/ 4089
1832. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Faut-il lui courir sus ? […] La science peut indiquer ce qu’elle sait aujourd’hui ; elle peut aussi désigner exactement ce qu’elle ne sait pas. Mais dire ce qu’elle saura ou ne saura pas un jour, ce n’est pas sa fonction. […] Ce serait là une preuve de véritable soif de savoir. […] Si jamais ils surent quelque chose, ils affectent de l’oublier.

1833. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre II. Pourquoi il faut préférer la méthode inductive » pp. 13-14

Nous savons, par exemple, que toutes les influences déterminant l’activité humaine viennent nécessairement ou de l’homme même ou de ce qui l’entoure. Nous savons, par conséquent, que toutes les causes des phénomènes littéraires se rangent en trois grandes catégories, sans plus : milieu psycho-physiologique (hérédité, race, tempérament, etc […] Mais nous ne savons pas et nous ne saurons pas de longtemps les effets précis qui résultent de chacun de ces trois milieux : nous sommes réduits dans une multitude de cas à des hypothèses non vérifiées, parfois même non vérifiables, parce que les documents nous manquent ou que les sciences auxiliaires de l’histoire fournissent des données incertaines.

1834. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 163-165

d’Arnaud, des teintes un peu lugubres, & une abondance d’accessoires dont le génie sut toujours se passer. […] d’Arnaud ne sauroit donc recevoir trop de marques de reconnoissance & de considération de la part de cette classe d’hommes, que leur sagesse & leurs lumieres mettent seuls en état d’apprécier le talent & son véritable usage. […] Les siennes étant faites pour être dans les mains de tout le monde, la cherté des gravures met des obstacles à un débit qui ne sauroit être trop universel.

1835. (1824) Préface d’Adolphe

Mais quand on voit l’angoisse qui résulte de ces liens brisés, ce douloureux étonnement d’une âme trompée, cette défiance qui succède à une confiance si complète, et qui, forcée de se diriger contre l’être à part du reste du monde, s’étend à ce monde tout entier, cette estime refoulée sur elle-même et qui ne sait plus où se replacer ; on sent alors qu’il y a quelque chose de sacré dans le cœur qui souffre parce qu’il aime ; on découvre combien sont profondes les racines de l’affection qu’on croyait inspirer sans la partager ; et si l’on surmonte ce qu’on appelle faiblesse, c’est en détruisant en soi-même tout ce qu’on a de généreux, en déchirant tout ce qu’on a de fidèle, en sacrifiant tout ce qu’on a de noble et de bon. […] Je ne sais si j’ai réussi ; ce qui me ferait croire au moins à un certain mérite de vérité, c’est que presque tous ceux de mes lecteurs que j’ai rencontrés m’ont parlé d’eux-mêmes comme ayant été dans la position de mon héros. Il est vrai qu’à travers les regrets qu’ils montraient de toutes les douleurs qu’ils avaient causées, perçait je ne sais quelle satisfaction de fatuité ; ils aimaient à se peindre comme ayant, de même qu’Adolphe, été poursuivis par les opiniâtres affections qu’ils avaient inspirées, et victimes de l’amour immense qu’on avait conçu pour eux.

1836. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre I. Les Saxons. » pp. 3-71

La joie des vagues elles-même a je ne sais quoi d’inquiétant et d’âpre. […] Nous ne le savons pas. […] Il y a tel roi de Kent, au septième siècle, qui ne sait pas écrire. […] Les plus habiles entre les érudits qui savent l’anglo-saxon reconnaissent l’obscurité de cette pensée. […] Voici le latin de Boëce, si étudié, si joli, et qu’on ne saurait rendre en français.

1837. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

La question est de savoir s’il est approuvé. […] Sait-il ce qu’elles deviennent dans son système ? […] Ils savaient le grec ». […] Savez-vous qui Félix de Vandenesse épouse ? […] Il sait prévoir, s’arrêter, reculer, attendre ; bien plus, il sait quitter le pouvoir.

1838. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Nous passons, et nous emportons sans le savoir un sentiment délicat et triste. […] Je ne sais rien de plus touchant que la vue des bois coupés en automne. […] Il sait froncer le sourcil. […] Il n’a pas besoin d’être érudit ; du moins son savoir est d’une autre espèce que la science. […] Ils apprennent, et il sait ; ils prouvent, et il voit.

1839. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Alfred de Vigny, un des premiers, a senti que la vieille épopée était devenue presqu’impossible en vers, et principalement en vers français, avec tout l’attirail du merveilleux ; il a senti que les Martyrs sont la seule épopée qui puisse être lue de nos jours, parce qu’elle est en prose, et surtout en prose de M. de Chateaubriand ; et à l’exemple de lord Byron, il a su renfermer la poésie épique dans des compositions d’une moyenne étendue et toutes inventées ; il a su être grand sans être long. […] Les choses sont déjà fort avancées ; déjà l’on sait très bien ce qu’on ne veut plus, si on ne sait pas encore ce qu’on veut. […] Taylor, (si elle sait y reconnaître sa providence) la Comédie Française reprendrait bientôt cet éclat et cette popularité qui s’effacent et se perdent de jour en jour dans les pâleurs de l’imitation et dans les déviations de la routine. […] Il n’y a au contraire qu’une manière de très mal écrire littérairement ; c’est d’écrire comme tout le monde ; car, il ne faut point compter ceux qui ne savent pas écrire du tout. […] Il rappelle, en reflets effacés, dans ses hémistiches tout faits, dans ses images parasites, dans sa banale phraséologie, ce qu’on a justement admiré dans les chefs-d’œuvre de nos grands maîtres, et il y a des gens lettrés qui lui savent gré de cela.

1840. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Dès sa jeunesse, il était donc singulier d’aspect et de tournure, et il le savait un peu. […] Nous le savons déjà aimant la discussion et raisonneur ; ajoutons qu’il n’était point chicaneur, et qu’à toute raison qui lui semblait bonne il se rendait. […] En fait de livres, Gibbon est de l’avis de Pline l’Ancien, à savoir, qu’il n’en est aucun de si mauvais qui ne puisse être bon par quelque endroit. […] Les gentilshommes de campagne se firent inscrire en foule ; Gibbon et son père furent des plus zélés dans leur comté, et ils donnèrent leur nom sans trop savoir à quoi ils s’engageaient. […] Lui qui devait écrire l’histoire du peuple le plus guerrier, il sut par la pratique les détails du métier : il fut digne de parler ensuite de la Légion.

1841. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Une Réception Académique en 1694, d’après Dangeau (tome V) » pp. 333-350

C’était, comme le savent tous ceux qui ont lu les mémoires et correspondances de ce temps-là, un composé de vanité, de jactance nobiliaire, de zèle épiscopal, de savoir confus, d’éloquence bizarre et parfois burlesque. […] Faisant allusion à cette première idée d’Académie française qui lui avait été suggérée par Louis XIV : Il est vrai, je l’avoue, et qui ne le sait pas ? […] Il sait mieux que personne ce que vous valez, il vous connaît à fond, il aime à vous entretenir, et lorsqu’il vous parle, une joie se répand sur son visage, dont tout le monde s’aperçoit. […] IV. p. 479) les folies du cardinalat, pour les honneurs attachés à la dignité de cardinal ; il a dû dire les gloires du cardinalat, ou peut-être simplement les droits. — Je ne sais (t. […] [NdA] Car aujourd’hui, il est bon de le savoir, nous sommes aussi très ridicules quand nous louons, mais nous ne nous en apercevons pas.

1842. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Le maréchal de Villars. »

Il savait autant et mieux qu’aucun général comment il faut prendre le soldat et toucher en lui le ressort. […] Dans les deux cas, on avait su toucher la fibre du soldat romain ou français à l’endroit sensible et le piquer d’honneur. […] Ils furent grands, mais ils coûtèrent cher aux alliés, tant pour les dépenses exorbitantes que leur occasionnèrent les sièges, que par la perte, suivant leur propre aveu, de plus de quarante mille hommes, tués ou enlevés par les maladies qui désolèrent leur armée. » L’audacieux Villars savait donc se comporter, quand il le fallait, comme un général très-prudent. […] Puis, le 23 au soir, l’armée fut mise en mouvement sans savoir où on la conduisait ; le secret avait été gardé entre les deux maréchaux et le très petit nombre d’officiers indispensables. […] Ce dernier, dans ses Mémoires, dit au contraire : « A la pointe du jour, comme j’étais à deux lieues de l’Escaut, le marquis de Vieuxpont me manda qu’il était découvert, et me pria de lui faire savoir ce qu’il fallait faire.

1843. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat. »

Ne vous attendez donc pas à trouver dans ce qui suit un Catinat nouveau, étonnant, le contraire de ce que chacun sait. […] Catinat, le probe, l’homme de la régie et du devoir, l’ennemi des passe-droits et des exactions, était son contraire ; on le savait de reste, mais on aurait pu l’oublier : le propos cité nous le rappelle. […] Pourquoi un maréchal de Luxembourg, même au milieu de ses victoires et tout en tapissant Notre-Dame des drapeaux conquis, emporte-t-il avec soi, attaché à son nom, je ne sais quel vernis opiniâtre de déconsidération et de mésestime ? […] Je ne sais plus qui a dit : « On pendait beaucoup dans l’armée de Catinat. » Ce renom de sévérité dispensait ensuite du trop de rigueur. […] Il sut, dans le cas présent, exécuter les volontés impérieuses du maître sans faire d’éclat, et s’accommoder encore avec le marquis de Gonzague, de manière à sauver quelque apparence et à ménager sa délicatesse.

1844. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « CHRISTEL » pp. 515-533

Elle même l’a-t-elle jamais su ? […] Ne dites pas qu’il ne naît qu’une seule fois pour un même objet dans un même cœur, car j’en sais qui se renflamment comme de leur cendre et qui ont eu deux saisons. […] Elle lui témoigna d’abord qu’elle lui en savait gré, eut l’air de l’en aimer mieux, et se multiplia à le lui dire. […] La famille d’Hervé avait des alliances en Allemagne : lui-même en savait parfaitement la langue. […] Malgré sa faiblesse croissante, depuis quelques jours elle semblait mieux ; je ne sais quel mouvement de physionomie et de regard, plus de couleur à ses joues, avaient l’air de vouloir annoncer l’influence heureuse de la jeune saison.

1845. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre premier. Les sensations totales de l’ouïe et leurs éléments » pp. 165-188

On ne sait pas en quoi consiste la sensation elle-même ; si l’on en considère une, par exemple celle de l’odeur de rose, on la trouve comprise dans l’espèce des odeurs parfumées avec celle de lis, de violette, de musc, et une infinité d’autres. […] Nous pouvons montrer comment avec elles nous formons les images, les représentations, les idées générales, comment avec elles nous formons les notions de grandeur, de position, de forme, de nombre ; mais, de quoi elles-mêmes elles se forment, nous ne le savons pas. Il semble donc qu’elles échappent à la science ; et, en effet, quand on lit les livres qui traitent d’elles, on n’apprend guère que ce que l’on savait déjà ; la lecture faite, on les trouve bien rangées dans son esprit ; voilà tout. […] Je saurai les circonstances où elle naît ; je ne connaîtrai pas ses éléments, ni même si elle en a. […] Car il faut qu’on soit affecté un peu par le mouvement de cette vague et qu’on ait quelque perception de ces bruits, quelque petits qu’ils soient ; autrement on n’aurait pas celle de cent mille vagues, puisque cent mille riens ne sauraient quelque chose. » — Cf. 

1846. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 193-236

Je mis mon doigt sur mes lèvres pour que le vieillard et l’enfant ne réveillassent pas le bargello ; vous savez que j’avais assez mérité sa confiance pour qu’il me laissât la clef du préau. […] Je ne savais ce que j’entendais, tant mes oreilles me tintaient d’émotion. […] Que Dieu le leur rende à leur dernier jour, ils ont bien prié, et pour moi sans le savoir ! […] Ne perdons pas une minute de ce ciel ensemble, qui sait si nous le retrouverons jamais ! […] Cette belle femme, comme je l’ai su depuis, c’était la duchesse de Lucques elle-même, la souveraine, et bien la souveraine en vérité, de beauté, de bonté et de pitié pour ses sujets.

