Mme de Boufflers avait fait une pièce, une espèce de tragédie ou de drame en cinq actes et en prose, qui ne fut point imprimée, mais qu’elle lisait à ses amis.
Si Rousseau est la bête noire de Collé, Voltaire ne lui agrée guère davantage ; il ne se contente pas de le juger sévèrement à la rencontre, il avait entrepris une réfutation en règle de ses tragédies, et M.
Les Anciens avaient Andromaque, Hector, Priam, les malheurs d’Hécube : ils y revenaient sans cesse ; leurs oreilles n’avaient jamais assez d’attente et de silence, leurs yeux n’avaient jamais assez de regards ni de larmes pour ces tragédies funestes.
Après avoir témoigné leur ardent patriotisme à ce grand acteur, ils ont voulu entendre le reste de la tragédie d’Othello.
On a eu au théâtre Mlle Rachel, qui nous a rendu toute une veine dramatique de chefs-d’œuvre, lesquels avaient naguère semblé moins actuels, moins nouveaux ; on a eu hier une tragédie qui a attiré la foule, et qui, par des qualités diverses et sérieuses, a mérité de faire bruit.
Au collège, Boileau lisait, outre les auteurs classiques, beaucoup de poëmes modernes, de romans, et, bien qu’il composât lui-même, selon l’usage des rhétoriciens, d’assez mauvaises tragédies, son goût et son talent pour les vers étaient déjà reconnus de ses maîtres.
Qu’on réserve l’alexandrin pour le drame et la tragédie, à la bonne heure : les personnages parlent d’un ton sérieux et soutenu.
Il ne s’agit encore que de l’histoire romaine, sujet classique, lieu commun de l’éloquence et de la tragédie du siècle précédent : mais la forme est loin d’être oratoire ou dramatique.
Puis, les tragédies de l’amour occupent-elles donc toute la place dans la vie ?
Il allait concourir à l’Académie sur des sujets d’éloges patriotiques ; il avait en portefeuille des tragédies sur des sujets nationaux.
Il s’agissait encore de Voltaire, au sujet de sa tragédie de Mahomet et des hardiesses qu’elle renferme : Ce que je ne lui pardonne pas, et qui n’est pas pardonnable, écrivait Chesterfield à Crébillon, c’est tous les mouvements qu’il se donne pour la propagation d’une doctrine aussi pernicieuse à la société civile que contraire à la religion générale de tous les pays.
Racine et Boileau riaient de ce nouveau débarqué, de ce Normand précieux et en retard, qui arrivait exprès par le coche pour se faire siffler avec une tragédie musquée, ou pour se faire applaudir avec un sonnet d’Oronte.
Ce Sylla de Montesquieu est un peu un Sylla de tragédie ; il est académique de l’école de David ; il y a du drapé, du nu et des cambrures.
Les premiers essais littéraires de Grimm furent en allemand : il fit une tragédie qui a été recueillie dans le théâtre allemand de ce temps-là.
Il s’est surtout fait une solitude très animée, très conversante et selon ses goûts, à son château de Rheinsberg ou Remusberg qui est près de là : « Nous sommes une quinzaine d’amis retirés ici, qui goûtons les plaisirs de l’amitié et la douceur du repos. » Les occupations y sont de deux sortes, les agréables et les utiles : Je compte au rang des utiles l’étude de la philosophie, de l’histoire et des langues ; les agréables sont la musique, les tragédies et les comédies que nous représentons, les mascarades et les cadeaux que nous donnons.
Et cette lamentable fin encore du ménage artistique, cette noire existence misérable et débraillée dans l’atelier du haut de Montmartre, Claude se brutalisant, s’exaltant et s’affolant à l’impossible labeur de s’extorquer un chef d’œuvre, tandis que Christine s’attache à son amour tari, lutte contre le desséchement de cœur de son mari, finit par l’arracher à l’art auquel il tenait de toutes ses fibres, mais l’abîme et le lue du coup ; toute cette tragédie humaine donnant à toucher de pauvres chairs frissonnantes, à voir des larmes dans des orbites creux, et des mâchoires serrées, et des poings abandonnés, nous a enthousiasmé et ému.
Elle ne nous représente pas seulement le chœur antique, ce long hymne de la tragédie grecque ; elle renouvelle cette épode rapide et sanglante, ce sévère anathème du génie, que lançait la muse irritée et qui ressemblait à la terrible marche de guerre des Crétois, sous le son de la lyre.
Le président de Montesquieu, assurait, qu’encore comédien de campagne, Molière, fit jouer sans succès dans cette ville, une tragédie de sa façon, intitulée La Thébaïde ; nous verrons dans la suite, que cette anecdote n’est pas sans vraisemblance, et nous en félicitons la scène comique ; une infidélité heureuse aurait pu enlever de temps en temps Molière à Thalie, et tout nous prouve que des soins partagés réussissent rarement, même auprès des Muses. […] Cependant, d’après le portrait qu’a laissé de lui une actrice, sa contemporaine, la nature semblait lui avoir donné un physique propre à la tragédie. […] Il y a, dans cette rapsodie, moins de personnalités que dans celle de Devisé ; une ironie moins froide, mais sans comique, est l’âme de tout l’ouvrage ; un bel esprit y prétend que la pièce où se trouve cet hémistiche : … Le petit chat est mort, « ne peut être qu’une tragédie, puisqu’il y a du sang répandu ». […] Le premier, dans sa tragédie d’Hécube, fait dire au roi d’Itaque, par cette princesse : « L’autorité dont jouit Ulysse le fera triompher, quelque mal qu’il s’exprime. […] Le père de notre tragédie, Corneille, si sublime dans la plupart de ses plans, s’asservit à travailler sur celui d’un autre ; Quinault s’associe à leurs travaux, et Lulli, l’Orphée du temps, prête les charmes de sa musique à tout l’ouvrage.
Voilà la tragédie qui s’est agitée dans toutes les âmes protestantes ; c’est la tragédie éternelle de la conscience, et le dénoûment est une nouvelle religion. […] Au bout de sept ans, nos dents tombent et meurent avant nous : c’est le prologue de la tragédie ; et à chaque fois sept ans, on peut bien parier que nous jouerons notre dernière scène. […] La mort règne dans toutes les parties de notre année, et vous ne pouvez aller nulle part sans fouler les os d’un mort379. » Ainsi roulent ces puissantes paroles, sublimes comme le motet d’un orgue ; cet universel écrasement des vanités humaines a la grandeur funéraire d’une tragédie ; la piété ici sort de l’éloquence, et le génie conduit à la foi.
Puis, au sortir du collège, il se met à écrire : « J’ébauchai plusieurs poèmes épiques et j’écrivis en entier cinq ou six tragédies… J’écrivis aussi un ou deux volumes d’élégies amoureuses, sur le mode de Tibulle, du chevalier de Bertin et de Parny. » Deux pages plus loin, il nous dit : « Je passai huit ans sans écrire un vers. » Or, comme il nous dit d’autre part, dans le discours Des destinées de la poésie, qu’il jeta au feu « des volumes de vers écrits dans les deux ou trois années qui précédèrent la publication des Méditations » (soit de 1818 à 1820), il s’ensuit que les ébauches de poèmes épiques, la demi-douzaine de tragédies et les deux volumes d’élégies amoureuses ont dû nécessairement être écrits par lui de 1808 à 1810. […] Entre 1812 et 1818, il écrit (ou ébauche) six tragédies : Saül, Médée, Zoraïde, Brunehaut, Mérovée, César ou la Veille de Pharsale. […] (Suétone : Néron, XII) « Icare, à son premier essor, tomba près du lit sur lequel était assis Néron, et le couvrit de sang. » À vrai dire, c’est une assez belle invention de souffrances, de souffrances brutales et extrêmes, que la tragédie en tableaux vivants, en tableaux réels, dont les tyrans-dieux s’offrent le régal.
Leurs domestiques, déguisés, portent du vin, du vinaigre et d’autres choses pour en donner de temps en temps à leur maître, qui tombe bien souvent comme mort de la peine et de la fatigue qu’il souffre… On tient que ces a pénitences sont si rudes que celui qui les fait ne « passe point l’année. » Toujours le terrible excès d’imagination forcenée et limitée. — Mais ici, comme dans l’amour, le rêve délicieux accompagne la tragédie sinistre. […] Un pareil cortège et un pareil spectacle sont, entre toutes les œuvres d’art, les plus grandes ; il n’y a point de tragédie peinte qui vaille la tragédie réelle, et l’on comprend pourquoi, par-delà les historiens de profession qui s’enferment dans l’exacte analyse, Heine, Goethe, Rückert, Victor Hugo, Tennyson et tant d’autres poètes en vers ou poètes en prose, ont employé leur génie ou leur talent en divinations historiques, et trouvé la poésie dans la vérité. […] Il allait chercher partout la plus haute tragédie humaine, dans Byron, Dante, le Tasse et Shakespeare, en Orient, en Grèce, autour de nous, dans le rêve et dans l’histoire. […] Peut-être un jour sera-ce là son endroit vulnérable ; on se demandera si cette ironie perpétuelle n’est pas voulue, s’il a raison de plaisanter au plus fort de la tragédie, s’il ne se montre pas insensible par crainte du ridicule, si son ton aisé n’est pas l’effet de la contrainte, si le gentleman en lui n’a pas fait tort à l’auteur, s’il aimait assez son art. […] Celui-ci, n’ayant pas d’enfants, avait cherché des fils adoptifs dans sa famille de Provence et dans sa famille du Limousin ; la première offrait trois jeunes gens presque élevés, militaires ou marins ; ils furent choisis, et il leur en coûta cher, car ils furent guillotinés tous les trois, le même jour que Madame Elisabeth. — Dans la modeste maison du Limousin, on se racontait ces tragédies et aussi ces grandeurs ; on se souvenait volontiers d’avoir « cousiné » avec une famille historique.
Soumet se montrait fier de Saül et de sa Clytemnestre, deux tragédies qui ont fait courir tout Paris. […] Certes, je n’ose pas faire allusion à ces Examens où le grand Corneille cherchait les défauts de ses tragédies avec le scrupule d’un chrétien qui se prépare au sacrement de la pénitence. […] une tragédie sans songe, une bicyclette sans pédales, un cotillon sans accessoires, un civet sans lièvre ni lapin. […] Se demander si les comédies de Molière ne « côtoient » pas, en quelque sorte, la tragédie ? […] Heureux les historiens et les conférenciers qui dissertent sur les satires de Boileau et sur les tragédies de Racine !
On pourrait l’appeler la tragédie de l’individualisme. […] Cette singularité n’a pas échappé à la sagace Mme Barine. « Nous aurons maintenant » dit-elle, « et jusqu’à la fin de la tragédie, comme une légère odeur d’encre d’imprimerie. […] II Essayons de traduire cette formule par des images précises, et de nous figurer les deux héros de cette tragédie réelle dans leur façon habituelle d’agir et de sentir, à cette époque de leur vie. […] Aussi voyez comme Balzac est adroit à rappeler, dès les premières lignes de ces récits, la vaste tragédie très authentique qui doit donner une portée d’histoire à l’accident qu’il se prépare à narrer.
Charles Lamb écrivait une tragédie d’archéologue qu’on eût pu croire contemporaine du règne d’Élisabeth. […] On sentit enfin que c’est dans les écrivains du passé qu’il faut chercher le portrait du passé, qu’il n’y a de tragédies grecques que les tragédies grecques, que le roman arrangé doit faire place aux mémoires authentiques, comme la ballade fabriquée aux ballades spontanées ; bref, que la littérature historique doit s’évanouir et se transformer en critique et en histoire, c’est-à-dire en exposition et en commentaire des documents.
Il est tout simple que, s’étant cru capable de faire une tragédie, et de disputer le prix à Racine, il ait dit de son rival, en parodiant un vers de Boileau108 : Si je veux exprimer une muse divine, La raison dit Corneille, et la rime Racine. […] Ne sait-on pas d’ailleurs que les épigrammes de Boileau s’adressent à certaines tragédies de ce poète, dont le succès troubla la vieillesse du grand Corneille, et que n’ont pas rachetées quelques beaux vers d’opéra, auxquels Boileau a rendu justice110? […] Parce qu’Horace a dit de la tragédie : … si vis me flere, dolendum est Primum ipsi tibi…170 , interdirez-vous à Boileau, donnant des règles du même art, dans la langue de son pays, de dire à son tour, où l’endroit le voulait, où l’omission eût été une lacune : Pour me tirer des pleurs il faut que vous pleuriez ?
