en peut supporter. Doué de liant caprice plutôt qu’épanché en tendresse, au lieu d’ouvrir sa veine, il distillait de rares stances dont la couleur ensuite l’inquiétait… Bertrand est tout entier dans son Gaspard de la Nuit.

139. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1823 »

Il a donc pensé que si l’on plaçait le mouvement de l’Ode dans les idées plutôt que dans les mots, si de plus on en asseyait la composition sur une idée fondamentale quelconque qui fût appropriée au sujet, et dont le développement s’appuyât dans toutes ses parties sur le développement de l’événement qu’elle raconterait, en substituant aux couleurs usées et fausses de la mythologie païenne les couleurs neuves et vraies de la théogonie chrétienne, on pourrait jeter dans l’Ode quelque chose de l’intérêt du drame, et lui faire parler en outre ce langage austère, consolant et religieux, dont a besoin une vieille société qui sort, encore toute chancelante, des saturnales de l’athéisme et de l’anarchie.

140. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Chardin » pp. 220-221

C’est celui-ci qui entend l’harmonie des couleurs et ses reflets. […] Ce sont des couches épaisses de couleur, appliquées les unes sur les autres, et dont l’effet transpire de dessous en dessus.

141. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Bellengé » p. 204

Il m’a semblé qu’il y avait du goût, même de la poésie, dans cette composition ; du luxe, de la couleur, qu’une urne dont je n’ai pas parlé et qui est parmi les fruits, et que le vase étaient bien peints ; le vase de belle forme et de belle proportion, le ramage de verdure jetté avec élégance, et les fleurs et les fruits bien disposés pour l’effet. […] On passerait de là au sexe, à l’âge, à la couleur de la peau, à l’état, à des convenances plus fines, d’où l’on parviendrait à démontrer qu’un dessin de robe est de mauvais goût, et cela aussi sûrement que le dessin de quelque autre objet que ce fût, car enfin les mots de tact, d’instinct, ne sont pas moins vides de sens dans ce cas qu’en tout autre, si l’on fait abstraction de la raison, de l’usage des sens, des convenances et de l’expérience.

142. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

… Ne voit-on pas qu’à midi la rosée De ses perles d’argent n’enrichit plus les fleurs ; Que l’anémone frêle, au vent froid exposée, Avant le soir n’a plus ses brillantes couleurs ? […] D’autres seront épris de la beauté du monde Et du rayonnement de la lumière blonde ; Ils resteront des mois assis devant des fleurs, Tâchant de s’imprégner de leurs vives couleurs ; Un air de tête heureux, une forme de jambe, Un reflet qui miroite, une flamme qui flambe, Il ne leur faut pas plus pour les faire contents. […] Il a trois désirs : « les armes, les chevaux, les femmes. » Trois choses lui plaisent avant tout : « Tor, le marbre et la pourpre ; éclat, solidité, couleur. » Tous ses rêves sont faits de cela. […] Son premier voyage en Espagne, qui est de 1840, et qui fut dans sa vie d’artiste un événement, lui avait fourni des notes nouvelles d’un ton riche et âpre, bien d’accord avec tout un côté de son talent ; il y avait saisi l’occasion de retremper, de refrapper à neuf ses images et ses symboles ; il n’était plus en peine désormais de savoir à quoi appliquer toutes les couleurs de sa palette. […] On ne saurait présenter et symboliser un amour douloureux sous un plus juste et plus ingénieux emblème. — Veut-il exprimer la quantité de fantaisies qui viennent chaque soir, à l’heure où le rêve commence, se former et s’assembler dans son imagination oisive, et qui ne demandent qu’à prendre forme et couleur chaque matin, il dira : LES COLOMBES.

143. (1892) Boileau « Chapitre II. La poésie de Boileau » pp. 44-72

Nous n’y songeons pas, habitués que nous sommes aux tons intenses de nos coloristes modernes : la couleur de Boileau nous paraît bien terne. […] Quant à la peindre en réaliste, pour étaler à nos yeux la richesse des couleurs et la singularité des formes sans en faire les manifestations d’une âme, il lui eût fallu des moyens d’expression que la versification et la langue d’alors ne mettaient pas à sa disposition. […] À chaque pas, dans un coin de satire ou d’épître morale, on rencontre de petits tableaux d’une couleur toute réaliste : c’est le directeur malade, et toutes ses pénitentes autour du lit, dans la chambre, empressées et jalouses : L’une chauffe un bouillon, l’autre apprête un remède. […] L’idée chasse la sensation, et la notion de vérité ou d’erreur, de bien ou de mal, vient se jeter à la traverse d’une perception de forme et de couleur. […] Soudain le trait devient plus net et plus vigoureux, la couleur plus vive ; on sent je ne sais quelle flamme où se trahit l’allégresse de l’artiste qui sait ce qu’il veut faire et est sûr de le faire.

144. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Greuze » pp. 234-241

La couleur des chairs est vraie. […] Sa couleur est belle et forte, quoique ce ne soit pas encore celle de Chardin pourtant. […] Du reste, pour l’habit, le caractère et la couleur, c’est l’ouvrage d’un habile homme.

145. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Ce fut sous le soleil un éclat de couleurs digne de tenter le pinceau d’un peintre. […] Une fois encore ta tunique couleur de feuilles de vigne s’est fanée. […] Sur l’huis est peinte une belle botte couleur azur. […] — sur des cailloux rayés de mille couleurs, polis par la vague. […] Les joues du jeune berger prennent la couleur de la feuillée au mois d’octobre.

146. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

Les couleurs mêmes empruntent parfois quelque attrait à des associations d’idées tirées du tact. […] Une simple couleur est déjà expressive. […] La couleur est une chose éternelle. […] Le sentiment de la couleur n’a même fait que croître depuis l’antiquité. […] Sur la couleur dans la poésie, voir plus haut, p. 81.

147. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

On soupçonnait, depuis Homère, qu’il y a des rapports, des correspondances, des affinités entre certains sons, certaines formes, certaines couleurs et certains états d’âme. […] On n’ignorait pas que les sons peuvent être éclatants ou effacés comme les couleurs, tristes ou joyeux comme les sentiments. […] Mais si l’on vous demandait à quels instruments de musique, à quelles couleurs, à quels sentiment correspondent exactement les voyelles et les diphtongues et leurs combinaisons avec les consonnes, vous seriez, j’imagine, fort empêché. […] Et vous pourrez voir dans le Traité du verbe, déterminées avec la même précision et pour l’éternité les nuances de son, de timbre, de couleur et de sentiment qui résultent des diverses combinaisons des voyelles entre elles ou avec les consonnes. […] Sans doute le crépuscule peut figurer le souvenir parce qu’il est triste comme lui ; et il peut (plus difficilement) figurer aussi l’espérance par ce qu’il est encore lumineux et qu’il a quelquefois des couleurs éclatantes et paradisiaques ; mais comment peut-il figurer les deux à la fois ?

148. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1870 » pp. 3-176

Il y a là des frimousses de toutes sortes et des blouses de toutes couleurs, au milieu desquelles sont embrigadés de pâles enfants de troupe, et de roses petits mitrons, à la toque blanche. […] Qu’on se figure un immense champ de broussailles rouillées, au milieu desquelles les troncs et les ramures survivantes ont la couleur d’arbres de bronze vert. […] Les marchands de couleurs et de tableaux vendent des couvre-képis en toile cirée. […] Sur la route dévastée, sous ce ciel fantastique, dans ce paysage aux couleurs, qui ne sont pas les couleurs d’un jour réel, mais des couleurs, qui semblent des colorations d’opale, vues au crépuscule, la prostitution se promène beaucoup. […] — À ce qu’il paraît, il y a un individu qui achète toutes les chandelles de Paris, avec lesquelles, en mettant un peu de couleur, il fait cette graisse qu’on vend si cher !

149. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Poésies complètes de Théodore de Banville » pp. 69-85

Ils cherchaient jusque dans l’Orient des couleurs et des prétextes à leurs splendides pinceaux. […] Cependant l’expression de romantique, surtout à mesure que s’est prononcé le triomphe des idées et des œuvres modernes, et que ce qui avait paru romantique la veille (c’est-à-dire un peu extraordinaire) ne le paraissait déjà plus, s’est particulièrement concentrée sur une notable portion de la légion poétique la plus riche en couleur, la plus pittoresque, la plus militante aussi, et qui, après avoir conquis bien des points qu’on ne lui dispute plus, a continué d’en réclamer d’autres qui ont été contestés ; je veux parler de l’importante division de l’école romantique qui se rattachait à l’étendard de Victor Hugo. […] Il paraît généralement accordé aujourd’hui que l’école moderne a étendu ou renouvelé la poésie dans les divers modes et genres de l’inspiration libre et personnelle ; et, quelque belle part qu’on fasse en cela au génie instinctif de M. de Lamartine, il en reste une très grande aux maîtres plus réfléchis, qui ont donné l’exemple multiplié des formes, des rythmes, des images, de la couleur et du relief, et qui ont su transmettre à d’autres quelque chose de cette science. […] Rendre à la poésie française de la vérité, du naturel, de la familiarité même, et en même temps lui redonner de la consistance de style et de l’éclat ; lui rapprendre à dire bien des choses qu’elle avait oubliées depuis plus d’un siècle, lui en apprendre d’autres qu’on ne lui avait pas dites encore ; lui faire exprimer les troubles de l’âme et les nuances des moindres pensées ; lui faire réfléchir la nature extérieure non seulement par des couleurs et des images, mais quelquefois par un simple et heureux concours de syllabes ; la montrer, dans les fantaisies légères, découpée à plaisir et revêtue des plus sveltes délicatesses ; lui imprimer, dans les vastes sujets, le mouvement et la marche des groupes et des ensembles, faire voguer des trains et des appareils de strophes comme des flottes, ou les enlever dans l’espace comme si elles avaient des ailes ; faire songer dans une ode, et sans trop de désavantage, à la grande musique contemporaine ou à la gothique architecture, — n’était-ce rien ?

150. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « L’Abbé Prévost et Alexandre Dumas fils » pp. 287-303

L’abbé Prévost, à qui on a donné du génie à jour fixe, l’abbé Prévost, qui ne valait peut-être pas l’abbé Cottin, a continué d’être, dans son roman de Manon Lescaut, l’infatigable distillateur d’eau claire qu’il a été dans les cinquante volumes qui ont ruisselé de sa plume et inondé le xviiie  siècle ; et même la boue de Manon n’y a rien changé, et, c’est là le seul phénomène de ce livre, elle ne l’a teinté d’aucune couleur. […] Il y a des peintres qui plongent leur pinceau dans tous les tons de la palette, d’autres dans une seule couleur : dans le bistre, dans le vermillon, dans l’encre de Chine, dans la céruse. […] C’est un portrait abstrait, composé avec des couleurs comme celles-ci : « Ses charmes dépassaient tout ce qu’on pouvait décrire », ce qui est commode pour s’en dispenser ! […] je n’ignorais pas que la couleur plastiquement littéraire était à peu près inconnue au xviiie  siècle.

151. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Houssaye, Arsène (1815-1896) »

Auguste Desplaces Les Sentiers perdus eurent cela de particulier, que, paraissant à une époque où la poésie se préoccupait outre mesure de couleur et de rythme, ils osèrent se passer de tout cet art savant jusqu’à la raideur. […] Il n’est ni le soldat de Lamartine, ni de Victor Hugo, ni d’Alfred de Musset… Aujourd’hui, il peindra au pastel Ninon ou Cidalise ; demain, d’une chaude couleur vénitienne, il fera le portrait de Violantes, la maîtresse du

152. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Casanove » pp. 192-197

Joli morceau, auquel on ne peut reprocher qu’une couleur un peu trop brillante, ce qui donne un ton de gaieté à un sujet qui doit remplir d’effroi. […] Il n’y a ici ni éclat, ni tumulte, ni fracas de couleur et de figures, rien de ce qui impose à la multitude, mais du repos, de la tranquillité, un art sévère. […] J’ai dit que c’étaient deux petits Wouwermans, et cela est vrai pour les sujets, la manière, la couleur et l’effet.

153. (1868) Curiosités esthétiques « III. Le musée classique du bazar Bonne-Nouvelle » pp. 199-209

La couleur les a aveuglés, et ils ne peuvent plus voir et suivre en arrière l’austère filiation du romantisme, cette expression de la société moderne. […] Voici venir l’aimable Prud’hon, que quelques-uns osent déjà préférer à Corrége ; Prud’hon, cet étonnant mélange, Prud’hon, ce poëte et ce peintre, qui, devant les David, rêvait la couleur ! Ce dessin gras, invisible et sournois, qui serpente sous la couleur, est, surtout si l’on considère l’époque, un légitime sujet d’étonnement. — De longtemps, les artistes n’auront pas l’âme assez bien trempée pour attaquer les jouissances amères de David et de Girodet.

154. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1889 » pp. 3-111

Le soleil, une lueur diffuse de rubis, dans un ciel laiteux, couleur de nacre, où monte l’architecture arachnéenne de la tour Eiffel. Un paysage à la couleur d’un buvard écossais. […] Elles m’apparaissent aussi ces fleurs, en le coloris de leurs nuances délavées autour de l’aigrette noire de leur calice, comme ayant la tendresse surnaturelle de couleurs, entrevues dans un rêve. […] Enfin un jour, elle est passée aux couleurs que l’on appelle fausses, mais aux couleurs fausses fabriquées par l’Orient, à l’adorable rose turc, au délicieux mauve japonais, etc. […] Hefner, un paysagiste de premier ordre, avec les blondeurs couleur de glaise de ses futaies, avec le roux brûlé de ses terrains, avec le gris perle de ses eaux et de ses ciels.

155. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tailhade, Laurent (1854-1919) »

Théodore de Banville Voici un des plus beaux et des plus curieux livres de poèmes qui aient été écrits depuis longtemps (Le Jardin des rêves), un livre qui s’impose à l’attention, car il est bien de ce temps, de cette heure même, et il contient au plus haut degré les qualités essentielles à la jeune génération artiste et poète, c’est-à-dire, à la fois, la délicatesse la plus raffinée et la plus excessive, et le paroxysme, l’intensité, la prodigieuse splendeur de la couleur éblouie. […] Des mysticités douteuses et trop parées, une madone telle que l’eût priée Baudelaire, mais combien plus sombre d’avoir oublié de l’être, combien plus triste de sourire ainsi… C’est surtout par les couleurs de son inspiration, par ce lyrisme mystique et sensuel qui, à ce degré, n’est que de ce siècle, que Laurent Tailhade nous appartient.

156. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Ollivier » pp. 299-300

La couleur locale est charmante partout. […] Le petit enfant placé devant ses parens est à ravir ; Wouwermans ne l’aurait pas peint plus fin de couleur, ni plus spirituel de touche, il est bien posé ; la lumière dégrade à merveille sur lui ; cette figure est un effort de l’art.

157. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Édouard Fleury »

En cela encore, par l’émotion et par l’aperçu, Fleury est au-dessus des Goncourt, dont l’âme est à peu près muette et l’esprit aveugle, muette et aveugle à tout ce qui n’est pas de l’effet de couleur. […] On dirait des sceptiques de ce temps aux mœurs douces, qui ont l’horreur du sang et le dégoût de la fange, comme il sied à des naturels honnêtes et à des esprits cultivés, mais qui, ce sang montré dans sa vermeille couleur et cette fange dans son infamie, ont tout dit, à l’honneur de l’art et du style, et ne savent pas tirer de cette effroyable peinture, faite avec de véritables pourlècheries de pinceau, un enseignement ou une conclusion.

158. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Le vrai de la couleur ou de la lumière est si puissant, si important, qu’à peine les plus grands peuvent y arriver. […] Or, comme le disait un jour un de mes amis, le meilleur dessinateur est le coloriste ; le dessin, c’est la couleur. […] C’est mesquin et laid, disent les peintres, cet habit est étriqué, pas de plis, pas de couleurs. […] Le moyen âge avait des couleurs éclatantes, mais il n’avait pas plus de lumière, partant pas plus de couleur que nous ; comment, nous sommes moins intéressants que les hommes précédents ? […] deux couleurs discordantes sont harmoniées par une troisième.

159. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

À la vérité, ces tissus brillants se faneront vite ; la trame en est légère et la couleur peu solide. […] Les roses, les lys, l’azur, l’or, la pourpre, l’hyacinthe abondent chez Banville ; il revêt tout ce qu’il touche d’un voile tramé de rayons, et ses idées, comme les princesses de féeries, se promènent dans des prairies d’émeraude, avec des robes couleur du temps, couleur du soleil et couleur de la lune. […] Le colossal, l’énorme, le bizarre, tout ce qui est empreint d’une couleur étrange et splendide attire M.  […] En de courtes pièces, il résume la couleur d’une civilisation ou d’une barbarie. […] Les rayons, les souffles, les sonorités, les couleurs, les formes modifient à tout instant l’état d’âme du poëte.

160. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

Madame de Sévigné sentait la nature à sa manière, et la peignait au passage, en charmantes couleurs, quoique ayant une prédilection décidée pour la conversation et pour la société mondaine. […] Les grands effets du ciel, les vastes paysages, la majesté de la nature alpestre, les Elysées des jardins, il trouva des couleurs, des mots, pour exprimer lumineusement tout cela, et il y fit circuler des rayons vivifiants. […] Parmi les esquisses déjà neuves et vives, qui plus tard se développeront en tableau, je recommande un coucher de soleil58, dont on retrouve exactement dans les Études, au chapitre des Couleurs, les effets et les intentions, mais plus étendues, plus diversifiées : c’est la différence d’un léger pastel improvisé, et d’une peinture fine et attentive. […] Les noms bizarres d’oiseaux lointains ne l’effrayaient pas ; les couleurs de fumée de pipe aux flancs des nuages avaient place sur sa toile à côté des réseaux de safran et d’azur. […] Il y est montré dans une essentielle discussion que « Milton a copié les amours d’Adam et d’Ève sur les amours de la terre, quoiqu’il en ait magnifiquement embelli les couleurs ; mais il n’avait trempé tout au plus qu’à moitié son pinceau dans la vérité. » Le grand succès de vente des Études mit l’auteur à même d’acheter une petite maison rue de la Reine-Blanche, à l’extrémité de son faubourg.

161. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

Ces deux faits d’histoire ne contribuèrent pas peu à lui rendre sa couleur méridionale, à faire réapparaître, dans les récits merveilleux des poètes, des noms et des personnages empruntés à l’Orient. […] Le Lichtwelt et le Schallwelt, les mondes des couleurs et des sons, agissent sur ses organes percepteurs, sur ses facultés auditives et visuelles. […] Le décor agit par son éclairage, les principales directions de ses lignes, les quantités et les qualités de ses couleurs, ses états et ses mouvements. […] Sa figure est caractéristique ; elle est d’une couleur rougeâtre, et ses yeux, tantôt étincellent, tantôt sont d’une fixité mortelle. […] Lorsqu’elle se réveille de sa léthargie et se dresse, Kundry nous apparaît couverte d’une robe de pèlerin ; une transformation s’est faite, en elle ; son visage n’a plus cette couleur ardente, propre aux ensorcelées, mais est pâle, encadré par de longs cheveux noirs, pendants.

162. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IX. Le trottoir du Boul’ Mich’ »

Nul n’est assez cruel pour exiger d’un universitaire couleur, mouvement, vie ou personnalité. […] Le romantisme plonge dans les couleurs et les agitations, de la vie passée avec la même ivresse que la Pléiade dans les livres et les lieux communs antiques. […] Il veut Peindre des sentiments que nul ne pense avoir, Raffiner sa couleur et compliquer sa tâche. […] S’il admet les couleurs, il ne consent à voir que les plus pâles et il les pâlit encore d’allitérations mièvres. […] Puis des combats sont chantés d’un souffle qui ne se soutient pas mais qui par instants est singulièrement vaillant : même, une fois, en décrivant l’assaut de Delhi, Mauclair ajoute la couleur à ses dons ordinaires et la page est d’une poésie rouge et noire vraiment émouvante.

163. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SÉVIGNÉ » pp. 2-21

Il y en a cinq ou six dans cette contrariété. » Ces réminiscences un peu fades de pastorales et de romans sont naturelles sous son pinceau, et font agréablement ressortir tant de descriptions fraîches et neuves qui n’appartiennent qu’à elle : « Je suis venue ici (à Livry) achever les beaux jours, et dire adieu aux feuilles : elles sont encore toutes aux arbres, elles n’ont fait que changer de couleur ; au lieu d’être vertes, elles sont aurore, et de tant de sortes d’aurore que cela compose un brocard d’or riche et magnifique, que nous voulons trouver plus beau que du vert, quand ce ne seroit que pour changer. » Et quand elle est aux Rochers : « Je serois fort heureuse dans ces bois, si j’avois une feuille qui chantât : ah ! […] car cette femme, qu’on a traitée de frivole, lisait tout et lisait bien : cela donne, disait-elle, les pâles couleurs à l’esprit, de ne pas se plaire aux solides lectures. […] Cette dernière y excelle : elle laisse trotter sa plume la bride sur le cou, et, chemin faisant, elle sème à profusion couleurs, comparaisons, images, et l’esprit et le sentiment lui échappent de tous côtés. […] Ces éclairs-là et cette gaieté de couleurs font parfois comme un voile au-devant de sa sensibilité, qui, même aux moments de deuil, ne peut s’empêcher encore de prendre les livrées gracieuses : il faut s’habituer à la voir là-dessous. […] On a un charmant portrait de Mme de Sévigné jeune par l’abbé Arnauld ; il faut qu’elle ait eu bien de l’éclat et de la couleur pour en communiquer un moment au style de ce digne abbé, qui ne paraît pas avoir eu, comme écrivain, tout le talent de la famille : « Ce fut en ce voyage, dit-il en ses Mémoires (à l’année 1657), que M. de Sévigné me fit faire connoissance avec l’illustre marquise de Sévigné, sa nièce… Il me semble que je la vois encore telle qu’elle me parut la première fois que j’eus l’honneur de la voir, arrivant dans le fond de son carrosse tout ouvert, au milieu de M. son fils et de mademoiselle sa fille : tous trois tels que les poëtes représentent Latone au milieu du jeune Apollon et de la jeune Diane, tant il éclatoit d’agrément dans la mère et dans les enfants ! 

164. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires touchant la vie et les écrits de Mme de Sévigné, par M. le baron Walckenaer. (4 vol.) » pp. 49-62

En parlant d’elle, on a à parler de la grâce elle-même, non pas d’une grâce douce et molle, entendons-nous bien, mais d’une grâce vive, abondante, pleine de sens et de sel, et qui n’a pas du tout les pâles couleurs. […] Son esprit ne put jamais se priver de cette vivacité d’éclairs et de cette gaieté de couleurs. […] J’ai les yeux assez grands ; je ne les ai ni bleus ni bruns ; mais, entre ces deux couleurs, ils en ont une agréable et particulière ; je ne les ouvre jamais tout entiers, et quoique, dans cette manière de les tenir un peu fermés, il n’y ait aucune affectation, il est pourtant vrai que ce m’est un charme qui me rend le regard le plus doux et le plus tendre du monde. […] J’ai enfin la bouche bien taillée, les lèvres admirables, les dents de couleur de perle, le front, les joues, le tour du visage beaux, la gorge bien taillée, les mains divines, les bras passables, c’est-à-dire un peu maigres ; mais je trouve de la consolation à ce malheur par le plaisir d’avoir les plus belles jambes du monde.

165. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Chefs-d’œuvre de la littérature française (Collection Didot). Hamilton. » pp. 92-107

Tout ce qui contribuerait à nous rendre dans l’expression la netteté première, à débarrasser la langue et l’esprit français du pathos et de l’emphase, de la fausse couleur et du faux lyrique qui se mêle à tout, serait un vrai service rendu non seulement au goût, mais aussi à la raison publique. […] Cette déclamation dont nous souffrons aujourd’hui, a pris bien des formes depuis près d’un siècle ; elle a eu ses renouvellements de couleurs tous les vingt-cinq ans ; mais elle date en premier lieu de Rousseau. […] Une certaine fraîcheur, que les couleurs empruntées ne sauraient imiter, formait son teint. […] J’ai sous les yeux la magnifique édition exécutée à Londres en 1792, avec les nombreux portraits gravés ; je vois défiler ces beautés diverses, l’escadron des filles d’honneur de la duchesse d’York et de la reine ; je relis le texte en regard, et je trouve que c’est encore l’écrivain avec sa plume qui est le plus peintre : Cette dame, dit-il d’une Mme de Wetenhall, était ce qu’on appelle proprement une beauté tout anglaise ; pétrie de lis et de roses, de neige et de lait quant aux couleurs ; faite de cire à l’égard des bras et des mains, de la gorge et des pieds ; mais tout cela sans âme et sans air.

166. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre II. La relativité complète »

Ce qui est immédiatement donné à notre perception, expliquions-nous, c’est une continuité étendue sur laquelle sont déployées des qualités : c’est plus spécialement une continuité d’étendue visuelle, et par conséquent de couleur. […] Les couleurs nous apparaîtraient sans doute différemment si notre œil et notre conscience étaient autrement conformés — il n’y en aurait pas moins, toujours, quelque chose d’inébranlablement réel que la physique continuerait à résoudre en vibrations élémentaires. Bref, tant que nous ne parlons que d’une continuité qualifiée et qualitativement modifiée, telle que l’étendue colorée et changeant de couleur, nous exprimons immédiatement, sans convention humaine interposée, ce que nous apercevons : nous n’avons aucune raison de supposer que nous ne soyons pas ici en présence de la réalité même. […] Si la couleur est une réalité, il doit en être de même des oscillations qui s’accomplissent en quelque sorte à l’intérieur d’elle : devrions-nous, puisqu’elles ont un caractère absolu, les appeler encore des mouvements ?

167. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Madame Therbouche » pp. 250-254

Ces chairs, ces étoffes n’ont rien retenu de leur couleur naturelle ; elles étaient rouges avant que d’être éclairées. […] Madame Therbouche a joint à son tableau de réception une tête de poëte où il y a de la verve et de la couleur. […] On s’opiniâtre, on couvre de couleurs vingt toiles l’une après l’autre, on montre, on écoute, on n’entend rien.

168. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Deltuf » pp. 203-214

… Sera-t-il le Marivaux du dix-neuvième siècle, un Marivaux inespéré, avec la couleur que le dix-huitième siècle, qui ne mit du rouge qu’aux joues de ses femmes, ne connaissait pas, et que n’avait point Marivaux, dont les grâces étaient incolores, mais qui s’en vengeait par l’expression et le mouvement. […] Deltuf, — celle qu’il a intitulée La Confession d’Antoinette, et celle qu’il a tout simplement appelée Scepticisme, — on trouve, avec la grâce vive et subtile de Marivaux, une couleur aussi éveillée que cette grâce. […] L’homme qui a écrit La Famille Percier, — cette tragédie domestique qui n’est pas du tout un mélodrame, — et Le Mariage de Caroline, où l’observation a tant de regard, — est bien capable d’acquérir en les développant ces qualités de profondeur, de couleur et de sensibilité qu’il a en germe, et dont nous ne pouvons pas nous passer au dix-neuvième siècle.

169. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XXII. L’affichage moderne » pp. 283-287

Vous entendez bien, illustrée, non pas l’affiche picturale, ce qui n’a pas de sens, illustrée, c’est-à-dire dont la mention commerciale est rehaussée, commentée, synthétisée par quelques couleurs, quelques traits appropriés. […] Sa seconde Gaiety girl, colombier en deux couleurs seulement, dessin en noir, réservant blanc sur fond rouge, est bien la plus affriolante et la plus directe des annonces.

170. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Julliart » pp. 176-177

Vous ne savez pas qu’un paysage est plat ou sublime ; qu’un paysage où l’intelligence de la lumière n’est pas supérieure est un très-mauvais tableau ; qu’un paysage faible de couleur, et par conséquent sans effet, est un très-mauvais tableau ; qu’un paysage qui ne dit rien à mon âme, qui n’est pas dans les détails de la plus grande force, d’une vérité surprenante, est un très-mauvais tableau ; qu’un paysage où les animaux et les autres figures sont maltraités, est un très-mauvais tableau, si le reste poussé au plus haut degré de perfection, ne rachète ces défauts ; qu’il faut y avoir égard pour la lumière, la couleur, les objets, les ciels, au moment du jour, au temps de la saison ; qu’il faut s’entendre à peindre des ciels, à charger ces ciels de nuages tantôt épais, tantôt légers ; à couvrir l’atmosphère de brouillards, à y perdre les objets, à teindre sa masse de la lumière du soleil ; à rendre tous les incidens de la nature, toutes les scènes champêtres, à susciter un orage, à inonder une campagne, à déraciner les arbres, à montrer la chaumière, le troupeau, et le berger entraînés par les eaux ; à imaginer les scènes de commisération analogues à ce ravage ; à montrer les pertes, les périls, les secours sous des formes intéressantes et pathétiques.

171. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1891 » pp. 197-291

Garni qui a pour patron, un hercule dans un tricot couleur sang de bœuf, ayant toujours à la portée de sa main deux nerfs de bœuf, et une semaine de revolvers. […] Une première impression un peu cauchemaresque : l’impression d’entrer dans une chambre pleine de portraits fantomatiques aux grandes mains pâles, aux chairs morbides, aux couleurs évanouies sous un rayon de lune. […] Une pièce originale : le cabinet de toilette, au tub fait d’un immense plateau persan, ayant à côté de lui la plus gigantesque bouilloire en cuivre martelé et repoussé de l’Orient : le tout enfermé dans des portières en bâtonnets de verre de couleur. […] Dans la peau tannée du poète, la clarté aiguë de sa prunelle à la couleur de l’eau de mer, donne à ce Parisien la physionomie d’un vieux loup de mer. […] C’est un médaillon, où une bergère, en ce costume espagnolisé, mis à la mode par Vanloo, verse d’une fiasque un verre de vin à un berger à la culotte jaune soufre d’une rose trémière, dans un paysage aux arbres bleuâtres, aux lointains couleur crème.

172. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXIX » pp. 316-320

La pièce est bien, elle est conduite conformément à l’histoire, et raisonnablement ; il y a d’assez beaux vers et il n’en est pas qui choquent ; la couleur locale, les apostrophes aux dieux lares, les allusions aux coutumes romaines, la farine et le miel, l’orge et le sel, tout cela est assez à point employé ; mais ce qui donne le caractère dramatique, c’est l’accent de mademoiselle Rachel en deux ou trois moments, c’est son attitude simple, noble, virginale, dans toute la pièce ; elle est belle comme certaines figures des vases antiques. — Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que toute cette couleur d’André Chénier romain, où la scène se retrempe et rajeunit tant bien que mal sa teinte en ce moment, a été pour la première fois essayée et appliquée par un poëte peu connu, M.

173. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXXIII » pp. 332-336

— On vient de recueillir dans la Bibliothèque Charpentier les œuvres de Théophile Gautier ; son volume de vers, qui en contient un assez grand nombre d’inédits, aura un certain succès auprès de ceux à qui la grâce de la fantaisie et la vivacité de la couleur suffisen On peut citer comme une élégie d’un paganisme très-nu, mais très-gracieux (le genre admis), son Premier rayon de mai. […] Gautier est parti pour l’Afrique où il va enrichir sa palette de nouvelles couleurs locales.

174. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

Par exemple, sur vingt-cinq personnes qui entrent ici, il n’y en a pas trois qui discernent la couleur du papier ! […] Le peintre, par exemple, se trouve devant deux grands problèmes : le dessin et la couleur : or le trait n’existe pas dans la réalité, la couleur y a des nuances insaisissables au pinceau. Balzac, dans une de ses nouvelles, a montré un peintre aux prises avec le dessin, et Zola, dans son roman, nous montre le sien désespéré devant la couleur, qui, depuis Delacroix est le tourment des peintres. […] Le peintre voit son passé à travers des couleurs et des formes, des couchers de soleil, des aurores, des teintes de verdure. […] Le pittoresque n’est qu’un procédé, et un procédé assez vulgaire, celui du contraste, — comme qui dirait en peinture la couleur vive sans le dessin, le colifichet sans la beauté, le fard sans le visage.

175. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « W.-H. Prescott » pp. 135-148

De quelles sanglantes peintures à la Zurbaran et de quels noirs effets à la Goya ces haïsseurs du Catholicisme, qui veulent même que la couleur soit de leur parti, ne se régaleront-ils pas dans un pareil sujet d’histoire ! […] Et puisque nous sommes en pleine couleur espagnole, je me permettrai cette image : le taureau anglo-saxon a regardé sans fureur tout le rouge du règne de Philippe II, qui aurait mis hors de sens des têtes moins solides que celle de ce Front-de-Bœuf historique. […] Sardou, pour de la grande histoire, et dont on pouvait prévoir à l’avance les exagérations gongoriques, les turgescences et les difformités, il est bon de recommander la lecture du livre de Prescott comme une précaution salutaire, comme une espèce de tonique froid très bon à employer contre les couleurs fausses et les contagieuses déclamations.

176. (1911) Études pp. 9-261

Cette couleur, jamais on ne la trouve défaillante. […] Même quand la couleur force l’attention, c’est par une sorte d’acidité immobile. […] Sous cette couleur tranquille il faut voir enfin les lignes délicieuses qui se dévident. […] * *    * Comment discerner à quel moment la couleur de Gauguin quitte la couleur des choses pour devenir artificielle ? […] Toutes les diverses couleurs, sous l’inspiration cachée, consentent un pacte.

177. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

Mais ce n’est que depuis moins de quinze ans, c’est-à-dire depuis la mise au jour d’André Chénier et l’apparition des premières Méditations poétiques, ces deux portes d’ivoire de l’enceinte nouvelle, que notre poésie, à proprement parler, a trouvé sa langue, sa couleur et sa mélodie, telles que les réclamait l’âge présent, et qu’elle a pu exprimer ses sentiments les plus divers sur son véritable organe. […] Ce n’étaient pas des couleurs combinées, surajoutées par un procédé successif, mais bien le réel se dorant çà et là comme un atome à un rayon du matin, et s’envolant tout d’un coup au regard dans une transfiguration divinisée. […] Non ; cette main que voilà serait plutôt capable de rougir l’infinité des mers, changeant leur couleur verte en sang. » (Acte II, scène II.) — Et encore (acte V, scène ier ), lorsque lady Macbeth se parle dans son délire, en frottant la tache à sa main : « Il y a ici une odeur de sang toujours ; tous les parfums de l’Arabie ne sauraient purifier cette petite main. » — Et dans l’Œdipe-roi, acte V, scène i, sur les horreurs de la maison de Cadmus : Non, les eaux du Danube et du Phase épanchées Ne laveraient jamais les souillures cachées Dans cet abominable et sinistre séjour… 71. […] Il s’attachait aux faits, interrogeait les voyageurs, s’enquérait des coutumes sauvages comme des anecdotes les plus civilisées ; s’intéressait à la forme d’une dague ou d’une liane, à la couleur d’un fruit, aux ingrédients d’un breuvage ; il rétrogradait sans répugnance et avec une nerveuse souplesse d’imagination aux mœurs antérieures, se faisait à volonté Espagnol, Corse, Illyrien, Africain, et de nos jours choisissait de préférence les curiosités rares, les singularités de passions, les cas étranges, débris de ces mœurs premières et qui ressortent avec le plus de saillie du milieu de notre époque blasée et nivelée ; des adultères, des duels, des coups de poignard, de bons scandales à notre morale d’étiquette. […] Le procédé d’exécution répond tout à fait à ce qu’on peut attendre : une simplicité parfaite, une force continue ; point de pomposo ni de bavardage ; point de réflexions ni de digressions ; quelque chose de droit qui va au but, qui ne se détourne ni d’un côté ni de l’autre, et pousse devant, en marquant chaque pas, comme un bélier sombre ; point de vapeurs à l’horizon ni de demi-teintes, mais des lignes nettes, des couleurs fortes dans leur sobriété, des ciels un peu crus, des tons graves et bruns ; chaque circonstance essentielle décrite, chaque réalité serrée de près et rendue avec une exactitude sévère ; chaque personnage conséquent à lui-même de tout point ; vrai de geste, de costume, de visage ; concentré et viril dans sa passion, même les femmes ; et derrière ces personnages et ces scènes, l’auteur qui s’efface, qu’on n’entend ni ne voit, dont la sympathie ni l’amour n’éclatent jamais dans le cours du récit par quelque cri irrésistible, et qui n’intervient au plus que tout à la fin, sous un faux air d’insouciance et avec un demi-sourire d’ironie.

178. (1894) Textes critiques

Comme toujours, l’harmonie de ses couleurs en sourdine, mais cette fois dessin inexistant. […] Du réel (au sens vulgaire) assez pour insuffler l’humanité aux fantoches et que le sang jaillisse couleur de lèvres de nos coups d’ongle au fœtus de terre glaise pétri par le génie des paumes du dramaturge magnétiseur.‌ […] Bœcklin a retrouvé la couleur des vieux maîtres ; dans un livre qui doit paraître après sa mort, il nous dira son secret. […] Cela est un peu puéril, ladite teinte s’établissant seule (et plus exacte, car il faut tenir compte du daltonisme universel et de toute idiosyncrasie) sur un fond qui n’a pas de couleur. […] Nous donnerons prochainement une reproduction en couleur de cette enluminure — NDLR 11.

179. (1767) Salon de 1767 « Peintures — La Grenée » pp. 90-121

Rien à dire ni pour la couleur ni pour le dessein ni pour le faire. […] Attachez sur son genou avec des jarretières couleur de rose un bas blanc bien tiré. […] Discordance de couleur. […] Mignon, petite tête, gris de couleur. […] Et toujours de la couleur dure et non rompue.

180. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

« Tant que l’on s’en tint aux extrêmes dans les variations de la couleur et de la figure, et qu’on se laissa prévenir à la vivacité des premières impressions, on fut porté à considérer les races, non comme de simples variétés, mais comme des souches humaines, originairement distinctes. […] La chaleur brûlante des tropiques et la couleur noire du teint semblèrent inséparables. « Les Éthiopiens », chantait l’ancien poète tragique Théodecte de Phasélis, “doivent au dieu du soleil, qui s’approche d’eux dans sa course, le sombre éclat de la suie dont il colore leurs corps”. […] On sépare ce qui semble former les extrêmes de la figure et de la couleur, sans s’inquiéter des familles de peuples qui échappent à ces grandes classes et que l’on a nommées, tantôt races scythiques, tantôt races allophyliques. […] Nulle part on ne remarque que l’auteur se soit attaché à décrire des lieux déterminés ; mais les couleurs harmonieuses de ses tableaux révèlent une profonde intelligence de la nature. […] Dans ces créations, sont rassemblés et reproduits avec d’admirables couleurs tous les contrastes que le paysage peut offrir sous les latitudes les plus opposées. » Lamartine.

181. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rimbaud, Arthur (1854-1891) »

Jules Lemaître Si l’on vous disait que ce misérable Arthur Rimbaud a cru, par la plus lourde des erreurs, que la voyelle U était verte, vous n’auriez peut-être pas le courage de vous indigner ; car, il paraît également possible qu’elle soit verte, bleue, blanche, violette et même couleur de hanneton, de cuisse de nymphe émue ou de fraise écrasée. […] Je ne suis pas assez sûr de la date exacte du Sonnet des voyelles pour avancer autrement qu’en hypothèse que Rimbaud a parfaitement pu écrire ce sonnet, non en province, mais à Paris ; que, s’il l’a écrit à Paris, un de ses premiers amis dans cette ville ayant été Charles Cros, très au fait de toutes ces questions, il a pu contrôler, avec la science, réelle et imaginative à la fois, de Charles Cros, certaines idées à lui, se clarifier certains rapprochements à lui personnels, noter un son et une couleur.

182. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Théâtre français. » pp. 30-34

À l’instant, parurent plusieurs chevaliers dans le ciel, tous vêtus d’une couleur de flamme, tenant des lances noires, lesquels, ravis aussi de la musique d’Orphée, lui en rendirent une infinité de louanges. […] Incontinent ces étoiles, changées en autant de dames, se montrèrent vêtues de la même couleur que les chevaliers.

183. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre IV. Unité et mouvement »

Elle n’est point matérielle, mais idéale : elle ne consiste pas dans la répétition indéfinie d’une seule note, dans l’extension indéfinie d’une seule couleur, dans le développement indéfini d’une seule passion ; elle est dans le rapport, dans l’harmonie que l’auteur établit et que le public saisit entre les notes, les couleurs, les passions différentes. […] Il était bien le même soleil, et au même instant précis de sa durée sans fin ; là pourtant il avait une couleur très différente ; se tenant plus haut dans un ciel bleuâtre, il éclairait d’une douce lumière blanche la grand’mère Yvonne, qui travaillait à coudre, assise sur sa porte.

184. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVIII. Gentils conteurs » pp. 218-231

. — Rachilde et Schwob Madame Rachilde a fait des contes de bien des couleurs. Quelques-unes de ses couleurs familières ont passé de mode, qui furent à l’origine d’une teinte, je me souviens, excitante, cuisse-de-nymphe émue et même pâmée. […] Leur double passage reconstituait derrière moi, si je tournais la tête pour les voir, une ordonnance et une surprise nouvelles dont l’aspect se modifiait encore à mesure de mon progrès vers ce qui fournissait à mon changement la matière de sa variété. » C’est la précision même, une précision de myope, qui veut se rendre compte et, à défaut des couleurs, voir nettement les lignes.

185. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre premier. L’idée force du monde extérieur »

Un son n’est pas une couleur ; il est non-couleur, autre que couleur. Nous n’avons qu’à continuer ainsi : quand nous arrivons au groupe des sensations, émotions et appétitions qui nous constituent, il ne nous est pas difficile de concevoir autre chose que notre moi, comme nous concevons autre chose que la couleur, ou le son, ou l’odeur.

186. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

Edmond et Jules de Goncourt se sont imaginé pouvoir arrêter facilement, comme une bague qui roule et qu’on rattrape, le kaléidoscope d’une société dont ils avaient à nous démontrer le mécanisme après nous en avoir fait jouer les couleurs, ce kaléidoscope-tourbillon — comme dirait Carlyle — que le Temps tourne incessamment dans ses vieilles mains infatigables, à la lumière électrique de chaque événement ! […] Leur style, trop souvent incorrect et qui ajoute à l’incorrection naturelle le mal bien plus grand d’une incorrection systématique, leur style, malgré de graves défauts et même quelques ridicules, a de la couleur, sans transparence, mais non pas, certes ! […] Il vous reste juste leur livre : des miettes historiques tombées de quelques corbeilles, de quelques pamphlets, de quelques journaux, — des miettes historiques, des atomes, de la poussière de documents qui en eux-mêmes ne sauraient changer le caractère jugé de la Révolution, mais que de grands artistes broieraient seulement dans les couleurs de leur palette pour donner plus d’éclat et plus de vie à cette grande fresque d’une histoire qu’on ne fera jamais au pointillé.

187. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Sophie Arnould »

Sa couleur tient bon. […] Ce sont des merveilles de peinture que leurs livres sur le xviiie  siècle, dans lesquels ils rappellent si bien, littérairement, les peintres de cette époque, dont ils fondent la couleur et la manière dans une couleur et une manière à eux.

188. (1902) Le problème du style. Questions d’art, de littérature et de grammaire

Albalat ne se trompe pas, que Flaubert, ayant de la couleur, manque d’idées et que Taine, ayant des idées, manque de couleur. […] Albalat, avait de la couleur à la fois et quelques idées. […] Albalat, user d’un style « descriptif ou de couleur », c’est peindre. […] La sortie d’une boule blanche, d’une urne, qui, sur un million de boules, n’en contient qu’une seule de cette couleur, les autres étant noires, nous paraît encore extraordinaire ; parce que nous ne formons que deux classes d’événements, relatives aux deux couleurs. […] Car il ne s’agit pas de nuances ici, mais de couleurs crues.

189. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Puis, le romantisme a fait l’éducation artistique de Flaubert : du romantisme, il a retenu le sens de la couleur et de la forme, la science du maniement des mots comme sons et comme images ; de la seconde génération romantique, de Gautier et de l’école de l’art pour l’art, il a pris le souci de la perfection de l’exécution, la technique scrupuleuse et savante. […] Pareillement la couleur historique de Salammbô est tout à fait différente de la couleur locale des romantiques. […] Il suppléait à toutes les lacunes de l’érudition : il allait chercher à travers les siècles et les races de quoi compléter ses textes, cueillant ici un trait du Sémite biblique, et là faisant concourir sainte Thérèse à la détermination du type extatique de Salammbô. « Je me moque de l’archéologie, écrivait-il ; si la couleur n’est pas une, si les détails détonnent, si les mœurs ne dérivent pas de la religion et les faits des passions, si les caractères ne sont pas suivis, si les costumes ne sont pas appropriés aux usages, et les architectures au climat, s’il n’y a pas, en un mot, harmonie, je suis dans le faux. […] Surtout ils ne se sont jamais doutés combien cette féroce application à tout convertir en notes pour des livres pouvait fausser les justes proportions, altérer la vraie couleur de la vie.

190. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Giraud, Albert (1848-1910) »

Et il jette là-dessus ses couleurs les plus ardentes et harmoniques. […] On y trouvera une surabondance d’énergie et de couleurs, une gymnastique un peu folle, l’excès des qualités qui dominent dans son art.

191. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laprade, Victor de (1812-1883) »

Il venait accomplir ce rêve d’André Chénier, traiter des sujets antiques avec une forme et une couleur grecques et revêtir de cette forme et de cette couleur des pensers nouveaux, en un mot interpréter poétiquement les mythes anciens.

192. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Art français » pp. 243-257

Son but et son action doivent-ils être d’immatérialiser cela qu’elle fait de couleurs, d’empâtements et de glacis ? […] La peinture n’est-elle pas plutôt un art matérialiste, vivifiant la forme par la couleur, incapable de vivifier par les intentions du dessin, le par dedans, le moral, le spirituel de la créature ?

193. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Vernet » pp. 227-230

S’il projette des objets sur le cristal des mers, il sait l’en teindre à la plus grande profondeur, sans lui faire perdre ni sa couleur naturelle, ni sa transparence. […] Il a rendu en couleur les ténèbres visibles et palpables de Milton.

194. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Taraval » pp. 282-283

jeune fille agaçant son chien devant un miroir. la tête de la jeune fille et le chien ont de la vie, du dessin, sans couleur. […] En général Fragonard a l’étoffe d’un habile homme, mais il ne l’est pas ; il est fougueux, incorrect, et sa couleur est volatile ; il peut aussi facilement empirer qu’amender, ce que je ne dirais pas de Taraval.

195. (1885) L’Art romantique

C’est à cette préoccupation incessante qu’il faut attribuer ses recherches perpétuelles relatives à la couleur, à la qualité des couleurs, sa curiosité des choses de la chimie et ses conversations avec les fabricants de couleurs. […] La couleur obtient ainsi plus d’énergie et de fraîcheur. […] Selon ces gens-là, la couleur ne rêve pas, ne pense pas, ne parle pas. […] Pour parler exactement, il n’y a dans la nature ni ligne ni couleur. C’est l’homme qui crée la ligne et la couleur.

196. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Robert » pp. 222-249

Il revient d’Italie d’où il a rapporté de la facilité et de la couleur. […] La fabrique de la droite, la statue, le bassin, la rive, en un mot toute cette moitié de la composition est bien de couleur et d’effet. […] Il manque encore bien des choses, et de technique et d’idéal à cet artiste pour être excellent ; mais il a de la couleur et de la couleur vraie, mais il a le pinceau hardi, facile et sûr ; il ne tient qu’à lui d’acquérir le reste. […] Les fabriques sont de la touche la plus vraie ; la couleur de chaque objet est ce qu’elle doit être, soit réelle, soit locale. […] Le Brun perdit sa couleur en moins de trois ans.

197. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Les représentations des objets par la plastique eurent d’abord à la fois le relief et la couleur. Il fallait un certain degré d’abstraction pour concevoir la forme et la couleur séparées. […] Il y a mis en même temps tout ce que son époque pouvait savoir et sentir de la couleur et des mœurs homériques. […] Les images, les couleurs, sont, avec le nombre, la mesure, la cadence, inhérents à la parole poétique. […] Par cette usurpation la prose s’est appauvrie ; elle s’est ôté sa limpidité par ses prétentions à la couleur.

198. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — II. (Fin.) » pp. 427-443

Peut-être est-ce le défaut des peintres : ils aiment trop à être bien, à avoir une vie qui ressemble à celle des bons propriétaires… À Venise, il se laisse peu à peu gagner à la couleur : il voudrait donner au costume de ses pêcheurs et de ses femmes quelque chose qui rappellerait les étoffes vénitiennes des siècles précédents : Les femmes en hiver ont des robes en laine avec d’immenses dessins de toutes les couleurs les plus vives. […] À d’autres égards il s’en distingue, même lorsqu’il cherche du nouveau ; il demande moins ses effets à la couleur, à la lumière ; il dessine davantage. […] C’est autre chose que mes brigands de Sonnino, et je suis sûr qu’en restant dans le pays, on ferait les choses avec bien plus de caractère, bien plus larges, d’un plus beau style, plus original en tout, plus riche de couleurs.

199. (1903) Zola pp. 3-31

La vérité humaine n’est que dans les nuances subordonnées à une couleur générale et dans la complexité subordonnée à une tendance maîtresse qui fait l’unité du personnage. […] Mais dans ces mêmes auteurs, ou encore mieux dans leurs imitateurs ridicules, le mot cru et gros, la couleur violente et aveuglante, la description acharnée qui ne demande à l’intelligence aucun effort et qui fait simplement tourner le cinématographe, le relief des choses, cathédrale, quartier, morceau de mer, champ de bataille, aussi l’imagination débordante et enlevante, qui vous entraîne vers des hauteurs ou des lointains confus comme dans la nacelle d’un ballon, toutes ces choses qui ne demandent au lecteur aucune collaboration, qui le laissent passif tout en le remuant et l’émouvant ; aussi et enfin une misanthropie qui ne donne pas ses raisons et qui ne nous fait pas réfléchir sur nous-mêmes, mais seulement flatte en nous notre orgueil secret en nous faisant mépriser nos semblables sans nous inviter à nous mépriser nous-mêmes : voilà ce que le lecteur illettré de 1840 voit, admire et chérit dans les romantiques ; voilà la déformation du romantisme dans son propre cerveau mal nourri, dans la misère physiologique de son esprit. […] Le sens pittoresque est devenu en lui cette couleur grosse et criarde qui fait comme hurler les objets au lieu de les faire chanter, comme disent les peintres, dans une harmonie et comme une symphonie générale selon leurs rapports avec les autres objets qui les entourent. — L’objet matériel animé d’une vie mystérieuse, qui est peut-être l’invention la plus originale des romantiques et d’où est venue toute la poésie symbolique, est devenu chez Zola, souvent, du moins, une véritable caricature lourde, grossière et puérile et la « solennité de l’escalier » d’une maison de la rue de Choiseul a défrayé avec raison la verve facile des petits journaux satiriques. — La simplification de l’homme, réduit à une passion unique et dépouillé de sa richesse sentimentale et de sa variété sensationnelle, est devenue, chez Zola, une simplification plus indigente encore et plus brutale ; chaque homme n’étant plus chez lui qu’un instinct et l’homme descendant, en son œuvre, on a dit jusqu’à la brute et il faut dire beaucoup plus bas, tant s’en fallant que l’animal soit une brute et que chaque animal n’ait qu’un instinct. […] Il n’écrivait plus qu’avec ses procédés et ses recettes d’accumulation et de répétition, sans qualités de narration, ce qui, du reste, n’avait jamais été où il excellât, et désormais sans art de description, de dessin ni de couleur.

200. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Renou » pp. 301-307

Il est permis à un grand maître d’oublier quelquefois qu’il y a des couleurs amies ; Chardin jettera pêle-mêle des objets rouges, noirs, blancs ; mais ces tours de force-là, il faut que M.  […] Si Boileau avait raison de dire : la plus belle pensée ne peut plaire à l’esprit, quand l’oreille est blessée jugez d’un chant sous lequel l’harmonie serait raboteuse et dure, d’un tableau qui pèche par l’accord des couleurs et l’entente des ombres et des lumières. […] On ne sait ce que c’est ; rien de fait ; de la couleur gâchée, spongieuse, des figures de bouillie ; cela veut être heurté et cela n’est que barbouillé.

201. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Sandeau » pp. 77-90

Sandeau sont des couleurs déteintes et mêlées. — Or, elle apprend, par l’une des circonstances du roman, qu’un cousin-germain de son nom, dont le père avait, comme on dit, embrassé les principes de 89, vit non loin d’elle, sur une petite terre qu’il cultive, et qu’il est sur le point d’épouser la fille d’un meunier. […] Il est vrai qu’en Bretagne l’hermine est presque de la couleur locale, et que sans celle-là nous n’en aurions d’aucune espèce dans le livre de M.  […] Donc, pour nous résumer, œuvre médiocre, vulgairement écrite, nulle de couleur et de caractère, nulle de conviction quelconque, convenable en décence, mais sceptique, avec deux ou trois situations, que l’auteur a trouvé le moyen de gâter encore, voilà l’œuvre à propos de laquelle on a dit que M. 

202. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le théâtre annamite »

Cependant tant de niaiserie flotte dans l’air au temps où nous sommes ; l’idée et le respect de cette vieille « couleur locale » chère aux romantiques ont pénétré dans tant de cervelles, même bourgeoises, que beaucoup de badauds s’extasient sur le pittoresque de ces monstres, et particulièrement sur la richesse de leurs costumes. […] Mais la vérité, c’est qu’ils assemblent les couleurs au hasard, absolument au hasard, et que ces assemblages, où l’intelligence et le choix ne sont pour rien, peuvent quelquefois, par rencontre, former des harmonies plaisantes et singulières — surtout quand le temps a fané les étoffes et adouci les teintes… Les appellerai-je pour cela des artistes ?

203. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — II »

Ils n’entrent en effet en relation avec tous ces objets du monde extérieur, ainsi qu’on vient d’en faire la remarque, qu’autant que leur sensibilité est encore affectée par eux : quelque joie à considérer les formes et les couleurs leur rend seule perceptibles les formes et les couleurs, quelque émotion, au contact des passions humaines leur permet seule de connaître les passions humaines.

204. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1893 » pp. 97-181

Et il revient sur le procès du peintre avec le journaliste anglais, qui avait parlé de l’impertinence de demander mille guinées pour « jeter un pot de couleur à la figure du public ». […] C’est le peintre qui a été le dernier continuateur de la couleur anglaise, importée par Delacroix, dans le Massacre de Scio. […] Puis désignant un tableau à la couleur anglaise du xviiie  siècle, il me jetait : — Connaissez-vous les tableaux de Burrow ? […] Et, au milieu du pittoresque bric-à-brac de la demeure, apparaissent et disparaissent, les dents blanches, les noires faces riantes, les madras de couleur de deux négresses, qui sont la domesticité du maître de la maison. […] Raffaëlli cause avec Geffroy de ses essais d’eaux-fortes en couleur, qui vont paraître cette semaine.

205. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre X. De la simplicité du style »

C’est une prétention d’user des mots en artiste, non pour penser et sentir, ni pour provoquer des pensées et des sentiments, mais pour produire les impressions les plus spéciales qui appartiennent aux autres arts, à la musique, à la peinture, à la sculpture, des impressions de son, de couleur et de forme. […] Tout ce qu’on pense est vrai ; la première pensée venue en vaut une autre ; ce que les mots se trouvent signifier n’est ni mauvais ni pire que ce que d’autres mots signifieraient : il ne reste donc de sûr, de solide, que l’apparence, la beauté même des mots, harmonie, couleur, forme, ce qui enivre ou charme les sens.

206. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Hallé » pp. 71-73

Même couleur aux fleurs. […] Tableau détestable de tout point de dessein, de couleur, d’effet, de composition, pauvre, sale, mou de touche, papier barbouillé sous la presse de Gautier.

207. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Sur le roc abrupt de l’individualisme, Jacques Fréhel apporte, lumière chaude et ardente couleur, je ne sais quelle grâce sauvagement fleurie. […] Les richesses barbares des costumes font les gestes éclatants de couleur. […] Sa folie fut d’abord un grand feu, mouvement et couleur qui montent. […] Rubens scatologique sans vie et sans couleur, il aime toute forme énorme qu’elle soit ou non dessinée et modelée ; ce collégien incurable est mort prenant encore l’abondance pour l’harmonie et adorant sous le nom de callipyge la Vénus hottentote. […] Ils s’éprennent des nouveaux gazouillements entendus et des dernières ailes aperçues voltigeantes dans le ciel ; mais ils ne sont point les couleurs des générations successives de doctrines.

