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43. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Il me semble que c’est exagérer le rôle de la morale que de vouloir qu’elle soit partout. […] Pourquoi donc tout juger au point de vue de la morale ? […] Je vais plus loin, et je dis que dans Montesquieu il y a une morale que le xviie  siècle n’a pas connue : c’est la morale publique, la morale du citoyen. Pour le xviie  siècle, cette sorte de morale consiste à être un sujet obéissant, et cette morale de sujet avait fini par porter atteinte à la morale privée elle-même. […] Au reste, en louant la morale de Montesquieu, je ne fais que développer ce que M. 

44. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

Je crois de plus que les méditations religieuses du christianisme, à quelque objet qu’elles aient été appliquées, ont développé les facultés de l’esprit pour les sciences, la métaphysique et la morale. […] La nature morale de l’homme du Midi se perdait tout entière dans les jouissances de la volupté, celle de l’homme du Nord dans l’exercice de la force. […] L’intrépidité destructive fut changée en résolution inébranlable ; la force qui n’avait d’autre but que l’empire de la force, fut dirigée par des principes de morale. […] La confiance d’un lien intime en a plus appris sur la nature morale, que tous les traités et tous les systèmes qui peignaient l’homme tel qu’il se montre à l’homme, et non tel qu’il est réellement. […] Le bonheur des autres n’est point l’objet de la morale des anciens ; ce n’est pas les servir, c’est se rendre indépendant d’eux, qui est le but principal de tous les conseils des philosophes.

45. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

Les anciens philosophes ont obtenu, dans leur temps, une réputation beaucoup plus éclatante que celle des modernes ; mais il n’est pas moins vrai que les modernes, dans la métaphysique, la morale et les sciences, sont infiniment supérieurs aux anciens. […] Les anciens sont plus forts en morale qu’en métaphysique ; l’étude des sciences exactes est nécessaire pour rectifier la métaphysique, tandis que la nature a placé dans le cœur de l’homme tout ce qui peut le conduire à la vertu. Cependant rien n’est moins arrêté, rien n’a moins d’ensemble que le code de morale des anciens. […] Plusieurs des philosophes grecs confondent de même les rangs dans la morale, ils placent l’amour de l’étude sur la même ligne que l’accomplissement des premiers devoirs. […] Combien cette morale, qui consiste tout entière dans le calme, la force d’âme et l’enthousiasme de la sagesse, est admirablement peinte dans l’apologie de Socrate et dans le Phédon !

46. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

Cette morale qui nie la morale absolue n’est autre chose qu’une suite de conseils critiques pour toutes les circonstances de la vie. […] Que voilà donc encore de la morale mal placée ! […] Le casuisme a été un élément de dissolution morale. […] La conscience morale, pour cet esprit simple, est absolue. […] Essais de morale et d’histoire.

47. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

Parfaite anarchie morale et intellectuelle du reste. […] Il n’y a pas de morale scientifique, parce qu’il n’y a pas de morale naturelle. […] La morale de Saint-Simon est une morale comme une autre, ou plutôt c’est la morale, qu’il enseigne, sans l’avoir fondée sur un nouveau principe, sur un principe lui appartenant, ni même sur aucun principe. […] Ne parlez pas de morale à Fourier. […] Ce fut une émancipation morale.

48. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

Il n’a guère étudié que la philosophie pratique, qui est la morale. […] Ma philosophie n’est pas une ouvrière de science, c’est un instrument de morale. […] Construisons sa philosophie, toute pratique et morale. […] Puisque nous n’avons d’autre but que de produire la perfection morale, nous dirons qu’il n’y a d’autre beauté que la beauté morale, et que l’objet de l’art est de l’exprimer. […] Telle est cette philosophie ; le besoin oratoire de prêcher la morale y explique tout, le choix des doctrines, le manque d’invention et la faiblesse des preuves.

49. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VIII. L’antinomie économique » pp. 159-192

Et cette communauté relative s’oppose à l’extrême variabilité des sentiments, des croyances et des désirs, en art, en religion ou en morale. […] Pour eux il n’y a d’indépendance d’aucune sorte, ni matérielle, ni morale. […] La morale qui est une revendication en faveur de la justice et de l’égalité se glissera de plus en plus dans les évaluations. […] Et cet effort matériel aura seul une valeur morale. […] Alors, les valeurs restaient subordonnées directement à la personnalité, à sa santé physique et morale, à sa beauté harmonieuse.

50. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

Avant que la morale devienne un genre, elle se montre, par pensées détachées, dans les autres genres. […] Il y a des philosophes qui ont fait de la morale avant les moralistes. […] Dans l’histoire de notre littérature on trouve de la morale mêlée à presque tous les écrits populaires ; on en trouve même des traités complets, sous forme de codes de conduite. […] Cet esprit de prévention, qui n’est que la morale du dogme d’une première faute, donne je ne sais quelle pointe d’aigreur à bon nombre de maximes ; La Rochefoucauld en fait l’aveu. […] Ce caractère préventif ôte un peu d’autorité à la morale de La Rochefoucauld.

51. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques, extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil — II »

Les raisons ingénieuses qu’il donne à l’appui de sa doctrine rigide, appartiennent à la morale autant qu’à l’économie. […] La morale et la religion de Jefferson offrent un ensemble simple, harmonieux et paisible qui contraste assez visiblement avec les opinions plus acerbes et plus hostiles des philosophes français du même temps sur ce sujet. Ceux-ci, en effet, tout échauffés, tout aigris encore de la lutte contre l’infâme, adoptent en morale le principe de l’intérêt, et leur théologie se borne à une négation sèche ou au scepticisme railleur qui ne vaut pas mieux. […] Il admet dans l’homme un sens du juste qui nous a été donné pour nous diriger ; il regrette que le profond auteur du Commentaire sur l’Esprit des lois, ait emprunté sa base morale à Hobbes. […] De tels hommes, au lieu de s’embarrasser des divergences et des réfractions multipliées de la pensée religieuse dans le cours des temps, appliquaient immédiatement à l’examen des questions un rayon simple et bien dirigé, et ils arrivaient à la vérité morale par un accès naturel, sans passer à travers les vestibules, les dédales et toutes les épreuves irritantes du vieux monde.

52. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre IV. La comédie »

Portée morale de l’œuvre. […] Prédication morale : pièces à thèses personnages symboliques. […] Tantôt un solide lieu commun d’observation morale sert de thème et de conclusion à la pièce, comme dans le Voyage de M.  […] Elles jouent à la grande comédie, et l’on n’y sent rien qu’un faiseur qui spécule sur la vulgarité intellectuelle et morale de son public, sans donner d’autre but à son art que de faire cent ou deux cents fois salle comble. […] L’œuvre, sans fracas de morale, sans étalage de pitié, est large et profonde904 .

53. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre onzième. »

Cela vient de ce que le rapport de l’animal à l’homme est trop incomplet ; et cette ressemblance imparfaite peut introduire de grandes erreurs dans la morale. […] Machiavel dirait que oui ; la politique vulgaire balancerait peut-être ; mais la morale affirmerait que non. […] On sent combien les méchans sont embarrassans pour la morale des bons. […] Par malheur, il y a ici un petit inconvénient : c’est qu’il est inutile ou même absurde de parler de morale aux princes, tant qu’on leur dira de ces choses-là. […] Au reste, la morale de cet Apologue est à-peu-près la même que celle du renard et du bouc, livre III, fable 5.

54. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Il y a une morale parnassienne, comme il y a une morale romantique et une morale classique. La morale est l’autre face de l’esthétique. […] La morale du boutiquier approuve le geste utile, comme son esthétique admire un canal ou un chemin de fer. […] Morale romantique, tu es le triomphe joyeux et hurlant du passionné et de l’excessif. […] En morale comme en critique, le classique estime ou blâme.

55. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Ainsi naissent une « morale de la sympathie », une « morale de la justice », même une « morale de la concurrence », ainsi se dessinent des mouvements d’opinions comme le nationalisme et comme le pacifisme. […] Justice, devoir, droit, ces mots n’ont de sens que dans une société organisée, dans une société morale, et je refuse toute société morale avec vous, ou plutôt, par nature, je ne puis en accepter. […] La morale veut en multiplier l’image. […] L’obligation morale prend l’apparence de l’autorité précisément parce qu’elle ne peut pas se faire obéir. […] J’ai tâché, il y a déjà longtemps, d’étudier de ce point de vue les réalités de la morale dans des articles publiés par la Revue philosophique, sur l’attente et le devoir, le devoir et l’obligation morale, la responsabilité et la sanction.

56. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre V. La Fontaine »

La moralité, je veux dire la formule morale dont le récit est l’illustration exacte, passe assurément au second plan. Tantôt elle est en tête, ou en queue, selon le caprice du poète, tantôt elle est double, tantôt elle est absente : deux récits se juxtaposent pour une seule morale. […] C’est du conte et de tous ses compléments lyriques, que se dégage la morale de notre poète, sa conception de la vie, du bonheur et du bien. […] Au reste, il n’y a pas à nier que la morale qu’on peut tirer des Fables, tant des moralités que des récits, est une morale épicurienne. […] Morale d’honnête homme éclairé, indulgent, sensible à l’amitié, qui ne demande aux hommes que d’aller à leur bien modérément sans détruire le bien des autres.

57. (1813) Réflexions sur le suicide

La nature physique accomplit cette œuvre par la destruction, et la nature morale par le sacrifice. […] Que le malheureux ne se croie pas plus homme en étant moins Chrétien, et que l’être qui pense sache toujours où placer la véritable dignité morale de l’homme ! […] De la dignité morale de l’homme. […] Ce qui caractérise la véritable dignité morale de l’homme, c’est le Dévouement. […] La patte du renard ou la plume de celui qui vend son opinion à son intérêt, est une et même chose sous le rapport de la dignité morale.

58. (1874) Premiers lundis. Tome II « Des jugements sur notre littérature contemporaine à l’étranger. »

L’article du Quarterly Review peut être bon, suffisant, relativement à l’Angleterre ; c’est une mesure d’hygiène morale, je dirai presque de police locale. […] Que la littérature actuelle soit assez peu prude, qu’elle aime les exceptions, les cas singuliers, les situations scabreuses ou violentes, je ne le nierai pas, et je lui souhaiterai un peu plus de tempérance, au nom de la morale sans doute, mais aussi au nom du goût. Le goût, il faut bien le dire, n’est pas tout à fait la même chose que la morale, bien qu’il n’y soit pas opposé. La morale, établie d’une façon stricte, peut être quelquefois en méfiance du goût et le faire taire ; si difficile et si dédaigneux qu’il soit, elle est moins étendue et moins élastique que lui. […] Mais la société n’en est pas là, et, dans la discussion présente, lorsqu’en prenant le parti sévère, on se tient simplement à la morale du monde, à ce qu’on appelle être honnête homme, à la morale qui admet la comédie et la tragédie, Tartufe et Phèdre, et la ceinture de Vénus et les jardins d’Armide, oh !

59. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre II. Jean Calvin »

Défense de la morale contre les catholiques et contre les libertins. […] Contre les libertins et contre les catholiques, c’est la même cause que Calvin défend : celle de la morale. […] Il peut sembler qu’il y ait contradiction entre sa théologie et sa morale : n’est-ce pas la liberté qui fonde la bonne vie et rend la vertu possible ? Ceux qui liront Calvin verront qu’il a opéré heureusement le passage de son dogme à sa morale. […] Les explications dogmatiques et interprétations de l’Écriture tiennent une grande place chez lui, ainsi que la controverse : mais la morale est toujours le but et la conséquence.

60. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

    La protestation du droit individuel contre la loi, et de la morale du coeur contre la morale du code ou des convenances mondaines, mais c’est l’âme même de la plupart des drames de M.  […] Mais à cette morale quel appui ? […] Bref, la morale évangélique poussée à ses plus extrêmes conséquences, et en même temps vidée de la métaphysique qu’elle suppose. […] Elle y perd parfois, peut-être, quelque profondeur morale. […] Tout le sérieux, toute la substance morale de Georges Eliot semblent avoir passé dans les profondes études de M. 

61. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Jules Levallois » pp. 191-201

Car voilà le sens très élevé, l’originalité très morale de ce livre de Μ.  […] La liberté morale, comme il dit, et à laquelle il tient comme un monsieur de ces derniers temps, sa liberté morale prend la force des chênes au pied des chênes, et le rend plus apte à servir les hommes et à se dévouer à leur bien-être et à leur grandeur. […] Jules Levallois le sent bien, du reste, et serait effroyablement embarrassé si on lui demandait, à lui, cet observateur, ce solitaire et cet ermite, l’analyse de l’éducation morale donnée à l’homme par la Nature, et les moyens dont elle se sert pour doubler ou tripler cette liberté qui vient en pleine terre, comme une plante, et qui n’a autour de soi que des êtres muets, indifférents à ses efforts, à son développement et à ses mérites. […] … Mais l’éducation morale ne se prend pas comme de la moelle de lion, et pour faire une âme, quand on avalerait la sève de toute une forêt de chênes, franchement, cela ne suffirait pas ! […] Il est très bon — dit-elle — que l’homme soit seul, et la Nature, qui suffît pour lui donner la becquée morale, la lui donne mieux quand il est seul.

62. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Chapitre III Littérature didactique et morale 1. […] Science et morale. […] La morale souvent, comme on peut aisément le comprendre, tournera en satire, et la description parfois fort vive du monde réel, des occupations et inclinations ordinaires des hommes, viendra donner une saveur toute particulière aux enseignements moraux. D’autres fois les préceptes de courtoisie et de belle morale se grefferont sur les commandements de la morale chrétienne, comme dans ce curieux Châtiement des dames de Robert de Blois, que je ne nommerais pas, si l’on n’y voyait comment peu à peu, dans la comparaison inévitable du fait et de la règle, le moyen âge a fait à la longue son éducation psychologique, comment aussi, dans ce temps d’abstractions et de formules, l’observation précise de la vie s’inscrit en préceptes généraux. […] C’est le geste, le mot, l’accent, qui caractérisent un caractère, un état d’esprit : c’est l’expressionindividuelle de l’universelle humanité, ou d’un des larges groupes qui la composent, d’une des éternelles situations dont est faite son histoire morale.

63. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

Optimisme épicurien et art de vivre : la morale de Montaigne. […] Affirmations complémentaires de la morale de Montaigne. […] Il a trouvé dans les institutions, les opinions, les mœurs, depuis la façon de s’habiller jusqu’à la morale et la religion, le plus universel, épouvantable et grotesque conflit qui se puisse imaginer. […] Cette morale est tout juste l’antithèse de la morale chrétienne : elle exclut, par essence, l’abnégation, le sacrifice, la charité. […] Aux grandes occasions sa morale était trop courte : mais ne l’était-elle pas encore aux petites ?

64. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Il convient aujourd’hui de rendre au mot de morale l’extension large qu’il doit avoir. […] La grande majorité est croyante et la morale chrétienne n’est guère battue en brèche. […] La morale philosophique est d’accord avec elle pour le moment. […] Mais l’ascétisme n’est plus en faveur, on n’en est plus même aux vertueuses indignations de Pascal contre la morale relâchée. […] Il se moque de la morale rigide telle que l’ont faite certains moralistes : elle touche l’homme, écrit-il, autant que l’astronomie.

65. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

Il faisait provision d’énergie morale dans Épictète et dans la Bible, vivant ses livres avant de les faire. […] Dans d’autres traités, il s’appliquera à mettre en honneur la raison et son double rôle dans la vie morale, pour détourner des passions, et pour préparer sa foi. […] Il n’invente pas une conception nouvelle du devoir : il embrasse une vieille morale, il en emplit sa raison, pour la vivre. […] Je ne sais même pas s’il convient de parler des idées de Régnier : rien de moins profond, de plus vague et de plus banal que la morale de Régnier. […] Lemercier, Étude littéraire et morale sur les poésies de Jean Vauquelin de la Fresnaye, Paris, 1887, in-8.

66. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

Jouffroy, après l’avoir porté dans la morale, lui impose par contre-coup sa morale. […] Cela est géométrique, et voilà un morceau de morale presque parfait. […] Or, il faut le traduire ainsi pour qu’il puisse fonder votre morale. Qu’est-ce donc que votre morale va devenir ? […] Ces deux phrases sont toute la morale.

67. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Lettres d’une mère à son fils » pp. 157-170

Ce détail minutieux et infini, qui doit embrasser la triple sphère de notre activité physique, intellectuelle et morale, le trouvons-nous abordé ou seulement indiqué dans ce petit volume ? […] Corne se moque, dans un des endroits de son livre, de cette morale comme nous l’ont faite, ou plutôt défaite, les philosophes ; de cette morale qui ne s’appuie pas sur un dogme, et il sourit de cette inanité. […] et son livre sur l’éducation n’est-il pas aussi, à sa manière, de la morale qui ne s’appuie pas sur un dogme, — par conséquent sans autorité ? […] Elle aurait empêché la mère d’Adrien, madame d’Alonville, de vouloir faire l’éducation morale de son fils sur le seuil du monde, à la veille des passions qui vont tout à l’heure éclater. […] De cette façon, ce livre n’aurait pas couru le risque d’être un après-coup perpétuel et de nous montrer la morale après l’événement, le principe après la circonstance, la loi le lendemain de l’épreuve, et l’exercice sur le champ de bataille.

68. (1900) Le lecteur de romans pp. 141-164

Je crois que l’art est soumis à la loi morale, à laquelle n’échappe aucune manifestation de l’activité humaine, et qu’il y est d’autant mieux soumis que l’œuvre d’art est une œuvre d’enseignement, une leçon, un acte d’influence et de direction sur autrui. […] Et dès lors, pour me renfermer dans le sujet que j’ai entrepris de traiter, il me semble que le romancier aura pleinement satisfait à la morale, s’il remplit deux conditions, dont l’une concerne le but et l’autre les moyens. […] Il y en a très peu qui se soient proposé, délibérément, de laisser à ceux qui les lisent une impression finale contraire à la morale. […] Faites attention qu’il est, en même temps, singulièrement grandi par ses obligations envers la loi morale. […] Nul ne saura jamais les lois de cette influence des choses, le secret de la dépression morale, de la tristesse ou de la joie, de l’énergie, de la grandeur et de la plénitude d’amour que nous recevons d’elle.

69. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

Tout gouvernement est une intelligence en travail et une morale en action. […] La conscience et la morale ont été de vains noms pour eux dans leurs théories de gouvernement. […] Il avait dit un mot qui désintéressait la politique de la religion : « Rendez à César ce qui est à César » ; il s’était borné à promulguer la morale de l’individu sans s’immiscer dans la morale de l’État, c’est-à-dire dans le gouvernement ; il pouvait sanctifier le sujet pendant que le prince était dépravé. […] La passion chrétienne et sainte de l’égalité démocratique dont il était animé donne seule une valeur morale à cette utopie du Contrat social. […] une morale écrite ?

70. (1911) La valeur de la science « Introduction »

Il semble que j’abuse des mots, que je réunis ainsi sous un même nom deux objets qui n’ont rien de commun ; que la vérité scientifique qui se démontre ne peut, à aucun titre, se rapprocher de la vérité morale qui se sent. […] Si nous ne devons pas avoir peur de la vérité morale, à plus forte raison il ne faut pas redouter la vérité scientifique. Et d’abord elle ne peut être en conflit avec la morale. La morale et la science ont leurs domaines propres qui se touchent mais ne se pénètrent pas. […] Il ne peut pas y avoir de science immorale, pas plus qu’il ne peut y avoir de morale scientifique.

71. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Introduction »

La métaphysique fonde en raison les prescriptions de la morale. […] La solution de problèmes tels que ceux que nous avons énumérés nous permet de porter, sur l’idée de l’égalité des hommes, des jugements d’estimation morale, non d’explication scientifique. […] Et sans doute, il nous est difficile d’empêcher que la conscience se mêle à la science, lorsque l’objet que nous proposons à notre étude scientifique est justement une idée morale. […] Rien ne trouble plus insidieusement l’intelligence qu’une préoccupation morale. […] Simmel (le Problème de la Sociologie, dans la Revue de Métaphysique et de Morale du 15 septembre 1894), et de celui de M. 

72. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre douzième. »

J’observerai seulement que, tant que les écrivains, soit en vers, soit en prose, mettront, dans leurs dédicaces, des idées ou des sentimens contraires à la morale énoncée dans leurs livres, les princes croiront toujours que la dédicace a raison et que le livre a tort ; que, dans l’une, l’auteur parle sérieusement, comme il convient ; et dans l’autre, qu’il se joue de son esprit et de son imagination ; enfin qu’il faut lui pardonner sa morale, qui n’est qu’une fantaisie de poète, un jeu d’auteur. […] Ceci est d’une meilleure morale que les deux vers qui se trouvent dans la fable 12 du livre X. […] D’ailleurs la morale de cet Apologue rentre dans celui du cerf et de la vigne, qui est beaucoup meilleur (Livre V, fable 15). […] Ce n’est point à la vérité un Apologue, mais une fort bonne leçon de morale, et plusieurs vers sont admirables ; tels sont ceux-ci : V. 4. […] Autrefois l’éléphant et le rhinocéros… Nous retrouvons pourtant un véritable Apologue, c’est-à-dire, une action d’où naît une vérité morale voilée dans le récit de cette action même.

73. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

Ernest Renan : morale idéaliste et science positive. […] Et voici que commence le règne de Nietzche, destructeur du kantisme, du christianisme, et restaurateur de la vraie morale par le culte irréfréné du moi. […] Les écrivains qui se sont senti le don de l’observation morale ont émigré en masse vers le roman et le théâtre, pour mettre en action et en drame leur expérience. […] Il était à craindre que l’histoire ne versât dans l’abstraction, et ne tournât à une sorte de mécanique morale. […] — Guyau : Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction ; l’Art au point de vue sociologique ; l’Irréligion de l’avenir, etc.

74. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

L’Art n’est pas plus un hochet amusant qu’un instrument utile202 au service de la morale ou de la religion. […] La Vérité morale reste inébranlable et intacte à côté des débris de tout ce qui s’enfle pour singer ou parodier sa puissance éternelle. […] C’est à Rome, la ville sans sérénité, la ville de la loi roide et des codes de morale stoïque. […] C’est ainsi qu’Aristophane avait détruit ce qui est faux en Morale, en Religion, en Politique, en Philosophie, en Littérature, au plus grand honneur de l’indestructible Vérité. […] Comme les figures modernes de la scène tragique, ils combattent contre le Divin, contre une idée morale, solide et puissante, où ils finissent par se briser.

75. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Th. Ribot. La Philosophie de Schopenhauer » pp. 281-296

Comme la tourbe de tous les athées, comme Goethe, chez lequel il alla valeter, Schopenhauer ne croit qu’à l’immortalité très commode de l’espèce, — ce qui supprime l’immortalité assez gênante de la personne, et, du même coup, la loi morale, qui a pour sanction ce genre d’immortalité. Il voulut cependant avoir une morale, — une morale indépendante, tout comme les imbéciles de France qui, sans le connaître, ont inventé celle-là. La sienne, qui n’est pas la leur, produit l’effet le plus inattendu à ceux qui savent que cette variété d’athée était, de sentiment et de doctrine, le pessimiste le plus absolu qui ait jamais existé et qui avait inventé cette raison pour que l’homme ne fût pas supérieur au singe : c’est qu’il n’aurait pu résister à l’horreur de la vie… La morale de Schopenhauer, — bien trop philosophe pour ne pas accrocher à la caisse de son système les deux roues d’une esthétique et d’une morale qui devaient le faire mieux rouler, — l’incroyable morale de cet homme qui ne croit pas au devoir : « bon pour des enfants et les peuples dans leur enfance », est, le croira-t-on ? […] « Voyons — dit-il, pour expliquer cette apparition, — comment la morale de Schopenhauer se rattache au principe de sa philosophie et comme elle s’en déduit » Et il nous l’explique : « La volonté — continue-t-il — étant, prise en elle-même, un désir aveugle et inconscient de vivre, et s’étant développée dans la nature inorganique, végétale, animale, et arrivant dans l’homme à la conscience claire d’elle-même, il se produit alors un effet merveilleux. […] Ribot trouve cette morale bizarre.

76. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

Toute la morale de Voltaire est eudémonique ; mais encore il y a une morale de Voltaire. […] La religion enfante la morale. […] Elle est née de la morale. […] La religion devient une morale et la morale devient une religion. — La religion devient une morale. […] L’unité morale le veut.

77. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

D’abord ce n’est pas du bonheur dont j’ai cru offrir le tableau : les alchimistes seuls, s’ils s’occupaient de la morale, pourraient en conserver l’espoir ; j’ai voulu m’occuper des moyens d’éviter les grandes douleurs. […] Tel homme est conduit par ses goûts naturels dans le port, où tel autre ne peut être porté que par les flots de la tempête ; et tandis que tout est calculé d’avance dans le monde physique, les sensations de l’âme varient selon la nature de l’objet et de l’organisation morale de celui qui en reçoit l’impression. […] Sous le rapport de la morale, sous le rapport de la politique, il existera beaucoup de distinctions à faire entre les passions viles et généreuses, entre les passions sociales et antisociales ; mais, en ne calculant que les peines qu’elles causent, elles sont presque toutes également funestes au bonheur. […] Loin de moi cependant ces axiomes impitoyables des âmes froides et des esprits médiocres ; on peut toujours se vaincre, on est toujours le maître de soi ; et qui donc a l’idée non seulement de la passion, mais même d’un degré de plus de passion qu’il n’aurait pas éprouvé, qui peut dire, là finit la nature morale ? […] 5 J’aurais pu traiter la générosité, la pitié ; la plupart des questions agitées dans cet ouvrage, sous le simple rapport de la morale qui en fait une loi, mais je crois la vraie morale tellement d’accord avec l’intérêt général, qu’il me semble toujours que l’idée du devoir a été trouvée, pour abréger l’exposé des principes de conduite qu’on aurait pu développer à l’homme d’après ses avantages personnels ; et comme, dans les premières années de la vie, on défend ce qui fait mal, dans l’enfance de la nature humaine, on lui commande encore ce qu’il serait toujours possible de lui prouver.

78. (1911) Jugements de valeur et jugements de réalité

Je puis, comme homme, n’avoir qu’une médiocre moralité ; cela ne m’empêche pas de reconnaître la valeur morale là où elle est. […] Car l’opinion publique tient de ses origines une autorité morale en vertu de laquelle elle s’impose aux particuliers. […] Tout comme la vie intellectuelle, la vie morale a son esthétique qui lui est propre. […] La vie morale n’est pas moins riche en contrastes de ce genre. […] Or, en fait, elle est, de plus, le foyer d’une vie morale interne dont on n’a pas toujours reconnu la puissance et l’originalité.

79. (1890) L’avenir de la science « II »

La science, aussi bien que la morale, a sa valeur en elle-même et indépendamment de tout résultat avantageux. […] En morale, l’homme trouvait et établissait le devoir, comme une invention utile. […] Pour la politique, dit Herder, l’homme est un moyen ; pour la morale, il est une fin. La révolution de l’avenir sera le triomphe de la morale sur la politique. […] Rien pour l’âme et pour la culture morale.

80. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Le caractère social de la morale est plus manifeste encore. […] Comme la métaphysique, comme la morale, l’art enlève donc l’individu à sa vie propre pour le faire vivre de la vie universelle, non plus seulement par la communion des idées et croyances, ou par la communion des volontés et actions, mais par la communion même des sensations et sentiments. […] Hugo une doctrine métaphysique, morale et sociale ». […] Voir notre livre intitulé : La morale, l’art et la religion selon Guyau. […] la Morale, l’Art et la Religion selon Guyau.

81. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

La connaissance de la morale a dû se perfectionner avec les progrès de la raison humaine. C’est à la morale surtout que, dans l’ordre intellectuel, la démonstration philosophique est applicable. […] C’est donc dans les qualités privées, dans les sentiments philanthropiques et dans quelques écrits supérieurs qu’il faut examiner les progrès de la morale. […] Ce que chacun doit faire pour son propre bonheur est un conseil, et non un ordre ; la morale ne fait point un crime à l’homme de la douleur qu’il ne peut s’empêcher de ressentir et de témoigner, mais de celle qu’il a causée. Enfin ce que la morale de l’Évangile et la philosophie prêchent également, c’est l’humanité.

82. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

C’est surtout le cas pour la morale. […] Aussi toutes les questions que se pose d’ordinaire l’éthique se rapportent-elles, non à des choses, mais à des idées ; ce qu’il s’agit de savoir, c’est en quoi consiste l’idée du droit, l’idée de la morale, non quelle est la nature de la morale et du droit pris en eux-mêmes. […] En morale, la partie théorique est réduite à quelques discussions sur l’idée du devoir, du bien et du droit. […] Ils partent de cette idée que notre morale est la morale ; or il est évident qu’elle est inconnue des peuples primitifs ou qu’elle n’y existe qu’à l’état rudimentaire. […] La vérité est qu’elles ont leur morale à elles.

83. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

Chez nos voisins d’outre-Rhin comme chez nous, c’est encore le mouvement historique qui domine dans les études de philosophie morale. […] Or aucune espèce d’observation ne découvre dans la vie des animaux, même des animaux qui vivent en société, rien qui ressemble à ce qu’on nomme, dans toute langue humaine, morale et religion. […] Si elle tient sa méthode de Bacon, c’est à Hume qu’elle emprunte le principe de sa théorie des phénomènes de la vie morale. […] Que la vie morale a ses lois comme la vie physique, rien de plus. […] Nous nous sentons transportés au dedans de nous-mêmes, au sein de la plus pure et la plus intense lumière qui puisse éclairer la scène de la vie morale.

84. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

La morale : complaisance pour la nature ; opposition au christianisme. […] Caractère pratique et bourgeois de cette morale : le mariage et l’éducation des filles. […] La morale de Molière Ceci nous fait passer à la morale de Molière. […] Quelle est donc la morale de Molière ? […] La forme originale de la morale chrétienne, c’est la résistance à la nature.

85. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Victor Duruy » pp. 67-94

Notez que, si la morale double est, en effet, dans la plupart des cas, l’invention commode et l’expression du scepticisme, elle se peut parfaitement allier avec la croyance en un Dieu qui se soucie de certains hommes, choisis par lui pour de grands desseins, au point de conclure avec eux, même en morale, des pactes spéciaux. […] Duruy rêvait peu, avait l’esprit net, était actif, croyait à une seule morale, ne se sentait point providentiel. […] D’un autre côté, une morale rationaliste, non assise sur des dogmes, non défendue par des terreurs et des espérances précises d’outre-tombe, fondée sur le sentiment de l’utilité commune, sur l’instinct social, sur l’égoïsme de l’espèce qui est altruisme chez l’individu et s’y épure et s’y élargit en charité, enfin sur ce que j’appellerai la tradition de la vertu simplement humaine à travers les âges, une telle morale ne peut que très lentement établir son règne dans les multitudes : il lui faut du temps, beaucoup de temps, pour revêtir aux yeux de tous les hommes un caractère impératif. […] Duruy, est un moraliste qui tire, à mesure, la morale de l’énorme drame dont sa scrupuleuse érudition a vérifié les innombrables scènes. […] Sans prétendre définir dans la grande rigueur ces idées entrevues par la conscience et sommées par elle d’être des vérités, il croyait en Dieu, à une survie de l’âme et à une responsabilité par-delà la mort, à une signification morale du monde et, malgré sa marche un peu déconcertante, au progrès.

86. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 181-190

Dans le cours de son Livre, il a eu l’art d’insérer une infinité d’observations importantes sur la Physique expérimentale, d’y développer ce que la Métaphysique a de plus sublime, & la Morale de plus épuré. […] Malebranche se seroit égaré dans ses Hypotheses, elles sont développées avec tant d’adresse, de force & de séduction ; il en découle tant de bons principes, tant d’idées lumineuses, une morale si saine, si instructive, qu’on doit au moins les traiter avec respect. […] Il ajoutoit, qu’il existe plus de vérités dans un principe de Métaphysique ou de Morale, que dans tous les Ouvrages historiques. […] La Métaphysique & la Morale forment, à la vérité, les premiers traits du Tableau de ses passions ; mais elles n’indiquent que les causes, au lieu que l’Histoire nous en découvre les effets, & par-là les différens ressorts. C’est dans ce spectacle vivant de la nature humaine, que les Poëtes, les Orateurs, les Moralistes eux-mêmes, peuvent trouver encore plus sûrement de quoi s’instruire, parce que les exemples y sont plus frappans, que les préceptes ne le sont dans un Traité de Morale.

87. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Appendice » pp. 511-516

Cette morale, on le voit, est purement et simplement celle du bon naturel. […] Mais cette morale n’est pas précisément celle qui répond au but indiqué par l’arrêté ; elle est à l’adresse des pères plus encore que des enfants, et ce ne serait en bonne logique qu’une juste conséquence si un fils aimable, morigéné le matin par son père pour quelques dissipations, et assistant le soir avec lui à la représentation des Jeunes Gens, lui disait, de ce ton de familiarité qu’autorisent les mœurs modernes : “Eh bien, qui de nous deux, ce matin, avait raison ? […] Le Demi-Monde, cette chose longtemps douteuse, équivoque mal définie, et qui a maintenant un nom, cette province aux frontière vagues et dont la géographie est comme fixée pour le moment, est-ce là un sujet qui prête à une leçon morale vivement donnée ? […] Le ministre, homme de bien, qui a laissé une mémoire si honorée8, en recommandant expressément aux auteurs dramatiques, à la date de 1851, une direction morale formelle et un enseignement d’une utilité presque directe, portait secours là où il y avait encore danger ; il cherchait à proportionner le contrepoids à la force de l’entraînement qui avait précipité les esprits en sens contraire. […] Aujourd’hui que, selon une expression mémorable, la pyramide a été retournée et replacée dans son vrai sens, quand la société est remise sur sa large base et dans son stable équilibre, ne serait-il pas plus simple, dans cet ordre aussi de récompenses dramatiques, de rendre aux choses leur vrai nom, d’encourager ce qui a toujours été la gloire de l’esprit aux grandes époques, ce qui est à la fois la morale et l’art, c’est-à-dire l’Art même dans sa plus haute expression, l’Art élevé, sous ses diverses formes, la tragédie ou le drame en vers, la haute comédie dans toute sa mâle vigueur et sa franchise ?

88. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIV. Moralistes à succès : Dumas, Bourget, Prévost » pp. 170-180

Sa morale n’est qu’un code sous tel article duquel tombe tout acte qualifié arbitrairement immoral. Immoral, c’est-à-dire socialement funeste. — Or, de cette morale, nous avons peu souci : parce que nous ne sommes plus très sûrs du sens des mots « socialement funestes ». […] Le projet de présenter par des illustrations littéraires non plus des réponses mais des questions de morale sociale n’est pas nécessairement répréhensible. […] Bourget est un des derniers audacieux qui croient mieux faire comprendre une catastrophe morale en la comparant à une éruption volcanique. […] Même vous êtes « pour la morale », comme le cocher du Fiacre 117, qui, après avoir trimballé son « store fermé », emmenait les délinquants chez le commissaire.

89. (1899) Le monde attend son évangile. À propos de « Fécondité » (La Plume) pp. 700-702

Je ne sais point si cette morale est conforme aux nécessités du monde possible. […] L’organisation des États doit moins constituer la morale que dépendre de ses prescriptions et que résulter de ses lois. […] À ceux-ci la morale dont je parle à présent est susceptible de plaire. […] Voilà pourquoi une telle morale est consolante. […] Ce qui fait la beauté du livre, c’est sa morale.

90. (1891) Esquisses contemporaines

Brunetière conclut de l’écrivain à sa personnalité morale. […] Cependant la loi morale nous a toujours rassuré. […] Si donc la volonté morale est la volonté par excellence, la seule peut-être qui mérite ce nom, le moment de l’obéissance morale sera le moment suprême, le seul véritable de la vie de l’homme. […] Renan, nous affligent au contraire, nous qui savons la banqueroute morale qu’elles accusent. […] Ce progrès de l’intellectualisme correspond au déclin de la vie morale.

91. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

Pour Bossuet, tout est obscur, douteux, fragile sans la foi : par la foi, l’univers, la vie, la morale deviennent intelligibles ; de la foi sortent la clarté, la certitude. […] Il se plaignait que déjà de son temps, les prédicateurs s’étendissent sur la morale en laissant le dogme de côté. […] Mais sa morale, tout austère, n’a rien qui effraie et décourage : il croit et il montre que, si Dieu a donné à l’homme ses commandements, c’est que l’homme peut les exécuter. […] L’art et l’esprit profanes envahissent le sermon, qui devient un pur développement de philosophie morale, embelli plus ou moins de traits ingénieux et surprenants. […] Il efface le dogme, il cite à peine l’Écriture, sa prédication est toute morale, toute philosophique, presque laïque.

92. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique »

Aucune idée, religieuse, morale ou rationnelle, n’échappe à cette généalogie précise. […] La principale et la plus avisée de ces attitudes est cet orgueil démesuré et tutélaire par lequel il se persuade que la plus haute forme de civilisation, la plus humaine et la plus morale a été réalisée par lui. […] Ce groupe ancien, par le fait même qu’il est parvenu à se constituer et à vivre, témoigne qu’il a su, au moyen de sa religion, puis de sa coutume morale, inventer les freins nécessaires pour coordonner son énergie. […] Ce n’est point le protestantisme sous son aspect confessionnel qui se propose ainsi en modèle à l’énergie française, ce n’est pas même la morale protestante, mais c’est un apparent rationalisme qui ne trouve en réalité son point d’appui que sur cette morale et sur cette forme religieuse. […] Croyant obéir aux lois d’une raison universelle, à laquelle, dans le domaine de la pratique morale, aucune réalité ne répond, elle ne va faire que se soumettre à la volonté de puissance d’une autre collectivité.

93. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

La morale et le sérieux de la vie n’ont pas d’autre preuve que notre nature. […] Et pourtant, si la morale n’était qu’une illusion, oh ! […] La révolution réellement efficace, celle qui donnera la forme à l’avenir, ne sera pas une révolution politique, ce sera une révolution religieuse et morale. […] La morale, la philosophie, la vraie religion ne sont pas à sa portée ; elle tourne dans une fatale impuissance. […] Ce qu’il faut à l’humanité, c’est une morale et une foi ; ce sera des profondeurs de la nature humaine qu’elle sortira, et non des chemins battus et inféconds du monde officiel.

94. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XII] »

La morale est trop blessée dans le livre d’Helvétius, et le trône est trop peu respecté dans le livre qui lui est dédié. […] Il me semble, sauf erreur, que les personniſications ne prouvent pas que la morale fût unie à la religion dans le polythéisme. Sans doute en adorant tous les vices divinisés, on adorait aussi les vertus ; mais le prêtre enseignait-il la morale dans les temples et chez les pauvres ? […] Que s’il y avait quelque morale attachée au culte de la déesse de la Justice, de la Sagesse, cette morale n’était-elle pas presque absolument détruite, et surtout pour le peuple, par le culte des plus infâmes divinités ? […] Il est certain, d’ailleurs, qu’un culte qui n’admet qu’un seul Dieu doit s’unir étroitement à la morale, parce qu’il est uni à la vérité, tandis qu’un culte qui reconnaît la pluralité des dieux, s’écarte nécessairement de la morale, en se rapprochant de l’erreur.

95. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — II. (Fin.) » pp. 281-300

Le premier point s’appliquait à plus d’une personne parmi celles qui faisaient alors les sévères et qui se déclaraient le plus haut contre la morale relâchée. […] C’était avec tous ces aiguillons, aujourd’hui émoussés pour nous, et, si l’on n’y prend garde, tout à fait inaperçus, que Bourdaloue armait son éloquence et faisait entrer sa morale. […] Je n’ai pas à entrer dans l’exposé du dogme et de la morale de Bourdaloue : qu’il me suffise de dire que son mérite et sa vertu comme son grand art est de professer un juste milieu en théologie. […] Je ne sais si, au point de vue théologique, le témoignage de Burnet demanderait quelque explication : il résulte au moins bien certainement de cette impression morale que lui avait laissée Bourdaloue, que celui-ci avait tout ce qu’il faut pour concilier. […] À la fin des Œuvres de Bourdaloue, on a réuni sous le titre de Pensées quelques-uns des morceaux de doctrine ou de morale qu’il écrivait à l’avance, selon l’habitude des orateurs anciens, pour les placer ensuite au besoin dans ses discours.

96. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

Il y a dans tout cela une odeur de sophisme, d’égoïsme mâle et de lâcheté morale qui répugne. […] Ce qui constitue la bohème, ce n’est pas le manque d’argent, c’est, avant tout, le manque d’éducation morale, d’empire sur soi-même et de pudeur intellectuelle. […] Le bohème est avant tout un esprit faux ; il emprunte à l’indépendance d’esprit de l’art et des théories anarchistes la fainéantise et la plénière indulgence morale. […] Quant aux mœurs de la bohème, il est irritant de les voir attribuer à l’une des castes les plus rares de l’État, en tous cas à celle qui, par sa profession même, s’approche le plus de la distinction et du raffinement de la délicatesse morale. […] Et surtout nous verrons l’artiste se séparer définitivement du sentimentalisme, de son désordre, de son afféterie, de sa déclamatoire déchéance morale, être silencieux sur sa propre vie et sur sa douleur.

97. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre II. Diderot »

Mais la morale ? […] » Instinct, éducation, expérience : voilà qui suffit pour la morale. […] Elle est source de crimes, fanatisme, guerres, supplices, etc. : c’est acheter trop cher un fondement de la morale, qui ne fonde rien du tout. […] Car voilà la caractéristique de Diderot : hardiment, crûment, tantôt cynique et souvent profond, il s’attaque à la morale. […] S’il malmena Boucher, il applaudissait à Greuze, il lui criait : « Fais-nous de la morale, mon ami ! 

98. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre I. Vue générale du seizième siècle »

La théorie de la virtù, d’où toute notion morale est exclue, fait de l’individu même l’œuvre où l’individu travaille à réaliser la plénitude de la force et de la beauté. […] Deux choses couraient grand risque : le dogme avec l’Église qu’il soutient ; et la morale, la pratique aussi bien que la théorique. […] Moins artiste que le génie italien, il a des tendances pratiques et positives, qui l’orienteront vers la recherche de la vérité scientifique ou morale : il trouvera de ce côté un appui dans les races septentrionales, en Angleterre, en Flandre, en Allemagne surtout, où la Renaissance prend la forme de l’érudition philologique et de la réforme religieuse. […] Marguerite elle-même unit la poésie, le mysticisme, l’humanisme, le zèle de la morale ; on sent dans cette période comme un effort pour réaliser l’idéal italien de l’homme complet, dont le libre développement physique et moral ne souffre point de restriction et de limites. […] La morale reparaît comme l’objet supérieur de la Réforme religieuse : Marot, trop protestant pour rester à la cour, est trop peu moral pour vivre à Genève.

99. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Appendice. [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 497-502

Le but dans lequel la fondation a été instituée s’est mieux défini aux yeux des concurrents : ce but est un accord entre la saine morale et la littérature dramatique. […] Cette moralité qui vient tard et seulement pour la forme, ne fait illusion à personne ; le public n’y donne jamais, et ce serait de la part des auteurs attribuer par trop de simplicité aux juges d’un concours que de les croire capables de se prendre à cette morale du lendemain. […] En médecine, il est une doctrine qui prétend guérir les semblables par les semblables ; en morale, surtout au théâtre, pareille doctrine est des plus périlleuses ; chercher le retour au bien par les images prolongées et souvent attrayantes du mal, c’est aimer à rester en chemin. […] Mais à cette hauteur, la nature vraie, mâle ou tendre, fortement ou ingénument passionnée, la nature humaine encore vertueusement malade, si je puis dire, produit le plus souvent, grâce au génie et à un art tout plein d’elle, une impression morale qui ennoblit, qui élève, et qui surtout jamais ne corrompt. […] C’est l’Ariste de la pièce, un Ariste jeune, animé, chaleureux, et qui représente le bon génie, la morale vivante du drame.

100. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [M. de Latena, Étude de l’homme.] » pp. 523-526

Dans Le Moniteur du 4 février 1854, j’ai donné un article sur l’ouvrage intitulé Étude de l’homme, par M. de Latena, conseiller-maître à la Cour des comptes ; en voici une partie, jusqu’à l’endroit où je ne me suis pas fait comprendre : Écrire des pensées, résumer l’expérience de la vie dans quelques essais de morale, est une des formes naturelles à toute une classe d’esprits graves et polis. […] Ce n’est point en lisant les auteurs ses devanciers que M. de Latena est arrivé à l’idée de résumer, à son tour, dans un ouvrage de morale les résultats de son expérience ; en composant ce livre, il est resté en dehors de toute excitation littéraire proprement dite : ce n’est pas sans dessein que je le remarque, car il y a eu de temps en temps des modes littéraires, même pour les livres de morale. […] De nos jours, je ne vois pas qu’il y ait eu émulation et concurrence dans le sens des ouvrages de pure morale. […] La Bruyère et La Rochefoucauld ont eu leur métaphysique, au fond et au-dessus de leur morale ; cette métaphysique seulement, ils ne l’ont pas dite ; ils ont jugé plus prudent de la sous-entendre, ou de ne la laisser voir, comme La Bruyère, que sous un jour qui n’est peut-être pas le plus en accord avec l’ensemble de leur observation pratique.

101. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire et philosophique »

Quant à Eucher, ses lettres ou traités sur la Louange du Désert et sur le Mépris du Monde forment d’aimables et pieux conseils, qui caractérisent à merveille la situation des âmes à cette époque, et ce mélange d’élégance littéraire, un peu païenne, avec une morale austère. […] Le célèbre auteur écossais, dans cet écrit qui présente l’ensemble complet de ses observations et de sa doctrine philosophique morale, développe ce qu’il n’avait fait qu’indiquer sommairement pour ses élèves dans ses Esquisses de philosophie morale, que M.  […] Il distingue et discute successivement : 1° les appétits ; 2° les désirs ; 3° les affections ; 4° l’amour de soi ; 5° la faculté morale. […] Damiron avec lequel nous sommes, bien malgré nous, en retard, a publié, il y a quelques mois, la seconde partie de son cours de philosophie : la première contenait la psychologie proprement dite ; le volume nouveau comprend la morale.

102. (1890) Dramaturges et romanciers

La morale dans les drames de M.  […] Or la morale de M.  […] Et à cette impression rêveuse il s’enjoint une autre plus grave, plus morale, d’une mélancolie réfléchie. […] C’est dans cette bigamie morale que consiste principalement l’originalité de son talent. […] En l’épousant, Sibylle épouserait non seulement un homme étranger à sa vie morale, mais un ennemi de sa vie morale.

103. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre IV. Addison. »

. —  Élévation de sa morale et de sa religion. —  Comment sa vie et son caractère ont contribué à l’agrément et à l’utilité de ses écrits. […] Sa logique nourrissait sa morale, et la rectitude de son esprit achevait la droiture de son cœur. […] Après six lignes de cette morale, un Français irait prendre l’air dans la rue. […] Au fond de sa morale est une balance qui pèse des quantités de bonheur. […] La plus sèche morale se transforme sous sa main en peintures et en récits.

104. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre huitième. »

Il a l’air d’approuver par ce mot ce voleur qui suit l’exemple des autres : proposition insoutenable en morale. […] Cette fable est très-bien écrite et parfaitement contée ; mais quelle morale, quelle règle de conduite peut-on en tirer ? […] Le résultat de cette fable n’est pas une leçon de morale, mais elle est un conseil de prudence ; et cette prudence n’a rien dont la morale soit blessée. […] La morale surtout en est excellente. […] Il était aisé d’établir la même morale sur une supposition moins absurde.

105. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. De Pontmartin. Causeries littéraires, causeries du samedi, les semaines littéraires, etc. »

Je dois insister, car c’est sur la morale que M. de Pontmartin lui-même insiste le plus souvent quand il juge les romans des autres. […] sa morale à lui, dans cette nouvelle, l’a égaré grandement. […] Voilà ce que la vraie morale humaine conseille au XIXe  siècle. […] Au lieu de cela, M. de Pontmartin se reporte à une morale vraiment arriérée, inhumaine et dure. […] C’est une de ces dernières que M. de Pontmartin a préconisée dans ce petit roman, dont franchement la morale me paraît détestable, parce qu’elle est inhumaine.

106. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Ils triomphaient dans les combats par leur courage, mais leur force morale consistait dans l’impression solennelle et profonde que produisait le nom romain. […] Les Romains avaient commencé par mépriser les beaux-arts, et en particulier la littérature, jusqu’au moment où les philosophes, les orateurs, les historiens rendirent le talent d’écrire utile aux affaires et à la morale publique. […] La littérature d’imagination a suivi une marche inégale ; mais la connaissance du cœur humain et de la morale qui lui est propre, s’est toujours perfectionnée progressivement. […] Ces ressorts, plus extérieurs qu’intimes, n’ont point permis à l’homme de connaître les secrets du cœur de l’homme ; et la philosophie morale y a perdu sous plusieurs rapports. […] On ne voit donc, dans la première époque de leur littérature, aucun ouvrage qui montre une profonde connaissance du cœur humain, qui peigne ni le secret des caractères, ni les diversités sans nombre de la nature morale.

107. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Sa sensibilité s’imposa ce supplice, cette épreuve morale. […] Après avoir fait bravement son devoir de citoyen, il rentra dans ses foyers ; la délicatesse de sa santé lui fit accorder son congé définitif en l’an IV, et il put se livrer sans partage à son goût pour les lettres et pour la philosophie morale. […] Cabanis lui dit un jour : « Vous voulez publier un ouvrage de morale, un ouvrage sérieux ; commencez plutôt par donner un roman. […] Tout homme de bien seconde cette révolution chaque fois qu’il contribue, soit à propager les principes de la morale, soit à répandre les procédés de l’industrie.  […] Le fait est que, grâce à ce concours d’écrivains occupés à répandre de saines idées économiques et morales, des idées pacifiques, l’action des écrivains hostiles est tenue en échec ; le niveau de la morale publique se maintient.

108. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

Il a dans la mémoire quantité de maximes, de définitions, des parties tout écrites de science et de morale sociale, des paragraphes entiers qu’il reprend et qu’il replace à l’occasion sans presque y rien changer. […] Mais le sujet était trop vivant et trop pathétique, il tenait de trop près aux sentiments qui se réveillaient alors dans tous les cœurs ; pour qu’un orateur comme Portalis n’en fît pas un texte de morale humaine et réconciliatrice. […] C’est alors que lui-même rassemblant le résultat de ses réflexions et de sa pratique morale, il dicta à son fils le traité publié depuis sa mort sous le titre : De l’usage et de l’abus de l’esprit philosophique durant le xviiie  siècle. […] En dénonçant l’abus de l’esprit philosophique, l’auteur ne fait ni comme Bonald, ni comme de Maistre, ni même comme Rivarol ; il n’en accuse pas amèrement, il n’en proscrit pas absolument l’usage, et il se montre attentif à extraire du grand mouvement moderne tout ce qui sert la raison sans détruire la morale et l’État. […] Ces belles paroles, à en bien pénétrer le sens, expriment toute la pensée morale du Code civil et le seul esprit général par lequel il nous soit permis de l’envisager ici.

109. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

La morale elle-même, en attachant à ce mot l’acception complète et quasi évangélique que nous lui donnons, a-t-elle été une forme de tous les temps ? […] Je conçois de même pour l’avenir que le mot morale devienne impropre et soit remplacé par un autre. […] Il serait tout à fait inexact de dire que la Chine est une nation sans morale, sans religion, sans mythologie, sans Dieu ; elle serait alors un monstre dans l’humanité, et pourtant il est certain que la Chine n’a ni morale, ni religion, ni mythologie, ni Dieu, au sens où nous l’entendons. […] On pourrait faire des observations analogues sur la morale et le culte et prouver que la morale n’est guère aux yeux des Chinois que l’observation d’un cérémonial établi et le culte que le respect des ancêtres. […] C’est un étrange monument de dépression morale et d’extravagance que le Talmud : eh bien !

110. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Le sujet tient à la fois de la critique et de la morale. […] L’épopée, qui est la statuaire morale des héros, signale, en Grèce, la première apparition dans le monde de la poésie humaine et libre. […] La musique n’est de sa nature ni morale ni enseignante ; elle ne l’a jamais été qu’accessoirement et par reflet. […] Le génie de telle fonction, de tel art spécial, est souvent exclusif d’une certaine étendue de l’intelligence, d’une certaine grandeur morale. […] L’intelligence toute seule n’atteint pas le grand côté des choses, la beauté, perfection de la vie, splendeur de la perfection morale.

111. (1890) L’avenir de la science « IV » p. 141

La race des égoïstes, qui n’ont le sens ni de l’art, ni de la science, ni de la morale, est de tous les temps. […] L’homme ne vivra jamais seulement de pain ; poursuivre d’une manière désintéressée la vérité, la beauté et le bien, réaliser la science, l’art et la morale, est pour lui un besoin aussi impérieux que de satisfaire sa faim et sa soif. […] Les Anglais ont cru faire pour la saine morale en interdisant dans l’Inde les processions ensanglantées par des sacrifices volontaires, le suicide de la femme sur le tombeau du mari. […] Et c’est à ces superbes débordements des grands instincts de la nature humaine que vous venez tracer des limites, avec votre petite morale et votre étroit bon sens ! […] C’est la force morale de l’homme exagérée, dévoyée, mais originale et hardie dans ses excès.

112. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

des « autorités » par conséquent en matière de morale ? […] Car la diversité des opinions en morale, c’est le joug du Seigneur rendu plus facile et plus doux !  […] La morale des honnêtes gens, avec les facilités qu’elle offrait, a reconquis son empire naturel sur le monde. […] je veux dire la morale usuelle, La morale courante, la morale des « honnêtes gens », celle dont on dit volontiers qu’elle suffit à la pratique de la vie ? […] Enfin, ce qui n’était qu’une théorie à laquelle on n’osait pas toujours conformer sa conduite, il en a fait une morale : une morale, c’est-à-dire une pratique, une règle de vivre.

113. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre neuvième. »

La morale, ou plutôt la leçon de prudence qui en résulte, est excellente. […] Je ne sais comment La Fontaine a pu faire une aussi mauvaise petite pièce sur un sujet de morale si heureux : tout y porte à faux. […] Toute morale doit reposer sur la base inébranlable de la raison. […] Quelle morale y a-t-il à tirer de-là ? […] Cette fable a aussi le défaut de rentrer dans la morale de plusieurs autres Apologues, entre autres dans celle de la fable IX du douzième livre, qu’on ne change pas son naturel.

114. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Henri de L’Épinois » pp. 83-97

Né de l’aumône ramassée dans le sang des martyrs, — car les premiers Fidèles, au temps des persécutions et jusque dans les catacombes, portaient leurs offrandes aux évêques et aux prêtres, « et, outre les objets mobiliers, — dit M. de L’Épinois, — ils donnaient des biens territoriaux dont les revenus servaient à l’entretien des clercs », — ce gouvernement temporel ne cessa jamais de représenter la justice, la miséricorde et l’action morale sur la terre. Après l’avoir opposée, cette action morale inconnue avant lui dans l’histoire, aux Païens, ses persécuteurs, il l’opposa aux Barbares, puis à la Féodalité, puis, plus tard encore, à l’ambition des États modernes. […] — et le livre de M. de L’Épinois ne permettrait pas, d’ailleurs, de l’oublier, — c’était principalement cette action morale intervenant dans les choses humaines au nom de Dieu, que la Papauté défendait en défendant son gouvernement temporel, comme c’était encore son action morale qu’elle sauvegardait dans son gouvernement spirituel, quand, à force de décrets, de bulles et de conciles, elle sauvegardait la pureté et l’intégrité de la Foi. Rien de plus frappant et qu’on puisse moins contester que cette action morale du gouvernement, même temporel, de la Papauté, dont M. de L’Épinois nous a tracé l’histoire. […] Je n’avais, moi, à propos du livre de M. de L’Épinois sur le gouvernement temporel de la Papauté, qu’à rappeler à ceux qui l’incitent perfidement à renier son passé et son origine en donnant d’une seule fois sa démission de toutes ses couronnes, le principe de son existence historique, et, ce qu’il ne faut jamais perdre de vue, la grandeur morale — quand elle fut la plus politique — de son action.

115. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XII. »

Aristote, préparant le génie d’Alexandre, ne dut pas sans doute moins recommander à son élève la poésie morale de Pindare que les chants belliqueux d’Homère. […] La morale, l’histoire, la poésie didactique et comique, furent encore cultivées avec un art habile, une finesse savante, ou un heureux éclat. […] La philosophie, non plus cosmogonique, mais morale, reparut encore cependant et fut comme la dernière liberté de la Grèce. […] Mais il est beau de voir, même sous la conquête macédonienne, ce qui restait de dignité morale à la philosophie, et quel langage elle savait prendre, entre la servitude du peuple civilisé et les apothéoses que se décernaient les généraux grecs conquérants des barbares. […] C’était une nouvelle forme de la poésie lyrique, l’élan réfléchi de l’âme, la force morale sans enthousiasme apparent, mais contenue et invincible devant l’erreur et les menaces du monde.

116. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Conclusion. »

Je ne parle point de celles qui ne concernent point la langue, la versification, etc ; je n’insiste que sur celles qui intéressent la morale, objet beaucoup plus important. On a pu remarquer quelques fables dont la morale est évidemment mauvaise ; un plus grand nombre dont la morale est vague, indéterminée, sujette à discussion ; enfin quelques autres qui sont entièrement contradictoires.

117. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. Le théâtre romantique »

Scribe : insignifiance et dextérité ; médiocrité morale. […] Il n’y a pas là-dedans une idée morale, un sentiment : rien que l’horreur physique. […] Ici, dit le poète, « l’action morale est tout ». […] Alors la comédie crée un univers de la couleur de ce sentiment, et la vérité morale est entière dans l’absolue fantaisie de la construction scénique. […] Delavigne (1823), pièce morale en vers maussades.

118. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VII. De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins » pp. 176-187

La morale de Cicéron a pour but principal l’effet que l’on doit produire sur les autres ; celle de Sénèque, le travail qu’on peut opérer sur soi : l’un cherche une honorable puissance, l’autre un asile contre la douleur ; l’un veut animer la vertu, l’autre combattre le crime ; l’un ne considère l’homme que dans ses rapports avec les intérêts de son pays ; l’autre, qui n’avait plus de patrie, s’occupe des relations privées. […] Cette idée manque de justesse ; les arts ont un terme, je le crois, au-delà duquel ils ne s’élèvent pas ; mais ils peuvent se maintenir à la hauteur à laquelle ils sont parvenus ; et dans toutes les connaissances susceptibles de progression, la nature morale tend à se perfectionner. […] L’esprit humain, et surtout l’émulation patriotique, seraient entièrement découragés, s’il était prouvé qu’il est de nécessité morale que les nations fameuses s’éclipsent du monde après l’avoir éclairé quelque temps. […] L’esclavage qui mettait une classe d’hommes hors des devoirs de la morale, le petit nombre des moyens qui pouvaient servir à l’instruction générale, la diversité des sectes philosophiques qui jetait dans les esprits de l’incertitude sur le juste et l’injuste, l’indifférence pour la mort, indifférence qui commence par le courage et finit par tarir les sources naturelles de la sympathie ; tels étaient les divers principes de la cruauté sauvage qui a existé parmi les Romains. Une corruption dégoûtante et qui fait autant frémir la nature que la morale, acheva de dégrader ce peuple jadis si grand.

119. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — II »

Mais la direction même de la curiosité de notre maître ne nous renseignerait-elle pas sur sa tendance morale ? […] Il m’a parlé de plusieurs personnes favorisées par la fortune, par la beauté, par une grande situation sociale, et qui pourtant mènent une vie morale digne de la plus haute estime. […] J’ai toujours voulu trouver une valeur morale à la recherche de la vérité. […] Pourquoi ne pas installer là tous ces rêves religieux qui satisferaient notre besoin de poésie, qui autoriseraient notre conception morale de la vie ? […] Aujourd’hui comme jadis, ma règle morale, c’est le stoïcisme de Marc-Aurèle, et ma méthode, c’est l’analyse scientifique ; mais ce serait un trait de jacobinisme de vouloir imposer par le raisonnement mon état d’esprit à ceux qui ne l’ont pas atteint.

120. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

La morale ne se compose pas de principes plus ou moins bien exprimés. […] Philon, dans le monde judéo-égyptien, arrivait en même temps que Jésus à des idées d’une haute sainteté morale, dont la conséquence était le peu de souci des pratiques légales 263. […] Dans la morale, comme dans l’art, dire n’est rien, faire est tout. […] De même, en morale, la vérité ne prend quelque valeur que si elle passe à l’état de sentiment, et elle n’atteint tout son prix que quand elle se réalise dans le monde à l’état de fait. […] On a parfois supposé que, la rédaction du Talmud étant postérieure à celle des Évangiles, des emprunts ont pu être faits par les compilateurs juifs à la morale chrétienne.

121. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

et la beauté elle-même n’est-elle pas l’expression d’une chose toute morale ? […] Dieu a voulu que dans l’homme l’amour fût le principe de la reproduction : c’est une grande et belle loi morale. […] Le goût de la solitude est donc une dégradation morale qui finit par pervertir l’homme. […] La légitimité est ce lien mystérieux qui forme l’unité morale des nations ; et en ce sens elle est le consentement même des peuples. […] Ils n’ont pas fait attention, d’une autre part, que cette unité morale qui fait qu’une nation est ; ils n’ont pas fait attention, disons-nous, que cette unité morale existait avant eux, qu’ils n’étaient pour rien dans la cause restée mystérieuse de son existence, et qu’une telle aristocratie ne pouvait être qu’artificielle.

122. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre deuxième. »

Cette fable est très-jolie : on ne peut en blâmer que la morale. […] Celui de ne pas donner de morale du tout. […] Il y a des questions sur lesquelles la morale reste muette et ne peut rien décider. […] La morale de cet Apologue est si évidente, que le goût ordonnait peut-être de ne pas y joindre d’affabulation ; c’est le nom qu’on donne à l’explication que l’auteur fait de sa fable Fable VIII.

123. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

La première des vérités, la morale, est aussi la source la plus féconde de l’éloquence ; mais lorsqu’une philosophie licencieuse se plaît à tout rabaisser pour tout confondre, quelle vertu votre voix peut-elle encore honorer ? […] La morale est inépuisable en sentiments, en idées heureuses pour l’homme de génie qui sait s’en pénétrer ; c’est avec cet appui qu’il se sent fort, et s’abandonne sans crainte à son inspiration. […] Mais, de nos jours, tant d’hommes craignaient de se livrer à la morale, de peur de la trouver accusatrice de leur propre vie ! […] Ne craint-il pas la justice, la liberté, la morale, tout ce qui rend à l’opinion sa force et à la vérité son rang ? […] Les meilleurs citoyens reposent dans la tombe, et la multitude qui reste ne vit plus ni pour l’enthousiasme, ni pour la gloire, ni pour la morale ; elle vit pour le repos que troubleraient presque également et les fureurs du crime, et les généreux élans de la vertu.

124. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VIII. »

Né à Samos, voyageur en Orient et législateur de villes grecques en Italie, sa science des nombres, sa théorie morale de la musique, et la part qu’il lui donnait dans l’ordre même du monde céleste, attestent dès l’origine quelle influence l’imagination devait prendre sur la civilisation des Grecs. […] Pindare allait être le chantre inspiré de cette philosophie pythagoricienne, la plus pure doctrine de l’antiquité avant Platon, spiritualiste jusqu’à l’erreur de la métempsycose, morale jusqu’aux plus sévères abstinences, poétique et lyrique, pour prendre plus d’empire sur les âmes, et les épurer par l’enthousiasme. […] On ne peut douter qu’Empédocle n’ait visité surtout l’Égypte, d’où Hérodote et Platon devaient tirer des faits certains en histoire, et, ce qui n’est pas moins précieux, des vérités en morale. […] Il ne le fut pas seulement par l’appareil dont il s’entourait, parcourant les campagnes sur un char, aux sons d’une musique préparée pour adoucir et charmer les esprits ; il enseigna dans ses vers la plus haute métaphysique, celle que le polythéisme n’affirmait pas ; l’essence immortelle de l’âme, et la plus pure morale, celle que la mythologie démentait par ses profanes exemples. […] Lorsque, séparé du corps, tu viendras dans le milieu libre de l’air, tu seras dieu impérissable, incorruptible, non plus soumis à la mort. » Quelle que soit l’élévation de cette morale, on sent cependant ce qui peut y manquer.

125. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Quels larges flots de vie morale circulent, impalpables et lumineux, à travers la salle ! […] La musique est, à notre vie morale, ce que l’industrie est à notre vie matérielle. […] Or quel art est plus propre à produire cette émasculation morale que la musique ? […] Morale du « Wilhelm Meister ». […] C’est à une autre morale que ceux-là devront recourir.

126. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre sixième. »

Je crois que la morale du premier Apologue aurait pu être : connaissez bien la nature du péril dans lequel vous allez vous engager. Et la morale du second : connaissez-vous vous-même, ne soyez pas votre dupe, et ne vous en rapportez pas au faux instinct d’un courage qui n’est qu’un premier mouvement. […] La narration et la morale se trouvent dans le dialogue des personnages, et l’auteur s’y montre à peine, si ce n’est dans cinq ou six vers qui sont de la plus grande simplicité. […] Mais j’ai déjà observé que la morale de la résignation est toujours excellente à prêcher aux hommes, bien entendu que le mal est sans remède. […] Le défaut de cet Apologue est de manquer d’une exacte justesse dans la morale qu’il veut insinuer.

127. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 44, que les poëmes dramatiques purgent les passions » pp. 435-443

Qu’on ne me fasse point dire après cela, que les poëmes dramatiques sont un remede souverain et universel en morale. […] J’ai supposé dans tout ce que je viens de dire, la morale des pieces de théatre aussi bonne qu’elle doit l’être. […] La tendresse paternelle combattuë dans le pere par la raison, les agitations d’un enfant bien né, tourmenté par la crainte de déplaire à ses parens, ou de perdre sa maîtresse, donnent lieu à plusieurs incidens interessans, dont il peut résulter une morale utile. […] Si ce crime peut être exposé sur le théatre, s’il peut y donner lieu à une morale utile, c’est en cas qu’il y paroisse dépeint avec les couleurs les plus noires, et qu’il y soit enfin puni des châtimens les plus séveres que Melpomene emploïe, mais dont Thalie ne peut pas se servir.

128. (1842) Discours sur l’esprit positif

Dans l’organisme polythéique de l’antiquité, la morale, radicalement subordonnée à la politique, ne pouvait jamais acquérir ni la dignité ni l’universalité convenables à sa nature. […] Mais cette opposition est, malheureusement, beaucoup plus radicale ; car, elle résulte de l’incompatibilité nécessaire qui existe évidemment entre ces deux manières de systématiser la morale. […] Une judicieuse exploration du véritable état de la société moderne représente donc comme de plus en plus démentie, par l’ensemble des faits journaliers, la prétendue impossibilité de se dispenser désormais de toute théologie pour consolider la morale ; puisque cette dangereuse liaison a dû devenir, depuis la fin du Moyen Âge, triplement funeste à la morale, soit en énervant ou discréditant ses bases intellectuelles, soit en y suscitant des perturbations directes, soit en y empêchant une meilleure systématisation. […] Ainsi, l’empirique expédient suggéré par le vain désir de maintenir, à tout prix, l’antique régime intellectuel, ne peut finalement aboutir qu’à laisser indéfiniment dépourvus de toute doctrine morale la plupart des esprits actifs, comme on le voit trop souvent aujourd’hui. […] Une appréciation plus intime et plus étendue, à la fois pratique et théorique, représente l’esprit positif comme étant, par sa nature, seul susceptible de développer directement le sentiment social, première base nécessaire de toute saine morale.

129. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre premier. Caractères naturels »

La plus belle moitié de la poésie, la moitié dramatique, ne recevait aucun secours du polythéisme ; la morale était séparée de la mythologie8. […] Dans le christianisme, au contraire, la religion et la morale sont une seule et même chose. […] Car si elle est aussi belle que le polythéisme dans le merveilleux, ou dans les rapports des choses surnaturelles, comme nous essaierons de le montrer dans la suite, elle a de plus une partie dramatique et morale, que le polythéisme n’avait pas.

130. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Ce ne sont pas des maximes de morale, c’est le développement des caractères et la combinaison des événements naturels qui produisent un semblable effet au théâtre ; et c’est en prenant cette opinion pour guide, qu’on pourrait juger quelles sont les pièces étrangères dont nous pouvons nous enrichir. […] Il ne me paraît pas douteux que la nature morale est plus énergique dans ses impressions que nos tragiques français, les plus admirables d’ailleurs, ne l’ont encore exprimée. […] Les véritables convenances du théâtre ne sont que la dignité de la nature morale ; les convenances poétiques tiennent à l’art des vers en lui-même, et si elles augmentent souvent l’impression d’un genre de beautés, elles mettent des bornes à la carrière que le génie, observateur du cœur humain, pourrait parcourir. […] Enfin, dans le siècle du monde le plus corrompu, en ne considérant les idées de morale que sous le rapport littéraire, il est vrai de dire qu’on ne peut produire aucun effet très remarquable par les ouvrages d’imagination, si ce n’est en les dirigeant dans le sens de l’exaltation de la vertu. […] Pour réussir par les ouvrages d’imagination, il faut peut-être présenter une morale facile au milieu des mœurs sévères ; mais au milieu des mœurs corrompues, le tableau d’une morale austère est le seul qu’il faille constamment offrir.

131. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

Il démontre sous toutes les formes, et par une quantité de considérations prises dans le cœur humain, que la morale religieuse vient sans cesse au secours de la législation civile : Elle parle un langage que les lois ne connaissent point ; elle échauffe cette sensibilité qui doit devancer la raison même ; elle agit, et comme la lumière et comme la chaleur intérieure ; elle éclaire, elle anime, elle s’insinue partout ; et ce qu’on n’observe point assez, c’est qu’au milieu des sociétés cette morale est le lien imperceptible d’une multitude de parties qui semblent se tenir par leurs propres affinités, et qui se détacheraient successivement, si la chaîne qui les unit venait jamais à se rompre. […] Necker en matière religieuse, c’est la sincérité parfaite, c’est l’onction, un sentiment profond et persuasif qui passe dans ses paroles, et qui remplace souvent la métaphysique par une morale touchante. […] Necker, quel temps je suis venu prendre pour entretenir le monde de morale et de religion ! […] Il le sentait si bien que, vers la fin de sa vie, en 1800, il publia un Cours de morale religieuse divisé en discours qui sont censés adressés par un pasteur à son troupeau. […] Beaucoup de gens ont parlé après lui de l’accord parfait de la morale et de la politique ; il n’en parlait pas seulement, il y croyait, et s’y astreignait aussi scrupuleusement que possible en toute circonstance ; mais il entendait cette morale au sens strict et particulier de l’homme de bien agissant dans la sphère privée.

132. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre premier. Astronomie et Mathématiques. »

La manière dont il s’énonce est remarquable : Itaque per hanc epistolam hoc ago ut ostendam tibi non minorem esse dubitandi causam in scriptis mathematicorum, quàm in scriptis physicorum, ethicorum 151, etc. « Je te ferai voir dans ce traité qu’il n’y a pas moins de sujets de doute en mathématiques qu’en physique, en morale, etc. » Bacon s’est exprimé d’une manière encore plus forte contre les sciences, même en paraissant en prendre la défense. […] Ils veulent trouver partout des vérités absolues, tandis qu’en morale et en politique les vérités sont relatives. […] En mathématiques on ne doit regarder que le principe, en morale que la conséquence. […] Une page éloquente de Bossuet sur la morale est plus utile et plus difficile à écrire qu’un volume d’abstractions philosophiques. […] Entêtés de leurs calculs, les géomètres-manœuvres ont un mépris ridicule pour les arts d’imagination : ils sourient de pitié quand on leur parle de littérature, de morale, de religion ; ils connaissent, disent-ils, la nature.

133. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VIII. Des romans. » pp. 244-264

Ses autres Romans, le Diable boiteux, le Bachelier de Salamanque, Don Gusman d’Alfarache, sont des imitations de l’Espagnol qui doivent plaire aux lecteurs françois par la morale sensée & libre, & par la critique badine qu’ils renferment. […] Au défaut d’uniformité de style qui caractérise ces lettres, il faut joindre celui de déclamer fort souvent & d’allonger par-là leur morale & leurs récits. […] Il ne respire que la plus pure morale & la vertu la mieux raisonnée. […] L’auteur les intitula Moraux, non qu’ils enseignent la morale, mais parce qu’ils peignent nos mœurs, dont l’auteur a saisi les nuances les plus fines. […] Quoique les contes de M. de Marmontel soient moraux dans le titre, il n’est pas toujours facile d’en apercevoir la morale dans la lecture.

134. (1824) Notice sur la vie et les écrits de Chamfort pp. -

Notice historique sur la vie et les écrits de Chamfort Il n’aurait été d’aucun avantage pour la mémoire de Chamfort qu’il eût tenu aux familles les plus distinguées ; il aurait dû être aussi tout à fait indifférent que Nicolas (c’était le nom qu’on lui donna avant qu’il en prit un) ait été sans naissance, et même, pour ainsi dire, sans famille, s’il n’en était trop souvent résulté pour lui le malheur de jeter sur la société un coup-d’œil amer, de prendre de bonne heure en haine ses institutions, et de s’habituer à regarder comme les plus contraires au bonheur et à la morale, celles là même qui ont été créées pour la garantir. S’il y a peu de mérite à tenir son âme au niveau d’une situation élevée (quoique ce mérite même ne soit pas commun), il y en a beaucoup à l’élever au-dessus d’une situation réputée basse ; il y en a surtout à se créer une morale pure et transcendante, quand on se trouve, en naissant, placé comme en contradiction avec les notions de la morale la plus vulgaire. […] Il le regardait comme son supérieur et son maître, même en force morale. […] « Il y a une certaine énergie ardente, a-t-il dit lui-même, mère ou compagne nécessaire de telle espèce de salent, laquelle, pour l’ordinaire, condamne ceux qui les possèdent au malheur, non pas d’être sans morale, de n’avoir pas de très beaux mouvements, mais de se livrer fréquemment à des écarts qui supposeraient l’absence de toute morale.

135. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes d’Amérique » pp. 95-110

À propos de femmes, il y joue pesamment aux axiomes sociaux, cette fossette des petits garçons philosophiques, et il nous déballe tout un système de morale, monstrueux et bouffon à la fois ; car, dans ce système de comédie, les usuriers à soixante pour cent seraient des saints Vincent de Paul. Comme vous le voyez, c’est assez nouveau… et pour nous autres vieux Européens, qui avons toujours pensé que la morale consistait dans l’abnégation, le désintéressement, le sacrifice, c’est assez impertinent aussi, comme vous allez voir ! […] affirme l’excellence de la nature humaine, qui pense que toute direction morale comme tout gouvernement politique est un abus, et que l’adoration de l’homme par l’homme, ou de la femme par la femme, et la satisfaction de tous les besoins, n’importe à quel prix ! […] C’est un de ces esprits qui croient que le nombre fait la loi morale : « La vertu, — dit-il à la page 16, — la vertu se compose de tous les vices autorisés. » Un pareil homme est depuis longtemps usé sur toutes ses faces. […] Diogène est un spiritualiste ; il n’avait pas pour la matière et ses jouissances les goûts hardis de Bellegarrigue, dont l’unique mesure intellectuelle et morale est l’argent, et dont l’épouvantable théorie nous donnerait le droit de le mépriser lui-même s’il n’est pas, à cette heure, riche comme un nabab.

136. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — N. — article » pp. 408-410

Les Essais de Morale ne lui font pas moins d’honneur. […] Celui qui a pour titre, les quatre fins de l’Homme, peut sur-tout être regardé comme un des meilleurs Traités de Morale Chrétienne, c’est-à-dire, de vraie Philosophie. […] Il n’eût pas dû oublier que la morale ne sauroit être que le résultat des lumieres de l’esprit & des sentimens du cœur.

137. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 369-371

Sous prétexte de donner des leçons de Morale, l’Auteur y débite des maximes absurdes, & renverse le plus souvent les notions des vertus, les plus invariables dans leurs principes. […] Elle n’a point attaqué, comme on l’a fait depuis, l’existence de Dieu, l’immortalité de l’ame, la nécessité d’un Culte ; elle ne s’est point élevée contre certains préceptes de la Morale chrétienne, tels que le pardon des offenses, &c. ; elle ne s’est point consumée en raisonnemens en faveur du suicide, de l’adulterre, de la vengeance ; au contraire, elle ne s’est jamais écartée d’un caractere de modération, de respect, à l’égard du plus grand nombre des vertus religieuses & sociales. […] Reboul, qu’on peut lire avec fruit & sans crainte d’y rencontrer rien de contraire aux principes de la Morale ni de la Religion.

138. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DES MÉMOIRES DE MIRABEAU ET DE L’ÉTUDE DE M. VICTOR HUGO a ce sujet. » pp. 273-306

L’idée morale n’entre plus dans le jugement qu’on porte sur eux, ni dans le rôle qu’on leur assigne. […] Le cœur se serre quand on voit que dans ce progrès de toute chose la force morale n’a pas augmenté. La notion du libre arbitre et de la responsabilité morale semble s’obscurcir chaque jour. […] Michelet espère pourtant que cette lumière de liberté morale, toute vacillante qu’elle semble, n’est pas destinée à périr, et nous l’espérons comme lui. C’est d’ailleurs le propre de la liberté morale de ne pas céder à la vogue, à l’entraînement, à l’opinion, et de vivre en protestant contre ce qui voudrait l’accabler.

139. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Par Dieu, présent en lui, source d’énergie morale, appui de la volonté, garant et témoin des engagements intérieurs. […] C’est là qu’est l’originalité et la grandeur de sa morale. Et voilà ce qui la différencie de la morale philosophique, ce qui lui donne un caractère hautement religieux. […] Jean-Jacques nous apparaît aussi comme le restaurateur de la morale. […] Il a fondé toute sa politique, toute sa religion, toute sa morale sur l’instinct et l’émotion.

140. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre III : Les Émotions »

Bain nous a donné dans son ouvrage une esthétique et une morale, cependant on en trouve une esquisse. […] Entre le bien et le beau, le rapport est si intime que quelques-uns, comme Gœthe, ont pensé que la morale n’est que l’esthétique appliquée à la vie ; idée qui n’a pas été étrangère à Platon. […] Si le langage de la philosophie allemande ne devait paraître déplacé ici, nous dirions en un seul mot, que la morale de M.  […] Le fait fondamental, c’est donc celui de l’approbation et de la désapprobation morale. […] Rien ne paraît plus contraire aux faits que de placer la règle morale dans une législation promulguée et de la considérer comme le type sur lequel se façonne la conscience individuelle.

141. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Casuistique. » pp. 184-190

Ce qu’avaient fait cette jeune femme qui est morte et cet homme qui s’est suicidé, est qualifié de crime et par la morale religieuse et par le Code. […] * * * La vérité, d’ailleurs, c’est que l’acte en question est toléré par la « morale » commune, même par celle des gens « comme il faut », — à condition de demeurer secret. […] Comment en serait-il autrement, quand le crime dont je parle est si pareil, dans son fond, à d’autres actes, absous ceux-là par le Code, ou dont la loi ne saurait connaître, et que la « morale » commune, non seulement supporte, mais avoue ? […] Le vrai, en morale, c’est le rigorisme pour soi-même.

142. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Lucrèce Borgia » (1833) »

Prenez la difformité morale la plus hideuse, la plus repoussante, la plus complète ; placez-la là où elle ressort le mieux, dans le cœur d’une femme, avec toutes les conditions de beauté physique et de la grandeur royale, qui donnent de la saillie au crime, et maintenant mêlez à toute cette difformité morale un sentiment pur, le plus pur que la femme puisse éprouver, le sentiment maternel ; dans votre monstre mettez une mère ; et le monstre intéressera, et le monstre fera pleurer, et cette créature qui faisait peur fera pitié, et cette âme difforme deviendra presque belle à vos yeux. Ainsi, la paternité sanctifiant la difformité physique, voilà le Roi s’amuse ; la maternité purifiant la difformité morale, voilà Lucrèce Borgia. […] Faites circuler dans tout une pensée morale et compatissante, et il n’y a plus rien de difforme ni de repoussant.

143. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Cela est si vrai que, quand nous voulons parler d’une chose supérieure en sagesse, en vertu, en force, en beauté matérielle ou morale, nous disons : Cela est antique. […] « Est-ce que la nature humaine, viciée tout entière dans son premier couple ou dans ses premières générations, comme une moisson dont tous les épis contenus dans la première semence se ressentent de l’altération du germe, aurait subi une déchéance et une punition à perpétuité pour avoir abusé de cette liberté morale, liberté morale qui est son danger et sa gloire ? […] La poésie lyrique des prophètes hébreux est mille fois plus sublime d’expression, les hymnes des Védas ont plus d’enseignement de morale et de vertu dans leurs strophes. […] Enfin le maître se transfigure entièrement en esprit, et foudroie le disciple anéanti dans sa divinité ; puis il reprend sa forme humaine douce et souriante, et l’instruit des devoirs du culte et de la morale. […] Ne dirait-on pas, à la lecture de ces lignes, qu’une racine pleine de la sève morale du christianisme futur végétait dans les flancs de l’Himalaya ?

144. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Massillon et Vauvenargues ont affaibli, l’un la prédication chrétienne, l’autre la morale qui nous défend contre nos passions. […] C’est proprement la morale de ce Discours. […] La comparaison sert à faire voir non des infériorités, mais des différences dont la vérité historique, la morale et la langue ont profité. […] Il a su que le christianisme avait des annales ; mais, au lieu de les consulter, il en a détourné les yeux comme d’un fatras de théologie obscure et de morale inaccessible. […] Il donne les raisons des lois ; il en laisse chercher la morale à l’hésitation du lecteur.

145. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre premier. La Formation de l’Idéal classique (1498-1610) » pp. 40-106

Il prêche la morale facile de l’abbaye de Thélème, et « en sa règle n’est que cette clause : Fais ce que voudras ». […] On a eu peur, nous l’avons dit, de la sombre et désespérante morale de Calvin. […] L’expérience a fait comprendre la nécessité d’une direction morale. […] Sociale dans son objet, générale dans ses moyens d’expression, cette littérature sera encore morale, dans la mesure précise où il ne saurait exister de société sans morale. […] Cette morale ne sera donc ni la morale chrétienne du détachement et du sacrifice, ni même la morale stoïcienne de l’effort : ce sera une morale « mondaine ».

146. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXV » pp. 97-99

. — grave symptome de décadence morale. […] C'est peut-être le plus grave symptôme de décadence morale chez un peuple que cette absence de toute rancune et cette réconciliation banale après d’indignes procédés, sauf à recommencer demain. […] Mais, me direz-vous, pourquoi ne l’exécutez-vous pas (cette révolution morale) ?

147. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

Il avait de plus quelques autres raisons sans doute, comme on peut supposer qu’en suggère aisément la morale ou la jeunesse. […] N’allez rien demander non plus de bien imprévu, de bien surprenant, à la morale qu’il propose ; Horace, Voltaire et bien d’autres y ont passé avant lui ; c’est celle d’un Aristippe non égoïste et affectueux. […] Sa morale est surtout usuelle. […] Ces pages agréables et sensibles de la Galerie eurent leur récompense que les livres de morale n’obtiennent pas toujours. […] Mais j’aime mieux finir sur un trait plus humble, plus assorti à la morale familière dont M. de Ségur n’était un si fidèle et si persuasif organe que parce qu’il la pratiqua.

148. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VIII » pp. 70-76

Le bel esprit a essayé de nos jours d’accréditer un paradoxe qui me paraît blesser tout ensemble la vérité, la morale et le goût. […] La bienséance du langage est une loi de la morale dans toute société où les femmes sont en parité avec les hommes, parce que c’est un devoir envers elles. […] Les sympathies et les antipathies naturelles sont des lois de la morale, intimées à tous les cœurs bien nés. La bienséance du langage serait une loi du goût, quand elle ne serait pas une règle de morale, et c’est par cette raison que la bienséance peut être respectée au plus haut point chez une nation où la corruption des mœurs est portée au dernier excès.

149. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre cinquième. »

Mais La Fontaine se contente de nous renvoyer au simple bon sens, et fonde sa morale sur la nature commune et sur la raison vulgaire. […] Cela est vrai ; mais s’il est ainsi, à quoi sert la morale en général, et où est la morale de cette fable en particulier ? […] La morale dans la bouche de celui qui vient d’être châtié, fait ici un effet d’autant meilleur que le trait est saillant et l’épigramme excellente.

150. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Henry Rabusson »

Rabusson ne nous montre que ce qui y fleurit le plus naturellement : la sensualité, la galanterie, la vanité, la curiosité physique et morale. […] Rabusson ne croit pas beaucoup à la liberté humaine (pas la moindre trace de lutte morale dans ses histoires), ni au bonheur de vivre (tous ses romans pourraient finir, comme l’Amie, par ces mots : « Pourquoi la vie ?  […] A les entendre, nul n’eût supposé que cette femme allait se mettre hors la loi, que tous deux allaient se mettre hors l’honneur  Que pèsent, à ces heures-là, les systèmes complets de morale à l’usage des esprits philosophiques ? La morale des philosophes est une morale de cabinet qui ne les suit guère dehors ; tant qu’on raisonne doctoralement, inter libros ou inter pocula, c’est superbe, plein de simplicité, de grandeur et d’harmonie ; mais deux beaux yeux que l’amour fait arder ont bien vite raison de toutes les rigueurs théoriques de ces belles doctrines, lesquelles, en de certains, moments, sembleront toujours à quiconque ne les a pas inventées de simples jeux de savants. Et, fût-on soi-même l’inventeur du système réfrigérant dont on invoque le secours dans les grandes crises de la passion, on ne tarde pas à se dire, mettant de côté tout amour-propre d’auteur, qu’il n’y a pas de système qui vaille une caresse de femme aimée, ni de traité de morale que l’on puisse mettre en balance avec l’immorale, mais toute-puissante volupté d’un amour heureux.

151. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre III. L’écrivain »

Songez, pour excuser cette morale gauloise, que le Gaulois n’a jamais fait sa règle et qu’il l’a toujours subie ; ecclésiastique ou civile, elle lui vient d’ailleurs et d’en haut. […] La Fontaine n’essaye pas d’y fronder la morale, mais d’en établir une. […] III Ce ton indique la morale. […] » Cette morale est celle du pauvre, de l’opprimé, en un mot, du sujet. […] Sauf une petite élite, les Français en sont restés à la morale de La Fontaine. « Amusons-nous », c’est là, ce semble, son grand précepte, et aussi le nôtre.

152. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Cours de littérature dramatique, par M. Saint-Marc Girardin. (2 vol.) Essais de littérature et de morale, par le même. (2 vol.) » pp. 7-19

Essais de littérature et de morale, par le même. (2 vol.) […] En critique comme en morale, les anciens ont trouvé toutes les grandes lois : les modernes n’ont fait le plus souvent que raffiner spirituellement sur les détails. […] Il a aussi, dans l’ordre de critique morale, de fort belles pages, comme quand il commente la parabole de l’enfant prodigue, en la rapprochant des pères de Térence. […] Saint-Marc Girardin aime à tirer de l’Écriture des exemples ou des maximes de morale, et il en assaisonne à ravir son enseignement. […] Il n’a cessé de lui redire sur tous les tons, sur le ton de la raillerie, comme aussi sur celui de l’affection : Ne vous croyez pas supérieur aux autres ; acceptez la vie commune ; ne faites pas fi de la petite morale, elle est la seule bonne.

153. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre dixième. »

C’est que l’intention en est sage, morale, bien marquée, et que d’ailleurs l’exécution en est très-agréable. […] Les dernières ne doivent être la représentation des autres, que dans les cas où le résultat est utile, ou du moins n’est pas nuisible à la morale. […] La chanson du berger est fort jolie ; mais on est un peu scandalisé de la morale de la pièce et du conseil que l’auteur donne aux rois. […] Et en effet, toute la morale ne tend guère qu’à empêcher les malheureux de se plaindre : ce qui n’est pas d’une grande conséquence. […] la morale de cette fable est donc qu’il en faut croire le premier écriteau ?

154. (1890) L’avenir de la science « I »

J’admets dans toute sa portée philosophique ce précepte du Grand Maître de la morale. […] Le premier pas de celui qui veut se donner à la sagesse, comme disait la respectable antiquité, est de faire deux parts dans la vie : l’une vulgaire et n’ayant rien de sacré, se résumant en des besoins et des jouissances d’un ordre inférieur (vie matérielle, plaisir, fortune, etc.) ; l’autre que l’on peut appeler idéale, céleste, divine, désintéressée, ayant pour objet les formes pures de la vérité, de la beauté, de la bonté morale, c’est-à-dire, pour prendre l’expression la plus compréhensive et la plus consacrée par les respects du passé, Dieu lui-même, touché, perçu, senti sous ses mille formes par l’intelligence de tout ce qui est vrai, et l’amour de tout ce qui est beau. […] J’ai la faiblesse de regarder comme de mauvais ton et très facile à imiter cette prétendue délicatesse, qui ne peut se résoudre à prendre la vie comme chose sérieuse et sainte ; et, s’il n’y avait pas d’autre choix à faire, je préférerais, au moins en morale, les formules du plus étroit dogmatisme à cette légèreté, à laquelle on fait beaucoup d’honneur en lui donnant le nom de scepticisme, et qu’il faudrait appeler niaiserie et nullité. […] Or l’humanité cultivée n’est pas seulement morale ; elle est encore savante, curieuse, poétique, passionnée. […] Il y a un grand foyer central où la poésie, la science et la morale sont identiques, où savoir, admirer, aimer sont une même chose, où tombent toutes les oppositions, où la nature humaine retrouve dans l’identité de l’objet la haute harmonie de toutes ses facultés et ce grand acte d’adoration, qui résume la tendance de tout son être vers l’éternel infini.

155. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VI. Jules Simon »

Singulière morale, il est vrai, et théologie plus étrange encore ! […] Oui, on égorge, ou du moins on essaie d’égorger le christianisme, selon cette grande loi de précaution que le plus sûr est toujours d’égorger celui que l’on pille, et la doctrine assassine se revêt de la morale de la doctrine assassinée, et nous soutient que c’est à elle, cette morale volée, dont elle ne peut pas même se servir ! […] Il faut une sanction à la morale chrétienne, que seul le christianisme a trouvée, et qu’une doctrine humaine, philosophique ou naturelle, ne peut remplacer ! […] Simon, c’est la substitution d’un théophilanthropisme, nominalement religieux, aux religions qui furent jusqu’ici l’honneur et la force morale du monde, et c’est cette substitution, qu’il est bon de réaliser sans coup férir et sans danger, sans éveiller les justes susceptibilités de ces religions puissantes encore et en leur témoignant tous les respects !

156. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre quatrième. »

Il était si aisé à La Fontaine de composer un Apologue dont la morale eût été comme dans celui-ci : Amour ! […] Il s’en sert pour amener de la morale. […] L’intention morale en est excellente, et les plus petites circonstances s’y rapportent avec une adresse ou un bonheur infini. […] Peut-on mettre la morale en action d’une manière plus sensible et plus frappante ?

157. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

Quelque terne que soit le signalement qu’il donne, quelque bizarre et hors nature le type qu’il entend représenter, d’une phrase, d’un monologue, d’un récit rapporté et interjeté, la nature morale particulière qu’il veut montrer apparaît dans tous les détails de sa configuration individuelle. […] L’œuvre de Dickens n’étant pas, par excellence, une œuvre de réalisme descriptif, mais bien une déformation émue du spectacle social, formule un jugement sur ce qui est aimable ou détestable dans le monde, aboutit à fonder une sorte de morale pratique qu’il sera intéressant de connaître, qui n’est ni la morale de ce temps, ni celle du pays où Dickens est né, et qui donnera des lumières complètes sur ses inclinations et son idéal. […] Si ces conceptions sont vraies, on voit combien est oiseuse et mal posée la question de la morale en art. Une œuvre d’art ne saurait proclamer de morale, dans le sens usuel de ce mot, parce que le fait seul de proclamer une morale, d’en révéler une que l’on ne connaisse pas de date immémoriale, équivaut à exprimer sur la vie des vues erronées, partielles, nuisibles. La tentative même, l’effort qu’il faut faire pour persuader ces imaginaires préceptes, en démontre la fausseté ; car la vraie morale est obéie sans conteste et tacitement.

158. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre IV. L’heure présente (1874) — Chapitre unique. La littérature qui se fait »

Il nous a fait aimer l’efficacité morale des religions. […] Il a toujours défendu l’objectivité de l’œuvre d’art, le respect de la nature fidèlement rendue, et il a toujours affirmé que les œuvres d’art valent par les idées qu’elles traduisent, par la force morale qu’elles contiennent. […] Scribe et le genre Sardou ; puis à faire aimer les idées au théâtre, idées de psychologie, de morale, de philosophie, traduites dramatiquement, c’est-à-dire en états concrets de conscience, en résonances de la sensibilité, en tensions de la volonté. […] Certaines gaucheries d’exécution, et, je crois, pour la dernière pièce, une certaine erreur de l’auteur lui-même sur la valeur morale des actes de son personnage principal, ont fait qu’il n’a pas encore trouvé auprès du public ni auprès de la critique la justice qui lui est due. […] Léon Tolstoï (né en 1828) a renoncé à la littérature d’art, et s’est fait, en dehors de tout dogmatisme confessionnel, apôtre de la morale évangélique ; par le livre et par l’exemple, il a enseigné la justice, l’humilité, la pitié, la charité.

159. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

Nous avons, depuis plus de trente ans, polissonné avec les choses les plus sacrées, la Religion, la Morale, les Pouvoirs publics… et aujourd’hui, il n’est pas permis de juger librement M.  […] … Et quant à la Postérité, elle qui demande des opinions à Sainte-Beuve, elle a au moins l’opinion de ce grand moraliste sur la Postérité, lorsqu’il disait en pleine Académie, que la morale de Mme Sand serait, avant peu, toute la religion de l’avenir ! […] Vous avez tous cru — même vous, Monsieur Sainte-Beuve, qui voulez que mes opinions en morale soient la religion de l’avenir, — que j’étais un écrivain d’ordre philosophique, ayant des idées sociales à faire triompher, écrivant des romans comme Rousseau pour prêcher et enseigner quelque chose ; espérant arriver à soulever par l’imagination, cette grande force, tous les sentiments de la vie contre la Loi et l’Opinion, — ces choses mal faites. […] Elle glisse sur la thèse du mariage qui est le fond de Jacques, car Jacques, — il faut bien dire les choses par leur nom, — est un Sganarelle héroïque, qui reconnaît hardiment la légitimité du courage, et qui se tue pour donner sa place à l’amant de sa femme, dans son lit ; et elle n’insiste que sur la thèse du suicide qui n’est ni plus vraie ni plus morale, et qu’elle appelle le droit (le DROIT !!!) […] Après la morale qu’on veut sauver, — un peu tard, — il y a la littérature, et c’est toujours la même coquetterie ou la même fatuité, ou la même combinaison de sincérité, dans cette seconde partie du livre que dans la première !

160. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

De là les lois sur la génération pure de l’espèce, sur l’autorité paternelle, sur la piété filiale ; instincts changés en devoirs de tous les côtés ; spiritualisme de cette trinité plus morale que charnelle ; sollicitude pour l’enfant, assistance dans l’âge mûr, tendresse et culte pour la vieillesse, le plus doux des devoirs, la justice en action, la reconnaissance, mille vertus en un seul devoir ! […] L’aristocratie intellectuelle et morale dans le conseil de l’empire, spiritualisme raisonné qui signifie : point de souveraineté sans lumière. […] Parce que la société politique ne se compose pas seulement de corps qui produisent, qui consomment, qui vivent et qui meurent ensevelis dans le sillon qui les a nourris ; mais parce que la société morale se compose avant tout d’une âme immortelle dont la destinée immortelle est de rendre gloire à son Créateur en se perfectionnant et en se sanctifiant éternellement devant lui. […] Combien le véritable contrat social est supérieur, en vérités et en dignité morale, à ce pacte de la chair avec les sens ! […] Rousseau s’élève, dans cette contemplation lyrique de la Divinité et de la morale, mille fois au-dessus des philosophes impies ou matérialistes du dix-huitième siècle.

161. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Édouard Rod »

Mais je vous préviens maintenant que ce n’était qu’un artifice pour vous faire plus vivement sentir l’originalité de cette autobiographie morale. […] Je crois que tous les hommes sont réellement solidaires ; je crois aussi (ceci est de Pascal) que nous aimons les autres (ou d’autres que nous) aussi « naturellement » que nous nous aimons nous-même ; et que, de cette vérité sentie et de cet instinct développé peut découler toute une morale. […] Je crois que la morale est tantôt l’amour et tantôt l’acceptation des liens parfois délicieux et parfois gênants qui nous enchaînent, soit par le cœur, soit par un intérêt supérieur où le nôtre se confond, à d’autres que nous et aux groupes de plus en plus larges dont nous faisons partie. Je crois que cette morale, dans le détail de ses prescriptions, doit coïncider, sur les points essentiels, avec la partie durable des morales religieuses et de celle qui est fondée sur une philosophie spiritualiste. Je crois aussi qu’on est bon et juste (quand on l’est) naturellement, par un sentiment qui commande et rend le plus souvent facile le sacrifice à autre chose que soi et, comme on l’a dit, par une « duperie » profitable à l’ordre universel et qui dès lors n’est plus duperie : mais pour croire que ce n’en est pas une, il faut faire effort, et sans doute la morale doit commencer par un acte de foi, formulé ou non.

162. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VIII. Suite du chapitre précédent. De la parole traditionnelle. De la parole écrite. De la lettre. Magistrature de la pensée dans ces trois âges de l’esprit humain » pp. 179-193

D’ailleurs, il va être démontré qu’une autre force morale commence à succéder à celle qui vient de se briser, une force morale modifiante et extensible. […] Les hommes ont beau n’être pas disposés toujours à toute justice, il se forme une conscience générale, une morale publique, qui ont besoin d’être consultées à chaque instant, et dont les arrêts sont sûrs ; à peu près comme dans un parterre composé d’hommes plus ou moins éclairés, il s’établit des jugements et même des impressions qui, en définitive, méritent toute notre estime et toute notre confiance. […] Le jury tel qu’il est, sans parler même de sa composition arbitraire, n’a pas assez de latitude morale ; il est trop circonscrit dans les limites du fait matériel, et trop astreint, par conséquent, à l’imployable rigidité de la lettre. […] L’opinion est donc devenue cette force morale modifiante et extensible dont nous parlions tout à l’heure, et qui est destinée à remplacer la parole traditionnelle.

163. (1870) La science et la conscience « Chapitre I : La physiologie »

La question n’est plus entre la science et la métaphysique ; elle est entre la science et la conscience, entre la science et la morale. […] La physiologie contemporaine a pénétré dans le sanctuaire même de la vie morale ; elle entend y régner et y dicter ses arrêts comme dans le domaine de la vie physique. […] La vérité vraie est que l’auteur est la nature, et que, dans la vie morale comme dans la vie physique, tout se fait et s’explique par le jeu des forces naturelles. […] Elles constatent des faits que nulle spéculation métaphysique, nulle doctrine morale ne saurait nier. […] L’état de sagesse constitue une sorte de nécessité morale qui est la perfection même de la liberté.

164. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Ce qu’il disait là en 1768, Chesterfield l’avait déjà dit plus de vingt-cinq ans auparavant, écrivant à Crébillon fils, singulier correspondant et singulier confident en fait de morale. […] Lord Chesterfield lui-même, aux yeux des puritains de son pays, a été accusé, je dois le dire, d’avoir fait brèche à la morale dans les lettres adressées à son fils. Le sévère Johnson, qui d’ailleurs n’était pas impartial à l’égard de Chesterfield, et qui croyait avoir à se plaindre de lui, disait, au moment de la publication de ces Lettres, « qu’elles enseignaient la morale d’une courtisane et les manières d’un maître à danser ». […] Toute sa morale, à cet égard, se résumerait dans ce vers de Voltaire : Il n’est jamais de mal en bonne compagnie. […] Si, dans les Lettres à son fils, on peut, sans être rigoureux, relever quelques points d’une morale légèrement gâtée, on aurait à indiquer, par compensation, de bien sérieux et tout à fait admirables passages, où il parle du cardinal de Retz, de Mazarin, de Bolingbroke, de Marlborough et de bien d’autres.

165. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVIII » pp. 198-205

Dire que la chasteté du langage ne doit pas aller au-delà de celle des mœurs, quelque corrompues qu’elles soient, c’est prétendre que la société de mœurs honnêtes est condamnée à entendre et à parler un langage qui respire le mépris de l’honnêteté et de la morale ; c’est avancer que le langage peut mettre à découvert des mœurs que la morale oblige à cacher ; c’est aussi établir en principe que des esprits délicats et polis n’ont pas le droit d’exclure de leur langage des expressions grossières et brutales, et j’observe ici que si la décence est une loi de la morale, c’est aussi une loi du goût. […] Le cynisme prive de tous les charmes qu’elle répand dans la vie sociale à tous les degrés des liaisons et des intimités qu’elle procure, Le goût veut donc, comme la morale, que moins les mœurs sont pures, et plus on les déguise sous un langage exempt de leur souillure.

166. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 312-324

Quel doit donc être un cœur philosophe, à en juger par l’odieuse morale qui en découle ? […] L’arbitraire, & l’arbitraire établi sur les débris des notions de tous les devoirs, répand dans les Esprits l’incertitude, la défiance, la langueur, une espece de mort morale, présage des plus funestes révolutions. […] Qu’il se révolte contre sa morale : l’expérience a fait constamment connoître que cette morale est la digue la plus respectable & la plus sûre qu’on puisse opposer à la perversité des passions.

167. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Un homme cependant n’accomplit pas à lui seul une révolution morale. […] peut-il reconnaître au christianisme la grandeur morale, mais non la beauté. […] Kant aussi trouve toute la morale dans l’homme intérieur. […] Mais la morale, la religion, la philosophie sont des disciplines. […] La difformité de Triboulet est physique, mais aussi morale.

168. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

Le droit de la société ne vient point de la nature. » Cet axiome suppose de deux choses l’une : ou que l’obéissance, dénuée de toute raison d’obéir et de toute moralité dans l’obéissance, n’est que la contrainte et la force brutale, sans autorité morale, et alors l’autorité morale de la loi sociale est entièrement niée par ce singulier législateur de l’illégalité ; ou cet axiome suppose que le joug des lois est une autorité morale, et alors ce cri d’insurrection personnelle contre toutes les lois est en même temps le cri de guerre légitime, perpétuel contre toute autorité. […] Voilà la souveraineté, voilà l’autorité morale, voilà l’obéissance obligatoire, voilà les titres et la sanction de la loi. […] Une famille ruinée par les fautes ou par les malheurs d’une seule génération est une famille perdue pour l’État ; en perdant sa fortune stable dans une contrée, elle perd ses influences, ses patronages, ses clientèles, ses exemples, son autorité morale et politique dans le pays. […] Les opinions flottent comme les mœurs ; la rotation sans limite de la fortune et des familles empêche toute autorité morale de s’établir ; la roue de la fortune, en tournant si vite, précipite tout dans un égoïsme funeste à l’ensemble ; le peuple même n’a plus ni protection, ni centre, ni représentants puissants dans le pays, pour défendre ses droits, ses instincts, ses libertés. […] La démocratie chinoise a pulvérisé l’esprit de nationalité ; en tuant la famille elle a tué l’énergie morale de la défense.

169. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XV. M. Dargaud » pp. 323-339

Il a donc passé par la poésie, — par l’observation morale, — par la description pittoresque des choses et des hommes avant d’arriver à l’histoire, à l’histoire à laquelle il fera bien de rester, car c’est sa vocation réelle. […] Certes, il y a déchet ici dans la magnanimité de l’historien, mais quoique restreinte, telle qu’elle est cependant, cette magnanimité qui prend sa source dans le sentiment de la beauté morale humaine, où qu’elle soit, donne précisément à cette Histoire de la Liberté religieuse l’expression qui doit contrister le plus les hommes étroits du parti qui boude en ce moment M.  […] La beauté et la laideur morale tiennent une telle place dans les hommes, même les plus éclatants par le génie et par la gloire, que toutes ces figures qui passent rayonnantes, ténébreuses ou indécises, dans cette étendue du xvie  siècle, lequel semble plus grand par l’effet de tout ce qu’il contient dans sa longueur encombrée, paraissent, sous la main de ce grand connaisseur en beauté morale, avoir des lumières ou des ombres de plus ! Pris par ce côté, — l’appréciation morale, dans toute sa profondeur, des actions et du caractère, qui est le meilleur côté de la pensée et du talent de M.  […] Dargaud est cette aversion, sans cruauté et sans furie, qui se détourne au lieu d’insulter, et que la beauté morale, cette fille du christianisme, touche encore !

170. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre IV. — Molière. Chœur des Français » pp. 178-183

S’il existait quelque part un être isolé, qui ne connût ni l’homme de la nature, ni l’homme de la société, la lecture de ce grand poète pourrait lui tenir lieu de tous les livres de morale et du commerce de ses semblables253. […] La vraie comédie doit arriver au plaisant par le sérieux, et faire jaillir le ridicule des profondeurs de la nature humaine272 Il faut que son dénomment décèle une utilité morale, et laisse voir le philosophe caché derrière le poète273. Tirant le comique du fond des caractères, et mettant sur la scène la morale en action, un poète français est devenu le plus aimable précepteur de l’humanité qu’on eût vu depuis Socrate274.

171. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre III. Suite du précédent. — Seconde cause : les anciens ont épuisé tous les genres d’histoire, hors le genre chrétien. »

Sans s’appesantir, et sans rien perdre de l’élégance attique, il jeta des regards pieux sur le cœur humain, et devint le père de l’histoire morale. […] Les causes des événements qu’Hérodote avait cherchées chez les Dieux, Thucydide, dans les constitutions politiques, Xénophon, dans la morale, Tite-Live, dans ces diverses causes réunies, Tacite les vit dans la méchanceté du cœur humain. […] Mais, en morale et en histoire, on tourne dans le champ étroit de la vérité ; il faut, quoi qu’on fasse, retomber dans des observations connues.

172. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre III : Le problème religieux »

Sans entrer ici dans le débat assez compliqué de la morale dite indépendante, nous nous contenterons de rappeler qu’il y a dans l’homme deux tendances : l’une par laquelle il tend à tomber au-dessous de lui-même, l’autre à s’élever au dessus. L’objet de la morale consiste à élever l’âme et à l’empêcher de s’abaisser ; mais on sait qu’il est plus facile à l’homme de déchoir que de monter. Tout ce qui tend à élever l’âme est donc favorable à la morale ; c’est ainsi que les arts, la science, la liberté politique, la philosophie, sont des forces qui tendent à maintenir un niveau élevé dans l’humanité. […] Supposez toutes les religions disparaissant tout à coup, il se fera certainement un grand vide dans l’âme humaine, et il y aura, si j’ose le dire, une perte effroyable de force vive dans l’ordre moral ; ce que l’on gagnerait en lumière ne compenserait que très-imparfaitement ce que l’on perdrait en énergie et en vitalité morale. Or la philosophie morale ne peut se le dissimuler : en faisant le vide dans lésâmes religieuses, elle contribue pour sa part au déchet moral que nous signalons.

173. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

On n’est homme qu’à la condition de la culture intellectuelle et morale. […] L’État doit au peuple la religion, c’est-à-dire la culture intellectuelle et morale, il lui doit l’école, encore plus que le temple. […] si nul ne l’a reçu à son enfance pour le faire naître à la vie morale ? […] La morale, comme la politique, se résume donc en ce grand mot : élever le peuple. […] On ne fait pas tort à un enfant en sollicitant sa nonchalance native, pour le plus grand bien de sa culture intellectuelle et morale.

174. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

Molière, sans songer précisément à la politique, en avait sans doute tiré des jours profonds pour la peinture morale de l’espèce, pour sa comédie dont le rire inextinguible ne saurait faire oublier les sanglantes morsures et les perpétuelles insultes à la guenille humaine. […] Weiss nous le rappelle, il n’est pas jusqu’à l’honnête et sensée Mme de Motteville qui ne fasse là-dessus ses remarques très philosophiques ou du moins d’une morale très religieuse. […] Bossuet, en proférant cette fausseté morale déguisée en beauté oratoire, ne faisait d’ailleurs qu’emprunter à Tertullien discutant contre l’hérétique Marcion une pensée théologique qu’il détournait de son sens, qu’il dépouillait de son tour déclamatoire en l’isolant, et à laquelle il imprimait un air de grandeur comme ce lui était chose aisée, sans la rendre pour cela plus juste38. […] La Fronde, à ce point de vue, a été une espèce d’école de morale très suffisante, très complète et pas trop forte. […] Il fallait désengaîner la morale de tout ce revêtement artificiel : de là quelques brisures.

175. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre quatrième »

La philosophie n’aperçoit pas la morale, et se hâte d’appliquer ses principes à la religion, dans laquelle elle se confond bientôt ou contre laquelle elle va se briser. […] La seule autorité morale de cette époque de ténèbres, la foi, malgré les sourdes résistances de la raison, finissait toujours par rester la maîtresse. […] Elle fait comme la philosophie, elle néglige la morale, qui tient le milieu entre l’une et l’autre, et dans laquelle seulement se trouve l’idée de l’humanité. […] Il en paraît sans doute quelque image dans les théologiens du moyen âge ; mais cette morale n’y est qu’une discipline impérieuse. […] De tant d’écrits en langue latine qui donnent l’illusion d’une fausse maturité, il n’est rien arrivé dans la langue vulgaire, et l’esprit français n’a fait de progrès que le jour où il a cherché la morale sous la théologie, et secoué la servitude de la scolastique.

176. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre quatrième »

L’épître, ce genre aimable, où le poète, devenu moins chatouilleux sur les défauts d’autrui et moins indulgent pour les siens, ne s’excepte pas de la morale qu’il fait aux autres, J. […] Il y rentre dans la partie morale. C’est en effet sa morale à lui. […] La morale du Discours sur la nature de l’homme, est qu’on n’y connaît rien, et qu’il ne faut pas perdre son temps à la chercher. […] Quand on lit les Épîtres et les Satires de Voltaire, on pense à Horace qui, dans la même morale, est plus élevé et plus aimable, et, par le tour et par l’image, plus poète ; à Boileau, qui, dans une morale supérieure, tire ses plus beaux vers de sa fidélité à cette morale ; on pense à Voltaire lui-même, qui, dans ses poésies légères, dira plus agréablement les mêmes choses.

177. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

Par ces points, l’art touche à la morale sociale et à la morale individuelle, et si ce qui le constitue, les propriétés générales mêmes de ce qui est esthétique, contribuent à modifier la conduite des individus et des masses, la sorte particulière d’émotions et de pensées que chaque ouvrage tend à faire naître chez ses lecteurs et ses admirateurs peut de même exercer une action bonne ou mauvaise sur le cours de leur caractère. […] Par ce point, l’esthopsychologie touche à l’éthique, et tranche définitivement la question des rapports de l’art et de la morale. […] Elle occupe, dans la science, la région située entre l’esthétique, la psychologie, la sociologie et la morale. […] Cette thèse a des accents rousseauistes : le progrès des sciences et des arts accompagne la décadence politique et morale. […] Hennequin ne rejoint donc pas les théories de « l’art pour l’art », qui impliquent une dissociation complète de l’esthétique et de la morale.

178. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Études sur Blaise Pascal par M. A. Vinet. »

Vinet dans la nature morale de Pascal, et n’a fait voir plus sensiblement que sous le héros chrétien il y avait l’ homme . […] La théologie de l’auteur des Pensées, à la bien voir et en la dégageant des accessoires qui n’y tiennent pas essentiellement, porte en plein sur la nature morale de l’homme ; c’est là sa force et son honneur. […] La nouvelle apologétique qu’on pourrait déduire des Pensées de Pascal, telles qu’on les possède actuellement, ne saurait s’adresser en réalité qu’à un petit nombre d’esprits et de cœurs méditatifs ; et elle mériterait moins le nom d’ apologétique que de s’appeler tout simplement une forte étude morale et religieuse faite en présence d’un grand modèle. […] Dans un langage fin et serré, grave à la fois et intérieurement ému, l’âme morale ouvrait ses trésors.

179. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la bienfaisance. »

L’homme bon est de tous les temps, et de toutes les nations ; il n’est pas même dépendant du degré de civilisation du pays qui l’a vu naître ; c’est la nature morale dans sa pureté, dans son essence ; c’est comme la beauté dans la jeunesse où tout est bien sans effort. […] Il y a des vertus toutes composées de craintes et de sacrifices, dont l’accomplissement peut donner une satisfaction d’un ordre très relevé à l’âme forte qui les pratique ; mais, peut-être, avec le temps découvrira-t-on que tout ce qui n’est pas naturel, n’est pas nécessaire, et que la morale, dans divers pays, est aussi chargée de superstition que la religion. […] Sans vouloir méconnaître le lien sacré de la religion, on peut affirmer que la base de la morale, considérée comme principe, c’est le bien ou le mal que l’on peut faire aux autres hommes par telle ou telle action. […] Toutes les véritables vertus dérivent de la bonté, et si l’on voulait faire un jour l’arbre de la morale, comme il en existe un des sciences, c’est à ce devoir, à ce sentiment, dans son acception la plus étendue, que remonterait tout ce qui inspire de l’admiration ou de l’estime.

180. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

Maine de Biran a fini par le mysticisme, ce qui prouve à quel point la morale le préoccupait. […] Jouffroy est celui de tous qui s’est le plus occupé de morale ; mais quoi ! […] Vous dites que, s’ils soutiennent telle philosophie, c’est dans l’intérêt de la morale : qui les empêchera de vous dire que c’est par haine pour la morale que vous soutenez vous-même telle philosophie ? […] Ainsi, sur la plupart des grandes questions de la psychologie et de la morale, M.  […] Psychologie, logique, métaphysique, morale, tout doit être soumis à une sévère révision.

181. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

Telle est l’obligation morale. […] Nous la retrouvons quand nous passons de la religion à la morale. […] Parce que nous constatons un enrichissement graduel de la morale, nous voulons qu’il n’y ait pas de morale primitive, irréductible, apparue avec l’homme. Il faut pourtant poser cette morale originelle en même temps que l’espèce humaine, et se donner au début une société close. […] Le présent travail avait pour objet de rechercher les origines de la morale et de la religion.

182. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre I. Place de Jésus dans l’histoire du monde. »

Aucune grande pensée morale ne pouvait sortir de races abaissées par un despotisme séculaire et accoutumées à des institutions qui enlevaient presque tout exercice à la liberté des individus. […] Ce n’était ni de la religion, ni de la morale réfléchies ; c’était de la mélancolie, de la tendresse, de l’imagination ; c’était par-dessus tout du sérieux, c’est-à-dire la condition essentielle de la morale et de la religion. […] Mélange de morale patriarcale et de dévotion ardente, d’intuitions primitives et de raffinements pieux comme ceux qui remplissaient l’âme d’un Ézéchias, d’un Josias, d’un Jérémie, le Pentateuque se fixe ainsi dans la forme où nous le voyons, et devient pour des siècles la règle absolue de l’esprit national. […] Et cette Loi, il faut bien le remarquer, était toute sociale et morale.

183. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VI. Du trouble des esprits au sujet du sentiment religieux » pp. 143-159

Les anciens philosophes formaient des écoles, qui étaient comme autant de sectes, parce que, professant leurs opinions à côté de religions qui n’avaient rien de positif, ils pouvaient rester unis à la morale. […] Ils ne pouvaient embrasser la morale tout entière, parce qu’ils seraient rentrés, par cela même, dans le christianisme. […] Si, dans le siècle dernier, il y avait quelque prétexte pour excuser le cynisme de Voltaire, quoique la morale passe avant tout, le prétexte n’existe plus. […] Je sais qu’on espère, par la grande diffusion des lumières, obvier à l’inconvénient qui résulte de l’affaiblissement du principe religieux ; c’est, en d’autres termes, croire que les lumières peuvent remplacer la morale. […] Enfin on espère encore que multiplier la propriété est un excellent moyen de faire entrer la morale dans les peuples, de les attacher aux institutions, de leur faire craindre les révolutions.

184. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXI. Philosophie positive »

Toute cette mathématique, voyez-vous, toute cette astronomie, toute cette physique, toute cette chimie, toute cette biologie, toute cette science sociale, pour arriver à être philosophe, c’est-à-dire à savoir deux mots de morale, deux simples mots sur ses devoirs, ah ! […] Les facultés de l’âme et la morale, qui est la conséquence de ces facultés, sortent pour M.  […] Ôtez à ce penseur pillard et frêlon celle qu’il a faite des sciences et dont j’ai parié plus haut, au commencement de ce chapitre, mathématique, astronomie, physique, chimie, biologie, science sociale et morale, qu’il classe en sciences abstraites et concrètes, et il n’a plus que les idées d’autrui, qui ne se cachent pas. En morale, où il n’invente pas plus qu’en métaphysique, par exemple, M.  […] Est-ce sa morale, sans Dieu, sans sanction, sans immortalité, sans espérance, et pour le plaisir d’être agréable à tout le monde ?

185. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Lacordaire. Conférences de Notre-Dame de Paris » pp. 313-328

indépendamment de ce que l’âme et la foi du prédicateur versent dans sa parole de chaleur, de mouvement et de vie, il y a toujours au fond de toute prédication chrétienne deux sciences immenses et formidables : la science de Dieu et la science de l’homme, la théologie et la morale. […] Les Conférences de Notre-Dame de Paris sont un magnifique traité de dogme et de morale dressé contre la philosophie du xixe  siècle, et répondant à ses erreurs. […] Puis, pénétrant plus avant, il arrive aux effets de la doctrine catholique sur l’esprit, sur l’âme et sur la société, ce qui implique toute une philosophie, toute une morale, toute une politique ; et alors, se repliant devant toutes ces choses, développées et dévoilées avec un détail qui n’omet rien, il se demande ce qu’a dû être le fondateur d’une religion qui a pris ainsi dans ses bras la création toute entière, et la vie de N. […] Est un moraliste, pour ces gens-là, le premier venu qui écrit un catéchisme de morale, comme saint Lambert ou comme Franklin. […] Des grammairiens de morale, des économistes de conscience, des écrivains de civilités puériles et honnêtes, ne sont point des moralistes.

186. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Introduction »

Dans ces derniers temps la morale aussi a réclamé son indépendance. […] Sans rechercher ce que vaut cette tentative, constatons du moins à titre de fait que la morale, elle aussi, ne s’effrayerait pas d’être indépendante et de se constituer un domaine à part. […] C’est une étude qui part de l’âme humaine et de ses diverses manifestations ; qui par la faculté de raisonner est conduite à la logique ; par la faculté de vouloir et d’agir conformément à une loi est conduite à la morale et de là remonte à la cause première de toute chose, à Dieu : elle se complète par quelques recherches métaphysiques sur l’essence de l’âme, la nature de la certitude et les principes fondamentaux de la morale. […] La morale, par exemple, ne recherchera pas ce que c’est que le bien en soi. […] La psychologie doit se garder aussi de la morale, car il est tout différent de constater ce qui est et de prescrire ce qui doit être, de s’en tenir aux faits ou de chercher un idéal.

187. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Sous ce rapport, ses livres sont encore une école de politique, sinon de morale, comme les livres des historiens antiques. […] Si bien instruit qu’il soit des faits, on peut lui reprocher de juger les personnes et les choses en homme d’école plutôt qu’en historien ; mais on lui rendra cette justice, que sa mesure de jugement n’a rien de commun ni avec la morale du succès, ni même avec la morale de l’utile. […] Ce n’est pas seulement tout intérêt esthétique que le fatalisme enlève à l’histoire, c’est encore toute vertu morale. […] Cette crise intellectuelle et morale fait comprendre l’heureuse opportunité des livres qui, comme ceux de MM.  […] De pareils personnages n’auront plus, dans un avenir plus ou moins prochain, d’occasions de jouer leur rôle glorieux ou sanglant, mais toujours mortel pour la vie morale des peuples qu’ils mènent.

188. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Pensées de Pascal. Édition nouvelle avec notes et commentaires, par M. E. Havet. » pp. 523-539

Né en 1623 d’une famille pleine d’intelligence et de vertu, élevé librement par un père qui était lui-même un homme supérieur, il avait reçu des dons admirables, un génie spécial pour les calculs et pour les concepts mathématiques, et une sensibilité morale exquise qui le rendait passionné pour le bien et contre le mal, avide de bonheur, mais d’un bonheur noble et infini. […] La rencontre qu’il fit de Messieurs de Port-Royal fournit un aliment à son activité morale, et leur doctrine, qui était quelque chose de neuf et de hardi, devint pour lui un point de départ d’où il s’élança avec son originalité propre pour toute une reconstruction du monde moral et religieux. […] Mais ces hommes de doute et d’érudition, ou bien les libertins simplement gens d’esprit et du monde, comme Théophile ou Des Barreaux, prenaient les choses peu à cœur ; soit qu’ils persévérassent dans leur incrédulité ou qu’ils se convertissent à l’heure de la mort, on ne sent en aucun d’eux cette inquiétude profonde qui atteste une nature morale d’un ordre élevé et une nature intellectuelle marquée du sceau de l’archange ; ce ne sont pas, en un mot, des natures royales, pour parler comme Platon. […] En le prenant de la sorte, on résistera suffisamment à sa logique quelque peu étroite, opiniâtre et absolue ; on s’ouvrira cependant à cette flamme, à cet essor, à tout ce qu’il y a de tendre et de généreux en lui ; on s’associera sans peine à cet idéal de perfection morale qu’il personnifie si ardemment en Jésus-Christ, et l’on sentira qu’on s’est élevé et purifié dans les heures qu’on aura passées en tête-à-tête avec cet athlète, ce martyr et ce héros du monde moral invisible : Pascal pour nous est tout cela. […] Le livre de Pascal, dans l’état où il nous est venu, et dans la hardiesse ou le décousu des restitutions récentes, ne saurait être pour personne un livre d’apologétique exact et complet : ce ne peut être qu’une lecture ennoblissante, et qui reporte l’âme dans la sphère morale et religieuse d’où trop d’intérêts vulgaires la font déchoir aisément.

189. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

C’est en eux qu’une époque puise son idéal de morale et de beauté. […] Et cependant, tous ces cas « fin de siècle » ont un trait commun : le dédain des convenances et de la morale traditionnelles. […] Quand ce phénomène apparaît à un haut degré, on parle de « folie morale », « la moral insanity » de Pritchard et de Maudsley8. […] Ils voulaient que la fantaisie culbutât la raison et lui mit le pied sur la gorge, et ils proclamèrent le droit martial de la passion contre la procédure circonspecte de la discipline et de la morale. […] Cependant, il n’existe pas de folie morale chez Verlaine.

190. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

Point d’exception donc pour la morale, ni surtout pour la religion. […] Le moyen, en vérité, de fonder la morale sur ce sol perpétuellement mouvant ! […] Plus de théologie ni de métaphysique ; de la morale ! […] C’est donc qu’il n’appartient pas aux religions de régler la morale ou la politique, mais au contraire, à la politique ou à la morale de rectifier ou d’épurer les religions. […] S’étonnera-t-on là-dessus que le mépris de la religion ait entraîné celui de la morale même à sa suite, dans un temps où l’on ne concevait guère la morale que par rapport à la religion ?

191. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VIII. La Fille. — Iphigénie. »

Aucune morale ne se rattache d’ailleurs à une pareille imitation : bien au contraire ; car en voyant le tableau de notre état, ou nous tombons dans le désespoir, ou nous envions un état qui n’est pas le nôtre. […] La morale, la curiosité, la noblesse de l’art, la pureté du goût, et peut-être la nature envieuse de l’homme, obligent donc de prendre les acteurs de la tragédie dans une condition élevée. […] Racine n’a donné ce courage à son héroïne que par l’impulsion secrète d’une institution religieuse qui a changé le fond des idées et de la morale.

192. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre XI. Le Guerrier. — Définition du beau idéal. »

Qui, des héros ou des chevaliers, méritent la préférence, soit en morale, soit en poésie ? […] La société où la morale parvint le plus tôt à son développement, dut atteindre le plus vite au beau idéal moral, ou, ce qui revient au même, au beau idéal des caractères : or, c’est ce qui distingue éminemment les sociétés formées dans la religion chrétienne. Il est étrange, et cependant rigoureusement vrai que tandis que nos pères étaient des barbares pour tout le reste, la morale, au moyen de l’Évangile, s’était élevée chez eux à son dernier point de perfection : de sorte que l’on vit des hommes, si nous osons parler ainsi, à la fois sauvages par le corps, et civilisés par l’âme.

193. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XI. L’antinomie sociologique » pp. 223-252

Le christianisme a été une révolte morale des humbles et des pauvres contre l’ordre établi. […] L’individu retrouve dans chacune d’elles, en partie les mêmes associés ou collègues ; il y retrouve surtout les mêmes sentiments, les mêmes idées, la même morale, les mêmes préjugés, les mêmes mots d’ordre. […] Le fait de ne pas mentir avec le groupe entraîne pour l’individu des sanctions ; — 3º troisième différence qui résulte de la précédente : différence d’évaluation morale. […] Toutes ces idéologies sont unitaires : elles ont pour but de faire croire à l’unité intellectuelle, morale, politique, juridique, de l’espèce humaine ; à l’unité d’intérêts, de droits et de valeur morale des individus humains. […] « S’il est une vérité que la sociologie a fermement établie, c’est que la société a sur l’individu une supériorité qui n’est pas simplement physique, mais intellectuelle et morale, qu’elle n’a rien à craindre du libre examen, pourvu qu’il en soit fait un juste emploi105. » — La discipline sociale dans son ensemble, y compris les croyances sociales, est « fondée en raison et en vérité ».

194. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre septième. »

La morale, comme règle générale des devoirs, s’était séparée du casuitisme, ou de la morale selon la théologie ; et comme science non-seulement de la vertu en général, mais de toutes les bienséances particulières, quels admirables interprètes n’avait-elle pas eus dans Rabelais et dans Montaigne ? La sécularisation de la morale, c’est peut-être l’œuvre la plus originale du xvie siècle. […] Ce que Charron fit pour la morale universelle humaine, François de Sales le fit pour la morale chrétienne. […] Le livre de la Sagesse, malgré les réserves les plus explicites et les plus sincères en ce qui touche la foi, s’y substituait à l’insu de l’auteur, en réglant par la morale générale certains points que la religion seule avait réglés jusque-là. […] C’est la première fois, en France, que la morale purement humaine était enseignée dogmatiquement.

195. (1913) La Fontaine « II. Son caractère. »

Il y a la morale du devoir. […] Enfin il y a encore, par exemple, la morale de la sensibilité, et il y a surtout, à mon point de vue, la morale de l’honneur. […] Comme on a dit avec beaucoup de raison que la haine est plus près de l’amour que ne l’est l’indifférence, l’immoralisme est souvent plus près de la morale que ne l’est l’indifférence à la morale, Vous voyez par exemple que Nietszche se croit immoraliste ; oui ; seulement il passe toute sa vie à chercher une morale, et il n’est pas sans en avoir donné les premiers linéaments, le premier tracé. Or, je dis que cet homme n’est pas aussi éloigné de la morale qu’il le croit. La Fontaine, lui, est indifférent à la morale, absolument ; il l’a été toute sa vie.

196. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Cette route conduisait nécessairement aux plus nobles des sciences, à la religion et à la morale. […] Au total, Diderot fut un écrivain funeste à la littérature comme à la morale. […] C’est de là que vient l’avantage de la religion sur la morale humaine. […] Un autre défaut de l’ouvrage, c’est la folle prétention d’être un cours de morale. […] D’ailleurs, que de ressources ils s’interdisaient en renonçant au dogme pour s’occuper de la morale !

197. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

De Dieu, de la morale, on ne leur disait mot. […] Rousseau est forcé d’en convenir : « Que l’enfant sache seulement qu’il est faible et que vous êtes fort, et que, par son état et le vôtre, il est nécessairement à votre merci », La morale de la force remplace la morale de l’obéissance libre ! […] On appelle cela, dans la langue de la « morale de campagne », le cynisme de l’amour de soi. […] Pour les deux premiers, il en rend responsable la morale du monde où il vivait. […] Son ignorance des hommes le jette sans cesse hors de la vérité morale.

198. (1903) La renaissance classique pp. -

Ce sont les mêmes gens qui aujourd’hui voudraient imposer leur propre morale à nos ouvriers, que dis-je ? à la nation tout entière, ignorant que chaque État, pour ne pas dire chaque individu, trouve en lui-même le vivant principe de sa morale. […] Si certains naturalistes se piquèrent d’enseigner une morale en action, les autres professèrent que l’art est étranger à toute morale. […] Aujourd’hui encore, sous les noms les plus divers, qu’elle s’appelle Religion, Esthétique ou Morale, elle est l’âme de nos civilisations. […] — après l’invasion matérielle, l’invasion intellectuelle et morale du vainqueur !

199. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

Pédagogie, politique, morale, tout sera régénéré par la science. […] Il avait à exposer le plan d’une morale. […] Cousin, et en 1838 il fut appelé à la chaire d’histoire et de morale au Collège de France. […] Par elle il retrouva tout ce qui était nécessaire à sa vie intellectuelle et morale. […] Dès lors la solitude morale que les événements lui avaient faite se trouva peuplée.

200. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Je ne considérerai donc la morale et la politique que sous le point de vue des difficultés que les passions leur présentent ; les caractères qui ne sont point passionnés se placent d’eux-mêmes dans la situation qui leur convient le mieux, c’est presque toujours celle que le hasard leur a désignée, ou s’ils y apportent quelque changement, c’est seulement dans ce qui s’offre le plus facilement à leur portée. […] La morale, chaque fois qu’elle s’applique à tel homme en particulier, peut se tromper entièrement dans ses suppositions par rapport à lui ; l’organisation d’une constitution se fonde toujours sur des données fixes, puisque le grand nombre en tout genre amène des résultats toujours semblables, et toujours prévus. […] Une grande différence, cependant, existe entre le système du bonheur de l’individu et celui du bonheur des nations ; c’est que dans le premier, on peut avoir pour but l’indépendance morale la plus parfaite, c’est-à-dire, l’asservissement de toutes les passions, chaque homme pouvant tout tenter sur lui-même ; mais que dans le second, la liberté politique doit toujours être calculée, d’après l’existence positive et indestructible d’une certaine quantité d’êtres passionnés, faisant partie du peuple qui doit être gouverné. […] Dans l’étude des constitutions, il faut se proposer pour but le bonheur, et pour moyen la liberté ; dans la science morale de l’homme, c’est l’indépendance de l’âme qui doit être l’objet principal, ce qu’on peut avoir de bonheur en est la suite. […] Vos paroles, votre voix, vos accents, l’air qui vous environne, tout vous semble empreint de ce que vous êtes réellement, et l’on ne croit pas à la possibilité d’être longtemps mal jugé ; c’est avec ce sentiment de confiance qu’on vogue à pleine voile dans la vie ; tout ce qu’on a su, tout ce qu’on vous a dit de la mauvaise nature d’un grand nombre d’hommes, s’est classé dans votre tête comme l’histoire, comme tout ce qu’on apprend en morale sans l’avoir éprouvé.

201. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Le Procureur général, en 1542, ne les maltraitait pas moins comme mauvais acteurs de pièces mal faites que comme offensant la morale et la religion. […] Mais dans ce dernier cas, le caractère pieux disparaît devant l’intention morale. […] Ici la moralité confine à la sottie et à la farce, et il est difficile de savoir pourquoi Mieux que devant ou les Gens nouveaux, qui sont les plus agréables pièces du genre, sont qualifiées de farce morale ou bergerie morale : ce sont purement et simplement des moralités. […] Parfois l’amant reste à la cantonade : le couple alors se présente dans un tête-à-tête sans tendresse, ou bien s’annexe la belle-mère, ou un autre couple, pour aboutir toujours à la même morale. […] C’est moins parce qu’on rit des dupes que par la façon dont on en rit, absolument de tout cœur et sans arrière-pensée, ni ombre de restriction, que l’insuffisance morale de la pièce éclate.

202. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Dans un quart d’heure il décida trois questions de morale, quatre problèmes historiques, et cinq points de physique. […] Il oubliera lord Falkland, ce chef-d’œuvre de la délicate et galante morale entée sur l’antique loyauté. […] Voyons Franklin pourtant tel qu’il est dans sa beauté morale et dans sa juste stature. […] Vers l’âge de vingt-quatre ans, il conçut le projet hardi et difficile de parvenir à la perfection morale, et, pour y atteindre, il s’y prit comme un physicien habile qui, moyennant des procédés très simples et de justes mesures qu’il combine, obtient souvent de très grands résultats. […] Franklin eut là son coin de chimère et d’ambition morale excessive, dont les hommes les plus pratiques ne sont pas toujours exempts.

203. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Tourguénef est revenu trois fois sur ce point morbide de notre organisation morale. […] La maladie morale est ici la même que chez Bazarof, mais plus aiguë et mieux caractérisée. […] Enfin, la même maladie morale se manifeste avec ses derniers symptômes dans Nejdanoff, le nihiliste de Terres vierges. Il est étudiant en lettres à Saint-Pétersbourg, car tous ces êtres débilités appartiennent à l’élite intellectuelle ; il est également de l’élite morale. […] Toutes ces agitations et ces passions ne parviennent pas à le distraire de la torpeur qu’il sent glacer sa force morale, lise contraint longuement, à force de monologues, en essayant de s’exagérer à lui-même la beauté de son but.

204. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les Saints Évangiles, traduction par Le Maistre de Saci. Paris, Imprimerie Impériale, 1862 »

N’était-ce pas là véritablement une révélation au sein de la morale humaine, et si l’on y joint ce qui ne saurait se séparer, l’ensemble d’une telle vie passée à bien faire et de cette prédication de trois années environ, couronnée par le supplice, n’est-il pas exact de dire que ç’a été un « nouvel idéal d’une âme parfaitement héroïque » qui, sous cette première forme à demi juive encore et galiléenne, a été proposé à tous les hommes à venir ? […] Je sais bien qu’on a plus d’une fois discuté et contesté l’originalité entière de cette morale chrétienne, telle qu’elle apparaît à la réflexion et que je l’exprime en ce moment ; on a prétendu qu’il n’y avait pas une si grande distance entre elle et les maximes des plus sages de l’Antiquité, et, pour ne parler que des plus en vue dans notre Occident, de Socrate, de Platon, de Cicéron, de Sénèque, et plus tard de Marc-Aurèle. […] Mais tout cela, exemples ou préceptes, tout ce qui, chez les Anciens, fait de la très belle morale sociale et philosophique n’est pas le christianisme même vu à sa source, et dans son esprit et dans sa racine. […] Et c’est cet idéal délicat de dévouement, de purification morale, d’abandon et de sacrifice continuel de soi, respirant dans les paroles et se vérifiant dans la personne et la vie du Christ, qui fait l’entière nouveauté comme la sublimité du christianisme pris à sa source. […] Il est évident qu’ils n’ont pu ajouter un rayon, de leur chef, à cette beauté toute morale ; toute née du dedans.

205. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

Composons une fable d’après cette méthode ; nous voulons démontrer une maxime de morale, et rien de plus. Nous rejetons donc tout ce qui ne concourt pas à la preuve ; si nous ajoutons un syllogisme à la morale, nous nous trouverons assez éloquents. […] Notre narration ne sera donc que la répétition de notre morale ; nous dirons deux fois la même chose, d’abord sous forme de récit, ensuite sous forme de sentence ; nous aurons l’air d’être historiens, et nous ne serons que pédagogues. […] Descriptions, récits, dialogues, nous abrégerons tout, pour courir plus vite à la morale. […] De là naît une nouvelle fable ; nous prétendons animer une maxime morale, et nous ne voulons rien de plus ; peu importe que nos preuves soient rigoureuses.

206. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre I. La lutte philosophique »

Le cours d’histoire du bon Rollin, avec sa candide inintelligence du passé et son absence de critique, est un cours de morale républicaine ; il insinue dans les âmes des sentiments, un besoin d’action libre et généreuse, qui à la longue leur rendront l’ordre social insupportable. […] Il ne cesse de répéter que les passions qui sont en nous donnent la mesure de notre énergie morale, et que tout le secret de la vertu est de savoir utiliser, diriger, canaliser ces forces naturelles. […] Helvétius, très honnête homme et très bienfaisant, réduisait toute la morale à l’intérêt bien entendu. […] Négation de la métaphysique, souveraineté des lois physiques, déterminisme, évolution, progrès, nécessité et efficacité de l’expérience, réduction de la conscience morale à une disposition organique héréditaire que modifient les habitudes et les sensations, en théorie poursuite de la jouissance, en pratique accomplissement du bien : voilà les principales idées que met en lumière la forte unité du fameux livre de d’Holbach. […] Il estimait que toutes les religions ont droit à la tolérance pourvu qu’elles ne choquent point la morale.

207. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

Elle n’admet pas le dilettantisme d’une morale et d’une intelligence opposées. […] 4º Et en même temps encore, par le respect que les hommes qu’elle estime professent pour le parlementarisme national, pour les campagnes électorales, et, par les simulacres que cette jeunesse s’offre de ces jeux (conférence Molé, association des Étudiants…), elle s’assimile le goût de la propagande populaire, de la prédication morale et sociologique, elle désire répandre sa bonne parole, et conformer sur le modèle, par elle jugé le meilleur, ses contemporains ductiles. […] Il serait curieux de retrouver les positions d’origine des chefs de, ce mouvement vague, falot et si réel : il y a des chrétiens, des catholiques, le parti de Mun ; il y a des philosophes, les néokantiens, les néo-thomistes ; il y a des politiques : les adversaires d’un régime républicain de nuance maçonnique ; il y a des artistes : les successeurs des naturalistes, donc leurs adversaires en esthétique, en morale, en politique, en [sociologie. — Ce pieux mouvement n’est pas sans danger. […] C’est la morale même de M.  […] C’est une morale, c’est une esthétique.

208. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre I. Le Bovarysme de l’individu et des collectivités »

Mais tandis que le premier changement s’opère sous des conditions purement physiques, que l’intervention des autres hommes et du milieu ne peut modifier que d’une façon insensible, la croissance intellectuelle et morale semble déterminée en grande partie par cette intervention, par l’exemple immédiat des paroles et des actes, par la notion qui est le legs des exemples et des efforts passés. […] C’est ainsi que le frein religieux pourra peut-être sans danger être aboli, faisant place à une coutume morale convertie en instinct par une longue pratique héréditaire. […] Non plus, la coutume morale issue de cette foi ancienne, accommodée au moyen de mille compromis ingénieux au tempérament de la race, ne pourra être remplacée par une coutume morale dérivée d’une forme religieuse différente et apprêtée par le tempérament d’une autre race. Cette coutume morale différente viendrait ici comme une branchie de poisson mise à la place d’un poumon de mammifère, elle ne correspondrait à aucune des nécessités de l’organisme auquel on voudrait l’appliquer, et par ce défaut de coïncidence, y causerait un désordre mortel. Il semble donc qu’il faudrait interpréter comme le signe d’un déclin, comme un symptôme de décomposition et de mort, de la part d’un groupe social ancien et défini, le fait de se concevoir, au point de vue de sa coutume morale, au point de vue de ses préjugés de sensibilité, au point de vue de ses évaluations sur les choses, à l’imitation d’un groupe social différent.

209. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VII. Maurice Barrès et Paul Adam » pp. 72-89

Mais, abandonné par une actrice glorieuse, amoureuse, puissante en son art et en ses séductions, il a tourné sa misère morale vers les misères physiques. […] On le résumerait assez exactement en cet aphorisme : Il n’y a pas de morale sociale. […] Elle est un phénomène de morale individuelle, et même de morale élémentaire. […] Toute bâtisse de morale sociale est un amusement de mandarin philanthrope et borné… 2.

210. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

Il reste à faire pour la morale ce que Lavoisier, Cuvier, Claude Bernard, Darwin, Berthelot ont fait pour les sciences naturelles depuis cent ans. […] L’imitation de leur plastique deviendra bientôt la morale. […] * *   * Ce n’est pas assez, pour créer des odes, des statues ou des types précis, d’être instruit dans la chimie ou dans les mathématiques, il faut l’être encore en morale. […] L’équilibre de la physique et l’équité de la morale sont la même chose. […] Ce que les physiciens observent sous le nom de polarité et d’attraction, les esthéticiens ont à l’étudier sous le nom de destin et de fatalité ; il est impossible de nier la morale, comme il est impossible de nier les sciences pratiques : « Il peut arriver, a écrit quelqu’un, que nous oubliions les lois de la terre, mais celles-ci ne nous perdent jamais vraiment de vue.

211. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. LOUIS DE CARNÉ. Vues sur l’histoire contemporaine. » pp. 262-272

Il est un personnage surtout, depuis cinquante ans, vénérable aux amis de la liberté, et que M. de Carné n’aborda jamais qu’avec une sorte d’ironie méprisante qui sied mal à une intelligence si grave, si morale, et si faite pour honorer tant de constance dans une grande cause. […] Cet homme s’appelle La Fayette, et il est le dernier des anciens hommes de l’Europe en qui vit encore l’esprit de sacrifice ; débris de l’esprit chrétien. » Dans le livre de M. de Carné, bien que le fond et le tissu en soient véritablement historiques et politiques, l’idée religieuse domine et rabat souvent les autres considérations à un ordre tout secondaire. « Plus les événements marcheront, dit-il, et mieux on comprendra que la question purement politique perd chaque jour de son importance, qu’elle s’amoindrit à vue d’œil, à mesure que se dessine et grandit la question de la régénération morale. » L’auteur s’est attaché surtout à démontrer que la réforme de 89 fut chrétienne dans son principe, bien qu’elle ne dût malheureusement s’accomplir qu’à travers une apostasie, au moins temporaire, du dogme religieux. […] Voici la profession de foi politique du siècle, suivant M. de Carné, et nous la ratifierions en tout point, sous la réserve de l’expliquer et de la préciser : 1° Tout pouvoir tire sa légitimité de sa conformité à la loi morale et à l’utilité du plus grand nombre : son droit est subordonné à cette utilité reconnue par les corps politiques auxquels le pays a confié mission de la constater ; 2° aucune classification permanente de la société n’est désormais possible, et une aristocratie mobile et personnelle tend à remplacer l’aristocratie héréditaire légale ; 3° les idées tendent, selon les progrès graduels des mœurs, à faire prévaloir le principe électif pour les fonctions publiques ; 4° la publicité est désormais la condition essentielle du pouvoir, en même temps qu’elle deviendra son principal appui. […] M. de Villèle se trouve personnellement traité par l’auteur avec une indulgence qu’expliquent jusqu’à un certain point l’ineptie, les frénésies ou les fourberies de ses successeurs avant et après Juillet ; mais M. de Carné, n’étant pas de ceux qui suppriment la morale et le témoignage de la conscience publique en histoire, n’a pu parler que par une étrange inadvertance de cette page honorable qui serait réservée dans les annales de ce temps au ministre le plus effrontément madré et le plus corrupteur.

212. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 140-155

On y voit l’imagination la plus vive & la plus féconde, un esprit flexible pour prendre toutes ses formes, intrépide dans toutes ses idées, un cœur pétri de la liberté Républicaine, & sensible jusqu'à l’excès, une mémoire enrichie de tout ce que la lecture des Philosophes Grecs & Latins peut offrir de plus réfléchi & de plus étendu ; enfin une force de pensées, une vivacité de coloris, une profondeur de morale, une richesse d’expressions, une abondance, une rapidité de style, & par-dessus tout une misanthropie qu’on peut regarder comme le ressort principal qui a mis en jeu ses sentimens & ses idées. […] En Religion, comme en Morale, tout est établi & calculé par une Providence sage, tandis que tout devient incertain & arbitraire dès que l’esprit n’a plus de frein. […] Quelle idée avantageuse peut-on s’en former, quels fruits peut-on s’en promettre pour la culture de l’esprit & la perfection des mœurs, quand on voit les vrais principes attaqués, les regles méconnues, les bienséances violées, l’anarchie & la confusion établies sur les débris du goût & de la raison ; quand la Religion, la morale, les devoirs, la vertu, deviennent la proie d’une Philosophie extravagante qui outrage l’une, corrompt l’autre, prononce sur ceux-ci, & défigure celle-là au gré de ses caprices ou de ses intérêts ? […] Considérées du côté de la morale, c’est un mélange d’idées singulieres, de vertu frénétique, de sentimens excessifs, de traits sublimes, de discussions pédantesques.

213. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIII. P. Enfantin »

On sait de reste ce qu’a été cette civilisation, fondée sur le principe de la pénitence, qui n’est autre chose que la sanction de la morale en Dieu, sans laquelle sanction il n’y aurait point de morale. […] Il se jette à genoux pour nous demander grâce en faveur des assassins, aimant mieux supprimer la morale que d’utiliser l’échafaud ! […] Enfantin, la puissance morale, était né la même année que cette grande puissance matérielle.

214. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

La révolution morale au dix-huitième siècle. —  Elle accompagne la révolution politique. […] —  Sa politesse et sa morale. —  L’Opéra du Gueux, par Gay. —  Ses élégances et sa satire. […] Le naturel réfléchi a donné la règle morale, le naturel batailleur donne la force morale. […] Ainsi entendue, la religion est une révolution morale ; ainsi simplifiée, la religion n’est qu’une révolution morale. […] Ils viennent pour qu’on leur explique l’Écriture et qu’on leur prouve la morale.

215. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la société des visiteurs des pauvres. » pp. 230-304

Il n’est pas seulement un effet de notre sensibilité : il dépend aussi un peu de notre raison, de notre goût, de notre expérience, même des dispositions et habitudes de notre conscience morale. […] Le décor et les costumes de Paméla sont moins nobles et moins magnifiques ; et peut-être aussi que le Directoire est une période trop hybride et dont la description morale, même superficielle, comporte trop d’ironie pour que la foule y prenne un plaisir simple et sans mélange. […] Ce qu’il y a de plus clair, c’est que l’esprit de son théâtre est généreux, avec un soupçon de scepticisme et de veulerie et quelque incertitude morale. […] Un ministre n’est qu’un père de famille chargé de faire de la morale aux autres et de les enterrer. […] Et pour Lia, ses coreligionnaires ne devraient pas oublier que, l’ayant voulue sérieuse et exquise, je l’ai faite protestante, afin de lui pouvoir prêter une vie morale plus attentive, plus profonde, plus consciente.

216. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Une crise morale en résulte et une torture du cœur. […] Renan procède pareillement par interrogations sur la valeur de leur vie morale. […] De l’homme d’action il avait la robustesse physique et morale. […] La trempe morale était aussi forte en lui que la trempe physique. […] Sa vie sentimentale et morale a précédé ou accompagné sa vie intellectuelle.

217. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

L’âge barbare a établi sur le sol une race de Germains, flegmatique et sérieuse, capable d’émotions spiritualistes et de discipline morale. […] L’Italien, le plus richement doué et le plus précoce de tous, mais de tous le plus incapable de discipline volontaire et d’austérité morale, se tourne du côté des beaux-arts et de la volupté, déchoit, se gâte sous la domination étrangère, se laisse vivre, oubliant de penser et content de jouir. […] Elle aura beau se discréditer d’abord par ses emportements et sa tyrannie ; atténuée par l’épreuve, elle s’accommodera par degrés à la nature humaine, et, transportée du fanatisme puritain dans la morale laïque, elle gagnera toutes les sympathies publiques parce qu’elle correspond à tous les instincts nationaux. […] À proprement parler, c’est un laïque comme vous ; la seule différence, c’est qu’il est surintendant de la morale. […] Par la suppression des légendes et des pratiques, la pensée entière de l’homme a été concentrée sur un seul objet, l’amélioration morale.

218. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

Bernardin de Saint-Pierre avait été chargé, par la classe de morale, de faire un rapport sur les mémoires qui avaient concouru pour le prix. Il s’agissait de résoudre cette question: « Quelles sont les institutions les plus propres à fonder la morale d’un peuple ?  […] C’est ma profession de foi en morale, et ce doit être la vôtre. […] Ma morale est toute d’une pièce: je ne saurais ni contrefaire l’athée à l’Institut, ni le bigot dans un village. […] s’il ne viendra pas ici des chefs sans mœurs et sans morale ?

219. (1890) Le réalisme et le naturalisme dans la littérature et dans l’art pp. -399

Zola, pour l’avancement de la science et de la morale positivistes. […] Massillon, de la morale. […] À la morale, à la religion il ne doit aucun compte. […] La beauté morale est ignorée. […] C’est que, à peine l’acte par lequel il affirmait sa morale particulière était-il accompli, la morale universelle s’est vengée.

220. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

Le théâtre de Corneille : la vérité morale est le but. […] Il accepta les unités, qui n’étaient pas encore établies quand il débutait, parce qu’elles étaient une méthode utile pour l’exposition dramatique de la vérité morale. […] Comment donc soutenir l’action morale ? […] Corneille l’a bien senti, et il a cherché une compensation à l’insuffisance dramatique de l’action morale par l’énergie dramatique de l’action extérieure. […] Ces jeux de caractères sont d’étonnants problèmes de mécanique morale.

221. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

Mais il le faisait avec naturel, avec facilité, avec un don de récit et de mise en scène qui était son talent propre, avec une veine de raillerie et de comique qui se répandait sur tout, avec une morale vive, enjouée, courante, qui était sa manière même de sentir et de penser. […] Pour un petit laquais le livre n’était peut-être pas très moral ; ce n’est pas assurément la morale du catéchisme qu’il prêche, c’est celle de la vie pratique : n’être dupe de rien ni de personne. […] Excellent sujet de morale pratique, on peut dire de Gil Blas qu’il se laisse faire par les choses ; il ne devance pas l’expérience, il la reçoit. […] Je sais la part qu’il faut faire, en pareil cas, à la plaisanterie du roman, aux habitudes du genre, et aussi à cette morale facile d’un temps où l’on pardonnait aux friponneries du chevalier Des Grieux, où l’on riait à celles du chevalier de Grammont. […] On y trouve un aperçu des goûts littéraires de l’auteur, quand il nous montre son personnage dans la bibliothèque de son château de Lirias (un château en Espagne), prenant surtout plaisir aux livres de morale enjouée, et choisissant pour ses auteurs favoris Horace, Lucien, Érasme.

222. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

À propos de chaque chose sérieuse, en politique, en morale, en religion, il avait quelque apologue, quelque bon conte à faire, un conte gai, fou, imprévu, qui vous faisait rire à chaudes larmes, comme il disait, et qui recelait souvent une moralité profonde. […] En religion, en morale, on sent où une telle manière de voir le mène. […] Il s’applique aussi à des ouvrages nouveaux ; il pousse plus loin son étude sur Horace, qu’il avait déjà commenté avec un goût rare, aiguisé de paradoxe ; il pense à tirer de son poète favori toute une philosophie morale. […] Il y a une morale littéraire qui devrait être celle des honnêtes gens (en prenant ce mot par opposition à celui de pédant). Un des points de cette morale, c’est quand un écrivain de quelque mérite vous a devancé sur un sujet et qu’on profite de lui, de ne le contredire, quand on le juge à propos, qu’avec une légère marque de politesse.

223. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — II. (Fin.) » pp. 411-433

Voilà l’éternelle morale qui avant et depuis Salomon, jusqu’à Sophocle, jusqu’à Cicéron, jusqu’à nous tous, se peut tirer du spectacle changeant des choses humaines, et il semble que, sauf le rajeunissement de l’expression, toujours possible à une âme sincère, les ruines de la ville de Zénobie, dévastée à la suite d’une guerre par l’empereur Aurélien, n’étaient guère de nature à inspirer d’autres pensées. […] Ce livre, commencé par le spectacle des ruines de Palmyre, aboutit à un Catéchisme de la loi naturelle annoncé dans le dernier chapitre, et publié ou promulgué deux ans plus tard, en 1793 : « Maintenant que le genre humain grandit, observe l’auteur, il est temps de lui parler raison. » La morale y est présentée comme « une science physique et géométrique, soumise aux règles et au calcul des autres sciences exactes ». […] cessons d’admirer les anciens qui nous ont peu appris en morale et rien en économie politique, seuls résultats vraiment utiles de l’histoire. » Il définit le gouvernement « une banque d’assurance, à la conservation de laquelle chacun est intéressé, en raison des actions qu’il y possède, et que ceux qui n’y en ont aucune peuvent désirer naturellement de briser ». […] Il ne publia qu’en 1803 l’ouvrage intitulé Tableau du climat et du sol des États-Unis d’Amérique, ouvrage utile, et même réputé excellent en son genre, mais incomplet, où la partie morale, celle des institutions, est totalement mise de côté, et où il n’est question que de géographie physique. […] On y trouvera une belle méditation, purement morale, et qui, en comprenant tout ce qu’il y a de triste dans la destinée humaine, ne se fixe pas aux images lugubres, mais s’en détache à temps : la consolation est au bout, et du côté seulement où elle peut être.

224. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

. — L’émotion esthétique et l’émotion morale. […] Bain a le premier montré l’importance morale du tact, qui est le sens fondamental ; nous pouvons maintenant nous expliquer mieux cette importance. […] A ce sujet un problème se pose, qui intéresse au plus haut point la morale et l’art. […] Tel est le plaisir de la vengeance chez les cruels, celui de la pitié morale ou esthétique, etc. […] C’est dans la négation de l’égoïsme, négation compatible avec la vie même, que l’esthétique, comme la morale, doit chercher ce qui ne périra pas.

225. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre II : De la méthode expérimentale en physiologie »

Nous parlons de l’homme libre ; mais la liberté, j’entends la liberté morale, peut-elle subsister, si l’on représente la vie, ainsi que le fait M.  […] La physiologie n’entre-t-elle pas ici en conflit avec la psychologie et avec la morale ? […] On ne voit donc pas comment le déterminisme physique pourrait se concilier avec l’idée de la liberté morale. […] Si donc il y a dans l’homme quelque chose qu’on appelle la liberté morale, c’est dans le sujet qu’il faut le chercher, c’est dans le sein de cette cause qui se sent elle-même, tandis qu’elle ne connaît toutes les autres que par leurs manifestations externes. […] Claude Bernard nous démontre si nettement la nécessité physique, peut-il se concilier avec cette liberté métaphysique dont Kant nous démontre non moins clairement la nécessité morale ?

226. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Première partie. Écoles et manifestes » pp. 13-41

« Cette théorie universelle et frémissante, comme un tressaillement du vieux Pan, aura, en morale et en sociologie, d’importantes et prochaines conséquences. […] Bien avant Boileau, même avant Racine, ne sont-ils pas aujourd’hui unanimement reconnus les plus féconds et les plus riches pour les traits d’une morale universelle ?  […] Le barrésisme est un développement de l’unité intellectuelle et morale du français. […] Sa morale fut haute comme son esthétique, elles étaient humaines dans le sens que la Grèce antique donnait à cette épithète, surhumaines par rapport à nous. […] Une foi confessionnelle, morale, politique ou esthétique est nécessaire.

227. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre II. Réalité des idées égalitaires »

De la multiplicité des principes qu’on invoque comme de celle des pratiques qu’on propose : pencherons-nous, en morale, vers le naturalisme ou l’idéalisme ? […] Chacun, suivant la formule de Bentham, « doit y compter pour un et n’y compter que pour un » — Ainsi la diversité des systèmes de morale modernes n’exclut pas la possibilité d’un accord, à un certain « moment », sur les prescriptions de l’égalité. […] qu’il existe jusqu’à nos jours plus d’une politique conservatrice et plus d’une morale aristocratique ? […] La philosophie du ve  siècle diffère de celle du ive , la morale stoïcienne et chrétienne de la morale platonicienne et aristotélicienne tant par le cosmopolitisme que par l’individualisme. […] Nous avons plus longuement exposé la thèse qui leur est commune dans un article de la Revue de Métaphysique et de Morale de janvier 1896 : « Sociologie et Démocratie ».

228. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

Voyons maintenant comment cette littérature morale et politique, résumée dans Confucius, a constitué le gouvernement, les lois et les mœurs de l’Asie, après sa mort, et quels sont les fruits que la raison d’un seul homme d’État a produits sur la civilisation de quelques milliards d’hommes, ses semblables. […] L’histoire que Confucius y raconte, la doctrine, la morale, la politique en font tout le prix. […] Ce n’est point sur les maximes obliques d’une politique qui rapporte tout à soi que le livre fonde l’art de régner ; il en fait consister tous les secrets à maintenir la pureté de la doctrine et de la morale par les vertus naturelles, sociales, civiles et religieuses. […] La métaphysique et la morale chinoise y parlent continuellement un langage dont les prédicateurs d’Europe, dit le missionnaire lui-même, ne désavoueraient pas la perfection. […] Je n’ai pas parlé encore ici de la littérature purement littéraire de la Chine ; je n’ai parlé que de sa littérature morale et politique : pourquoi ?

229. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Certes, si la vieillesse est pour l’individu une déchéance physique, elle est loin d’être par cela même une déchéance morale. […] Alors se montrent les vrais vices de la décadence morale et intellectuelle. […] En vain prétendra-t-on justifier la peinture de l’immoralité au nom même de la morale. […] Le ridicule peut être un des ferments de la vie morale ; il ne faut craindre ni d’être innocemment ridicules, ni de rire innocemment des ridicules de l’humanité. […] On peut reconnaître en moyenne la santé intellectuelle et morale de celui qui a écrit une œuvre à l’esprit de sociabilité vraie dont cette œuvre est empreinte ; et, si l’art est autre chose que la morale, c’est cependant un excellent témoignage pour une œuvre d’art lorsque, après l’avoir lue, on se sent non pas plus souffrant ou plus avili, mais meilleur et relevé au-dessus de soi ; plus disposé non à se ramasser sur ses propres douleurs, mais à en sentir la vanité pour soi-même.

230. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

Mais combien le mauvais goût, poussé jusqu’à la grossièreté, ne s’opposerait-il pas à la gloire littéraire, à la morale, à la liberté, à tout ce qui peut exister de bon et d’élevé dans les rapports des hommes entre eux ! […] Le mauvais goût, tel qu’on l’a vu dominer pendant quelques années de la révolution, n’est pas nuisible seulement aux relations de la société et à la littérature ; il porte atteinte à la morale. […] Les paroles grossières ou cruelles que des hommes en pouvoir se sont souvent permises dans la conversation, devaient, à la longue, dépraver leur âme, en même temps qu’elles agissaient sur la morale de ceux qui les écoutaient. […] En effet, indépendamment de la morale qui se fonde sur la raison, il y a celle de l’instinct naturel, celle dont les impressions sont irréfléchies et irrésistibles. […] Les convenances sont l’image de la morale ; elles la supposent dans toutes les circonstances qui ne donnent pas encore l’occasion de la prouver ; elles entretiennent les hommes dans l’habitude de respecter l’opinion des hommes.

231. (1890) L’avenir de la science « V »

Appliquée à la nature, elle en a détruit le charme et le mystère, en montrant des forces mathématiques là où l’imagination populaire voyait vie, expression morale et liberté. […] Il faut donc admettre que tout ce qui aura été sacrifié pour le progrès se retrouvera au bout de l’infini, par une façon d’immortalité que la science morale découvrira un jour 56 et qui sera à l’immortalité fantastique du passé ce que le palais de Versailles est au château de cartes d’un enfant. On en peut dire autant de tous les dogmes de notre religion naturelle et de notre morale, si pâle, si étroite, si peu poétique que je craindrais d’offenser Dieu en y croyant. […] Ma conviction intime est que la religion de l’avenir sera le pur humanisme, c’est-à-dire le culte de tout ce qui est de l’homme, la vie entière sanctifiée et élevée à une valeur morale. […] Cela est si vrai que des peuples entiers ont manqué d’un tel système religieux ; ainsi les Chinois, qui n’ont jamais connu que la morale naturelle, sans aucune croyance mythique.

232. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LVIII » pp. 220-226

» Tel est l’effet curieux à étudier et désormais manifeste du génie lyrique dont on a abusé, de cette inspiration de pure fantaisie et de jeunesse où l’on avait tout mis, de cette lacune morale sous des airs de sentiment, de cette vie épicurienne et de plaisir sous un vernis de mysticisme et de religiosité. […] Notre jeune siècle poétique et lyrique, par cela même qu’il ne sait pas vieillir et qu’il étale à ce degré devant tous sa misérable faiblesse, trahit son point vulnérable, l’inspiration morale positive et la foi qui lui ont trop fait défaut. Nous demandons pardon à nos lecteurs de cette longue digression trop morale peut-être, mais nul exemple mieux que la vie de Rancé ne pouvait y donner sujet et illustrer la démonstration.

233. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — II »

Une fois encore, il y a trois ans, il s’était assuré de la solidité des assises sur lesquelles il avait bâti sa vie morale. […] L’utilité morale de M.  […] Ainsi, vers la moitié de ce siècle, les personnes d’une vie morale un peu intense se trouvaient dans cette alternative également fâcheuse de déserter les belles besognes de la critique moderne parce qu’elles n’y pouvaient contenter leurs aspirations religieuses, ou de s’y maintenir, mais en atrophiant une part de leur être.

234. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

Les deux volumes recueillis sous le titre de Conseils de Morale la montrent pourtant sous ce jour, mais pas aussi à l’origine, pas aussi nativement, si je puis dire, qu’une étude attentive de son talent nous l’a appris à connaître. […] Durant près de dix ans qu’elle écrivit dans cette feuille sur toutes sortes de sujets, sur la morale, la société, la littérature, les spectacles, les romans, etc., etc., on ne saurait se faire une idée, à moins de parcourir les articles mêmes, du talent varié, de la fécondité et de la justesse originale qu’elle déploya. […] Les deux volumes, intitulés Conseils de Morale, ont été presque en entier formés de pages extraites çà et là dans ses articles, de débuts piquants et originaux de feuilletons à propos de quelque comédie du temps oubliée ; mais on a laissé en dehors ses jugements sur les auteurs. […] Bien des pensées durables, recueillies dans les Conseils de Morale, ont été discernées et tirées du milieu de quelque article sur un fade roman, sur un plat vaudeville ; elles y naissaient tout à coup comme une fleur dans la fente d’un mur96. […] Elle publia vers ce temps les Enfants, contes, premier ouvrage auquel elle attacha son nom, guidée par un sentiment de responsabilité morale.

235. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

Au lieu de s’incliner, on vérifie, et la religion, l’État, la loi, la coutume, bref, tous les organes de la vie morale et de la vie pratique, vont être soumis à l’analyse pour être conservés, redressés ou remplacés, selon ce que la nouvelle doctrine aura prescrit. […] D’autre part, on essayerait en vain de l’arracher ; les mains qui se porteraient sur elle n’atteindraient que son enveloppe ; elle repousserait après une opération sanglante ; son germe est trop profond pour qu’on puisse l’extirper. — Si enfin, après la religion et la coutume, nous envisageons l’État, c’est-à-dire le pouvoir armé qui a la force physique en même temps que l’autorité morale, nous lui trouvons une source presque aussi noble. […] — Morale de l’instinct animal et de l’intérêt bien entendu. […] Le premier intérêt de l’homme sain est de s’en délivrer, d’écarter toute superstition, toute « crainte de puissances invisibles398 »  Alors seulement il peut fonder une morale, démêler « la loi naturelle ». […] La tragédie, qu’on dit morale, dépense en effusions fausses le peu de vertu qui nous reste encore. « Quand un homme est allé admirer de belles actions dans des fables, qu’a-t-on encore à exiger de lui ?

236. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » p. 473

Le naturel, la délicatesse, une galanterie éloignée de toute fadeur, une facilité étonnante à s’exprimer avec autant de grace que de justesse, un ton de morale qui n’est point recherché, le mettent au dessus de la plupart des Beaux-Esprits de son temps & de ceux de notre Siecle qui se sont exercés dans le même genre. […] Par une adresse sans égale, Il prit soin de former les mœurs, En cachant, sous l’appas de ses Vers enchanteurs, Les traits d’une austere Morale.

237. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre premier : M. Laromiguière »

Donc il détruit les principes de la morale, qui sont des vérités absolues. […] Et un peu plus loin : Ce qui constitue proprement la bonté morale, c’est la fin que se propose l’agent libre, à savoir, le bien de ses semblables, et quelquefois aussi d’autres motifs, comme celui de ne pas blesser la dignité de sa nature, de nous conformer à l’ordre, et surtout de nous soumettre à la volonté de notre Créateur. […] Descartes rejetait l’argument des causes finales, Leibnitz celui que Descartes tirait de l’idée d’infini, Kant toutes les démonstrations, excepté celle qu’il découvrait dans la loi morale. […] Au contraire, proclamez bien haut que si l’on continue à croire vos adversaires, Dieu, la vérité, la morale publique sont en danger ; aussitôt l’auditoire dressera les oreilles ; les propriétaires s’inquiéteront pour leur bien, et les fonctionnaires pour leur place ; on regardera les philosophes dénoncés avec défiance ; par provision on ôtera leur livre des mains des enfants ; le père de famille ne laissera plus manier à son fils un poison probable. […] Qu’est-ce que la morale ?

238. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Nous avions la même morale, la même religion. Au nom de cette morale et de cette religion, servir était mon lot, commander était le sien. […] L’anarchie morale vient s’y joindre. […] La liberté morale est celle de l’homme, qui dirige ses instincts. […] Donc, pour jouir de la liberté morale, il faut un idéal.

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