Combien d’esprits et de talents poétiques, dans le temps de la vogue des tragédies ou des poëmes descriptifs, s’y sont épuisés, qui auraient pu toucher ou plaire dans des genres moindres et plus vrais !
Un jour qu’elle avait écrit à Voltaire une longue lettre à l’occasion de sa tragédie d’Oreste, il paraît qu’elle avait écrit Èlectre avec deux t, et Voltaire, pour toutes raisons, lui aurait répondu : « Madame la duchesse, Èlectre ne s’écrit pas par deux t.
Ainsi, pour la série des Coulisses, l’idée mère, c’est un contraste perpétuel entre ce qui se joue à haute voix devant le public et ce qui se dit de près au même moment entre acteurs, — comme quand Talma, par exemple, en pleine tragédie de Manlius, embrassé avec transport par son ami Servilius, lui disait à l’oreille : « Prenez garde de m’ôter mon rouge. » — Ainsi pour la série des Musiciens comiques ou des Physionomies de chanteurs, c’est le contraste et la disparate entre les paroles du chant ou la nature de l’instrument et la taille ou la mine du musicien, du chanteur ou de la cantatrice (une grosse femme chantant langoureusement : Si fêtais la brise du soir !).
Jay » ; il croyait jusqu’aux promesses des arracheurs de dents, des grands orateurs de l’Opposition et au fameux programme de l’Hôtel-de-Ville : — et voilà que, pour avoir causé un quart d’heure au foyer du Théâtre-Français, et un jour de tragédie encore, avec ce satané Ferdinand qui n’est venu là que pour profaner le lieu et y relancer une maîtresse, il est retourné comme un gant en un clin d’œil.
. — Voltaire a donné deux tragédies depuis la mort de Mme du Châtelet : on le disait mort aussi, parce qu'on le croyait fort attaché à cette dame.
La tragédie a beau être bien dessinée à l’avance, il y a des scènes entières de manquées dans le dernier acte.
Si les rois et les pouvoirs publics s’y prêtaient, il aimerait à voir tenter derechef la comédie et la tragédie, à l’exclusion des farces et moralités qui occupent et usurpent les tréteaux.
Un jeune homme soumettait à La Harpe le manuscrit d’une tragédie de Marie Stuart ; La Harpe lut la pièce et répondit : « Votre pièce est assez bien écrite, mais le sujet n’est nullement propre au théâtre ; s’il l’était, Voltaire ou moi nous nous en serions emparés. » Voltaire ou moi !
Le fils de Claude-Ignace allait également à Paris dans sa jeunesse, y était recommandé à son compatriote Danchet, et faisait même quelque préface à je ne sais quelle tragédie de cet illustre d’un jour.
La république tombe de la tragédie dans l’intrigue, du fanatisme dans la cupidité.
Elle en profita ; elle conserva l’habitude de jouer, après la grande pièce, surtout quand celle-ci était une tragédie, un petit acte drolatique où les acteurs pouvaient prendre leurs ébats.
S’il refuse à la Henriade l’invention et lui accorde la beauté des vers, n’est-ce pas pour préparer le public à une transaction du même genre au profit de ses tragédies ?
Dans la tragédie de Rodogune, il y a de beaux vers qui sonnent, comme un chœur de clairons, cette impétueuse victoire de l’amour triomphant de l’amitié : c’est dans la scène où les deux princes reconnaissent avec effroi qu’ils aiment également leur captive.
Vers l’an 1750, dit Voltaire, la nation rassasiée de vers, de tragédies, de comédies, d’opéras, de romans, d’histoires romanesques, de réflexions morales plus romanesques encore, et de disputes théologiques sur la grâce et sur les convulsions, se mit enfin à raisonner sur les blés.
On joue en société une tragédie de Racine, Iphigénie ; les acteurs et actrices ne sont que princes, filles ou nièces de palatins ; le chevalier de Saint-Pierre fait Achille.
Dans son voyage aux États-Unis, étudiant les sauvages, il leur compare à tout instant les Grecs, ceux d’Homère, passe encore, mais aussi ceux de Sophocle et d’Euripide : « Les tragédies de Sophocle et d’Euripide me peignent presque littéralement, dit-il, les opinions des hommes rouges sur la nécessité, sur la fatalité, sur la misère de la condition humaine, et sur la dureté du Destin aveugle. » Volney, même quand il atteint la ligne juste, exagère toujours en la creusant trop ou en la dépouillant de ce qui l’accompagne.
Michelet ou Flaubert ont puisé en des écritures antérieures des visions aussi intenses que celles qu’auraient pu leur donner le spectacle même des moeurs et des tragédies de jadis.
Sédition, dénouement vulgaire des Tragédies.
Mais c’est surtout dans la tragédie et dans le roman, qu’il faut en attendre d’immédiates réalisations.
La Tragédie et la Comédie personnifiées.
Avez-vous jamais dit que Ciceron écrivoit au parfait ; que la coupe des tragédies de Racine étoit heureuse ?
Cette contrainte et les avantages qui en naissent, sont peut-être la meilleure raison qu’on puisse apporter en faveur de la loi si rigoureusement observée jusqu’ici, qui veut que les tragédies soient en vers ; mais il resterait à examiner si l’observation de cette loi n’a pas produit plus de mauvais vers que de bons, et si elle n’a pas été nuisible à d’excellents esprits, qui, sans avoir le talent de la poésie, possédaient supérieurement celui du théâtre.
Chez les Grecs, la tragédie commença par ramener les faits du cycle épique à la rigueur des faits historiques : bientôt les faits historiques s’élevèrent à la dignité des faits du cycle épique.
Pommier d’avoir complété par la caricature héroïque la tragédie de son sujet, on peut citer Dante, Michel Ange et plus bas Callot, les trois hommes de l’inspiration la plus idéale qui ait peut-être jamais existé.
Mais ceux-là qui n’ont pas un grand respect pour l’Olympe et pour la tragédie furent naturellement portés à s’en réjouir.
Une première tragédie qu’elle fit représenter à Madrid, Alphonse Munio, fut applaudie avec transport.
Ce n’étaient sans doute ni d’autres Maximes, ri d’autres Phèdres, ni même d’autres Alaric que : Herménégilde, tragédie, par Gaspard Olivier (1601) ; les Poétiques Trophés par Jean Figon de Montélimart (1556) ou le Courtisan amoureux (1582), ou le Friant Dessert des femmes mondaines (1643). […] Sa tragédie de Pyrame et Thisbé avait été applaudie. […] Un feu d’artifice peut émouvoir tout comme une tragédie ; la seule hiérarchie est celle de l’intensité. […] Je songe à ces amants romantiques qu’on vit, enveloppés par l’orage, se posséder avec fureur, ou à l’émotion douce de Tibulle, quam juvat immites… Les horribles, stupides et sauvages tragédies dont se délectaient les Grecs et les Français de l’ancien régime, c’étaient des philtres, et rien de plus. […] Il n’est pas une tragédie de Racine qui n’ait été jouée cent fois en cour d’assises par des comparses hideux.
Vous n’avez pas voulu autrefois de cette sombre tragédie symbolique qui était la Femme de Claude. […] Seulement la glace que les Goncourt présentent à nos plaies est taillée en biseau et placée dans un cadre d’argent ciselé où sourit la grâce des Amours de l’autre siècle, de ce siècle qui, avant sa tragédie politique, vieillissait aussi gaiement que le nôtre vieillit tristement, — avant quelle tragédie sociale ? […] Il serait intéressant de suivre à travers les romans contemporains les dégradations successives, grâce auxquelles cette figure de l’homme ordinaire, choisie d’abord à dessein comme plus significative, est devenue parfaitement insignifiante, et, chose étrange, presque aussi abstraite que celles des personnages de la mauvaise tragédie au XVIIe siècle. […] Qu’étaient-ce que les tragédies de Corneille et de Racine, que les comédies de Molière, sinon des morceaux d’analyse dialogués et dramatisés ? […] C’est ainsi que le poème épique et la tragédie, la comédie de mœurs en vers et le drame historique peuvent être aujourd’hui considérés comme des espèces à demi vaincues, tandis que le roman, par exemple, et le poème lyrique sont des espèces triomphantes.
Le Chœur était tout, à l’origine, dans la tragédie ; l’action ne vint que peu à peu, introduisant et mettant en jeu un petit nombre de personnages devant un autel : le Chœur et ses chants, même quand ils ne parurent plus qu’un entracte dans l’action, restaient donc une partie intégrante de la tragédie antique.
Mlle Necker lisait donc des livres au-dessus de son âge, allait à la comédie, en faisait des extraits au retour ; plus enfant, son principal jeu avait été de tailler en papier des figures de rois et de reines, et de leur faire jouer la tragédie : ce furent là ses marionnettes comme Goëthe eut les siennes. […] On jouait souvent à Coppet des tragédies, des drames, ou les pièces chevaleresques de Voltaire, Zaïre, Tancrède si préféré de Mme de Staël, ou des pièces composées exprès par elle ou par ses amis. […] Marigniez, médecin de Montpellier et littérateur à Paris, auteur d’une tragédie de Zoraï dont il est question dans Grimm, homme qui avait plus de mérite réel qu’il n’a laissé de réputation. — J’ai depuis reconnu que ces articles étaient de M.
Quelle que fût la langue où il écrivît, anglaise, italienne ou latine, quel que fût le genre qu’il touchât, sonnets, hymnes, stances, tragédies ou épopées, il y revenait toujours. […] Il n’invente plus un genre personnel, il imite la tragédie ou l’épopée antique. Il rencontre dans Samson une tragédie froide et haute, dans le Paradis regagné une épopée froide et noble, et compose un poëme imparfait et sublime, le Paradis perdu.
Manque-t-elle de dignité dans les tragédies de Corneille et de Racine, ou de jeux et de badinage dans les comédies de Moliere ? […] Souffriroit-on au théâtre, que dans les entr’actes d’une tragédie, on vînt nous dire tout ce qui doit arriver dans l’acte suivant ? […] C’est néanmoins ce qu’Homere fait souvent dans son poëme, où cela n’est ni moins importun, ni moins à contre-tems que dans la tragédie.
Car on jouait la tragédie à Coppet, comme jadis à Ferney. […] Il est bien difficile de se mettre aujourd’hui dans l’état d’esprit où il était quand il écrivait une tragédie dans sa petite chambre, entre deux procès, car, avocat et Normand, il aimait à plaider. […] Lebrun avait, en ses beaux jours, vers 1820, tiré convenablement de la Marie Stuart de Schiller une tragédie exacte. […] Il y avait soixante ans qu’il avait fait sa tragédie, et il ne se la rappelait plus guère ; mais il se rappelait bien moins encore le drame de Schiller. […] ces gens-là m’ont volé ma tragédie !
savoir le grec, ce n’est pas comme on pourrait se l’imaginer, comprendre le sens des auteurs, de certains auteurs, en gros, vaille que vaille (ce qui est déjà beaucoup), et les traduire à peu près ; savoir le grec, c’est la chose du monde la plus rare, la plus difficile, — j’en puis parler pour l’avoir tenté maintes fois et y avoir toujours échoué ; — c’est comprendre non pas seulement les mots, mais toutes les formes de la langue la plus complète, la plus savante, la plus nuancée, en distinguer les dialectes, les âges, en sentir le ton et l’accent, — cette accentuation variable et mobile, sans l’entente de laquelle on reste plus ou moins barbare ; — c’est avoir la tête assez ferme pour saisir chez des auteurs tels qu’un Thucydide le jeu de groupes entiers d’expressions qui n’en font qu’une seule dans la phrase et qui se comportent et se gouvernent comme un seul mot ; c’est, tout en embrassant l’ensemble du discours, jouir à chaque instant de ces contrastes continuels et de ces ingénieuses symétries qui en opposent et en balancent les membres ; c’est ne pas rester indifférent non plus à l’intention, à la signification légère de cette quantité de particules intraduisibles, mais non pas insaisissables, qui parsèment le dialogue et qui lui donnent avec un air de laisser aller toute sa finesse, son ironie et sa grâce ; c’est chez les lyriques, dans les chœurs des tragédies ou dans les odes de Pindare, deviner et suivre le fil délié d’une pensée sous des métaphores continues les plus imprévues et les plus diverses, sous des figures à dépayser les imaginations les plus hardies ; c’est, entre toutes les délicatesses des rhythmes, démêler ceux qui, au premier coup d’œil, semblent les mêmes, et qui pourtant diffèrent ; c’est reconnaître, par exemple, à la simple oreille, dans l’hexamètre pastoral de Théocrite autre chose, une autre allure, une autre légèreté que dans l’hexamètre plus grave des poètes épiques… Que vous dirais-je encore ?