208. (1904) En méthode à l’œuvre

  Tout instrument de musique, il est su depuis les travaux de Helmoltz, à ses harmoniques propres dont le groupement le distingue d’autre : d’où son timbre, qui est ainsi qu’une couleur particulière du son. […] *** Mais avant de montrer reliées en dernière proposition, — les séries de sons-instrumentaux et les séries de sentiments et d’idées essentiellement générateurs, respectivement : pour encore apporter un élément voisin, nous parlerons succinctement de l’audition colorée, — de la couleur des Sons. L’exception imprudemment dite, un temps, pathologique, de percevoir en même temps que de son une sensation de couleur, — peut-être vient-elle à se généraliser et à l’état normal des individus. […] Mais, en assentiment, en Musique le timbre n’est-il pas pris pour « couleur du son », — alors qu’en langue allemande il n’a même d’autre dénomination ? […] Brutale s’il est nécessaire, mais savante continuement : trouvant entre les timbres-vocaux la nuance transitoire, et, pour les consonnes, les remplaçant entre elles, opérant les permutations phoniques de leurs degrés, — l’Allitération, ainsi, devient en elle-même telle qu’une adventice série instrumentale… Pour terminer, sans rappeler sa particularité de couleur et de timbre, il sied dire de « l’e muet » quel précieux élément instrumental il est, — qui peut toutes nuances selon sa place, depuis donner une valeur pleine, ou éteindre et lui-même et presque les sonorités qui l’entourent.

209. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

La critique doit reconnaître que le beau, tout absolu qu’il est en lui-même, a nécessairement des formes diverses et changeantes, que la vérité idéale, pour devenir vivante et vraiment belle, doit se teindre et s’empreindre de l’individualité des écrivains, que, si une certaine raison est le fond des œuvres belles, l’imagination avec ses mille couleurs en est l’inséparable ornement. […] Nous transportons ces vues dans la littérature et dans les beaux-arts ; nous pensons que c’est l’initiative individuelle qui a trouvé le beau, que l’idéal n’est passé dans la réalité et n’est devenu sensible que par la création libre des grands artistes et des grands écrivains, dont chacun lui a donné la couleur de son âme. […] L’imagination (et j’entends par là tout mouvement donné à la pensée) n’est donc pas une condition accessoire ou subordonnée dans les œuvres littéraires : elle y est essentielle, comme la couleur en peinture.

210. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Dargaud »

Des bégueules littéraires, des vierges sages, nous savons pourquoi, ont pu reprocher à Dargaud la vivacité de ses couleurs quand il a écrit l’histoire. […] Quand on veut ressusciter le passé, le secret du miracle est dans les couleurs qu’on emploie, et quand on peint les premières impressions de la vie, a-t-on sur sa palette des teintes d’un trop tendre éclat pour cette blanche aube qui doit rougir et va devenir une aurore ? […] Que n’eût pas alors été ce talent qui vibre avec toutes les mélodies du cristal, et qui, comme le cristal, renvoie toutes les couleurs du prisme !

211. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Roger de Beauvoir. Colombes et Couleuvres. »

avec la réputation de l’auteur, ses précédents, sa vie extérieure, son imagination, brillante et bruyante, et toute cette nature alcibiadesque qui est la sienne et qui semble avoir, comme le caméléon amoureux de la Légende, des reflets plus séduisants que des couleurs, on se serait attendu, en pensant à cette plume chaude et passionnée, bien plus à une œuvre d’imagination, de rythme ouvragé, de grande broderie, qu’à un livre de sentiment. […] On dirait que ce sont les couleurs du livre de M. de Beauvoir, livre de deuil, puisqu’il reflète une vie, mais qu’une imagination restée virginale, on ne sait trop par quel procédé, éclaire des teintes d’une rose de Bengale immortelle. […] M. de Beauvoir, qui joint à cette émotion une fraîcheur près de laquelle parfois les fleurs de l’hortensia paraîtraient glauques, et les blancheurs du magnolia, des vélins jaunis, manque de netteté de lignes et d’articulation ferme sous cette adorable couleur.

212. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

Moitié naïf, moitié subtil, il peint tantôt violemment, tantôt à petits traits et avec des couleurs assez fines. […] La couleur des pierres précieuses est tirée de la matière qui les produit. […] Les émeraudes doivent leur couleur à un suc vert, les saphirs à un suc céleste. […] tu es le trait d’union entre Corneille et Racine, et le temps ne cessera point de mettre sur ton front, chaque jour, de plus fraîches couleurs. […] L’iris aux parfums enivrants est à l’amoureuse Nossis, l’agréable marjolaine à Rhianus et le jaune safran, aux chastes couleurs, à la mélodieuse Érinne.

213. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

Elle a, à ce qu’il paraît, une toilette pour chacun de ses amants, aux couleurs qu’il aime. C’est une robe de chambre de satin ouatée et piquée, avec des pantoufles de même couleur brodées d’or, une chemise en batiste garnie de valenciennes, avec des entre-deux de broderie de 5 à 600 francs, un jupon garni de trois volants de dentelle de 3 à 400 francs : un capital d’accessoires galants montant de 2 500 à 3 000 francs, qu’elle fait porter à tous les domiciles qui peuvent la payer. […] Il nous fait des compliments sur notre Venise parue dans L’Artiste, nous disant que pour lui « c’est le plus fin bouquet de parfums de la ville des doges », et afin de nous prouver qu’il a tout senti, tout compris, nous décrit l’Osteria della Luna, sa situation, son architecture, sa couleur, enfin nous la fait revoir : « Mais, nous dit-il, ce ne sera pas compris, il faut tous y attendre. […] Par exemple, sur vingt-cinq personnes qui entrent ici, il n’y en a pas trois qui discernent la couleur du papier ! […] Elle lit cela le soir, les deux pieds allongés sur une chaise, un genou remonté entre le jupon et la jarretière rouge, scandant dramatiquement tout le mélodramatique de la chose, et nous avertissant par des temps, de formidables temps, de toute la couleur révolutionnaire du susdit romancier.

214. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

De larges traînées de vapeurs blondes baignaient les intervalles ; çà et là de vifs rayons de soleil glaçaient d’or quelque mamelon plus rapproché et chatoyant de mille couleurs comme une gorge de pigeon. […] Bel œillet aux vives couleurs, Pourquoi tomber dans la fontaine ? […] Au moment où je le vis, c’était comme une explosion de fleurs, comme le bouquet d’un feu d’artifice végétal ; une fraîcheur splendide et vigoureuse, — presque bruyante, si ce mot peut s’appliquer à des couleurs, — à faire paraître blafard le teint de la rose la plus vermeille ! […] Je le vois encore tel qu’il était à cette date et à cette époque fortunée, dans toute la force et la superbe de la seconde jeunesse, dans toute l’ampleur et l’opulence de la virilité ; aspirant la vie à pleins poumons, à pleine poitrine ; ayant sa mise à lui, et, sur cette large poitrine dilatée, étalant pour gilet je ne sais quelle étoffe couleur de pourpre, une cuirasse pittoresque, de même que Balzac avait eu dans un temps sa canne à la pomme merveilleuse.

215. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre II. Des idées générales et de la substitution simple » pp. 33-54

I La famille des noms, comme on sait, se divise en deux branches, celle des noms propres et celle des noms communs, et on les distingue très justement en disant que les premiers, comme César, Tuileries, Cromwell, ne conviennent qu’à un seul objet, tandis que les seconds, comme arbre, triangle, couleur, conviennent à un groupe indéfini d’objets. […] L’animal est un corps organisé qui se nourrit, se reproduit, sent et se meut, et non ce quelque chose informe et trouble qui oscille entre des formes de vertébré, d’articulé ou de mollusque, et ne sort de son inachèvement que pour prendre la couleur, la grandeur, la structure d’un individu. […] » Blanc est un mot trop large ; il faut que désormais il le réduise à une seule couleur. — Le même enfant entend sa mère qui lui dit : « Tu balances trop ta tête ; ta tête va frapper la table. » Il répond d’un air curieux et surpris : « Ta tête va frapper la table ? » Ta est pris dans un sens trop vaste, vil faut que désormais ce mot désigne seulement la tête de celui à qui l’on parle. — L’endiguement va se faire ; de nouvelles expériences compléteront la tendance qui produisait le mot blanc, et, désormais achevée, elle correspondra non seulement à la présence de l’éclat, mais encore à la présence d’une certaine couleur.

216. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Les Faux Démétrius. Épisode de l’histoire de Russie, par M. Mérimée » pp. 371-388

j’y trouve bien un peu mon profit, je l’avoue : quand je marche au soleil, quoique ce soit pour tout autre chose, il arrive pourtant tout naturellement que mon visage prend le hâle : et c’est ainsi que lorsqu’à Misène (car à Rome je n’en ai guère le temps) je me suis mis à lire avec soin ces livres des historiens, je sens, comme à leur contact, que mon langage prend de la couleur (sentio illorum tactu orationem meam quasi colorari). Quelle agréable expression, et qui nous rappelle Mme de Sévigné disant, au contraire, que, de ne point se plaire aux lectures solides, cela donne les « pâles couleurs » ! […] Une conséquence assez naturelle du surcroît de couleur et d’énergie qu’a employé M.  […] ne soyez dupes de mon brigand et de ma bohémienne qu’autant que vous le voudrez. » Après s’être si fort avancé en fait de couleur locale primitive, l’auteur, à son tour, ne veut pas qu’on le croie plus dupe qu’il ne faut.

217. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre premier. De l’invention dans les sujets particuliers »

Quelles doivent être la pensée maîtresse, la couleur fondamentale, l’impression dominante du développement à faire, voilà ce que tout élève doit savoir distinguer d’abord dans la matière qu’on lui propose, et cela consiste précisément à en extraire l’idée générale. […] Le lieu commun sera entré dans votre expérience : il y aura pris la couleur et la vie.

218. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Philosophie du costume contemporain » pp. 154-161

. — Aujourd’hui, il n’y a plus que les femmes qui se parent de « jabots », de « petites oies », de rubans, de dentelles et de fanfreluches, et qui arborent de beaux tissus aux couleurs éclatantes. […] Le col et le plastron de la chemise empesée font des taches de lumière amusantes par la crudité même de leur éclat et par un air de netteté unie et précise : mais je voudrais que la chemise molle, et même de couleur (rien ne lui interdirait d’être propre et jolie), fût partout tolérée, et à toutes les heures.

219. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre IV »

Sauf quelques mots par lesquels d’académiques vétérinaires voulurent glorifier leur profession, la maréchalerie se sert d’un dictionnaire entièrement français, ou francisé selon les bonnes règles et les justes analogies ; parmi les plus jolis mots de ce répertoire peu connu figurent les termes qui désignent les qualités, les vices ou la couleur des chevaux ; azel, aubère, balzan, alzan, bégu, cavecé, fingart, oreillard, rouan, zain. […] Litre, au sens de bande de couleur noire, est identique à liste (anciennement listre, du vieux haut-allemand lista).

220. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Dédicace, préface et poème liminaire de « La Légende des siècles » (1859) — Préface (1859) »

Comme dans une mosaïque, chaque pierre a sa couleur et sa forme propre ; l’ensemble donne une figure. […] La fiction parfois, la falsification jamais ; aucun grossissement de lignes ; fidélité absolue à la couleur des temps et à l’esprit des civilisations diverses.

221. (1888) Études sur le XIXe siècle

Je répondis que, quand le temps le permettait, je m’exerçai la main avec des couleurs à l’huile. […] De plus, il est arrivé à se créer une palette qui est bien à lui : à l’inverse de Hunt et de ses couleurs crues, de Rossetti et de ses couleurs chaudes, il n’emploie guère — sauf, bien entendu, dans ses aquarelles, — que des tons très doux, qui se marient dans une exquise symphonie de gris infiniment délicate. […] Les mots, les couleurs et les sons demeurent donc des éléments dissemblables. […] Capuana, il sait voir la nature, et il en traduit le spectacle avec une couleur qu’aucun de ses compatriotes n’a jamais atteinte. […] Il rencontre une maison, puis deux, puis plusieurs, et, devant toutes, des ustensiles de campagne peints en couleurs vives.

222. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

Le peintre cependant ne pouvait tout à fait s’abdiquer ; le trait lui fournit jusqu’à un certain point ce qu’il avait espéré de la couleur. […] Et quel moment mieux choisi, si on l’avait choisi, pour oser toutes les expériences de couleur et de poésie dans le langage ! […] On s’y dit douceurs au murmure de la seille qui s’emplit… » Rien que ces quelques mots ainsi jetés, familiers et envieillis, n’est-ce pas déjà harmonie et couleur ? […] L’exécution générale du style, dans ce que j’appelle l’idylle, reste à la fois naturelle et neuve, pleine de particularités et d’accidents, riche d’accent et de couleur ; c’est un style dru, il sent son paysage. […] L’intégrité de vénération qui s’attache encore aux hommes méritants de ces contrées, et qui lie les générations les unes aux autres, s’y peint avec de bien profondes et pures couleurs.

223. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre III. La poésie romantique »

Les alexandrins de Gautier sont romantiques par la couleur, non par la structure interne. […] Le mal et la laideur n’existent que pour l’esprit qui ne sait pas, pour l’œil qui ne voit pas : ainsi va-t-il, imprégnant la nature et l’humanité des couleurs splendides de son âme. […] Ici Lamartine a voulu peindre : il a prodigué les couleurs, et ses descriptions pourtant ne sortent pas. […] Cela est d’un éclat sobre, dont nulle orgie de couleurs n’égalerait l’impression. […] Tout le romantisme tapageur et commun se trouvait dans ces essais : le forcené dans les passions, l’immoralité dans les mœurs, l’étrangeté insolente dans la couleur locale.

224. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Edmond et Jules de Goncourt »

La misère de coloris du pénible peintre, du pauvre prix de Rome, faisait trouver et imprimer qu’il avait des « couleurs gravement chastes », etc. […] Ils accumulent les détails, mais toujours ils en résument la couleur générale et le sens. « De cette pauvre rivière opprimée, disent-ils en parlant de la Bièvre, de ce ruisseau infect, de cette nature maigre et malsaine, Crescent avait su dégager l’expression, le sentiment, presque la souffrance18. » Ce que Crescent fait pour la Bièvre, ils le font pour tout ce qu’ils décrivent. […] Ils reçoivent de la réalité la même impression que le peintre le plus fou de couleurs et le plus entêté de pittoresque ; et cette impression se double chez eux du sentiment proprement littéraire. […] Le point de vue de MM. de Goncourt étant le plus souvent pictural, s’ils ont à décrire un groupe, ce qu’ils voient tout d’abord, ce sont des couleurs, des poses, des attitudes. […] Puis on se rappelle ce que Joubert disait déjà de Bernardin de Saint-Pierre, dont la couleur est pourtant fort tempérée auprès de celle de MM. de Goncourt : « Il y a dans son style un prisme qui lasse les yeux.

225. (1902) La formation du style par l’assimilation des auteurs

Chateaubriand eut par excellence le style de couleur et d’images. […] Nos yeux ont la couleur et l’éclat du ciel. […] C’est un oiseau rare, semblant fait de verre filé, couleur d’écarlate, et sa queue porte deux mains avec lesquelles il se suspend aux arbres. […] De leur sommet s’élevaient de grands jets d’écume qui se coloraient de la couleur de l’arc-en-ciel. […] Avec la couleur et l’image, elle comprend à peu près tout l’art d’écrire.

226. (1886) Le naturalisme

Çà et là, entre les couleurs éteintes de la tapisserie, les lys d’or et d’argent resplendissent. […] Leur couleur brillante et fastueuse les rend semblables à un riche émail oriental. […] Quelle belle, quelle savoureuse chose que la couleur ! […] Je pense aussi que les lettres, à mesure qu’elles avancent, expriment la couleur avec plus de brio et de force, en détaillent mieux les nuances et les délicates transitions, et que l’étude de la couleur se complique de même que l’étude de la musique s’est compliquée depuis les maîtres italiens jusqu’à aujourd’hui. […] Il suivait toute la gamme du rouge, des mercures sulfurés, carmins et saignants, jusqu’au rouge noir de l’hématite, et rêvait à l’omatito, la couleur perdue du xvie  siècle, la couleur cardinale, la vraie pourpre de Rome….

227. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

Du milieu de cette foule de bonnes plaisanteries qui lui échappaient sans cesse, jaillissaient encore des réflexions fortes et profondes, que son bon goût avait soin de revêtir toujours d’une sorte de couleur féminine… » Sans trop m’arrêter sur cet ancien portrait de famille placé aux origines de notre sujet, et qui le domine du fond, sans prétendre non plus pénétrer dans le mystère de la transmission des esprits, ne semble-t-il donc pas, presque à la première vue, que de si amples et si vives qualités maternelles aient suffi à se partager dans sa descendance, et à y fructifier en divers sens, comme un riche héritage ? […] Des soins assidus et délicats embellirent ses vieux jours de quelques-unes des couleurs qui avaient égayé son printemps ; une amitié complaisante239 consentit à prendre avec elle la forme qu’elle était accoutumée de donner à ses sentiments. […] En ces sortes d’ouvrages surtout, où il y a couleur et fleur, c’est une différence incomparable de vieillir dans le tiroir ou de vieillir à la lumière. […] La première donnée historique ici était vague ; on ne disait pas le règne, on ne désignait qu’en termes généraux le ministre : pourtant Mme de Rémusat, en y insistant, parvint à imprimer à ses tableaux une couleur fidèle, à reproduire de vrais Espagnols, une vraie cour, de vrais moines : il y a un père jésuite qui agit et parle merveilleusement. […] A l’appui et comme au bas de ce doux pastel, il nous sera permis d’écrire quelques vers de Mme d’Houdetot elle-même, de ces vers du bon vieux temps dont plusieurs sont restés agréables encore sous leur couleur passée ; voici une imitation qu’elle avait faite de Marot, et où le tendre aveu se retrouve dans un léger déguisement : Jeune, j’aimai : ce temps de mon bel âge, Ce temps si court, l’amour seul le remplit.

228. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1878 » pp. 4-51

C’est le petit hôtel, le domestique en cravate blanche, l’appartement au confort anglais, où l’artiste se révèle par quelque japonaiserie d’une fantaisie ou d’une couleur admirablement exotique. […] Sauf deux ou trois bâtonnets de couleur de son pays, entre autres une espèce de jaune, couleur de gomme gutte, et du bleu verdâtre, l’artiste se servait de couleurs au miel, de couleurs européennes. […] Et c’était charmant de voir notre Japonais travailler, tenant deux pinceaux dans la même main, l’un tout fin et chargé d’une couleur intense et filant le trait, l’autre plus gros et tout aqueux, élargissant la linéature et l’estompant : tout cela avec des prestesses d’escamoteur, debout devant sa petite table aux gobelets.

/ 1980