1847. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. » pp. 103-122

Il disait, et je ne sais s’il le pensait, que le jeune auteur « avait pris un vol d’aigle dans Warwick ». […] Dès qu’on veut entrer à son tour dans ce genre de littérature un peu convenu et circonscrit du xviiie  siècle pour en juger en détail et avec proportion, on ne saurait mieux faire que d’entendre La Harpe ; j’en ai mille fois profité. […] Il y avait pour La Harpe à revenir de bien loin, comme on voit ; il sut en revenir, et il lui fallut pour cela toute son énergie d’esprit et tout son courage. […] Nous savons trop bien ce que fait ce même arrangement, quand il n’est plus entre les mains de Racine : cette illusion-là est détruite comme tant d’autres. […] On ne saurait s’en étonner, et il convient à ceux qui vivent en des temps plus calmes, mais qui n’ont point su échapper eux-mêmes à quelques contradictions et rétractations littéraires, de montrer pour celles de La Harpe quelque indulgence.

1848. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le duc d’Antin ou le parfait courtisan. » pp. 479-498

Une âme fière, généreuse, un cœur haut placé se serait dit : « La honte est dans ma maison, mon père n’a pas su sauver les dehors, et porter son malheur avec calme et dignité ; je soutiendrai mon nom mieux que lui. […] Il sut plaire même au misanthrope Montausier, qui lui donna en mariage Mlle d’Uzès, sa petite-fille. […] — Le duc d’Orléans le choisit toutefois pour entrer dans le nouveau gouvernement, et d’Antin, qui ne savait pas dire non à celui qui régnait, se laissa faire. […] Cette servilité et cette bassesse d’âme, que ne saurait couvrir tout l’art industrieux du courtisan, s’ennoblit un peu et se relève chez d’Antin par la profession du christianisme, et, dans ces moments, elle devient simplement de l’humilité. En peignant si à nu sa défaite et l’infirmité de la raison aux prises avec les inclinations les plus chères, il nous désarme nous-mêmes et nous force, par un retour secret, à nous demander : « Et qui donc d’entre nous sait assez résister à ses propres passions pour lui jeter la première pierre ?

1849. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre deuxième. Rapports du plaisir et de la douleur à la représentation et à l’appétition »

En général, l’estimation, le jugement, la représentation et la perception ne sauraient jamais être primitifs ; la représentation n’existe que par un objet donné et un sujet donné qui est spectateur ou appréciateur, soit moi, soit autrui, soit ma conscience, soit une autre. […] Dès lors, c’est un je ne sais quoi d’inerte, d’indifférent, de mort, qui reçoit toute faite du dehors la jouissance ou la souffrance sans y être pour rien lui-même par son action. […] De plus, elle n’explique pas l’action, puisqu’elle la fait dériver tout entière d’une passivité préalable ; la causalité, l’efficacité, la force du sentiment ne se comprennent pas, et on ne sait avec quoi l’être pourra réagir, tendre à une chose ou s’écarter de l’autre. […] La conséquence de ce qui précède, c’est que l’activité fondamentale, la « volonté » primitive, d’où naissent les peines et les plaisirs, est une activité mêlée de passivité, où l’élément agréable lié à l’action efficace est continuellement contrarié et contrebalancé par un élément pénible, à savoir le sentiment d’usure et de manque, qui accompagne la passivité et la résistance subie. […] Les sauvages supportent des choses que l’homme civilisé ne saurait supporter. — Tous ces faits prouvent, selon nous, que la délicatesse plus grande du système nerveux produit à la fois une plus grande sensibilité et une plus grande intelligence : ils ne prouvent nullement que la sensibilité soit de l’intelligence, ils prouveraient aussi bien que l’intelligence est de la sensibilité.

1850. (1911) Jugements de valeur et jugements de réalité

Ce qui fait la valeur de ce point de vue, c’est l’effet de la chose sur la sensibilité : or, on sait combien est grande la diversité des sensibilités individuelles. […] Les objections que nous faisions à la première explication ne sauraient donc s’appliquer à celle-ci. […] Si l’idéal ne dépend pas du réel, il ne saurait y avoir dans le réel les causes et les conditions qui le rendent intelligible. […] Mais puisque cette force vient finalement se traduire en mouvements musculaires, elle ne saurait différer essentiellement des autres forces de l’univers. […] Mais alors, si toutes les sortes de valeurs sont patentes, et si certaines d’entre elles tiennent aussi étroitement à notre vie empirique, les autres n’en sauraient être indépendantes.

1851. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IX. Mémoires de Saint-Simon » pp. 213-237

Il y a donc une autre cause des succès de Saint Simon que l’enlèvement, par le talent, de l’imagination charmée ou par l’intérêt d’un récit qu’avant lui personne n’avait su faire encore, et qu’après lui personne n’oserait recommencer. […] Il s’est mépris sur Louis XIV, et tellement mépris, qu’on peut dire qu’il ne l’a pas compris, et que, de hauteur avec le siècle qu’il a su peindre, il ne l’a plus été avec son modèle quand il s’est agi de la tête du siècle, de son chef. […] Il pouvait du moins demander et, qui sait ? […] On sait ce que c’est que le poids de l’âme d’un poète, mais Saint-Simon est historien ! […] Il s’agit d’un serviteur de ce duc d’Orléans, qu’il aimait, — on ne sait pourquoi, — comme on aime, — mais qu’il n’estimait point, car on sait toujours pourquoi on estime, — et ce serviteur, devenu serviteur (de valet qu’il avait toujours été) et ayant enfin l’intelligence de son service, Saint-Simon n’a pas vu que c’était le plus capable de tous ceux qui gouvernaient, comme il écrivait, lui, Saint-Simon, à la diable, sous ce diable de duc d’Orléans !

1852. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre IV. L’unification des sociétés »

Toutefois, nous le savons, l’idée de l’égalité n’apparaît alors que pour s’éclipser bientôt, comme devait s’effacer bientôt l’unification romaine. […] Mais, quels que soient les caractères propres de leur histoire, ni l’Angleterre, ni l’Allemagne ne sauraient résister au mouvement qui entraîne toutes les sociétés européennes. […] On sait la question qu’il se pose, dans son livre sur l’Ancien régime et la Révolution ; Pourquoi la France a-t-elle été le porte-parole de l’égalitarisme ? […] C’est un Zollverein qui a posé la première pierre de l’unité allemande. — Mais cette limitation de la généralisation de Spencer ne saurait nous suffire ici. […] En fait, ne savons-nous pas déjà que dans ces mêmes sociétés modernes où tant de fonctions sont centralisées, se multiplient aussi les associations volontaires ?

1853. (1903) Le problème de l’avenir latin

On sait ce qui résulta du contact. […] On sait combien négatif fut le résultat des diverses expéditions de Rome en Germanie. […] Nous expions maintenant pour nos pères qui ne surent pas préserver leur ingénuité morale. […] ils savent. Que savent-ils ?

1854. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

Les écrivains ne portent au plus haut degré la conviction et l’enthousiasme, que lorsqu’ils savent toucher à la fois ces trois cordes, dont l’accord n’est autre chose que l’harmonie de la création. […] Qui sait jusqu’où l’on pourra porter cette puissance d’analyse, qui, réunie à l’imagination, loin de rien détruire, donne à tout une nouvelle force, et, semblable à la nature, concentre dans un même foyer les éléments divers de la vie ? […] Il n’existe pas un seul auteur qui ait, en parlant de lui, su donner de lui-même une idée supérieure à la vérité : un mot, une transition fausse, une expression exagérée révèlent à l’esprit ce qu’on voulait lui dérober. […] Lorsqu’on se sert d’un mot nouveau, il faut qu’il soit bien prouvé, pour tous ceux qui savent lire, qu’il n’existait pas dans la langue un autre terme qui rendit précisément la même nuance de pensée, ni une tournure heureuse qui dût produire une égale impression. […] L’écrivain est d’autant plus parfait, qu’il sait donner à ses lecteurs d’avance une sorte de pressentiment ou de besoin confus des beautés même qui les étonneront.

1855. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre II. Signes de la prochaine transformation »

On ne sait où se prendre. […] Mais de tous les côtés nous rencontrons les dispositions enthousiastes ou rêveuses, le bouillonnement sentimental du désir ou de la tristesse, je ne sais quelle inquiète projection des sentiments intérieurs sur l’univers environnant. […] Il a mis toutes ces notions en vers réfléchis, exacts, ingénieux, froids, il a su par ses épithètes et ses périphrases prévenir en nous toute velléité de sensation, et nous retenir aux idées sans jamais atteindre la nature. […] Et ce bel esprit qui n’a jamais su faire que des inventaires ou des catalogues, à sa mort mit la France en deuil : ses funérailles furent une apothéose, et l’on croyait enterrer avec lui la poésie ! […] il n’a pas pu, pas su rendre les impressions de son âme, les conceptions de son esprit, emprisonné qu’il était dans le respect des convenances, des règles et du style.

1856. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

Au moi créateur comme à l’être universel de la métaphysique, en l’absence d’une vérité objective qui commande leur activité, on ne saurait attribuer d’autre raison d’agir, de créer la réalité phénoménale et d’en déterminer les formes, qu’un principe d’utilité personnelle dont nous ne saisissons le sens que dans les fins où il semble qu’il aboutit. […] Pour fausses qu’elles aient été reconnues depuis, elles n’en ont pas moins été les moyens par lesquels s’est constitué le savoir. […] Cette fausse conception, qui se manifeste à la source et se montre le moyen de tout savoir scientifique, soutient également nos notions le plus universellement acceptées et qui semblent le plus incontestables. […] Que nos idées se modifient et se transforment touchant la nature et le siège de la substance vivante, que des perspectives diverses apparaissent, que des états divers du savoir humain se succèdent sur ce point extrême, ces métamorphoses du spectacle qu’il nous est ainsi donné de contempler ne sont point de nature à mettre en péril l’intégrité de notre faculté de connaissance elle-même. […] On y montrait comment l’idée chrétienne, en prêchant le renoncement à la vie immédiate, le détachement des biens terrestres, la fraternité, l’égalité entre les hommes et le mépris du savoir, en modérant par cette doctrine absolue, sans la réduire toutefois, l’énergie excessive du monde, barbare, qui sans ce frein ne fût pas parvenue à se coordonner, a rendu possible l’organisation des sociétés modernes que l’on voit fondées sur le principe de hiérarchie, qui sanctionnent le droit de propriété, qui, par l’accroissement du savoir, tendent à l’accroissement du bien-être, qui, sur tous les points et dans toutes leurs conclusions, contredisent et renient le principe chrétien, ce principe chrétien qui aida à les fonder et qui, développé avec outrance, aboutirait à les supprimer.

1857. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre V. Les esprits et les masses »

Exister, c’est savoir ce qu’on vaut, ce qu’on peut, ce qu’on doit. […] Sur ces trois mille dix forçats, quarante savent un peu plus que lire et écrire, deux cent quatre-vingt-sept savent lire et écrire, neuf cent quatre lisent mal et écrivent mal, dix-sept cent soixante-dix neuf ne savent ni lire ni écrire. […] qui n’est pas libre n’est pas homme ; qui n’est pas libre ne voit pas, ne sait pas, ne discerne pas, ne grandit pas, ne comprend pas, ne veut pas, ne croit pas, n’aime pas, n’a pas de femme, n’a pas d’enfants, a une femelle et des petits, n’est pas. […] Nous nous rappelons avoir entendu dire en pleine académie, à un académicien mort aujourd’hui, qu’on n’avait parlé français en France qu’au dix-septième siècle, et cela pendant douze années ; nous ne savons plus lesquelles.

1858. (1860) Ceci n’est pas un livre « Décentralisation et décentralisateurs » pp. 77-106

Le Midi de la France sait à quoi s’en tenir. […] » Et Bianchon, brochant sur le tout : « Je ne sais ce que cela veut dire… C’est une fatalité. […] restez chez vous. » Ces dédaignés sont irrités de la réponse, mais ils ne savent pas en extraire une morale. […] On peut y définir le voisin : un monsieur qui n’est pas de chez vous, mais qui sait tout ce qui s’y passe ; — tandis qu’à Paris, le voisin est simplement celui qui reste à côté. […] M. de Laprade (dont je suis loin de nier les facultés poétiques) est bien un des prophètes — un prophète sans le savoir, peut-être — de votre Décentralisation.