Tu n’as plus ton chasseur, ton fidèle serviteur… Et le dialogue continue sur ce ton ; Thésée s’y mêle, et la déesse réconcilie le père désolé avec son fils : « Je ne connais point, dit M e Schlegel, de scène plus touchante dans aucune tragédie ancienne ou moderne. » Au moment où elle profère les nobles et clémentes paroles, Diane, qui s’aperçoit qu’Hippolyte va trépasser, termine ainsi : « … Et toi, Hippolyte, je t’exhorte à ne point détester ton père ; c’est ta destinée qui t’a fait périr.
L’amour du marquis pour dona Diana, l’assassinat de cette beauté et surtout le mariage au lit de mort, sont d’un intérêt qui, dans l’ordre romanesque, répond assez à celui de Bérénice en tragédie.
Pradon, qui sont deux tragédies très-achevées ; Bossuet côte à côte avec le Comte de Gabalis, l’Iphigénie et sa préface qu’il aime presque autant que la pièce, à côté de Circé, opéra à machines.
Si nous assistions en foule aux premières représentations d’une tragédie digne de Racine ; si nous lisions Rousseau, si nous écoutions Cicéron se faisant entendre pour la première fois au milieu de nous, l’intérêt de la surprise et de la curiosité fixerait l’attention sur des vérités délaissées ; et le talent commandant en maître à tous les esprits, rendrait à la morale un peu de ce qu’il a reçu d’elle ; il rétablirait le culte auquel il doit son inspiration.
Rois ou paysans ne diffèrent qu’en « leurs chausses242 » : les passions, les ressorts sont les mêmes ; mais les effets ici sont plus menus, là plus illustres ; et voilà, remarquez-le, le principe d’une théorie toute classique de la tragédie.
Et voici les pensées qu’on y trouve : — Les poètes primitifs aimaient la nature, et elle leur parlait J’ai fait de la critique quand j’étais enfant, mais j’ai reconnu l’absurdité de cette occupation La tragédie classique sent le renfermé.
Il y a, je le sais, un rire philosophique, qui ne saurait être banni sans porter atteinte à la nature humaine ; c’est le rire des Grecs, qui aimaient à pleurer et à rire sur le même sujet, à voir la comédie après la tragédie, et souvent la parodie de la pièce même à laquelle ils venaient d’assister.
Ce sont des Philosophes qui ont mis Seneque au dessus de Cicéron, Lucain au dessus de Virgile, Despréaux au dessous de Quinault, les Tragédies de Corneille & de Racine au dessous de celles de Voltaire, Lamothe à côté de J.
Les sages, les philosophes, les voluptueux même se hâtent de quitter, avant la fin, le spectacle de la tragédie orgiaque que les Césars donnent au monde.
Ce dénouement topographique qui sort, non pas de l’action, mais d’une loi locale du pays où la scène se passe, conclut la pièce bien froidement : la tragédie domestique se termine en escamotage.
Elle poussa l’amour de l’art jusqu’à imprimer de ses mains, à Versailles, une tragédie de Corneille, Rodogune (1760) : la pièce n’a été tirée qu’à une vingtaine d’exemplaires.
Mais en art et en littérature, les opinions consacrées sont sacrées et peut-être, au xixe siècle, est-il moins dangereux de marcher sur un crucifix que sur les beautés de la tragédie !
Du dessin de Delacroix, si absurdement, si niaisement critiqué, que faut-il dire, si ce n’est qu’il est des vérités élémentaires complètement méconnues ; qu’un bon dessin n’est pas une ligne dure, cruelle, despotique, immobile, enfermant une figure comme une camisole de force ; que le dessin doit être comme la nature, vivant et agité ; que la simplification dans le dessin est une monstruosité, comme la tragédie dans le monde dramatique ; que la nature nous présente une série infinie de lignes courbes, fuyantes, brisées, suivant une loi de génération impeccable, où le parallélisme est toujours indécis et sinueux, où les concavités et les convexités se correspondent et se poursuivent ; que M.
Hugo savait qu’il aurait pour lecteurs et il voulait émouvoir, par un portrait ressemblant, des hommes et des femmes de l’immense famille laborieuse, qui aiment sans doute, qui en souffrent, qui en meurent quelquefois, qui ont leur idylle ou leur tragédie, mais toujours rapide et à peu près muette, enserrée dans une vie de rude labeur, de soif et de faim, de poursuite et d’attente du pain quotidien.
Il aurait pu dire de Delphes comme le jeune Ion, dans la tragédie d’Euripide, dont s’est inspiré l’auteur d’Athalie : « J’adore le temple qui m’a nourri : Τὸν θρέψαντα ναὸν προσκύνω. » C’est une tradition, en effet, que Pindare, né dans soixantième olympiade, et homme fait, au temps de l’invasion de Xerxès dans la Grèce, recevait il Delphes, dont les oracles furent si patriotiques, pendant cette guerre, une part accordée par les prêtres sur les victimes immolées dans le temple ; et, du temps de Pausanias, aux jours de la conquête romaine, on montrait encore, dans ce temple, près de la statue du dieu, la chaire de fer, où le poëte s’était assis pour chanter ses hymnes9.
Acteur mystérieux, innombrable et taciturne, qui, parfois, emplit la tragédie du chœur lamentable de ses maux, du murmure éternel de sa houle humaine. […] Je ne veux pas, ce qui serait trop facile, plaisanter la mise en vers que fit jadis du drame de Shakespeare le bon Ducis, d’autant mieux que je ne suis pas sûr que ce triste camaïeu n’ait pas été tout ce qu’on pouvait faire accepter de couleur shakespearienne aux spectateurs ordinaires des tragédies de M. […] C’est ainsi que cette admirable tragédie romantique présente un premier chef-d’œuvre théâtral ; pour cela, il suffît de réduire le personnage d’Hamlet à ses rapports directs avec l’événement, de ne voir en lui qu’un jeune prince hésitant, faible et à qui incombe tout à coup le devoir inattendu d’intervenir dans une sombre histoire de palais ; mais pris ainsi, ne serait-ce pas, pour ainsi dire, un Hamlet sans Hamlet ? […] A ce compte le véritable Décadent serait le faiseur de tragédies de 1810 ou le fabricateur de poèmes didactiques de la même époque. […] Saluons par conséquent un Décadent aussi dans Chateaubriand, auteur de la triste tragédie de Moïse où il se montre le rival lamentable des La Harpe et des Marmontel et l’élève de Voltaire ou de Crébillon.
Ce qui dans la tragédie est grand, dans la fantaisie devient énorme. […] Pourquoi la tragédie intervenant toujours dans ce décor de vaudeville et même d’opérette ? […] Donc, tragédie, vaudeville et opérette tout à la fois, voilà ce qu’est chacune de ces fantaisies. […] Ses remords se calmeront, et il oubliera comme un mauvais rêve cette tragédie fatale, consolé par l’affection et la tendresse maternelle. […] comme dit la tragédie.
Revenez sur votre pièce ; laissez-la comme elle est ; et soyez sûr, quoi que vous fassiez, que cette tragédie passera toujours pour originale, et dans son sujet, et dans la manière dont il est traité. […] Est-ce qu’une tragédie ne commencerait pas bien par deux sénateurs qui reprocheraient à un peuple avili les applaudissements qu’il vient de prodiguer à son tyran ? […] J’ai actuellement sur le métier une tragédie d’un genre aussi très-neuf, qui, par le sujet et les allusions, intéressera particulièrement votre nation, et que la hardiesse des pensées et de l’intrigue rend trop forte pour la mienne48. […] Tancrède, tragédie représentée pour la première fois le 30 septembre 1760. […] « Je travaille actuellement, ajoute-t-il, à une tragédie qui, je l’espère, sera plus heureuse.
Nous sommes ici en face d’une trilogie Eschylienne, d’une tragédie épique dont les principaux personnages sont plus grands que nature et se meuvent dans un monde titanique. […] D’autres raisons, d’une nature étrangère à l’art, peuvent, il est vrai, s’opposer légitimement à la reprise de cette tragédie légendaire dans laquelle le sublime poète de l’Orestie eût reconnu un génie de sa famille.
Cette nuit, cette heureuse nuit, est à vous et à moi569. » À côté de cette tragédie sensuelle, l’intrigue comique, poussée jusqu’aux familiarités les plus lestes, étale l’amour d’un cavalier pour une femme mariée qui à la fin se trouve être sa sœur. […] Au retour, elle continue par des lettres qu’on écrit le soir, par des madrigaux ou des épigrammes qu’on lira le matin, par des tragédies de salon ou des parodies de société. […] Chez Molière, la vérité est au fond, mais elle est cachée ; il a entendu les sanglots de la tragédie humaine, mais il aime mieux ne pas leur faire écho. […] Il y a toujours chez lui une comédie complète amalgamée grossièrement avec une tragédie complète.
Il est évident que l’impérieuse métrique, créée par Ronsard et Malherbe, puis soumise à l’épreuve sévère de l’application Cornélienne, que Racine se vit contraint d’employer pour ses tragédies, a contribué à cette apparence d’excessive régularité ; mais il ne faut point oublier que l’auteur des Plaideurs, avait déjà élaboré les plus merveilleux instruments de rythme et de rimes, et que les plus lucides, les plus habiles des modernes artisans du vers, tel Banville, les avaient employés en les empruntant surtout au maître, en lui en rendant révérencieusement hommage. — Mais tout ceci ne fait que raffermir mon affirmation, à savoir que Shakespeare, en dépit de sa prolixité jamais lassante, ou même de ses quelques rares et si surprenantes platitudes : — (l’on pourrait croire qu’elles y furent mises exprès) — est en toutes circonstances : amusant dans le sens que Baudelaire employait pour l’Iliade et des histoires d’E. […] De plus la tragédie Racinienne, pour citer le mot de Napoléon Ier, au sujet de tout l’art tragique français, est une « crise ». […] Quelles comédies, quelles tragédies pour faire suite à la véritable grandeur de nos tragédies, à nos comédies, à nos comédies formidables !
Après avoir dit dans son exorde qu’on ne peut « faire de la littérature une chose abstraite et l’isoler au milieu des affaires humaines » ni « interdire à l’écrivain toute considération morale élevée… ou lui défendre d’examiner le côté sérieux des objets », il arrive à son sujet, et conclut qu’il lui est impossible de toucher aux ouvrages de Chénier sans irriter les passions : Si je parlais de la tragédie de Charles IX, pourrais-je m’empêcher de venger la mémoire du cardinal de Lorraine et de discuter cette étrange leçon donnée aux rois ? […] Et, sans doute, ces confessions et ces mémoires n’ont pas, si vous le voulez, la beauté d’une tragédie de Racine ou d’un sermon de Bossuet ; ils constituent de monstrueux exemplaires de la littérature subjective ; mais la description de soi-même, chez les malades et les excessifs qui ont du génie, est d’un intérêt qui emporte tout.
Et il a dit dans une de ses Dissertations, la quatrième « en forme de remarques sur la tragédie de M. […] Et la tragédie des Perses, la voici. […] Aucune tragédie de Sophocle, aucun poème de Pindare n’est arrivé jusqu’à nous tel que l’a composé Pindare ou Sophocle. […] Une tragédie de Corneille ou de Racine, une comédie de Molière, se passent de toutes anecdotes explicatives et garderaient leur clarté, leur signification, leur valeur, si même nous n’avions aucun renseignement sur la personne do Corneille, ou de Racine, ou de Molière. […] Ils le disaient de la comédie et de la tragédie : et disons-le du roman.
Ils redeviennent des hommes, le héros de la tragédie ne leur est plus rien, et l’on ne juge plus la pièce que sous le rapport de l’art.
Elle s’est, de plus, montrée ingénieuse à composer avec les reliquats des sommes, et moyennant autorisation du Gouvernement, des prix particuliers tout littéraires, soit pour d’utiles et bonnes traductions, soit pour la meilleure tragédie, soit (ce qui vaut mieux) pour les œuvres dramatiques en général.
Ils colportent de salon en salon leurs tragédies, comédies, romans, églogues, dissertations et considérations de toute espèce.
Mais Goethe a exagéré la note ; Chateaubriand y mêle trop de lamentations mélancoliques ; Bernardin de Saint-Pierre, quoique parfait et modeste, a été obligé d’aller chercher la source des larmes dans les îles de l’océan Indien, et d’emprunter leur émotion aux plus grandes tragédies de la nature : les tonnerres, les tempêtes, les naufrages, agents de ce drame qui n’avait eu jusqu’à lui aucun modèle dans l’antiquité.
Le poëte Alfieri fit mentir la tragédie, comme Sixte avait fait mentir l’excommunication contre Laurent, coupable d’avoir échappé au poignard !
Je me souviens d’un passage de lui, moitié plaisant, moitié sérieux, dans une de ses lettres à Condorcet, à propos du drame en prose qu’il avait en mépris, et dont Diderot le menaçait : « Quant aux barbares qui veulent des tragédies en prose, dit-il à Condorcet, ils en méritent : qu’on leur en donne, à ces pauvres Welches, comme on donne des chardons aux ânes !
C’est là un fait si général et si frappant que toute une bonne part de nos comédies et de nos romans, et surtout de nos tragédies, repose sur lui.
Or, le but avoué de Wagner a été de donner à son pays un art national, qui soit pour l’Allemagne ce que la tragédie a été pour la Grèce ; jugeant qu’un tel but ne pouvait être atteint avec les médiocres ressources que les théâtres existants lui offraient, il a construit le théâtre-modèle de Bayreuth, et toute la hauteur et la vraie nature de son ambition se révèle dans les paroles qui lui échappèrent dans l’ivresse du triomphe qui suivit à la fin de la première représentation de la tétralogie : jetzt, meine Herren, haet Ihr eine Kunst : — À présent, messieurs, vous avez un art !
La tragédie entière tourne autour de la Volonté de Wotan, et Wotan, dans la scène culminante de l’évocation d’Erda, renonce à vouloir ; etc… Notons aussi, dans Jésus de Nazareth, cette phrase, « la négation de l’univers » (IV, 404) ; elle est de 1848-50.
Voltaire a enterré le poème épique, le conte, le petit vers, la tragédie.
Ainsi, le dieu de la bonne chère aura l’honneur d’avoir présidé à l’invention de la comédie, afin d’être en règle avec Bacchus, son compagnon, qui présidait au chant du bouc, c’est-à-dire à l’invention de la tragédie. « Il ressemblait, ce dieu Cornus, à Mercure et à Vénus ; on l’eût pris pour un beau jeune homme sous les habits d’une jeune femme.
La formule du drame romantique est aujourd’hui presque aussi vieille que sa grande ennemie la formule de la tragédie classique.
Fléchier compose son journal avec autant de soin qu’un sermon ou une tragédie. […] Il y a dans l’histoire des aventures bouffonnes, des événements de cuisine, des scènes d’abattoir et de cabanon, des comédies, des farces, des odes, des drames, des tragédies. […] Tous sympathisez avec lui ou vous le sifflez, peu importe ; la mort vient, qui le tire par les pieds hors de la scène, faisant la place nette pour d’autres tragédies et d’autres comédiens. — Devenez historien politique, à l’instant tout est changé. […] On l’aperçoit aux deux grands siècles dans le développement de la raison oratoire et de l’art d’écrire, dans la nullité de l’ode, dans la tranquillité de la tragédie, dans l’excellence classique de l’exposition, de la dissertation et du récit, dans la vivacité piquante du style moqueur. […] Vous apercevez ces facultés dans l’habileté involontaire des premiers conteurs, comme dans l’art calculé des derniers maîtres, dans les soties comme dans la comédie, dans les moralités comme dans la tragédie, dans les vers de Rutebeuf comme dans la prose de Voltaire, dans l’épopée de Turold comme dans l’analyse de Condillac.
Il y a un drame dans René, non une éthique, non pas même une tragédie classique, plus d’une pièce de Racine étant, en son fond, une sorte de traité des passions. […] C’est qu’elle a cru qu’il y avait deux choses, et si étrangères l’une à l’autre que ce serait un sacrilège de les unir : l’art d’une part, qui descend d’Homère, et qui a sa conception de l’homme, sa manière de voir le monde, sa religion, et que nous devons accepter, entretenir et transmettre avec sa religion, sa philosophie et sa morale ; — le vrai, d’autre part, qui vient de Dieu, que nous devons mettre dans notre vie et dans nos actes, serrer et chérir dans nos cœurs, mais qui n’est pas matière d’art, et que nous déshonorerions en en faisant une tragédie ou une épopée. […] Corneille dans sa tragédie sacrée ne nous a pas montré le ciel ouvert17, comme aurait pu faire un naïf poète du moyen âge : Pauline et le public le voient dans les yeux de Polyeucte. […] — Parce que c’est beau d’abord, et que le génie a ses droits partout ; ensuite parce qu’un homme, aux talents près, ressemble à un autre, et que c’est à la tragédie de notre propre nature que nous nous intéressons dans le monologue tragique de Chateaubriand. […] Couronné deux fois par cette société littéraire, nommé par elle maître ès jeux floraux en 1820, distingué par l’Académie française en 1817, à l’âge de quinze ans, pour une pièce sur les « Avantages de l’étude », s’essayant à une tragédie (Irtamène, dont on trouve quelques fragments dans Littérature et philosophie mêlées), il comprit que sa vocation était toute littéraire, abandonna les mathématiques, et lança en 1822 les Odes.
Il l’a conçu symbole de la tragédie intime que lui-même jouait. […] Et nulle souffrance du voyage, nul orgueil du retour, quelques secrets nouveaux dans la main, ne valaient ceux-là dont la tragédie tout entière se jouait dans ce cercle de solitaire clarté. […] Et Pyrame dans la tragédie de Théophile s’écrie : Voyez comme ce marbre est fendu de pitié, Et qu’à notre douleur le sein de ces murailles Pour receler nos feux s’entr’ouvre les entrailles. […] Leconte de Lisle croira enrichir la poésie en allant chercher des sujets dans les traductions de poèmes hindous ou finnois, comme Voltaire pensait renouveler la tragédie en demandant des personnages à la Chine et à l’Amérique. […] La tragédie, dans ses témoins essentiels, ne se préoccupe pas du décor extérieur.
Vie factice de la Comédie ; mort factice de la Tragédie. […] La seule mort logique, chez Racine, serait la fin de la passion qui fait le seul sujet de sa tragédie : Phèdre devrait mourir de ne plus aimer Hippolyte. […] De là ce dénoûment toujours comme ajouté, cette oiseuse catastrophe du suicide qui avait un grand sens dans la tragédie grecque, dont les héros sont en proie à l’inexorable Fatalité, et qui n’en a plus guère depuis que ces mêmes héros ont pris des sentiments chrétiens. — Cette conception de la tragédie classique, qui n’est, ainsi qu’on l’a très justement dit, qu’un instant de crise, explique et légitime la soumission de Corneille et de Racine aux lois aristotéliques de la triple unité. […] Les Tragédies, les Comédies, les Maximes, les Fables et même les Sermons ont conduit aux Contes. […] « Nous trouvons, dans cette tragédie, la quintessence du talent le plus surprenant, né pour se dévorer lui-même.
Et la lugubre tragédie de la vie brisée commence. […] Il disait d’Alfred : « La muse de la comédie l’a baisé sur les lèvres et la muse de la tragédie sur le cœur. » Quand on aime un homme à ce point, ce n’est pas, en général, qu’on le trouve très différent de soi. […] C’est ce que nous aimons le plus, nous autres Français : c’est profond et ingénieux ; c’est une tragédie de Racine. […] Tolstoï me semble précisément prendre le contrepied de la méthode universelle des définitions, et si Aristote avait suivi la méthode tolstoïenne, il aurait dit sans doute, pour définir la Tragédie : « La Tragédie est l’imitation plaisante, par le récit et non par l’action, d’une histoire bouffonne, de nature à inspirer le mépris des Dieux, sans mélange de chant ni de musique. Toutes les tragédies grecques sont en dehors de cette définition, mais elles ont tort, et c’est justement ce qui prouve qu’elles sont mauvaises. » M.
Lorsque les tragédies de Crébillon parurent, elles ne furent pas autrement jugées ; quelques-unes obtinrent un grand succès, mais ce ne fut que longtemps après qu’on essaya de porter leur auteur au premier rang, pour l’opposer à un écrivain qui s’y était placé. […] On doit remarquer cependant que Voltaire, étant devenu plus qu’un poète, voulût donner à ses tragédies un but plus élevé que de plaire et d’émouvoir. […] Ainsi la tragédie, bien que plusieurs talents du second ordre s’y exerçassent avec honneur, n’avait pas une couleur bien déterminée. […] Quand on fait des tragédies ou des comédies avec le souvenir de celles qui sont faites, en calculant des caractères, des situations et des effets ; quand on regarde le drame comme un ouvrage d’art, dont la perfection dépend d’une pratique plus ou moins industrieuse, il ne faut pas espérer de longs succès. […] Dans la tragédie, deux écrivains eurent des succès qui leur survivent encore.
Il est à remarquer en effet combien furent libres d’humeur et indépendants tous ceux qui sortirent de cette école : et Chapelle le franc parleur, l’épicurien pratique et relâché ; et ce poëte Hesnault qui attaquait Colbert puissant, et traduisait à plaisir ce qu’il y a de plus hardi dans les chœurs des tragédies de Sénèque ; et Bernier qui courait le monde et revenait sachant combien sous les costumes divers l’homme est partout le même, répondant à Louis XIV, qui l’interrogeait sur le pays où la vie lui semblerait meilleure, que c’était la Suisse, et déduisant sur tout point ses conclusions philosophiques, en petit comité, entre mademoiselle de Lenclos et madame de La Sablière. […] Chez tous ces grands hommes évidemment, chez Molière plus évidemment encore, le génie dramatique n’est pas une extension, un épanouissement au dehors d’une faculté lyrique et personnelle qui, partant de ses propres sentiments intérieurs, travaillerait à les transporter et à les faire revivre le plus possible sous d’autres masques (Byron, dans ses tragédies), pas plus que ce n’est l’application pure et simple d’une faculté d’observation critique, analytique, qui relèverait avec soin dans des personnages de sa composition les traits épars qu’elle aurait rassemblés (Gresset dans le Méchant).
À propos de la rentrée de Chelles, en courant, au troisième acte, il dit : « Ils ne sont pas observateurs pour un sou, on court au chemin de fer, mais quand on l’a manqué, on revient tout lentement. » Et encore à propos des portes, qu’ils ne ferment jamais : « Ils sont toujours des élèves de la tragédie, des gens qui ont grandi dans des maisons, où les portes se ferment par procuration. […] L’acte du bal, joué avec la froide solennité d’un divertissement de tragédie.
C’est en 1829, c’est grâce à Shakspeare, scrupuleusement imité par le poète français, que notre tragédie a dit enfin le grand mot, à l’épouvante et évanouissement des faibles qui jetèrent ce jour-là des cris longs et douloureux, mais à la satisfaction du public qui, en grande majorité, a coutume de nommer un mouchoir, mouchoir … Toutes ces allusions, ces hardiesses, ces colères et ces épigrammes ne portent plus la date et la couleur de nos idées ; elles n’intéressent que l’histoire littéraire d’une autre époque, et ce sont là, il faut bien le dire, autant de traces d’une passion qui survit à son temps. […] La tragédie d’Eschyle et de Sophocle ne fait que consacrer cette révolution humaine. — Tout ce tableau vif et pressé se termine par une sorte d’hymne à la Grèce, mère de la liberté, qui a donné en indépendance, en force, en lumière à la conscience de l’homme tout ce qu’elle a retiré aux dieux de l’antique Orient et à la Nature. […] L’idée lui vint de s’essayer dans la tragédie, en causant avec Talma. […] Dans l’intervalle de ces deux tentatives extrêmes vers la comédie et vers la tragédie, Béranger avait fait des odes et des dithyrambes. […] « Si mes précédentes tentatives eussent obtenu quelques suffrages publics, il est vraisemblable que j’aurais, comme tant d’autres jeunes gens qui s’élancent vers un but trop élevé pour leurs forces, dédaigné le genre inférieur qui m’a valu d’être honoré du suffrage de mes contemporains, et, à mes yeux, l’utilité de l’art est ce qui le sanctifie. » On sait, à la manière dont il parle de ces projets et de ces plans avortés, qu’à tant d’années de distance, après tant d’ovations, il éprouve encore une certaine tristesse, il lui revient comme un regret de la gloire qu’il aurait pu acquérir dans l’ode ou dans la tragédie, et qu’il a sacrifiée.