1859. (1912) L’art de lire « Chapitre V. Les poètes »

Il est aussi dans les membres de phrase courts en même temps qu’ils sont sourds, des membres de phrase déprimés du commencement, auxquels s’oppose le membre de phrase final, non pas allègre, mais libre, mais libéré, s’espaçant discrètement, mais s’espaçant et prenant du champ et qui semble comme l’expression du soulagement et de la reprise de la vie dans un sourire : « les yeux des jeunes filles y sont (verts et bleus à la fois) comme ces vertes fontaines où sur un fond d’herbes ondulées se mire le ciel. » Ainsi, en lisant à haute voix, vous vous pénétrez des rythmes qui complètent le sens chez les écrivains qui savent écrire musicalement ; du rythme qui est le sens lui-même en sa profondeur ; du rythme qui, en quelque façon, a précédé la pensée (car il y a trois phases : la pensée en son ensemble, en sa généralité : « Je suis né en Bretagne » — le rythme qui chante dans l’esprit de l’auteur, qui est son émotion elle-même et dans lequel il sent qu’il faut que sa pensée soit coulée — le détail de la pensée qui se coule en effet dans le rythme, s’y adapte, le respecte, ne le froisse pas et le remplit) ; du rythme enfin qui, parce qu’il est le mouvement même de l’âme de l’auteur, est ce qui, plus que tout le reste, vous met comme directement et sans intermédiaire en communication avec son âme. […] Faites ces observations ou des observations analogues, ou contraires ; mais faites-en pour tirer tout le parti possible des écrivains qui savent écrire en musique. Faites-en même sur ceux qui ne le savent point Pourquoi ? Pour constater qu’ils ne le savent point et par là mieux apprécier ceux qui le savent. […] Je ne sais pas trop pourquoi, à vrai dire, mais peut-être parce que le papier et l’impression d’un volume du XVIIe siècle suggèrent de couper l’alexandrin à l’hémistiche, je ne lis jamais la prière d’Esther sans scander ainsi : Ô mon souverain roi, Me voici donc tremblante, | et seule devant toi.

1860. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IV. Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale » pp. 86-105

Qui ne sait tout ce que Voltaire montra de mauvaise humeur contre le projet d’une traduction complète de Shakespeare ? […] Mais nous ne savons pas ce que va faire naître l’établissement d’une académie à Athènes, d’un collège grec dans l’ancienne Tauride, du mouvement imprimé aux îles Ioniennes, et de tant de circonstances nouvelles dont nous ne pouvons prévoir tous les résultats. […] Maintenant, je le sais, la poésie semble être exilée de la société : tôt ou tard elle rentrera dans son domaine, tôt ou tard nous redeviendrons attentifs aux sons échappés de la lyre des poètes. […] En général, on sait bien qu’il s’est opéré un changement considérable dans les opinions ; mais on ne sait pas assez combien ce changement est intime et profond. […] Oui, continuant de m’associer aux idées du temps, aux pensées des hommes qui vivent en ce moment, aux nouveaux errements de la société ; oui, je trouve dans Bossuet je ne sais quoi de plus vieux que l’antiquité, je ne sais quoi de trop imposant pour nos imaginations qui ne veulent plus de joug.

1861. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le comte de Gasparin » pp. 100-116

je ne le méprise pas de savoir haïr. […] J’ai dit assez que le comte de Gasparin était protestant, mais je ne saurais dire, et peut-être, lui, n’aurait-il pas pu dire non plus, à quelle espèce de protestantisme il appartenait ; car il y a plusieurs espèces de protestantisme. […] « Nous ne sommes, — dit le comte de Gasparin (je voudrais bien savoir pourquoi il dit nous !) […] La parole, sur laquelle vivent les conférenciers modernes et qui ajoute à sa radicale infériorité l’odieuse et vaniteuse prétention d’être improvisée, glisse sur les grands sujets et ne saurait les poinçonner. […] Renan, les Conférences qu’il fit à Genève ne sont pas des sermons encore ; je ne sais ni comment il les prononçait, ni comment il les préparait.

1862. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Monselet »

Certainement, je ne sais pas au juste et je n’affirmerais pas à quel point Charles Monselet appartient au groupe des inventeurs qui ont la sainte horreur de la Critique ; mais, sans déterminer nettement leurs affinités respectives, il est impossible de ne pas reconnaître, quand on le lit, cette tendance de toute une école à repousser et à insulter la Critique en vertu des plus considérables, des plus exorbitantes prétentions. […] Et les plus grands inventeurs eux-mêmes qui aient vécu dans les temps modernes, c’est-à-dire à l’époque de la Critique par excellence : Goethe, Walter Scott, Chateaubriand, Balzac, n’ont pas dédaigné d’être des critiques ; et ils savaient qu’ils doublaient leur gloire en l’étant au même degré qu’ils avaient été des inventeurs ! […] Il a été tour à tour poète, historien, romancier, biographe ; mais qui sait ? […] Si, en publiant Les Vignes du Seigneur, il a voulu montrer que lui aussi savait jouer avec le rhythme, qu’il en avait étudié les charnières et les jointures, et que la langue de la mesure lui était familière pour revêtir toute idée, si infime qu’elle pût être, il a certainement atteint son but : mais ce but vulgaire était-il digne d’un esprit comme le sien ? […] Monselet a mis, je le sais, de la pitié dans sa notice ; mais on ne gagne pas les œuvres de miséricorde avec l’Histoire.

1863. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Théodore de Banville »

Tu le sais, hélas ! […] Savez-vous comment ils sont placés vis-à-vis de ces réalistes qu’ils méprisent, et qui sont l’expression dernière du matérialisme littéraire contemporain ? […] Voulez-vous savoir à quel point un poète très loin, et avec raison, de l’école du bon sens et des idées bourgeoises dans les arts, peut devenir vulgaire aux yeux des lettrés et des illettrés, et même nul ? […] Quand il appelait un de ses volumes : Stalactites, il ne savait pas ce qu’il faisait, et c’est pour cela qu’il faisait bien. « Stalactites, — disait-il, — larmes gelées », et c’était vrai pour l’épithète. […] Nul ne le sut.

1864. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Conclusion »

Mais on peut aller plus loin, et affirmer que des formes applicables aux choses ne sauraient être tout à fait notre œuvre ; qu’elles doivent résulter d’un compromis entre la matière et l’esprit ; que si nous donnons à cette matière beaucoup, nous en recevons sans doute quelque chose ; et qu’ainsi, lorsque nous essayons de nous ressaisir nous-mêmes après une excursion dans le monde extérieur, nous n’avons plus les mains libres. […] En présence de cet espace homogène nous avons placé le moi tel qu’une conscience attentive l’aperçoit, un moi vivant, dont les états à la fois indistincts et instables ne sauraient se dissocier sans changer de nature, ni se fixer ou s’exprimer sans tomber dans le domaine commun. […] Nous verrions que, si notre action nous a paru libre, c’est parce que le rapport de cette action à l’état d’où elle sortait ne saurait s’exprimer par une loi, cet état psychique étant unique en son genre, et ne devant plus se reproduire jamais. Nous verrions enfin que l’idée même de détermination nécessaire perd ici toute espèce de signification, qu’il ne saurait être question ni de prévoir l’acte avant qu’il s’accomplisse, ni de raisonner sur la possibilité de l’action contraire une fois qu’il est accompli, car se donner toutes les conditions, c’est, dans la durée concrète, se placer au moment même de l’acte et non plus le prévoir. […] C’est enfin que, même dans les cas où l’action est librement accomplie, on ne saurait raisonner sur elle sans en déployer les conditions extérieurement les unes aux autres, dans l’espace et non plus dans la pure durée.

1865. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre X. Des Romains ; de leurs éloges, du temps de la république ; de Cicéron. »

À mesure qu’ils étendirent leurs conquêtes, ils ne surent que piller les monuments des arts, sans savoir jamais les imiter. […] Né dans un rang obscur, on sait qu’il devint par son génie l’égal de Pompée, de César, de Caton. […] « L’éloge de Caton à faire, disait-il, est un problème d’Archimède11. » Nous ne pouvons juger comment le problème fut résolu : nous savons seulement que l’ouvrage eut le plus grand succès. […] s’écrie l’orateur : c’était la dette de la nature ; vous avez su la rendre utile à la patrie. […] On sait qu’il aimait la gloire et qu’il ne l’attendait pas toujours ; il se précipitait vers elle, comme s’il eût été moins sûr de l’obtenir.

1866. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

puis sa flamme rapide, son naïf et irrésistible abandon, son attache soudaine et forcenée ; le caractère de Raymon surtout, ce caractère décevant, mis au jour et dévoilé en détail dans son misérable égoïsme, comme jamais homme, fût-il un Raymon, n’eût pu s’en rendre compte et ne l’eût osé dire ; une certaine amertume, une ironie mal déguisée contre la morale sociale et les iniquités de l’opinion, qui laisse entrevoir qu’on n’y a pas échappé ; tout,  selon nous, dans cette production déchirante, justifie le soupçon qui a circulé, et en fait une lecture doublement romanesque, et par l’intérêt du récit en lui-même, et par je ne sais quelle identité mystérieuse et vivante que derrière ce récit le lecteur invinciblement suppose.  […] On saura qu’Indiana a amené de Bourbon avec elle une femme de chambre, ou plutôt une amie d’enfance qui ne l’a jamais quittée, une vraie créole, une vive et piquante Indienne, Noun. […] Indiana ignore que l’homme qu’elle distingue, et qui semble lui devoir rendre l’espérance, le goût de la vie, s’est adressé à une autre qu’elle, et si près : le jour où Noun sait tout, ou plutôt la nuit orageuse et sinistre de cette découverte, la pauvre fille se noie. […] Nous consentirions volontiers à cette créature refoulée, contrainte, silencieuse, qui cache les débris d’une âme trop sensible sous un vermillon de santé bienheureuse, la délicatesse des sentiments sous une gaucherie épaisse ; qui a tout fait pour s’égoïser et qui ne l’a pu qu’en apparence ; qui épie, devine, sait tout et n’en laisse rien voir, mais veille à chaque minute sur l’objet de son dévouement avec l’instinct d’un animal domestique. […] Ses premiers mécomptes, la manière naturelle et facile dont Raymon les répare, dont il la fascine et l’enchante ; l’éclair sinistre qu’un mot de sir Ralph sur l’aventure de Noun jette dans l’esprit d’Indiana, le coup qu’elle en reçoit et qu’elle rend à Raymon ; sa croyance en lui, malgré la découverte, sa résolution de fuir avec lui, de se réfugier chez lui, plutôt que de suivre son mari au départ ; cet abandon immense, généreux, inébranlable, sans souci de l’opinion, sans remords, et mêlé pourtant d’un superstitieux refus ; toute cette analyse vivante est d’une vérité, d’une observation profonde et irrécusable, qu’on ne saurait assez louer.

1867. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « en tête de quelque bulletin littéraire .  » pp. 525-535

Le public demande de la critique, et il a raison puisqu’il n’y en a plus guère ; mais il ne sait pas combien ce qu’il demande est difficile, et, osons le dire, impossible presque aujourd’hui, pour une multitude de causes qui tiennent à l’état même de la société et à la constitution de la littérature. […] Les talents plus anciens, et des plus éminents, qui appartenaient à des groupes et à des doctrines considérables sous la Restauration, se sont trouvés tout d’un coup sans protection et comme jetés hors de leur cadre : ils n’ont plus su se tenir, et, en voulant continuer à se déployer, ils sont vite arrivés à n’être plus eux-mêmes. […] Tout ceci est pour dire que les écoles littéraires sont dissoutes depuis huit ans, que les limites et les garanties de caractère autour des plus nobles talents ont cédé brusquement ou graduellement à je ne sais quelle force de choses confondante et dissolvante. […] Je laisse tout d’abord le côté politique qui, comme on sait, n’a nul rapport avec notre peu d’ambition et d’intrigue : Dieu me garde de trouver la plus lointaine ressemblance ! […] Mais Ronsard ne pouvait qu’y faire ; et il demeura quasi noyé dans le torrent des imitateurs qu’il avait soulevés, à peu près comme l’élève du sorcier par les eaux une fois débordantes : il fut noyé dans le flot des imitations lyriques pour n’avoir pas su se renfermer dans un véritable monument.

1868. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre III. L’analyse externe d’une œuvre littéraire » pp. 48-55

Ce n’est pas chose indifférente de savoir que Corneille pour ses tragédies puisa surtout dans l’histoire romaine et que Racine tira la plupart de ses pièces de la légende grecque ou de la Bible qu’Augustin Thierry s’enferma dans le moyen âge ; que Zola n’est pas sorti des mœurs contemporaines. […] Le premier venu, en revanche, saura voir et faire voir dans l’Oraison funèbre du prince de Condé, par Bossuet, un ordre nettement indiqué dès le début et rigoureusement suivi jusqu’à la fin9. […] On sait bientôt avec une précision mathématique combien, sur cent mots, il y en a de concrets ou d’abstraits, de nobles ou de familiers, de rares ou d’usage courant, etc. […] Comment rend-il l’impression que fait sur lui un paysage, un monument, un intérieur, un costume, un visage, un tableau, que sais-je encore ? […] Sait-il garder le souple mouvement de la causerie ?

1869. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 24-41

Notre Poëte a eu l’avantage de s’exercer sur une matiere infiniment riche de son propre fonds, & il a su y répandre toutes les beautés dont elle étoit susceptible. […] Il a sur-tout des morceaux dont on ne sauroit trop apprécier le mérite, en faisant attention aux difficultés qu’il avoit à vaincre. Peu d’Auteurs ont su aussi bien conduire la marche du récit, & ont aussi bien connu le mécanisme de notre versification. […] Clément soutient d’abord qu’un Poëme doit être écrit pour tous les Lecteurs, & que le Poëme didactique ne sauroit avoir ce mérite, attendu que les termes techniques, qu’il faut nécessairement y faire entrer, sont de l’algebre pour les trois quarts & demi des Lecteurs*. […] « On ne sauroit trop répéter qu’un Poëme est fait pour tout le monde, & que son plus grand mérite est d’être lu, entendu, estimé généralement ».

1870. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Deux diplomates »

Puis, les Mémoires du cardinal de Bernis, qui, du moins, en dehors de la diplomatie, nous ont appris une chose qu’on ne savait pas : c’est que cette Babet la Bouquetière était, sous ses bouquets, un homme d’État, impossible, il est vrai, dans une monarchie impossible et qui frappait tout de son impossibilité. […] … En histoire, les résultats importent seuls, et l’Histoire les sait et les dit sans avoir besoin de connaître les infiniment petits moyens à l’aide desquels ils ont été obtenus, en supposant qu’on pût les dire, — ce qui n’est pas. […] L’histoire est pleine de favoritismes de tous les genres… On sait comment Alberoni s’y prit pour se concilier la faveur du duc de Vendôme, mais sans être immonde comme cet homme d’esprit, un sot, oui ! […] Mais Donoso Cortès et Raczynski y perdent… qui sait ? […] Seulement, ce genre de livres, — qui n’ont pour se recommander que la fonction diplomatique de ceux-là qui les écrivirent, et qui n’ajoutent à ce qu’on sait aucune grande vue nouvelle ou aucun fait important de nature à modifier ou à éclairer puissamment l’histoire, — heureusement !

1871. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Lenient » pp. 287-299

Demogeot, qui est même, comme Sosie, l’ami de tout le monde, car, dès la préface du livre qu’il publie aujourd’hui, il commence par saluer je ne sais combien de personnes en les nommant toutes par leur nom, et il compare Villemain à ces dieux d’Homère qui en trois pas faisaient le tour du monde, — atroce politesse, — M.  […] Je ne le sais point et son livre ne me l’apprend pas. […] Il fallait tout dominer, tout écraser par le résumé souverain, par la foudroyante acuité du regard, par le despotisme du talent qui sait et qui ose abréger, ou entrer rigoureusement et patiemment dans le détail et ne pas raconter des poètes comme Rutebœuf et Villon en deux lignes, ni vouloir donner une idée de leur manière avec quatre vers ! […] Guizot ; vingt fois agité depuis au gré des aspirations libérales ou des passions rétrogrades de tel parti, il a donné lieu aux systèmes les plus opposés. » Voilà tout ce qu’il sait du Moyen Âge ! […] Qui sait ?

1872. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Léopold Ranke » pp. 1-14

En toutes choses, l’idéal est loin et recule, mais ici, il est si loin qu’il n’a plus besoin de reculer. » L’homme qui écrivait les lignes précédentes, en 1828, dans un des recueils périodiques les plus estimés de l’Angleterre, devait plus tard devenir lui-même un historien, et il serait piquant de savoir si, quand il écrivait ainsi, il pensait déjà à le devenir, et s’il ne méritait pas qu’on lui appliquât le mot de Pope sur Addison : « Addison — disait Pope — ressemble à ces sultans d’Asie, qui ne croient jamais régner en sûreté qu’après avoir fait périr tous leurs frères. » En décapitant tous les historiens d’un seul revers de plume, Macaulay songeait-il à se préparer un royaume ? […] Dépendant également de la Raison et de l’imagination, l’Histoire tombe alternativement sous la seule et absolue domination de l’une ou de l’autre, tantôt fiction, tantôt théorie, souvent toutes les deux. » Nous en demandons bien pardon à Macaulay, mais si la difficulté de la composition historique ne venait que de l’accord qu’il faut savoir établir entre l’imagination et la Raison, elle ne serait que celle de tous les genres de composition littéraire, qui n’existent pas plus que l’Histoire sans la fusion harmonieuse de ces deux grandes facultés. […] Ce que je sais le mieux, c’est mon commencement… Il faut avouer qu’une telle chute serait ridicule et mortelle… Nous ne disons pas que Ranke l’ait faite, mais voici pourtant deux volumes dans lesquels il a dû ramasser l’effort de sa pensée et la force réfléchie de sa maturité, et partout où nous les avons ouverts, nous n’avons trouvé que l’indigence, le refroidissement, le dessèchement, mis à la place de tout ce qui promettait autrefois la richesse, la chaleur, l’abondance et la vie Il est des gens, nous le savons, qui appelleront cela un progrès. […] Sur ces points vitaux, le fond emporterait nécessairement la forme, et nous savons trop où il l’emporterait.

1873. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Émile Augier, Louis Bouilhet, Reboul »

Le théâtre est le pays des illusions ; on a celle de la perspective ; on a le magique truchement de l’acteur quand il sait bien dire ; on aie métier, les rubriques du métier, qu’on y prend si souvent pour du talent et de l’invention, car on ne sait pas assez de quels trucs et de quelles vieilles surprises connues, et faisant toujours le même effet sur l’infatigable public, se composent la plupart des œuvres qu’on y applaudit. […] Son livre doit être signalé d’autant plus aux jugements de la Critique, qu’il est d’un bon exemple qu’on sache, au moment où Augier vient d’être nommé à l’Académie, ce que la langue française doit à un pareil poète. […] D’ailleurs, nous défierions bien Augier d’être autre chose que ce qu’il est, c’est-à-dire, en deux mots, invariablement et irrémissiblement, un poète de carton-pâte modelant en petit des sujets connus, je ne sais quel faux bellâtre sans physionomie sincère et profonde, — qui n’est pas plus la beauté d’un poète que la cire du cabinet de Curtius qui veut jouer la vie n’est un homme ! […] Louis Bouilhet est aussi un de ces jeunes fortunés, comme dit si lyriquement Augier à Ponsard, qui savent imiter et réussir… parce qu’ils imitent. Lui aussi, comme Émile Augier, n’a pas attendu son succès, et peut-être, lui aussi, qui sait ?

1874. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pécontal. Volberg, poème. — Légendes et Ballades. »

Ce poème, qui mériterait d’être réédité, si nous avions une littérature qui sût regarder derrière elle et qui n’abattît pas tous les jalons que les divers esprits contemporains ont plantés, attestait en son auteur une profondeur de foi et une santé de doctrine étonnantes dans un temps où tout était malade, même la vérité. […] Pécontal, malgré sa jeunesse, malgré les tremblements de la main, inévitables à tout début, malgré la portée d’un vol qui ne s’élève jamais jusqu’au zénith, mais qui sait planer à la distance où il s’élève, M.  […] Elle sait avec art varier leurs berceaux, Elle trouve Moïse au milieu des roseaux. […] Le poète légendaire doit tenir de la nourrice, de la vieille fileuse, du mendiant, ces trois immenses poètes sans le savoir, venus en pleine terre de toute civilisation imparfaite. […] À force d’être innocent et enfançon, Dieu sait ce qu’il devient !

1875. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Duranty » pp. 228-238

Qu’il suffise de savoir, pour l’heure, que malgré les actes d’adoration publics de M.  […] Oui, on trouve encore dans ce livre le réaliste qu’on savait trop bien, le réaliste avec ses fausses prétentions, ses partis pris de vulgarité, ses tendances volontairement abaissées ; et c’est dommage ! […] Champfleury, qui n’a jamais su, lui, construire une phrase et qui n’en comprend même pas l’organisme. […] C’est un écrivain rencontré dans une École qui ne sait pas écrire et qui, pour cette raison-là, mais seulement pour cette raison-là, vaut mieux qu’elle. […] affecta et contamina, dans sa meilleure époque, de je ne sais quoi d’inférieur et de bourgeois, les conceptions d’hommes qui avaient pourtant du génie, à présent qu’en tarissant il s’est mêlé aux autres grossièretés d’une vie qui se matérialise chaque jour davantage et que, sous cette théorie et sous ce nom de réalisme, il aspire à gouverner une littérature décadente, ne doit-il pas abaisser plus que jamais des talents moins faits pour résister à ses influences et nuire à leurs inspirations ?

1876. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre XI. De la géographie poétique » pp. 239-241

Les géographes anciens s’accordent à reconnaître une vérité dont ils n’ont point su faire usage : c’est que les anciennes nations, émigrant dans des contrées étrangères et lointaines, donnèrent des noms tirés de leur ancienne patrie, aux cités, aux montagnes et aux fleuves, aux isthmes et aux détroits, aux îles et aux promontoires. […] Les Romains ne savaient ce que c’était que luxe ; lorsqu’ils l’eurent observé dans les Tarentins, ils dirent un Tarentin pour un homme parfumé. Ils ne savaient ce que c’était que stratagème militaire ; lorsqu’ils l’eurent observé dans les Carthaginois, ils appelèrent les stratagèmes punicas artes, les arts puniques ou carthaginois. […] Servius Tullius fut Grec dans le langage des Romains, parce qu’ils ne savaient pas dire habile et rusé. […] Comment des bergers, qui ne savaient ce que c’est que la mer, seraient-ils sortis de l’Arcadie, contrée toute méditerranée de la Grèce, pour tenter une si longue navigation et pénétrer jusqu’au milieu du Latium ?

1877. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre V. »

« Les Lycomèdes, dit-il, les savent par cœur et les chantent dans les sacrifices. Ces hymnes, pour l’élégance des vers, ne sauraient venir qu’après ceux d’Homère ; mais ils leur sont supérieurs pour le caractère religieux56. » Cela même peut expliquer la renommée singulière d’Orphée et cette gloire poétique, sans ouvrages qui la consacrent. […] On sait quelle était, dans l’antiquité, la renommée des mœurs lydiennes et la douceur efféminée du mode musical auquel la Lydie donnait son nom. Sans doute Alcman, esclave étranger venu de Lydie, ou né d’une Lydienne dans la maison du Spartiate Agésilas, en gardant de son origine le goût et le charme de l’art, sut y mêler l’accent qui plaisait aux âmes belliqueuses de Sparte. […] On sait combien ces fabrications antidatées, que la science moderne même ne prévient pas parmi nous, étaient communes dans les derniers âges du monde grec et romain.

1878. (1874) Premiers lundis. Tome II « Deux préfaces »

En parlant des morts, on est plus véridique par rapport à soi, je le veux bien ; on dit tout ce qu’on sait ; mais on sait moins, et ainsi l’on est souvent peut-être moins vrai par rapport à l’objet, que lorsque, sachant plus, on ne dit qu’avec le sous-entendu des amitiés et des convenances. […] Dès qu’on cherche l’homme dans l’écrivain, le lien du moral au talent, on ne saurait étudier de trop près, de trop bonne heure, tandis et à mesure que l’objet vit. […] Nous avons fait nous-même ici, dans ces Premiers Lundis, les derniers emprunts aux Critiques et Portraits littéraires, par deux importants morceaux (à part les Préfaces que nous venons d’en extraire) : Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la révolution de 1830 ; — Des Jugements sur notre littérature contemporaine à l’étranger (1836) : tout le reste était déjà entré, comme on le sait, dans les autres galeries de Portraits : — Portraits littéraires, Portraits contemporains, Portraits de Femmes. — Les Critiques et Portraits littéraires relèvent donc essentiellement désormais du domaine de la bibliophilie, et la note suivante de M. 