Soumarokof fournit la Cour de tragédies ; ses contemporains l’avaient surnommé le Racine russe ; ils auraient dit plus exactement : le Campistron. […] De leur communication intime avec les écrivains français du dix-huitième siècle, les disciples russes ont retenu surtout les petits vers, la tragédie, la défroque mythologique et les grâces flétries. […] Pouchkine les jette dédaigneusement aux salons ; il n’a pas besoin de ce luxe pour se faire bienvenir d’eux ; il porte un nom historique, qui a sonné fièrement durant tout le moyen âge, au travers des guerres polonaises et des tragédies du Kremlin. […] Il rompit avant l’heure, abîmé dans une tragédie mystérieuse. […] La jeune imagination s’emplit de ces histoires, tragédies militaires et féeries paysannes ; elles nous ont été transmises presque intactes, — Gogol l’a souvent répété, — dans les Veillées du hameau et surtout dans le poème de Tarass Boulba.
Nos jeunes officiers savent peut-être moins bien que leurs pères les tirades des tragédies françaises, mais il n’en est aucun qui ne sache par cœur les cavatines de Rossini. […] Cette idée fait le fond de toute la littérature antique, et elle apparaît avec toute sa majesté terrible dans la tragédie d’Œdipe-Roi. […] Il est généralement reconnu qu’Hamlet est la plus philosophique des tragédies de Shakespeare, la plus abstraite, si l’on peut se servir de ce mot. […] Supposez que son amour contrarié n’existe point, qu’il n’ait jamais connu Charlotte, et la tragédie sera la même. […] À quoi a-t-il tenu en effet qu’on n’ait vu se reproduire chez lui cette tragédie lamentable qui a si souvent attristé et terni la vie des hommes supérieurs ?
Les tragédies des existences privées se confondent pour nous dans l’immense tragédie collective. […] Cette tragédie de la vendetta corse pouvait être traitée en roman. […] Il y a dans le Cousin Pons une première tragédie qu’exprime le titre général : les Parents pauvres. […] Une douloureuse tragédie d’amour en est le nœud : la passion d’Inès de Llar, une jeune fille d’une des petites cités de cette marche de l’Espagne, Villefranche, pour un Français lieutenant du roi au pays récemment conquis, M. de Parlan. […] Il la creuse et il aperçoit par-delà une tragédie plus vaste, la rencontre et le conflit de deux races, de deux royaumes.
Je voulais essayer mon talent, encore douteux pour moi-même, dans une grande œuvre en prose ; l’histoire me paraissait et me paraît encore la première des tragédies, le plus difficile des drames, le chef-d’œuvre de l’intelligence humaine, la poésie du vrai.
Il aimait la tragédie.
A côté de lui, et par son impulsion, Baïf et Jodelle s’essayaient dans la tragédie et dans la comédie.
Nous croyons sincèrement que, pour rencontrer dans une tragédie une telle hauteur de pensée, une telle simplicité de moyens, une telle intensité d’épouvante, il faudrait remonter aux plus nobles chefs-d’œuvre des grands tragiques grecs.
Sous le coup d’un irrésistible amour, dans l’embrasement de ses désirs, le poète sentit surgir l’étonnante tragédie du profond de son âme.
Dans les villes d’Allemagne, un seul et unique théâtre est forcé de cultiver tous les genres, opéra, tragédie, comédie, opérette, etc. ; la quantité remplace la qualité.
Mais, comme j’ai fait imprimer ma tragédie avec les deux dénouements, les directeurs des théâtres seront les maîtres de choisir celui qu’il leur conviendra d’adopter. » Ainsi, les directeurs endurcis laissaient impitoyablement le More poignarder l’innocente Hédelmone : Eh bien, meurs !
Avec les chiffres d’une faillite, avec les incidents d’une liquidation, il compose des tragédies domestiques.
Il nous est venu la curiosité de savoir si cette forme conventionnelle d’une littérature oubliée et d’une société disparue, la Tragédie, était définitivement morte ; si dans un pays sans caste et sans aristocratie légale, les misères des petits et des pauvres parleraient à l’intérêt, à l’émotion, à la pitié, aussi haut que les misères des grands et des riches ; si, en un mot, les larmes qu’on pleure en bas, pourraient faire pleurer comme celles qu’on pleure en haut.
» Mais, de même que l’on peut faire une mauvaise tragédie « dans les règles », ainsi peut-on se tromper en raisonnant parfaitement juste.
C’est le comble de l’insolence de faire une tragédie après ce grand homme.
On est emporté par cette tragédie tête-à-tête dans laquelle l’adultère, s’il n’est pas jugé autrement, est au moins jugé par ses fruits.
— Certainement, ajouta madame D… — Eh bien, mes amis, soyez heureux… Vos vœux sont exaucés ; il n’y aura plus d’autres romains dans mon théâtre que ceux qui fonctionnent dans les tragédies que mon privilége m’autorise malheureusement à jouer. — La claque est supprimée. — C’est autant d’économisé. […] Il faut dire aussi qu’il n’y avait qu’une demi-chambrée, quelques amis, comme à l’Odéon les jours de tragédie classique. […] — Le public, encouragé quelquefois par la critique, a tenté de se soustraire à cette domination évidente : il se brouillait avec son actrice ; — mais elle demeurait toujours la favorite et, à chacun de leurs raccommodements, l’art gagnait une de ces belles fêtes comme on en voyait souvent à ces heureuses époques, où les sereines distractions de l’intelligence étaient plutôt un besoin véritable qu’une affaire de mode. — Si on recherche quelle a été l’influence de mademoiselle Rachel sur le mouvement dramatique de son époque, il y aura peu de chose à dire qui puisse ajouter à sa gloire. — Elle a restauré passagèrement la tragédie française : rien de plus. […] Mais ce n’est point là ce qui peut compter pour des services rendus à l’art de son temps. — Sauf de rares exceptions, mademoiselle Rachel avait la coquetterie de l’isolement et du tour de force : — elle protégeait particulièrement de sa présence et de son autorité des pièces— qui n’auraient pu exister sans elle, et il y eut dans quelques-unes de ces créations plus de charité que de dévouement. — Hostile à l’art dramatique, on ne peut point affirmer qu’elle le fut, mais du moins peut-on dire qu’elle se montra quelquefois paresseusement indifférente à l’aider. — Ce qui est certain, c’est que la tragédie est morte de nouveau avec elle.
Dalila, et la ruine de Jérusalem, et les barbaries d’Alboin et de Rosemonde n’inspirent à Madeleine Lépine que des vers médiocres, vides de pensées, d’images et de sentiments, quelque chose comme des résumés mnémotechniques de tragédies. […] Hanotaux, singe politique de Richelieu, couche quai d’Orsay, il y aurait injustice à ne pas offrir un fauteuil sous la coupole à l’abbé Vigneron, successeur du Richelieu littéraire, fabrique de romans, comme le cardinal fut une fabrique de tragédies. […] Dans ses tragédies, pornographiques ou non, il se manifeste comme le Marivaux du drame et le Mignard du feuilleton. […] Sans doute, comme tous les vulgarisateurs, elle rend vulgaires les choses qu’elle touche, elle traduit les âmes extraordinaires en langue bourgeoise, plus railleuse que sympathique, et ses ricaneuses analyses transforment trop souvent les tragédies en vaudevilles.
Nous avons beau nous faire illusion, nos Tragédies ne nous touchent que fort peu ; encore a-t-il fallu pour cela tout l’art des Corneille, des Racine, des Voltaire. Ne mettez que des Monarqs rayonnant dans une Tragédie et je défierai Apollon et Melpomène réunis d’en faire une pièce intéressante. […] Bouilhet, et le tableau aura pour titre : la Tragédie humaine ou le Dernier Combat de coqs. […] Cette phrase n’est donc pas de notre Balzac, c’est du Balzac jeune qui faisait la tragédie classique dont Cromwell était le héros. […] À la Comédie-Française on mettra bien une comédie à la hauteur des tragédies, mais en peinture, la gaieté est répudiée par les idéalistes qui diront toujours du mal des faiseurs de magots.
Renan, au contraire, désespère de sa vitalité ; il s’appuie sur ce que la poésie grecque est morte, l’épopée morte, la tragédie morte : la science, en inventant la poudre, les canons et les fusils à aiguille, nous a enlevé les Homère et les Virgile de l’avenir. — Peut-être, mais d’autres génies sont nés et peuvent naître, qui n’ont guère de commune mesure avec ceux du passé. […] La tragédie grecque avec ses chœurs, avec ses mouvements lyriques mêlés à la trame dramatique a également disparu ; mais ce qui a péri, c’est surtout ce qu’il y avait en elle de conventionnel. La tragédie du dix-septième siècle elle-même est déjà d’un autre âge ; les « tirades » des drames romantiques sont à leur tour usées ; mais du continuel dépérissement des formes particulières de la poésie l’historien n’a pas le droit de conclure, avec M. […] De ce qu’une œuvre donnée est belle, par exemple une tragédie de Racine, on ne peut jamais conclure qu’une autre œuvre, construite d’après une méthode analogue, sera belle, par exemple une tragédie de Voltaire : la première œuvre, précisément parce qu’elle a réalisé certaines beautés, a permis d’en entrevoir d’autres par-delà ; elle a changé les conditions mêmes de la beauté.
Ceux du poëte qui nous occupe n’étaient et ne pouvaient être encore qu’un tâtonnement : quelques vers gracieux, mélancoliques, très-roses ou très-sombres, une ébauche de tragédie des Maures de Grenade, mais déjà des idées d’art inquiètes, lointaines et hors du commun.
Du jour où on ne répond au jeu du sort que par une moquerie de cette devise héroïque de la jeunesse : J’ai fait la guerre aux Rois, je l’aurais faite aux Dieux ; de ce jour-là, plus de tragédie ni d’acte sérieux ; on est entré dans l’ironie profonde.
. — RAYNOUARD, ou la Tragédie nationale aboutissant à l’érudition, — les Templiers et les Troubadours.
Mais quand il n’est pas soutenu par ce jet immédiat, dès qu’il compose, il faiblit ; le style fait défaut ; dans l’épopée et dans la tragédie, il s’est contenté de ce qui suffisait à son temps, c’est-à-dire à la moins poétique des époques.
Les Rois en exil, c’est presque toute la tragédie des rois d’aujourd’hui.
Je suis sûr que Beauvilliers prenait un plaisir très délicat aux tragédies de Racine, peut-être même aux comédies de Molière ; et pourtant il est bien certain qu’en y assistant il ne pensait pas faire une œuvre religieuse, peut-être même croyait-il faire un péché.
Mais toujours c’est la fable du Mendelssohn qui s’enfle et qui s’enfle, Voltaire reprenant la tragédie de Racine ; on est, de nature et d’éducation, incapable des grandes émotions totales, et l’on s’acharne à celles là, uniquement : ainsi les très misérables musiciens expriment faussement des émotions fausses.
ce n’est pas assez que mon pays soit en république, il fallait encore qu’il se plaçât sous l’invocation de Voltaire, de cet historien prenant le mot d’ordre des chancelleries, de ce bas flatteur des courtisanes de la cour, de cet exploiteur de la sensibilité publique, de ce roublard metteur en œuvre de l’actualité, de ce poncif faiseur de tragédies, de ce poète de la poésie de commis voyageur, de ce poète anti-français de la Pucelle, de ce lettré enfin, que je hais autant que j’aime Diderot.
On lui sert des tragédies vulgaires, sans invention et sans style ; on lui dit : C’est du Corneille ; elle y va, et elle applaudit.
Les détails de cette scène épouvantable sont traités avec une brutalité de vérité et une grandeur de nature physique qui rappelle les tragédies et les exploits d’un temps où les hommes envoyaient leur cœur à leurs maîtresses, où les maris le faisaient manger à leurs femmes, et où Godefroi de Bouillon partageait, d’un revers d’épée, un Sarrasin jusqu’à la ceinture, en entamant le garrot du cheval !