1879. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Heredia, José Maria de (1842-1905) »

Leconte de Lisle, avec je ne sais quoi de plus ample, de plus chaud et de plus flottant ; un assez long fragment de poésie narrative et descriptive, les Conquérants de l’or, inséré dans le tome second du Parnasse contemporain, contient quelques pages splendides. […] José-Maria de Heredia exprimait de préférence, c’était je ne sais quelle joie héroïque de vivre par l’imagination à travers la nature et l’histoire magnifiées et glorifiées. […] Il y a là comme une gageure, et elle est toujours gagnée ; il y a là comme un parti pris de montrer que notre « gueuse fière », c’est à savoir la langue française, est capable, pour qui connaît ses ressources, des richesses de couleur et des richesses de sonorité les plus rares et les plus abondantes que jamais langue colorée et langue sonore ait pu étaler ; et ce parti pris, je suis enchanté que M. de Heredia ait montré par le succès qu’on pouvait le prendre. […] Il a su réduire l’abondance de ses sensations aux strictes cadences d’où naît la splendeur classique.

1880. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVI »

Lebesgue, de prétendre enseigner le style : le sens de la Beauté ne se démontre pas, et nulle analyse ne saurait, ni en vingt leçons, ni en cent, le disséquer. […] Lebesgue exige des conditions compliquées :‌ « Cela, d’ailleurs, ne suffit pas absolument à former l’écrivain ; il faut également savoir écouter, car c’est par l’harmonie, qualité rare, que les images s’évoquent, intégrales, dans le trame des phrases. […] Albalat pourrait avantageusement prendre place dans la collection des Manuels Roret‌ Malheureusement, de même que le fond ne saurait être distrait de la forme, (démonstration qui constitue l’un des meilleurs chapitres de l’ouvrage), de même on ne saurait faire agir le cerveau en vue d’écrire, s’il n’est d’avance sollicité par l’éveil de quelque passion, au sens pur du mot. »‌ Voilà bien des railleries inutiles !

1881. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « V » pp. 19-21

mais madame Dorval fait Lucrèce. « Je ne fais plus que les vertueuses, ma chère », disait-elle l’autre jour à une amie avec cette voix que vous savez. — Mais c’est moins la pièce en elle-même que l’avenir du talent qui compte désormais. […] Il appropriait ses discours aux différentes classes ; aux femmes du monde, il parlait en homme qui le sait et qui en a été. […] Je ne sais combien l’on comptera de communions pascales, mais je crois que le chiffre n’aura jamais monté si haut depuis cinquante ans.

1882. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 451-455

Dans tous ses Opéra comiques, il a su se garantir de la contagion du Bel-esprit, répandue aujourd’hui jusque dans les Chansons, qui, pour être bonnes, ne doivent être le fruit que de l’imagination & de la gaieté. […] Sans aucune apparence de prétention, le Poëte sait plaire, & ses leçons n’ont rien de cette philosophie fade & baroque qui ose se montrer dans les Opéra comiques, & finira par en dégoûter. […] C’est ainsi qu’un Auteur doit attaquer le ridicule, & qu’il travaille plus utilement à la réforme des travers de sa Nation, en les frondant par une satire fine, que ces Poëtes mornes & langoureux, qui ne savent étaler que des sentimens outrés, & un faux pathétique, incapable de produire aucun effet.

1883. (1767) Salon de 1767 « Dessin. Gravure — Cochin » p. 332

Il ne sait pas peindre ; la magie des lumières et des ombres lui est inconnue, rien n’avance, rien ne recule ; et puis comparé à Bouchardon, à d’autres grands dessinateurs, je trouve qu’il emploie trop de crayon, ce qui ôte à son faire de la facilité, sans lui donner plus de force. Je ne saurais m’empêcher d’insister sur un autre défaut qui n’est pas celui de l’artiste, c’est que la barbarie et le mauvais goût des vêtemens donnent à ces compositions un aspect bas, ignoble, un faux air de bambochades. […] Il faut être bien maladroit pour ne savoir pas étendre la scène avec une estrade, une figure, des rangs de bancs concentriques et des élèves dispersés sur ces bancs ; il n’y a point ici de sortilège, ce n’est qu’une affaire linéaire et de perspective.

1884. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxve entretien. Histoire d’un conscrit de 1813. Par Erckmann Chatrian »

je ne sais pas, monsieur Goulden, lui disais-je, au moins quatre ou cinq cent mille. […] J’avais déjà les trente-cinq francs, mais je ne savais comment dire à M.  […] Ces petites montres-là, c’est pour les femmes. » Je ne savais que répondre. […] Je me sauvai ; j’aurais voulu ne rien savoir de tout cela. […] Tout le monde le savait, je ne pouvais donc pas soutenir le contraire.

1885. (1884) Articles. Revue des deux mondes

On sait enfin avec quelle puissance de généralisation, quelle abondance de preuves empruntées aux sciences les plus diverses, M.  […] elles ne savent plus tenir l’épée, — comme si de nos jours la guerre n’était pas principalement affaire de science et d’argent ! […] On sait que le culte des animaux fut universel, et la croyance persistante aux animaux fantastiques dut peut-être son origine aux représentations intentionnellement monstrueuses de ces antiques divinités. […] Socrate et Platon ne sauraient réclamer une large place dans une histoire de la zoologie avant Aristote. […] Nous n’avons plus le Traité des plantes d’Aristote, et nous ne pouvons savoir dans quelle mesure le disciple est redevable à son maître ; mais il est certain qu’il en suivit scrupuleusement la méthode.

1886. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

On ne sauroit en acquérir. […] Il a sait de bonne grace ce qu’on attendoit de lui. […] Nous savons que Gengis-Kan conquit une partie de l’Asie au commencement du treizieme siecle ; mais ce n’est ni par lui, ni par les Tartares que nous le savons. […] On sait assez qu’il faut un style grave, pur, varié, agréable. […] On ne sait pas qui inventa les habits & les chaussures, & on veut savoir qui le premier inventa les idoles !

1887. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Rien de bizarre, rien d’extraordinaire ni de farouche ; rien chez Jocelyn de ce que d’admirables poëtes ont su rendre dans des types maladifs, bien qu’immortels. […] Aussi, par beaucoup de raisons, quoique ces sortes de succès soient de ceux qu’on puisse le moins prédire et provoquer, je ne sais me dérober à l’idée que Jocelyn en mérite un semblable et y atteindra. […] quand son enfant sera d’âge, nous dit-il en finissant, son cher petit, bégayant encore, et qui sait déjà reconnaître l’étoile du soir, comme il le réjouira avec de tels sons ! […] Dieu seul sait la distance entre nous, Seul il sait quel degré de l’échelle de l’être  Sépare ton instinct de l’âme de ton maître, etc. […] Le Sommeil t’a donné son pouvoir sur les songes, Mémoire ; tu les fais vivants et les prolonges : Ce que tu sais aimer est-il donc loin de nous ?

1888. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

Amyot avait été appelé dans l’intervalle à l’évêché d’Auxerre ; il était tout pénétré de ses premières études de théologie, dont il ne sut d’ailleurs que le nécessaire. […] Qui ne sait, en effet quel parti Montaigne a tiré de la lecture de Plutarque ? […] En littérature, en politique, en religion, chacun disait : Je sais tout. Montaigne prit pour devise « Que sais-je ?  […] Il attire les gens par cette devise séduisante : « Que sais-je ? 

1889. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

» Mais, disent quelques personnes dures et impitoyables, qui même nous savent mauvais gré de lui avoir ouvert l’asile de l’Église, n’est-ce pas cet homme-là qui en a été le plus cruel ennemi, et qui a fermé cet asile sacré par diverses lois ? […] Ne sommes-nous pas les serviteurs d’un Dieu crucifié, qui dit en expirant : Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ? […] Il n’y a point de discours qui puisse représenter le trouble et l’orage où se voit une jeune femme qui ne vient que de sortir de la maison de son père, qui ne sait point les affaires, et qui, étant plongée dans l’affliction, doit prendre de nouveaux soins, dont la faiblesse de son âge, et celle de son sexe, sont peu capables. […] » “Quand un père en mourant laisse des enfants, si c’est une fille, je sais que c’est beaucoup de peine et de soin pour une veuve : ce soin néanmoins est supportable, en ce qu’il n’est pas mêlé de crainte, ni de dépense. […] Selon leurs principes, le sage ne se trompe jamais ; il est le seul éclairé ; de lui doit émaner la lumière qui dissipe les sombres vapeurs dans lesquelles croupit le vulgaire imbécile et aveugle : aussi Dieu sait comment ils l’éclairent.

1890. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

L’individu est tout, la race n’est rien ; la mémoire lui manque ; elle ne sait ni d’où elle vient ni où elle va ; elle n’a pas d’hier, et, n’ayant point d’hier, elle ne sait pas si elle aura un demain. […] Savez-vous pourquoi ? […] Si, quand il s’agit de défendre ou d’honorer sa patrie, on ne saurait être trop national, il n’en est pas de même quand il s’agit de la juger. […] Il s’écrie : Nous avons un maître qui sait tout faire ! […] C’est là la magie de la vérité dans l’écrivain qui sait la retirer vivante des documents compulsés par la patience.

1891. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre huitième »

Ramenée mourante devant Astrate, qui ne sait que lui dire : « Madame ! […] Corneille sait aussi nous tirer des larmes ; mais ce sont des larmes d’admiration plutôt que de sentiment. […] Nous donnons le prix à celui qui a su exprimer l’idéal dans la personne d’une femme. […] Racine n’a pas su en préserver ses plus aimables créations. […] Il sut aussi n’avoir pas besoin de confidents.

1892. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 343-347

[Pierre de] On ne sait pas où est né cet Auteur, mais c’est une bien petite gloire perdue pour sa patrie. […] FRERET, [Nicolas] de l’Académie des Inscriptions, né à Paris en 1688, mort dans la même ville en 1749, Ecrivain également célebre & par l’étendue & par l’abus du savoir. […] Tout à la fois Chronologiste, Géographe, Philosophe, Mythologiste, Grammairien, il n’est instructif que pour ceux qui savent écarter les erreurs & s’attacher avec discernement aux bonnes instructions qu’il présente.

1893. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre II. De l’Allégorie. »

Nous savons que notre bonheur ici-bas est coordonné à un bonheur général dans une chaîne d’êtres et de mondes qui se dérobent à notre vue ; que l’homme, en harmonie avec les globes, marche d’un pas égal avec eux à l’accomplissement d’une révolution que Dieu cache dans son éternité. […] Ce que le voyageur tremblant adorait en passant dans ces solitudes, était quelque chose d’ignoré, quelque chose dont il ne savait point le nom, et qu’il appelait la Divinité du lieu ; quelquefois il lui donnait le nom de Pan, et Pan était le Dieu universel. […] Mais, comme les nations infidèles ont toujours mêlé leur fausse religion (et par conséquent leur mauvais goût) à leurs ouvrages, ce n’est que sous le christianisme qu’on a su peindre la nature dans sa vérité.

1894. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Pierre » pp. 200-201

Pierre Monsieur Pierre, chevalier de l’Ordre du Roi, premier peintre de monseigneur le duc d’Orléans et professeur de l’Académie de peinture, vous ne savez plus ce que vous faites, et vous avez bien plus de tort qu’un autre. […] Je ne sais pourquoi elle se tue, car je cherche son désespoir, et ne le trouve point. […]   Ma foi, je ne sais ce que c’est.

1895. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

On sait peu de chose de sa vie. […] Je sais que tu viens pour me tuer. […] Sache que je suis un roi. […] Il invente hors des règles et des faits qu’il ne sait pas. […] Il se montra studieux dès qu’il sut lire.

1896. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

On ne sait avec certitude à quelle époque elle a été écrite, quoique Malone lui assigne pour date l’année 1610. […] Mais Porrus raconte tout ce qu’il sait de Faunia, et montre les bijoux qu’il a trouvés auprès d’elle. […] C’est ce qu’on sait de plus certain sur sa date. […] Pour en avoir eu toujours, il lui a manqué de savoir ce que vaut un homme. […] --Bien, mon fils, dit le roi avec un grand soupir, quel droit j’y avais, Dieu le sait !

1897. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

Je m’en suis enorgueilli, et avec juste raison, puisque j’avais su plaire à celui qui sait apprécier l’homme par l’intégrité de sa vie et la pureté de son cœur, et non par l’éclat de sa naissance. » De ce jour Mécène et Horace devinrent inséparables. […] « Sachez, écrivit-il à l’auteur, que je suis blessé de ce qu’aucune de ces épîtres ne me soit adressée. Avez-vous peur que la postérité ne sache que vous étiez mon ami ?  […] Je sais que prudemment le politique Octave Payait l’encens flatteur d’un plus adroit esclave ; Frédéric exigeait des soins moins complaisants. […] Oui, la retraite pèse à qui n’en sait rien faire ; Mais l’esprit qui s’occupe y goûte un vrai bonheur.