Cette « tragédie » a de la pureté, de l’élévation, de la grandeur. […] Il semble bien que, pour lui, ce qui fait la valeur d’une œuvre, ce n’est pas seulement le talent de l’écrivain, mais le genre aussi auquel elle appartient, et les genres supérieurs, c’est, je suppose, l’oraison funèbre, la tragédie, le roman idéaliste. […] Brunetière n’en mettra pas moins la tragédie de Racine fort au-dessus du roman de Flaubert. […] Les effets ne sont pas les mêmes dans la tragédie et le roman, les conditions mêmes et les conventions des deux genres étant différentes ; mais ces effets sont peut-être équivalents. […] Zola n’a pas eu l’intention de composer une tragédie psychologique.
Comme le confident de la tragédie française, il ne raconte à son auguste interlocuteur que ce que celui-ci sait mieux que personne ; mais, en revanche, comme le chœur grec, il a son franc-parler sur toutes choses. […] C’est assez dire que je fais peu de cas des vers et des tragédies de madame Émile de Girardin. […] Cléopâtre et Judith sont des tragédies, et, qui pis est, des tragédies qui se ressentent encore des leçons, déjà bien lointaines pourtant, de Soumet. […] Il est cependant un autre sentiment qui vient en seconde ligne et se rattache à des considérations moins élevées, un sentiment presque égoïste, si j’ose le dire, qui a fait que cette lugubre histoire s’est emparée de l’imagination populaire, quoiqu’elle se soit passée à une époque où le souvenir de bien d’autres tragédies était encore récent, et où les échafauds de la Révolution fumaient encore. […] Enfin, faut-il voir tous les habitants de Coulonges comme « le peuple en larmes de la tragédie grecque, le rameau des suppliants à la main, conjurant les dieux de les délivrer des iléaux et des monstres qui les déciment » ?
La tragédie, qu’on dit morale, dépense en effusions fausses le peu de vertu qui nous reste encore. « Quand un homme est allé admirer de belles actions dans des fables, qu’a-t-on encore à exiger de lui ?
III Alphonse, à son retour de Rome, fit représenter l’Aminta au printemps de 1573 dans ses jardins de Bello Sguardo ; le succès de cette tragédie pastorale fut immense et universel.
Je vous recommande donc mes pauvres serviteurs, la décharge de mes dettes, et de faire fonder quelque obit annuel pour mon âme, non à vos dépens, mais faire la sollicitation et ordonnance comme sera requis, et qu’entendrez mon intention par ces miens pauvres désolez serviteurs, tesmoins oculaires de ceste mienne dernière tragédie.
Lamotte fit de tout, odes, fables, épopées, comédies, tragédies ; et parce qu’il n’a mal raisonné d’aucun de ces genres, il crut avoir réussi dans tous.
Nous ne pouvons, pour la même raison, étudier tous les gestes qui se trouvent dans ce drame ; nous nous bornerons à indiquer ce qui est unique dans l’histoire de l’art et ne se fait qu’à Bayreuth : nous voulons parler de cette mimique significative, qui suit, après tant de siècles, la tradition des chœurs des tragédies antiques.
Rousseau, dans la Tragédie, la Comédie, l'Opéra, la Poésie lyrique ; M. de Voltaire, dis-je, ne sera jamais placé au rang des Hommes de génie, que par l'enthousiasme ou la mauvaise foi.
Il déplore qu’à l’heure présente, tout homme qui écrit un article, vise à un siège au Sénat ou à la Chambre, et ménage les personnalités qui peuvent lui être utiles, sans souci de l’intérêt général, et il termine en disant que son rêve serait de fonder un journal qui ressemblerait au chœur des tragédies antiques, et avertirait la nation, au nom de l’intérêt de la chose publique.
C’est : « … Carmen blême de tragédie « Intime, les deux yeux dévorés d’incendie, « Tout le sanglot, tout le sursaut, tous les frissons, « Et le vent furieux rebroussant les moissons… ou plutôt, s’il est vrai que ce cœur tout entier batte entre les pages blanches de cet unique livre, écoutez-en jaillir Comme un rythme incessant la vie universelle.
Ils ne trouvent plus, comme Hoffmann, « qu’on devrait fouetter sur la place publique un homme qui a fait d’aussi pitoyables tragédies que Schiller ».
On croit qu’une tragédie de M. de Jouy ferait du bien, et l’on est tenté de soutenir que, dans un pays où l’on écrit et où l’on admire de telles poésies, il n’est pas possible que La Fontaine ait existé !
C’est de la maternité aussi grossièrement, aussi païennement entendue, que ce poète, qui fut chrétien, qui a été élevé par une mère chrétienne, qui doit avoir, puisqu’il est poète, l’instinct du beau pour vibrer aux grandes et belles choses et à la maternité chrétienne telle qu’on la trouve souvent dans l’Histoire, c’est de cette espèce de maternité physiologique, incomplète et basse, qu’il a cru pouvoir faire sortir une palpitante et idéale tragédie !
Il fera peu d’odes et d’élégies ; il fera des tragédies, des épopées, des comédies, des romans. […] L’humanisme, d’une part, au point de vue de la production littéraire, ayant donné ses plus beaux fruits et étant presque épuisé, s’effaçait, s’éclipsait dans le rayonnement de l’esprit de la Renaissance et ne faisait pas grande figure, avec ses petites tragédies ou ses comédies pédagogiques, devant un Esprit des Lois ou un Essai sur les mœurs ; d’autre part, comme influence sur les esprits, passait décidément au camp du philosophisme, finissait par reconnaître qu’il était comme lui fils de l’antiquité, s’avisait qu’il était la forme de ce dont la Renaissance était le fond, devenait l’auxiliaire et la décoration encore brillante des petits-fils de Montaigne, destiné ainsi à être tour à tour à chaque parti contraire un ornement. […] Le Roman de la Rose ou tel roman de chevalerie du xive siècle est une épopée, mais l’Enéide est une épopée plus imposante ; le chant royal est une ode (et ici les adversaires de la Pléiade ont presque pleinement raison) ; mais le beau système savant d’une ode de Pindare est quelque chose de plus puissant ; et c’est presque une plaisanterie d’appeler tragédie la moralité, comme le fait Sibilet, sous prétexte que la moralité, telle qu’on la traite au xvie siècle, est touchante.
Dans la tragédie d’Euripide, Hippolyte, son favori le plus cher, entend sa voix sans voir son visage. […] Le terrible comédien réussissait à coup sûr : sa supériorité dans les tragédies de la vie réelle lui assurait le premier rang dans tous les genres de l’art dramatique. […] Machiavel, en mission auprès de Borgia, écrit d’abord à la Seigneurie de Florence : — « On ne sait au juste la cause de la mort de Ramiro ; ce que l’on peut dire de plus probable, c’est que telle a été la volonté du duc de Valentinois, pour montrer qu’il a le pouvoir d’élever et d’abattre les hommes à son gré. » Mais plus tard, revenant sur l’exécution de Ramiro dans son livre du Prince, il l’analyse et l’admire comme un coup de maître. « Le duc, sachant que la rigueur d’abord exercée avait excité quelque haine, et désirant éteindre ce sentiment dans les cœurs, pour qu’ils lui fussent entièrement dévoués, voulut faire voir que si quelques cruautés avaient été commises, elles étaient venues, non de lui, mais de la méchanceté de son ministre… Sur quoi, sa conduite pouvant encore servir d’exemple, il n’est pas inutile de la faire connaître. » Ce fut encore devant Machiavel que César Borgia eut l’honneur de jouer la meilleure de ses tragédies, celle du célèbre guet-apens de Sinigaglia. […] César les reçut « d’un air gracieux », à l’entrée de sa maison, et les fit passer dans son oratoire où ils furent immédiatement étranglés. — Le trait comique de cette tragédie, c’est Vitelezzo Vitelli, priant son bourreau, la corde sur le cou, de demander au pape une indulgence plénière pour tous ses péchés. […] Le poison joue un grand rôle au XVIIe siècle ; il intervient dans ses affaires, aussi souvent que dans le dénouement de ses tragédies.
Ce sont des élèves encore de Robert Garnier, ce qui n’empêche pas l’un au moins de ceux que je viens de nommer d’avoir les qualités rares de poète élégiaque et lyrique ; mais ils s’en tiennent au cadre de la tragédie classique régulière telle que Scaliger le traçait et tel que Garnier le remplissait, d’après Sénèque. […] Enfin tel autre, comme Hardy, semble porter l’anarchie en lui-même, tant il est à lui tout seul de plusieurs écoles, et tant il lui est indifférent de se montrer tour à tour tragique régulier, tragique romanesque, tragique antique, tragique espagnol, tragique comique ; et on ne peut, en le parcourant, s’empêcher de songer à la fameuse classification humoristique de Polonius dans Hamlet : « Ils savent tout jouer : tragédie, comédie, pastorale, pièce héroïque, comico-pastorale, historico-pastorale, tragico-pastorale, tragico-comico-historico-pastorale, et bien d’autres. » Telle est cette époque variée, bigarrée et tumultueuse. […] Comme suite de l’imitation de l’antiquité, l’emploi des « grands genres » littéraires, grande épopée, « haute tragédie », sublime poésie lyrique. […] Molière a épuisé la comédie pour quarante ans, au moins ; Racine la tragédie pour un siècle ; La Fontaine la fable pour toujours. […] La conclusion m’en a causé un plaisir personnel : « … Tout cela me ramène à dire qu’après avoir parcouru le monde de la pensée (ses recherches de savant avant le lever du rideau), celui du sentiment (la tragédie de Marguerite), celui de la pensée et du rêve (symboles historiques et philosophiques de la seconde partie) et celui de la volonté (son rôle auprès de l’Empereur), Faust en revient à faire de l’action immédiatement utile le but de son dernier effort et le meilleur lot de son acquis. » Je suis flatté et ravi.
Les fables de Florian sont de 1792, et en 93 Legouvé donna au Théâtre-Français la Mort d’Abel, tragédie pastorale et patriarcale, qui dut son succès au contraste des discordes civiles. […] L’adolescence est l’âge des tragédies classiques. « Quel âge a-t-il, ton fils ? » dit un père à un autre. — « Il est en train de faire une tragédie. » Réponse qui peut se traduire ainsi : De seize à dix-huit ans. […] Prenons Corneille, non dans ses tragédies : là il serait par trop facile de retrouver sa fierté, sa noblesse. […] Ainsi, il nous a semblé que les nombreux plaidoyers qu’on trouve dans presque toutes les tragédies de Corneille, s’expliquaient également, soit par son origine, race normande, soit par sa première profession, avocat.
La représentation vient de finir et de chaleureux applaudissements ont salué les vers solides et sonores de l’âpre tragédie eschylienne où Leconte de Lisle a concentré l’histoire des Atrides. […] Si versé que fût Téodor de Wyzewa en mallarméisme et en wagnérisme, son goût ne se bornait pas à la poésie de Mallarmé et à la musique de Wagner, et il avouait d’autres admirations dont les principales étaient les tragédies de Racine et les compositions de Mozart.
Parmi les différentes inutilités qu’on apprend aux enfants dans les collèges, j’ai négligé de faire mention des tragédies, parce qu’il me semble que l’Université de Paris commence à les proscrire presque entièrement : on en a l’obligation à Rollin, un des hommes qui ont travaillé le plus utilement pour l’éducation de la jeunesse ; à ces déclamations de vers il a substitué les exercices, qui sont au moins beaucoup plus utiles, quoiqu’ils pussent l’être encore davantage. On convient aujourd’hui, assez généralement, que ces tragédies sont une perte de temps pour les écoliers et pour les maîtres : c’est pis encore, quand on les multiplie au point d’en représenter plusieurs pendant l’année, et quand on y joint d’autres appendices encore plus ridicules, comme des explications d’énigmes, des ballets, et des comédies tristement ou ridiculement plaisantes.
Son nom n’en est presque plus un, mais le fantôme ou l’écho seulement d’un grand nom ; et, dirai-je que l’on mesure aux Pensées sur la comète, ou à son Dictionnaire, l’éloge que l’on dispense, d’une plume étrangement, libérale, aux tragédies de Crébillon, ou à la Métromanie de Piron ? […] Vers ou prose, roman ou théâtre, comédie, tragédie, madrigal, épopée, critique ou théologie même, il travaillait dans tous les genres ; et cette remarquable variété d’aptitudes lui avait valu d’être choisi par Richelieu pour l’un de ses auteurs à gages. […] Mais quand l’âge fut venu, le succès — la réputation avec l’âge, les dignités aussi, — et quand le titre de secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences réorganisée l’eut investi d’une espèce de magistrature scientifique ou philosophique, Fontenelle eut le courage enfin d’être lui-même, et sans quitter pour cela tout à fait l’églogue ni la tragédie, sans renoncer à tenir dans les salons de son temps le rôle d’un arbitre des élégances intellectuelles, il se donna davantage à ces sciences dont il n’avait guère jusque-là qu’effleuré la superficie.
On ne fait point une tragédie de la mort de celui qui craint l’échafaud, et qui va lâchement apostasier au pied d’un tribunal. […] Dans la Lettre viii, sur l’activité du sage, il parle des drames mixtes, dont le ton est grave, et le genre moyen entre la tragédie et la comédie. […] Parmi les idées de Sénèque, je me plais encore plus à citer celles qui montrent la bonté de son âme, que celles qui montrent la beauté de son esprit, parce que je fais plus de cas de l’une de ces qualités que de l’autre ; parce que j’aimerais mieux avoir fait une belle action qu’une belle page ; parce que c’est la défense des Calas, et non la tragédie de Mahomet que j’envierais à Voltaire. […] Je l’avais lu trois fois de suite, et à la quatrième lecture j’en humectais encore les feuillets de quelques larmes, non de celles qu’on donne au récit d’un grand malheur, à la tragédie, à Iphigénie, à Mérope : elles sont mêlées de plaisir et de peine ; mais de celles qui coulent délicieusement lorsque l’âme est émue de quelque grande action, d’un sentiment délicat ; qui naissent de l’admiration et que j’accorde aux héros de Corneille. […] Sénèque composa pendant son exil une tragédie de Médée, dont il nous reste quatre vers d’un chœur, où le coryphée dit : Ô dieux !
Chose surprenante, ce poète qui a du talent, qui est Touranien, par-dessus le marché, qui fait la réclame aussi bien que les vers, qui a publié des romans, des drames, des tragédies, des poèmes, n’a lui-même conquis la population que du jour où l’on apprit qu’il avait mis sa muse aux pieds de Sarah Bernhardt, et parce qu’il la reprend, cette muse, cette popularité devient presque de l’illustration. […] Les trois unités de la tragédie classique s’évanouissent, le drame shakespearien, ardent, sublime, renaît. […] Elle a d’abord déclaré que la pièce russe, étant russe, et non point parisienne, on n’y pouvait rien comprendre ; ensuite, elle a jugé que c’était un vieux mélo, parce qu’on y voit un infanticide, et qu’il y a des infanticides aussi dans les tragédies de M. […] Il faut que, de temps en temps, éclatent de pareilles tragédies — et combien d’ignorées — pour rendre croyables et possibles ces effrayantes choses moins rares qu’on ne pense.
Je ne veux pas déflorer ce magnifique dénouement d’une philosophie qui hardiment répudie toutes les hypocrisies de la passion, et fait s’élever l’histoire de cet amour jusqu’au farouche sommet de la plus sombre tragédie. […] Alors que le plus passionnément, de plus en plus victorieusement, il n’était question que de vérité et de justice, alors que la tragédie, plus aiguë, plus pathétique, plus énorme, touchait à l’épopée, Fécondité déroulait ses fresques et ses miniatures, ses réalités et ses rêves, ses luttes et ses conquêtes. […] Autour de lui, il voit la famille s’éteignant et sombrant dans les inévitables tragédies, parce qu’elle borne son ambition créatrice à un enfant unique ; il voit l’humanité à toute minute frustrée de ses énergies par l’égorgement des embryons, la tristesse, l’appauvrissement, l’assassinat des enfances déracinées et livrées aux mains mercenaires ; il voit enfin chacun — celui-ci dans une folie de jouissance stérile, celui-là par système, pour transmettre intact l’héritage, et, avec l’héritage, la fatalité de ses déchéances, de ses vices et de ses crimes sociaux — se dérobant par la fraude, par le désagrément de l’amour et par le meurtre, au devoir sacré de la vie. […] Son action se déroule sur un repli de l’histoire… Elle a l’ampleur, la tenue sévère, la solidarité, la clarté des tragédies classiques.
La critique documentaire ne lui conviendrait pas mal, et c’est par elle qu’il avait débuté, comme il sied à un membre de l’Université moderne (je veux parler de sa « Tragédie au xvie siècle »). […] Pour l’instant, nous ne devons considérer que la famille Monneron : elle est, comme dans une tragédie ou dans une épopée, le premier héros du livre. […] L’amour, l’amour exclusif d’une personne individuelle, l’amour enfin tel qu’on l’enseigne dans les classes de littérature des lycées français ou allemands est en effet une tragédie qui aboutit le plus souvent à la folie furieuse d’Oreste, à la fin triste de Marguerite ou au suicide lamentable de Roméo et de Juliette.
Ce secret échappe au roi Murat dans une scène de tragédie vraiment antique, rapportée par madame Lenormant d’après le récit de sa tante.
Ces derniers actes de la tragédie humaine sont les plus fortes scènes du drame humain, celles qui se gravent le mieux dans la mémoire des peuples.
XV Dante, excepté dans la figure de Françoise de Rimini, n’a pas de telles physionomies, de telles attitudes, de telles pensivités, de telles mélancolies, de telles tragédies dans ses visages.
Effacez l’enseigne du sang, et chantez Cosette, cette idylle, la plus accomplie de la langue, qui fait oublier la tragédie !
Par l’audace et la simplicité de ses conceptions tragiques, par son intime connaissance des passions humaines, par son vers musical, par sa musique poétique, par l’invention d’une nouvelle forme mélodique qu’on a appelée la mélodie continue et qui fait que le chanteur chante sans avoir l’air de le faire exprès, par son merveilleux orchestre, qui joue à peu près le rôle du chœur dans la tragédie antique et qui, toujours mêlé à l’action, la corrobore, l’explique, en centuple l’intensité par des rappels analogues ou antithétiques à chaque passion du drame, Richard Wagner vous transportera extasiés dans un milieu inconnu, où le sujet dramatique, vous pénétrant avec une puissance incomparable par tous les sens à la fois, vous fera subir des émotions encore inéprouvées.
Carvalho ce moyen de se tirer d’affaire : dégermaniser le nom de l’auteur et le titre de l’opéra ; l’affiche serait ainsi rédigée : Lonengrin NO Tragédie lyrique en cinq actes par Ricardo Wagnero La Gazette de France du 17 : feuilleton de M.
Si nous avons frappé au Vaudeville, c’est que nous ne voyions pas plus haut des chances d’être joués ; c’est que nous croyions — à tort — le Théâtre-Français fermé à tout ce qui n’était pas une tragédie, une comédie en vers, ou une pièce en prose signée d’un nom aussi populaire au théâtre que celui de M.
Que l’on néglige les cas de la Renaissance en France et du XVIIIe siècle en Angleterre où des causes politiques et perturbatrices sont en jeu ; ce qui s’est passé à Rome dès le premier éveil de la littérature, ce qui s’est passé en France au XVIIe siècle pour la tragédie, au XVIIIe pour la philosophie et pour le roman, au XIXe pour la poésie lyrique, ne peut être éclairé par aucune des lois de l’ancienne critique sociologique.
L’histoire elle-même me semblait mesquine et triviale quand elle ne racontait pas les événements humains avec l’accent surhumain de la philosophie, de la tragédie ou de la religion.
Quoi, nous avons entendu parler parmi nous les hardis novateurs qui préparent l’avenir, nous avons écouté Saint-Simon, Fourier, Owen et les autres ; nous regardons avec anxiété vers les choses futures ; nous vivons au milieu de ces problèmes sociaux dont l’éclosion va changer la face du monde ; nous voyons la religion qui se lézarde et qui s’étaye sur des dogmes nouveaux pour ne pas s’écrouler comme une ruine ; tous les principes, tous les droits, tous les espoirs sont discutés et remis en question ; nous voyons la jeune Amérique qui fait la part belle à la civilisation prochaine ; nous voyons l’Australie qui se prépare à recevoir l’héritage de l’Amérique ; et nous commentons de mauvaises traductions de Platon, et nous faisons des tragédies sur Ulysse, et nous rimaillons des épîtres à Clio, et nous évoquons dans nos vers tous les dieux morts des Olympes détruits ; cela est insensé !
parce que le bon sens a fait, durant ces trente dernières années, justice des ridicules préjugés de quelques voltigeurs de la Tragédie il faudrait se désoler de n’avoir plus ces adversaires à combattre, jeter la pierre au progrès et reprocher à notre génération d’avoir profité de l’expérience ! […] En vain il avait emporté trois beaux succès avec Jean Baudry et le Fils, deux tragédies bourgeoises à la Sedaine et à la Diderot, et Formosa, qui fut son drame le plus heureux, en vain sa ravissante comédie, Souvent homme varie, était restée au répertoire du Théâtre Français, rien ne le consola au fond de l’échec perpétuel d’une œuvre que tout le monde, vraiment lettré, tenait pour exquise.
On sait qu’à cette époque, vers 1750, il était fort négligé à Paris, où la nation était engouée de tragédie. […] On trahit Molière en jouant Harpagon en tragédie et en le vociférant lamentablement. […] C’est à la fin du siècle dernier que quelques premiers rôles, mâtinés de tragédie, ont voulu jouer Harpagon à la manière noire et hurler tragiquement le monologue, oubliant cette phrase, de ce même monologue, qui est la clef du personnage : « Ils me regardent tous et se mettent à rire !
[NdA] C’est le même sentiment qu’exprime héroïquement Hector (au commencement de la tragédie de Rhésus d’Euripide), lorsqu’on vient l’éveiller de nuit pour lui annoncer que le camp des Grecs s’illumine de tous côtés de feux, ce qui est probablement le signal du départ : « Ô mauvais génie, s’écrie-t-il, qui m’arrache mon festin de lion au plus beau moment, avant que j’aie pu exterminer, balayer l’armée des Grecs tout entière avec cette lance que voilà !
Ainsi, sur un exemplaire (imprimé à Arras) de la Constitution de la République française, du 5 fructidor an III (22 août 1795), et dont la première signature est celle de Marie-Joseph Chénier, président de la Convention nationale, M. de Sainte-Beuve père écrivait ce vers de la tragédie de Mahomet (acte II, scène v) : Je viens après mille ans changer vos lois grossières Et au-dessous cet autre vers de la Pharsale de Lucain (livre II) : Naturamque sequi patri que impendere vitam 28.
Fontenelle lut le roman quatre fois dans la nouveauté ; Boursault en tira une tragédie, comme à présent on en eût fait des vaudevilles.
Malheureuse l’Italie de le négliger aujourd’hui pour déifier des hommes dont les épopées barbares et les tragédies déclamatoires ne valent pas un sonnet de ce David de Vaucluse.
Nous avons écrit nous-même cette tragédie historique d’après les témoignages les plus irrécusables ; d’autres témoignages surgissent tous les jours des Mémoires posthumes des confidents du gouvernement consulaire ; ces Mémoires laissent peu de doute sur les vrais motifs du meurtre, motifs très différents de ceux que prête trop complaisamment M.
Accius, qu’était-il en composant ses tragédies ?
Gœthe l’a rajeuni dans son Faust, tragédie épique et merveilleuse, où l’innocente coupable Marguerite attendrit Dieu lui-même après avoir attendri Satan.
Il traitera de l’invention, de l’élocution ou du style, du style historique, du style oratoire, du style didactique, du style épistolaire ; des différentes parties de l’oraison, l’exorde, l’exposition, la démonstration, la réfutation, la péroraison ; du récit, du pathétique, de l’action, ou des différentes parties de la déclamation, le geste et la voix ; de la poésie dramatique, du dialogue, de la tragédie, de la comédie, du poème lyrique et du poëme pastoral, de l’élégie, de l’ode, de l’idylle, de l’épître, de la satire, de la fable, du madrigal, de la chanson ou vaudeville et de l’épigramme.