1898. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

Roger veut remonter au moins son cheval ; mais l’hippogriffe a profité de sa liberté pour s’envoler on ne sait où. […] Son ami, croyant qu’il est suivi par Médor, fuyait à toute course ; car, s’il avait su qu’il l’abandonnait ainsi à son sort, il aurait affronté mille morts au lieu d’une. […] Je ne le savais pas, je ne cherchais pas à le savoir ; mais c’était l’ensemble de cette situation, c’était ce groupe aimable, naïf, accompli, dont chaque figure était nécessaire à l’autre, et dont on ne pouvait en détacher une sans que le charme fût anéanti. […] Il sait jouer avec la vie ; il effleure la nature, il ne l’épuise pas ; il sait que le cœur humain est un instrument à deux cordes dont l’une est tristesse, l’autre gaieté, et, en touchant ces deux cordes tour à tour, il produit une harmonie tempérée et douce qui est précisément l’équilibre vrai de cette vie, mêlée de gémissements et d’éclats de rire. […] Nos ennemis communs, vous ne le savez que trop, ont pour tactique de déverser la calomnie sur les hommes de 1848.

1899. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

Dieu n’a pas permis qu’on sût par quel organe ce flot de sa sagesse avait passé ; il a voulu que l’ouvrage fût immortel et l’auteur ignoré. […] D’autres occupent à présent leurs places, et je ne sais s’ils pensent seulement à eux. […] Demain est un jour incertain : et que savez-vous si vous aurez un lendemain ? […] Fondés et affermis en Dieu, ils ne sauraient s’élever en eux-mêmes. […] Je suis votre serviteur : donnez-moi l’intelligence, afin que je sache votre témoignage.

1900. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVI. La littérature et l’éducation publique. Les académies, les cénacles. » pp. 407-442

… » Le pis, c’est que la méthode autoritaire, dogmatique, passait de la théologie aux autres branches du savoir humain. […] Il convient ensuite d’examiner de près chacune des corporations qui se chargent de distribuer le savoir. […] Quant au grec, on ne le sait guère. « Dans trente ans, écrit en 1753 un Père Jésuite152, personne ne saura lire le grec. » Exagération évidente ! […] Et l’on comprendra qu’il est nécessaire de savoir, non seulement ce qu’on étudiait, mais comment on étudiait chaque chose à toute époque. […] Heureux ceux qui savent se détacher du troupeau, où ils se sont fourvoyés, assez à temps pour redevenir eux-mêmes !

1901. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre premier. Le Moyen Âge (842-1498) » pp. 1-39

Le fait est que nous n’en savons rien. […] Qui veut se distinguer n’y saurait réussir qu’en s’isolant d’abord ; et l’homme du Moyen Âge ne semble avoir pensé, ou même senti qu’en corps, pour ainsi dire, et en groupe, ou en troupe. […] Ce qui distingue un peintre d’un autre peintre, c’est ce qu’ils savent apercevoir l’un et l’autre de différent dans un même modèle. […] Il s’agit de savoir comment s’est faite cette évolution. […] C’est ce que ne sauront pas ceux qu’on verra plus tard s’en moquer, ni peut-être ceux qui, de nos jours, essaieront d’en faire sortir les commencements du théâtre moderne.

1902. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

Mignet avec nombre, avec aisance, avec complaisance, en marquant chaque mot, en balançant chaque membre de phrase, et de manière à séduire un auditoire élégant, où le plus grand nombre (sans lui faire injure) ne savait pas très bien la différence qu’il y a entre la métaphysique et la psychologie. […] Je sus alors qu’au fond de moi-même il n’y avait plus rien qui fût debout. […] Je souris de voir comme, en avançant dans la vie, on ne sait pas se garder ce penchant au retour, et comme on étale ingénument devant les générations nouvelles le contentement d’avoir été d’une génération meilleure. […] et ne savaient pas que vous, le justificateur sentencieux du fait, vous seriez un jour un partisan si zélé et si tendre de ce que vous appelez le droit. […] Mignet de dire toutes ces choses, et peut-être même ne les a-t-il jamais sues qu’à peu près : car, homme de mérite et d’un talent supérieur, il a la faculté, ce me semble, de ne voir qu’imparfaitement tout ce qui ne se passe pas en plein sous son regard ; ce qui aide fort à la sérénité.

1903. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

L’abbé Prévost, comme on sait, est né à Hesdin le 1er avril 1697. […] Dans la gravure, l’abbé Prévost a quelque chose de plus fier, de plus hardi au milieu de sa physionomie aimable ; dans le buste, il y a je ne sais quoi de plus affectueux répandu sur l’ensemble. […] Mais, jusqu’à la fin, il éprouva et il nous confirme par son exemple une vérité : l’empire en ce monde, l’influence qu’on y conquiert n’appartient pas tant à l’esprit, au talent, au travail, qu’à une certaine économie habile et à l’administration continuelle qu’on sait faire de tout cela35. […] Ce n’est point tant l’admiration qu’il appelle, c’est la sympathie et l’affection, c’est un pardon fraternel pour des fragilités qui sont souvent les nôtres, mais que l’orgueil recouvre et que l’hypocrisie sait dissimuler. […] [NdA] C’est la troisième fois que je parle de l’abbé Prévost, et chaque fois j’ai tâché, sans trop me répéter, d’ajouter quelque chose à ce qu’on savait déjà de lui.

1904. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — I. » pp. 381-397

C’est ce que les députés, dès leur arrivée, parurent très bien savoir. Au doge qui les accueillait avec honneur et les interrogeait, ils montrèrent leurs lettres de créance, et le doge leur dit : Seigneurs, j’ai bien vu vos lettres, et je sais très certainement que vos seigneurs sont les plus hauts hommes qui soient aujourd’hui de ceux qui ne portent point couronne. […] Notez que ces gens assemblés là par les soins du doge, et à qui l’on fait entendre la messe du Saint-Esprit afin de demander bon conseil d’en haut, ne savent pas encore, au moins la plupart, ce qu’on va leur proposer : quelques-uns cependant, qu’on a sondés à l’avance, sont groupés çà et là dans la foule. […] Et je suis un vieil homme et faible de corps et infirme, partant j’aurais dorénavant besoin de me reposer ; mais je ne vois, pour le moment, aucun homme parmi nous qui, plus que moi, sût vous conduire ni guerroyer. […] Les navires approchent, et lancent avec des machines, de dessus leur tillac, des bordées de pierres ; arbalètes et flèches pleuvent de tous côtés ; on essaye d’appliquer des échelles ; mais les galères ne savaient et n’osaient prendre terre.

1905. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — I. » pp. 19-35

Je crains pour vous une dévotion lumineuse, haute, qui, sous prétexte d’aller au solide en lecture et en pratique, nourrisse en secret je ne sais quoi de grand et de contraire à Jésus-Christ enfant, simple et méprisé des sages du siècle. […] Ne savait-on pas que les hommes sont fragiles, que le monde est contagieux, que les gens faibles ne peuvent se conserver qu’en fuyant les occasions ? […] Elle n’était plus jeune, elle n’était plus belle, elle le disait sans doute, mais elle avait de beaux restes, elle le savait, elle en jouissait encore tout bas comme un vaincu généreux qui sait se faire respecter, même en se retirant. […] Aujourd’hui, je n’ai pu qu’effleurer le sujet ; ces choses de spiritualité ne sauraient se donner en grande quantité à la fois. […] Il sut s’en abstenir par humanité ou s’en guérir par charité.

1906. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — I » pp. 1-17

Il sut être, somme toute, courtisan et honnête homme. […] Lundi 3. — Le roi à son lever parla fort sur les courtisans qui ne faisaient point leurs Pâques, et dit qu’il estimait fort ceux qui les faisaient bien, et qu’il les exhortait tous à y songer bien sérieusement, ajoutant même qu’il leur en saurait bon gré. […] Et il y a lieu vraiment, il n’est que de faire attention et de savoir le lire. […] On ne sait si elle sera du voyage. […] Nous savons à point nommé le jour où Monseigneur a pris le plus grand loup qu’il ait pris de sa vie (jeudi 24 octobre 1686, à Fontainebleau).

1907. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

Mais cette même personne, qui sait très bien regimber contre ceux qui ne voulaient pas qu’on eût le sens commun depuis le siècle de Louis XIV, pourquoi ne veut-elle pas que d’autres aient du sens commun après elle, et que l’esprit, tant bien que mal, continue, sauf à prendre un costume un peu différent ? […] Je n’en veux pour exemple que M. de Montyon, qui, en obéissant à des mobiles dont quelques-uns au moins étaient nobles, a su se rendre utile jusque dans l’avenir et perpétuer honorablement sa mémoire. […] Je ne sais si Mme de Créqui n’en fut pas attaquée un moment ; on le dirait du moins, à voir son vif intérêt pour la personne de Rousseau et pour ses écrits. […] Et puis toutes les langues vivantes qu’on sait désormais et qu’on mêle, les sciences avec l’industrie dont le vocabulaire déborde et nous inonde, tant de produits exotiques, l’esthétique, l’hégélianisme, l’humanitarisme, toutes ces mers à boire, tout ce qu’on prend chaque jour, sans s’en apercevoir, avec le feuilleton du matin ! […] Après tout, ne soyons point exclusifs et négatifs en aucun genre ; ne prenons jamais le dégoût pour le goût, l’exemption pour la qualité ; et, de quelque prix qu’il soit à qui l’a su connaître, périsse l’atticisme lui-même si on ne peut absolument le conserver que par le manque de vie, par une stagnation qui mène insensiblement et bientôt à la sécheresse !

1908. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Tallemant et Bussy ou le médisant bourgeois et le médisant de qualité » pp. 172-188

Ils parlaient bien, ils raillaient avec grâce, avec tour, ils jouaient d’un trait bien appuyé, bien acéré, et tout d’un coup, sans qu’on sache pourquoi, un petit délire soi-disant poétique les prend, ils s’arment d’un violon de village et font, pendant une minute ou deux, un crin-crin qui écorche les oreilles. […] On ne sait si tout est de Bussy dans cette peinture satirique, qu’il a en partie désavouée. […] On sait peu de chose de la vie de Tallemant ; il paraît avoir exercé une charge de finance (contrôleur provincial ancien des régiments au département de la Basse Bretagne, c’est ainsi que cela s’appelait). […] Je ne sais si M.  […] Il voulait qu’on fît deux citadelles à Paris, une au haut et une au bas de la rivière, et dit qu’un roi, pourvu qu’il en use bien, ne saurait être trop absolu, comme si ce pourvu était une chose infaillible.

1909. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — I » pp. 1-17

Les bois n’ont pas encore de feuilles ; mais ils prennent je ne sais quel air vivant et gai, qui leur donne une physionomie toute nouvelle. […] En plein juin, la belle saison un matin s’en est allée on ne sait où ; le vent d’ouest a tout envahi comme un pasteur humide chassant devant lui ses innombrables troupeaux de nuages. […] Il a des vers de détail très heureux, très francs, mais sa phrase traîne, s’allonge, se complique prosaïquement ; il ne sait pas assez la couper, l’arrêter à temps, et, après un certain nombre de vers accidentés, irréguliers, redonner le ton plein et marquer la cadence. […] Il avait ses troubles, ses défaillances intérieures, je le sais : nous reviendrons, au moins pour l’indiquer, sur ce côté faible de son âme et de sa volonté ; son talent, plus tard, sera plus viril en même temps que sa conscience moins agitée ; ici il est dans toute sa fleur délicate d’adolescence. […] Nous perdons par notre faute une partie, et la plus grande, des bienfaits du Créateur ; il nous environne de ses dons, et nous refusons d’en jouir par je ne sais quelle triste obstination à nous tourmenter nous-mêmes.

1910. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

Guizot dans la défense du système : « Je sais, disait-il, que les doctrinaires ont de grands défauts et qu’ils n’ont pas l’art de se faire aimer du gros public ; il n’y a qu’eux pourtant qui veuillent franchement ce que j’ai voulu. […] Les intérêts, c’est-à-dire les finances, l’industrie, les branches diverses de la fortune publique, leurs rapports, leur jeu mobile, leurs crises, le mécanisme et le thermomètre du crédit, les signes et pronostics qui en résultent à chaque instant, il les sait peu, il ne les sait guère plus que M.  […] Il n’y a que les gens qui pensent comme Garnier-Pagès qui aient pu vouloir et soutenir cette Coalition si compromettante pour la couronne… » Je ne sais si M.  […] Je ne saurais donc adhérer au mot sévère d’un éminent et ingénieux critique, M.  […] Guizot n’a jamais été un écrivain, ou, si l’on aime mieux, il n’a jamais été que le premier des écrivains qui ne savent pas la langue.

1911. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LE COMTE MOLÉ (Réception à l’Académie.) » pp. 190-210

Pendant les dix ou quinze années de révolution qui suivirent, le parti philosophique était le maître à l’Institut, dans les diverses sections ; je ne sais s’il y fut aussi intolérant qu’on l’a dit quelquefois ; les autres, en petit nombre, s’y montraient certainement assez hargneux. […] Si littérateur qu’on soit ou qu’on se fasse, je ne saurais y voir un grand inconvénient. […] qu’il n’y ait du moins jamais de Vadius, ou si Vadius s’y trouvait installé sans qu’on sût comment, pour Dieu ! […] Je ne sais si Richelieu, qui aimait tant les ballets, et qui savait qu’on les aime en France, a pensé à cela en fondant l’Académie française ; mais il se trouve que c’est assez vrai103. […] Joubert, dont on sait de bellès pensées et dont les œuvres plus complétement recueillies ne tarderont pas à paraître104, voyait dans le jeune homme sérieux le confident peut-être le plus ouvert à ses subtiles et fines délicatesses.

1912. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

On ne sait trop comment se passèrent ses premières années ; il s’est bien gardé d’en parler jamais, et il paraît s’être expressément interdit, comme une honte, tout souvenir d’enfance ; c’était mal imiter Horace pour le début. […] Le style est d’un langage marotique hérissé de grec, et qu’on croirait forgé à l’enclume de Chapelain ; on ne sait pas où les prendre, et j’en dirais volontiers, comme Saint-Simon de M.  […] Ajoutons seulement que, sans trop modifier le fond de notre jugement sur les odes, qui n’est guère après tout que celui qu’a porté Vauvenargues (Je ne sais si Rousseau a surpassé Horace et Pindare dans ses odes : s’il les a surpassés, j’en conclus que l’ode est un mauvais genre, etc., etc. […] Quelques-uns de ses vers religieux (en les supposant écrits depuis cette date fatale) semblent même s’inspirer du sentiment énergique qu’il a de sa propre innocence : « Mais de ces langues diffamantes Dieu saura venger l’innocent, etc. », et plusieurs semblables endroits. […] Mais Rousseau fait le bon apôtre quand il dit (29 janvier 1716) : « Il y a des choses dont les libertins même un peu raisonnables ne sauroient rire, et la liberté de l’épigramme doit avoir des bornes.

1913. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

Le pastoral Gessner avait su faire ainsi. […] Millevoye l’a corrigée, on ne sait pourquoi, à diverses reprises, et en a donné jusqu’à deux variantes consécutives. […] Cette pièce que chacun sait par cœur, et qui est l’expression délicieuse d’une mélancolie toujours sentie, suffit à sauver le nom poétique de Millevoye, comme la pièce de Fontenay suffit à Chaulieu, comme celle du Cimetière suffit à Gray. […] Millevoye ignorait que ce morceau, par lui signalé, d’un poëte inconnu, et les autres reliques qui allaient suivre, effaceraient bientôt toutes ses propres tentatives d’élégie grecque, et, s’il l’avait su, il n’aurait pas moins cité dans sa candeur : toute jalousie, même celle de l’art, était loin de lui. […] Un jour qu’il avait à dîner quelques amis à Épagnette, près d’Abbeville, une discussion s’engagea pour savoir si le clocher qu’on apercevait dans le lointain était celui du Pont-Rémi ou de Long, deux prochains villages.

1914. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre II »

reprend-il, je sais combien je t’afflige, mais je veux souvent et je ne peux pas”. […] je ne sais, que je le priais de m’attendre un moment, dans le passage des Panoramas, il m’a dit devant la grille du boulevard : c’est là n’est-ce pas ? […] Je ne sais si c’est réel ou une imagination des sens, mais sans cesse il nous faut nous laver les mains. […] Il était intéressant de savoir à quelle source avisée Wagner avait puisé, surtout s’il avait eu conscience, en ces fresques géantes, d’avoir atteint la précision clinique que nous y admirons aujourd’hui. […] MM. de Goncourt, comme les gens de génie, ont deviné ou observé (je ne sais si l’un d’eux est médecin) que la pleurésie peut donner naissance à la phthisie ou être un des premiers et redoutables symptômes de la tuberculose pulmonaire.

1915. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

Une dernière réflexion, la plus importante de toutes, reste donc à faire, c’est de savoir jusques à quel point il est possible aux âmes passionnées d’adopter le système que j’ai développé. […] Non, ne condamnez pas ces infortunés qui ne savent pas cesser de l’être ; vous, de qui leurs destinées dépendent, secourez-les, comme ils veulent être secourus ; celui qui peut soulager le malheur, ne doit plus penser à le juger, et les idées générales sont cruelles à l’homme qui souffre, si c’est un autre, et non pas lui, qui les applique à sa situation personnelle. […] tantôt la superstition défend de penser, de sentir, déplace toutes les idées, dirige tous les mouvements en sens inverse de leur impulsion naturelle, et sait vous attacher à votre malheur même, dès qu’il est causé par un sacrifice ou peut en devenir l’objet ; tantôt la passion ardente, effrénée, ne sait pas supporter un obstacle, consentir à la moindre privation, dédaigne tout ce qui est avenir, et poursuivant chaque instant comme le seul, ne se réveille qu’au but ou dans l’abîme. […] Je ne sais pas une délibération plus importante que celle qui conduirait à se faire un devoir de causer une peine, ou de refuser un service en sa puissance ; il faut avoir si présent à la pensée la chaîne des idées morales, l’ensemble de la nature humaine ; il faut être si sûr de voir un bien dans un mal, un mal dans un bien. […] Fox, plaidant pour la paix devant le parlement d’Angleterre, j’ai dit : si l’on ne fait pas la paix avec les Français cette année, qui sait au centre de quel empire ils la refuseront l’année prochaine . (« Réflexions sur la paix ».)

1916. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre II. Rapports des fonctions des centres nerveux et des événements moraux » pp. 317-336

Ils se produisent ensemble, mais nous ne savons pas pourquoi. […] Mais nous savons que la sensation ordinaire est un composé, qu’elle diffère de ses éléments, que ces éléments échappent à la conscience, qu’ils n’en sont pas moins réels et actifs, et, dans cette pénombre inférieure et profonde où naît la sensation, nous trouverons peut-être le lien du monde physique et du monde moral. […] En lui-même, cet objet physique et sensible nous demeure tout à fait inconnu ; tout ce que nous savons de lui, c’est le groupe de sensations qu’il provoque en nous. […] Cet événement moral qu’atteint directement la conscience ne peut être atteint qu’indirectement par les sens ; les sens ne savent de lui que ses effets sur eux ; c’est pour cela qu’ils nous le font concevoir comme un mouvement intestin de cellules grisâtres ; comme il n’agit sur eux que par le dehors, il ne peut leur apparaître que comme extérieur et physique. […] Nous savons maintenant lequel des deux est le témoignage primitif et mérite toute confiance, dans quelle mesure et avec quelle assurance on peut consulter l’autre.

1917. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre II. Les tempéraments »

Cependant Ronsard pouvait encore faire quelque chose de son sujet, s’il y avait versé les sentiments généraux de cette nation qui depuis un siècle et demi commençait à prendre conscience d’elle-même, s’il avait su imiter la « curieuse diligence » de Virgile, et jeté toute la France, ses souvenirs, son âme et son génie dans ce mythe érudit. […] Il s’est trompé d’abord, ici encore, sur la définition du genre : il n’en a pas saisi l’essence, il n’a su que cataloguer les sujets traités par les anciens (notons que Boileau ne fera guère mieux). […] Je ne sais : en tout cas, il travaille sans cesse à étouffer sous les acquisitions de sa mémoire les sollicitations de sa nature. […] L’école de Marot, comme on sait, fit une réplique à la Défense : cette critique, le Quintil Horatian, a toujours été attribuée à Ch. […] Il sut se maintenir auprès de Henri IV.

1918. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XVI. Les derniers temps de la comédie italienne en France » pp. 311-338

messieurs, on ne sait que trop que c’est le pauvre homme qui les a reçus. […] Je ne saurais m’empêcher de pleurer toutes les fois que j’y songe. […] On ne sait pas ce que ces messieurs-là peuvent devenir un jour. […] On sait trop bien dans Paris que vous avez de l’argent par-dessus les yeux, et qu’au lieu d’emprunter, vous prêtez à tout le monde : mais quelquefois, pour obliger, on se fait violence. […] Les plus habiles sont ceux qui savent perdre à propos.

1919. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre II. Marche progressive de l’esprit humain » pp. 41-66

On sait seulement qu’elles se succèdent dans le temps, et qu’elles héritent les unes des autres. […] Une idée sublime reposait inconnue dans les traditions du vieil Orient, où, sans doute, et nous le savons à présent, elle se rattachait à des traditions primitives. […] Nous savons que quelque chose de mystérieux, d’irrésistible, repose dans toutes les croyances, et que toutes sont revêtues d’une puissance terrible. […] Lorsque l’on trouve pour la première fois cette expression, elle est déjà consacrée par la tradition ; et l’on sait que nos rois n’ont jamais été moins jaloux que les autres de leur indépendance dans leurs rapports avec la cour de Rome. […] Non, non, il ne faut point s’abuser : il y a je ne sais quoi d’extraordinaire et de divin dans les créations du plus beau génie qui fut jamais.

1920. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VII : Théorie de la raison par M. Cousin »

Ces objets sont bien réellement infinis ; non-seulement nous ne leur découvrons pas de limite, mais nous savons très-évidemment qu’ils ne peuvent pas en avoir. […] Formons un de ces jugements et une de ces idées sous les yeux du lecteur ; il saura comment les uns et les autres se forment en les voyant se former. […] — Pas que je sache. […] Toutes ces conséquences naissent d’une seule remarque obtenue par abstraction, à savoir que le reste est semblable au dividende. […] Appliquons aux expériences que le dix-neuvième siècle sait si bien faire l’analyse que le dix-huitième siècle enseignait, et que, grâce à M. 

1921. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXII. »

Les hymnes mélancoliques de l’Edda, les chants guerriers de Sigurd, l’Aatla-mal et les Niebelungen ont été jugés, parfois reproduits avec autant d’exact savoir que de vigueur et de coloris. […] Nous ne savons ni n’osons raisonner sur un hymne de la Messiade, sur un chant guerrier de Gleim ou sur un chœur de Schiller, après madame de Staël, M. de Barante, M.  […] On le sait, ce génie, dès qu’il se tourna vers les arts, aima l’Italie, en étudia, en imita la poésie. […] Elle n’a pas été inutile, cependant ; elle n’a point passé stérilement sur la terre : elle y a donné à qui saura le chercher l’exemple de l’amour des lettres dans son pur et noble idéal ; elle y a relevé le culte de l’art, la statue de la grande poésie. […] On sait aussi que nul poëte n’avait plus curieusement étudié sa langue, n’en connaissait mieux les filons natifs, le métal indigène et les types frappés de la main du génie.

1922. (1883) La Réforme intellectuelle et morale de la France

Richelieu, l’abbé Fleury posent nettement en principe que le peuple ne doit savoir ni lire ni écrire. […] La France sait admirablement faire de la dentelle ; elle ne sait pas faire de la toile de ménage. […] La France, il le savait, ne la désirait en aucune sorte 4. […] Paris ne saurait avoir ni maire, ni conseil élu dans les conditions ordinaires, ni garde civique. […] Excommunier celui qui ne sait ni lire ni écrire nous paraît impie.