Mon ami, si l’on vous présente un canevas de comédie ou de tragédie, faites quelques tours autour de l’homme et dites-lui, comme la fille de joie au président De Brosses : cela est beau, sans contredit, mais où est le cu ?
Il a commencé par écrire des discours latins ; puis il a composé des chansons et enfin des tragédies en cinq actes pour la Comédie-Française. Je ne veux pas regarder ce qui vaut le mieux de ses tragédies ou de ses chansons. […] Vous pensez bien que ces jeunes ronds-de-cuir se souciaient fort peu des affaires publiques et qu’ils consacraient la majeure partie de leur temps, non pas à rédiger d’absurdes rapports et à copier des circulaires, mais à composer des tragédies et à rimer des sonnets. […] Il n’y demeure pas inactif, il y écrit ses mémoires, des brochures, des vers et même une tragédie.
Et puis ces fleurs un peu maladives du génie grec, les tragédies d’Euripide : « Vos dieux sont en vos âmes : ils sont les cruelles passions détruisant l’équilibre salutaire des besoins. […] Plus tard Sénèque apporta le charme d’une pensée étrangement spirituelle et légère ; et maints auteurs composaient, sous le titre de poèmes, tragédies ou histoires, de médiocres romans dont l’attrait nous demeure perdu. […] Et déjà l’on sent dans ses tragédies classiques l’impossibilité prochaine de la forme théâtrale. […] Les tragédies du xviiie siècle, les comédies de Marivaux et de Beaumarchais, les mélodrames des romantiques allemands et français, et toutes les pièces scéniques de notre temps, sont bien davantage des romans que des drames : et seules les âmes inférieures éprouvent le besoin d’une réalisation matérielle de ces œuvres, toutes d’analyse ou de récit, pour y prendre le plaisir qu’on y peut trouver. […] Ses tragédies sont des romans psychologiques, restituant dans l’art la vie rationnelle des passions : aussi peu semblables à des drames que les dialogues de Platon ; moins encore, car Platon imaginait des entretiens véritables, tandis que souvent les personnages de Racine ne parlent point, exprimant plutôt, sous prétexte de discours, l’enchaînement de leurs motifs intérieurs.
Si vous voulez voir cette idée dans sa plus grande œuvre, c’est dans les arts qu’il faut la chercher, dans les arts du dessin tels qu’elle les fait et les porte par toute l’Europe, suscitant ou transformant les écoles nationales avec une telle originalité et une telle force, que tout art viable dérive d’elle, et que la population de figures vivantes dont elle a couvert nos murailles marque, comme l’architecture gothique ou la tragédie française, un moment unique de l’esprit humain. […] Il faut choisir dans cette foule de poëtes ; en voici un, l’un des premiers, qui montrera par ses écrits comme par sa vie les grandeurs et les folies des mœurs régnantes et du goût public ; sir Philip Sidney, neveu du comte de Leicester, un grand seigneur et un homme d’action, accompli en tout genre de culture, qui, après une éducation approfondie d’humaniste, a voyagé en France, en Allemagne et en Italie, a lu Aristote et Platon, étudié à Venise l’astronomie et la géométrie, médité les tragédies grecques, les sonnets italiens, les pastorales de Montemayor, les poëmes de Ronsard, s’intéressant aux sciences, entretenant un commerce de lettres avec le docte Hubert Languet ; avec cela, homme du monde, favori d’Élisabeth, ayant fait jouer en son honneur une pastorale flatteuse et comique, véritable « joyau de la cour », arbitre, comme d’Urfé, de la haute galanterie et du beau langage ; par-dessus tout chevaleresque de cœur et de conduite, ayant voulu courir avec Drake les aventures maritimes, et, pour tout combler, destiné à mourir jeune et en héros. […] La pastorale invraisemblable sert d’intermède, comme dans Shakspeare ou dans Lope, à la tragédie invraisemblable.
Dans une autre tragédie de Corneille, Prusias dit qu’en une ocasion dont il s’agit, il veut se conduire en pére, en mari. […] Cependant ce vers a un sens tout contraire dans Horace. « la tragédie, dit ce poète, etc. » M. […] Des Houlières une parodie d’une scène de la même tragédie.
Maurice Bouchor trouvât dans les beautés de la tragédie de Macbeth la même valeur éducatrice que dans les chants d’Homère dont il a, nous l’avons dit, si noblement parlé. […] Bouchor nous rend compte, avec beaucoup d’art, des raisons qui l’ont décidé à choisir, entre d’autres œuvres « très émouvantes », cette tragédie « si douloureuse ». […] Bien des imaginations de lecteurs ont été déroutées d’abord, puis captivées par le charme troublant de ces allégoriques inventions, de ces mystiques tragédies, les Aveugles, les Sept Princesses, Pelléas et Mélisande.
Voltaire en est un exemple singulier : la Henriade, les tragédies, le Dictionnaire philosophique, l’Essai sur les mœurs ne sont plus guère que des noms, tandis que le romancier de ce Candide improvisé en quelques jours durant sa vieillesse demeure aussi actuel que si le livre datait d’hier. […] La guerre éclate, et la tragédie nationale va l’occuper uniquement. […] C’est la raison pour laquelle, chez Feuillet, les tragédies sont toujours racontées par le dedans et l’événement, souvent terrible, — ainsi la mort de M. de Campvallon dans Camors, le suicide de l’héroïne dans Julia de Trécœur, — je ne dirai pas esquivé, mais rapporté en quelques lignes, que l’on pourrait qualifier d’explosives.
Et quelles descriptions des tragédies où la folie du gain jette les passionnés d’argent Notez que ce moraliste, cet ascète, est en même temps un poète, un poète épris de la vie, l’adorant dans ses manifestations et dans ses sources : et, dans cette contradiction, vous trouveriez peut-être l’explication de son goût pour les peintures violentes ou lubriques, qu’on a si injustement attribuées à de bas calculs de spéculateur. […] Aux spectacles qu’il fréquente par obligation professionnelle, en observant les héros de tragédie, de comédie et de drame qui se sont succédé de Shakespeare et Molière à M. […] N’est-ce pas là le fond, la matière première qu’on retrouve dans les tragédies de Racine aussi bien que dans les sermons de Bossuet ? […] M. de Vogüé ne les étudie pas en savant désintéressé, qui fouille des documents pour le plaisir d’en secouer la poussière, non plus qu’il ne les regarde en observateur tranquille et indifférent : il les sent, il les vit, pourrais-je dire, en acteur réel, en personnage authentique de la tragédie, qui sait que c’est son propre sort, celui de ses frères, celui de son pays, qu’elle roule dans ses actes.
S’il en était une dans ce livre, elle traiterait de l’amitié ; en effet, malgré le rôle qu’y joue l’amour, c’est elle qui y domine, qui conduit tout le drame, la tragédie, car en dépit du titre que lui a donné l’auteur, l’idylle y entre pour peu de chose. […] On dirait qu’elles subissent un châtiment, qu’elles payent une dette mystérieuse, et ces morts atroces, ces basses tragédies, n’annoncent pas des fins d’honnêtes gens. […] Le Boireau de lettres qui résumait ainsi son opinion sur l’œuvre nouvelle de l’écrivain des Morticoles avait touché juste, car, bien qu’un crime d’exception, l’inceste n’est malheureusement pas seulement un prétexte à tragédies antiques ou à poèmes wagnériens.
L’Empereur est debout, le front ceint de lauriers, droit et superbe comme un personnage de tragédie, sous les plis du manteau de pourpre, où frissonnent des abeilles d’or. […] Quelle tragédie ! […] Mais j’aime mieux insister sur l’art avec lequel l’historien a su, en accumulant des parcelles de vérité, nous procurer la vision des personnages et des multitudes que cette tragédie a mis en mouvement. […] Telle est la tragédie morale et sociale que M.
Dès les premières phrases qu’il a écrites, dans son livre sur l’Origine de la Tragédie, son tempérament de nihiliste s’est montré tout entier. […] Dès 1870, dans des notes d’où devait sortir plus tard son livre tout wagnérien de la Naissance de la Tragédie, il s’élevait contre plusieurs des principales idées de Wagner, notamment contre la suppression de chœurs, et l’importance excessive attachée aux paroles dans le drame musical. […] Un autre volume d’essais, les Portraits imaginaires, des analyses de tragédies grecques publiées dans le Macmillan’s Magazine, ont achevé de mettre en lumière un talent exquis, où la science et la rêverie s’unissent harmonieusement. […] Il n’y a point même d’analyse des sentiments, comme dans nos tragédies ou dans les romans : les personnages expriment d’un bout à l’autre de la pièce les mêmes sentiments, et des sentiments en quelque sorte trop simples, rétrécis, figés, privés de toute vie.
Pour l’achever, on fait venir un danseur maître d’armes, et, toujours en costume d’Amour, elle prend des leçons de maintien et d’escrime. « Tout l’hiver se passe à jouer la comédie, la tragédie. » Renvoyée après le dîner, on ne la fait revenir que pour jouer du clavecin ou déclamer le monologue d’Alzire, devant une nombreuse assemblée. — Sans doute de tels excès ne sont pas ordinaires ; mais l’esprit de l’éducation est partout le même : je veux dire qu’aux yeux des parents il n’y a qu’une vie intelligible et raisonnable, celle du monde, même pour les enfants, et qu’on ne s’occupe d’eux que pour les y conduire ou pour les y préparer.
Est-ce que, depuis le psaume jusqu’à la chanson, depuis l’épopée jusqu’à l’épigramme, depuis l’ode jusqu’à l’élégie, depuis la tragédie jusqu’à la comédie, depuis le discours politique jusqu’à l’entretien familier, chacun de ces artistes de la main n’a pas son parallèle dans un des grands artistes de l’esprit, auquel on le compare involontairement dès qu’on le nomme ?
Voltaire est-il donc le seul auteur de tragédies dont les pièces « sont farcies de traits plus brillants que solides, les vers mauvais ou mal rimés, les caractères mal formés ou mal soutenus, et les pensées souvent obscures26?
Les auteurs latins de la décadence, les tragédies de Sénèque, par exemple, ont souvent meilleur air, quand elles sont traduites en français, que les chefs-d’œuvre de la grande époque.
. — Mais quant à tout le reste, ce n’est au fond qu’une condensation, qu’une dramatisation de vieux mythes ; un effort qu’on aurait certes tort de déprécier, surtout puisqu’il a fourni un cadre si précieux à la tragédie ultérieure.
Georges Duhamel et Arcos, se réclamant scientifiquement, avons-nous dit, ce qu’avèrent avec grandeur souvent, leurs livres : Des Légendes, des Batailles (Duhamel), et la Tragédie des Espaces (Arcos).
Que l’on énumère les grands écrivains, dramaturges et romanciers qui, épris de vérité, ont senti obscurément que l’homme, la société et la nature représentés et recréés tels qu’ils sont, forment les livres les plus mûrement et les plus sérieusement admirés ; que l’on rappelle Shakespeare, Balzac, le morne Flaubert, Zola, l’on pourra assimiler à ses tragédies, aux tableaux plus populeux de leurs romans, cet immense déroulement d’êtres, d’aspects, d’actes, d’événements, de houles humaines, de méditations solitaires, de batailles humides de sang, de souples et tendres caresses de jeunes filles à d’indulgentes vieilles mères, d’amours, de morts, de carrières, cet abrégé de toutes les existences que présente La Guerre et la Paix et Anna Karénine ; l’esprit le plus négateur du progrès artistique et le plus respectueux des modèles, sera frappé de l’élargissement que ces romans massifs, déduits au-delà des dimensions habituelles, donnent à la description coordonnée de l’ensemble des phénomènes sociaux intimes et publics.
Avoir, par obéissance aux règles, tronqué et raccourci la vieille tragédie native, c’est là le malheur de Corneille.
Mais que son héros, battu à Waterloo, soit emprisonné à Sainte-Hélène, que son père, pour avoir refusé de rendre à l’étranger la forteresse de Thionville soit accusé de trahison, que Louis XVIII, fasse son entrée triomphale dans Paris, escorté de « cosaques énormes, roulant des yeux féroces sous des bonnets poilus, brandissant des lances rouges de sang et portant au cou des colliers d’oreilles humaines, mêlées de chaînes de montres11 » ; et le jeune poète, pare « sa boutonnière d’un lys d’argent », choisit pour sujet de sa première tragédie, une restauration, et injurie Bonaparte « ce tyran qui ravageait la terre12 ».