1923. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1894 » pp. 185-293

je ne sais pas comment on est là-haut, mais je me trouve bougrement bien ici !  […] Ainsi la mère disant de son enfant, je ne sais à propos de quel petit méfait : « Alors j’ai fait des nœuds à mon mouchoir…, et je lui en ai donné…, je lui en ai donné ! […] Il ne sait plus lire, plus écrire, — oui, plus écrire, en sorte que pour signer maintenant un dessin, il est obligé d’en copier la signature sur un dessin d’autrefois, et cependant, ô prodige ! […] « Qu’il y ait là, de quoi prononcer le mot amour, je ne sais pas ! […] Je ne sais ce qui m’avait pris, mais voici qu’un jour, je vais trouver le Père Félix, et je lui demande de me confesser, et de me donner l’absolution.

1924. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXIXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (2e partie) » pp. 5-63

Il savait le grec ancien comme Homère, il savait le grec moderne comme un klephte. […] C’est ce que je ne saurais dire ; mais ce Vaï se comprend et se répète même quand on ne peut l’expliquer : c’est un cri de détresse jeté aux échos comme la dernière note prolongée d’un chant montagnard. […] Je lui demandai s’il consentirait à s’en priver pour moi : il me l’offrit sans hésiter, assurant qu’il la savait tout entière, et que d’ailleurs plusieurs de ses petits camarades la savaient aussi. […] Je connaissais cette disposition atmosphérique du canal de Thrace, et je savais que le soleil en se montrant ne tarderait pas à dissiper ces brumes qui n’osaient s’attrouper qu’en son absence. […] Je fais comme si vous n’aviez jamais su la marche du poème, ou plutôt comme si vous aviez oublié ces étranges aventures datant de trois mille années, pour prêter votre mémoire à des faits plus récents.

1925. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1870 » pp. 321-367

je ne sais, — je le priais de m’attendre, un moment, dans le passage des Panoramas, il m’a dit devant la grille du boulevard : « C’est là, n’est-ce pas ?  […] reprend-il, je sais combien je t’afflige, mais je veux souvent et je ne peux pas (textuel). » Et sa main serrait la mienne, avec un « pardonne-moi » lamentable. […] si j’avais su ! comme je lui aurais tout caché, tout voilé, tout adouci, et comme je me serais appliqué à faire de la fin de sa vie, ce qu’aurait su en faire l’imagination d’une affection de mère — toute bête. […] — Je ne sais pas !

1926. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

Un théorème, d’astronomie nous donne une satisfaction intellectuelle, mais la vue du ciel infini excite en nous une sorte d’inquiétude vague, un désir non rassasié de savoir, qui fait la poésie du ciel. […] Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. […] Je ne puis ; — malgré moi l’infini me tourmente Je n’y saurais songer sans crainte et sans espoir. […] La profondeur de l’amour, pour Musset, se mesure à la douleur même que l’amour produit et laisse en nous : aimer, c’est souffrir ; mais souffrir, c’est savoir. Oui, oui, tu le savais et que dans cette vie Rien n’est bon que d’aimer, n’est vrai que de souffrir.

1927. (1940) Quatre études pp. -154

Sans empiéter sur l’essentiel, elles servent seulement à l’apprentissage du savoir. […] Aucun poète, a écrit Wyzewa, ne saurait espérer pareille fortune, jamais. […] Poe n’a jamais su qu’il avait, si loin, là-bas, en France, un admirateur fanatique. […] Nous savons trop qu’il n’y a jamais réussi, et que son savant désordre est resté rationnel. […] « Bien des gens lisent les poètes, sans savoir ce que c’est qu’un poète, ou du moins, sans pouvoir exprimer ce qu’ils en savent.

1928. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — [Note.] » pp. 83-84

Il avait de la gaieté et de la réflexion ; il savait raisonner et en même temps bien causer. […] Nous n’étions pas revenus de notre surprise, elle augmenta encore lorsque nous vîmes entrer le président, dont l’aspect et les manières étaient tout à fait opposés à l’idée que nous nous étions faite de lui : au lieu d’un grave et austère philosophe dont la présence aurait pu intimider des enfants comme nous étions, la personne qui s’adressait à nous était un Français gai, poli, plein de vivacité, qui, après mille agréables compliments et mille remerciements pour l’honneur que nous lui faisions, désira savoir si nous ne voudrions pas déjeuner ; et comme nous nous excusions (car nous avions déjà mangé en route) : « Venez donc, nous dit-il, promenons-nous ; il fait une belle journée, et je désire vous montrer comme j’ai tâché de pratiquer ici le goût de votre pays et d’arranger mon habitation à l’anglaise. » Nous le suivîmes, et, du côté de la ferme, nous arrivâmes bientôt à la lisière d’un beau bois coupé en allées, clos de palissades, et dont l’entrée était fermée d’une barrière mobile d’environ trois pieds de haut, attachée avec un cadenas : « Venez, dit-il après avoir cherché dans sa poche ; ce n’est pas la peine d’attendre la clef ; vous pouvez, j’en suis sûr, sauter aussi bien que moi, et ce n’est pas cette barrière qui me gêne. » Ainsi disant, il courut à la barrière et sauta par-dessus le plus lestement du monde. […] Si mademoiselle votre sœur savait comment il pense sur la vie des champs, elle serait bien glorieuse.

1929. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre I. La Restauration. »

Cette cour ne sait imiter que nos ameublements et nos costumes. […] On ne sait où l’on va ; à chaque instant, on est détourné de son chemin. […] Je ne veux pas le savoir. […] Certainement le gentleman sait son monde, on ne saurait mieux que lui employer une ancienne maîtresse. […] vous ne savez pas encore… — Eh !

1930. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier après les funérailles »

Ce qui n’existait pas auparavant va dater de ce jour-là, et l’élite des générations humaines saura le goûter. […] Ce qu’il avait entrepris et déjà exécuté de travaux et d’articles pour le nouveau Dictionnaire historique de la langue française ne saurait être apprécié en ce moment que de ceux qui en ont entendu la lecture ; ce qui est bien certain, c’est qu’il gardait, jusque dans des sujets en apparence voués au technique et à une sorte de sécheresse, toute la grâce et la fertilité de ses développements ; il n’avait pas seulement la science de la philologie, il en avait surtout la muse192. […] Il faut lui savoir gré pourtant, un gré sérieux, d’avoir, en plus d’une circonstance, opposé aux abus littéraires cette expression franche, cette contradiction indépendante qui, dans une nature de conciliation et d’indulgence comme la sienne, avait tout son prix. […] Alfred de Musset : Ami, toi qu’a piqué l’abeille, Ton cœur veille, Et tu n’en saurais ni guérir, Ni mourir. […] Je glisse au bas de la page ce mot humble, ce mot touchant, que je préfère à d’autres mots plus glorieux, parce qu’il sent l’homme cette heure de vérité, ce mot toutefois qu’il faudrait être lui pour prononcer comme il convient, avec sensibilité et ironie, avec un sourire dans une larme ; il s’agissait de ces marques d’affection et d’honneur qui lui arrivaient en foule et ne cessèrent plus, dès qu’on le sut en danger : « Qui est-ce qui dirait, à voir tout cela, que je n’ai toujours été qu’un pauvre diable ? 

1931. (1874) Premiers lundis. Tome I « Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la Révolution de 1830. »

Au xviiie  siècle, l’art était tombé, comme on sait, dans une fâcheuse décadence, ou plutôt l’art n’existait plus en soi et d’une vie indépendante ; il n’avait plus de personnalité. […] Nous savons quelles exceptions on peut nous opposer. […] Il fut donc populaire jusqu’à un certain point, populaire dans les châteaux, dans le clergé, au sein des familles pieuses ; sa renommée considérable tenait beaucoup à l’espèce de religion sentimentale et poétique qu’il célébrait avec génie, à l’opposition courageuse dont on lui savait gré, à la défaveur impériale qu’il avait osé encourir. […] Les vagues émotions religieuses et les rêveries de cœur qu’ils savaient communiquer aux âmes, et qui étaient comme une maladie sociale de ces dernières années, leur conciliaient bien des suffrages de jeunes gens et de femmes que la couleur féodale ou monarchique, isolée du reste, n’aurait pu séduire. […] Heureusement, il a vie et jeunesse ; il a confiance en lui-même, il sait ce qu’il vaut, et qu’il y a place pour sa royauté, même au sein des nations républicaines.

1932. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre III. Du récit des faits. — Antécédents et conséquents. — Causes et effets »

La brièveté consiste à prendre son point de départ où il faut, sans remonter trop haut ; à ne point énumérer les parties où il suffit de montrer le tout (souvent on peut se contenter de dire le fait sans entrer dans le détail ni dire le comment) ; à ne point prolonger la narration au-delà de ce qu’on a besoin de savoir ; à n’y point mêler de choses étrangères ; à faire entendre parfois ce qu’on ne dit pas par le moyen de ce qu’on dit ; à écarter non seulement ce qui nuit au récit, mais aussi cc qui ne lui nuit ni ne lui sert, à ne dire chaque chose qu’une fois ; à ne point recommencer ce qu’on vient justement d’achever de dire. […] Elle ne savait ce que c’était que bataille, et ne connaissait la guerre que par ouï-dire. […] Au bruit d’acier, à cette lueur, le roi tressaille, tire l’épée, et, piquant des deux, il s’écrie : « Sus, sus aux traîtres ! […] La critique ne vise plus qu’à expliquer l’œuvre artistique ou littéraire : analyser les éléments qui la composent, rapporter chacun d’eux à son origine et trouver le pourquoi de leur combinaison : faire exactement la part des circonstances biographiques, de l’esprit du siècle, des dispositions de la race, isoler le plus possible ce résidu qui est plus grand dans les plus grandes œuvres, ce je ne sais quoi où l’on aboutit toujours, et qui est le génie individuel et inexpliqué.

1933. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre II. Précurseurs et initiateurs du xviiie  siècle »

Il s’attacha surtout à faire ressortir les règles fondamentales de la méthode scientifique, à y accoutumer les esprits : ne rien croire que par raison, savoir douter, savoir ignorer. « Je ne vois qu’un grand je ne sais quoi, où je ne vois rien », écrit-il à propos des habitants des planètes. […] C’était un probe et fort esprit, excite plutôt que tourmenté par l’impossibilité de savoir où est la vérité. […] Il a le savoir d’un érudit, le sens d’un critique ; il cherche la vérité, d’une affection ferme et sereine, qui a l’air d’une fonction plutôt que d’une passion de sa nature.

1934. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Coppée, François (1842-1908) »

Ils savent tout aussi bien que lui ce qui est du métier. — Toutes mes critiques n’empêchent pas qu’il y ait chez M.  […] On ne saurait s’imaginer quelle somme de difficultés vaincues il y a dans cette pièce. […] — il est de ceux dont la popularité ne saurait diminuer la gloire. […] Bernard Lazare Si les élégiaques déshonoraient les petits oiseaux, comme a dit un ingénieux critique, il (François Coppée) sut déshonorer mieux que cela, et sur le tombeau de la sensiblerie, il sut faire pousser les plus fameux tubercules.

1935. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XXI. Le littérateur chez les peintres » pp. 269-282

Il n’y a pas un littérateur que ne chatouille le désir de composer un Salon : son goût lui permettra de deviner ce qu’il ignore, et son talent saura communiquer ses intuitions en formules assurées et définitives. […] Il n’y a que les peintres pour savoir de la peinture, et les écrivains de l’écriture. […] Supprimer les Salons, les négliger, les faire tomber en désuétude, c’est mettre les peintres dans la triste position sociale des musiciens. « Se faire connaître », on sait, pour un musicien, c’est exactement impossible, sauf fortune ou bonne fortune. […] Ils savent que, si on n’ose pas les refuser, on les « perchera », et ils s’abstiennent. […] On peut aimer ou n’aimer pas les bords de la Seine de Seurat, les toiles de Signac, de Maximilien Luce, on sait de quel heureux effet est leur procédé, et le moindre charme du tableau de M. 

1936. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXII » pp. 222-236

Cette complication fit que le public sut fort inexactement l’époque où cessa l’intime liaison du roi avec madame de La Vallière, et où de vint exclusive celle qu’il eut avec madame de Montespan. […] Voltaire l’indique à l’année C’est plus de deux ans trop tard, « Dès l’an 1669, dit-il, madame de La Vallière s’aperçut que madame de Montespan prenait de l’ascendant sur le roi. » Si la liaison du roi avec madame de Montespan n’avait commencé qu’en cette année, deux événements principaux de la période que nous parcourons, perdraient leur caractère et leur importance, savoir : la maladie dont est morte madame de Montausier, et la représentation de l’Amphitryon de Molière. […] On prétendit que sa tête se troublait souvent, et l’on ne sut si cette femme qui lui avait parlé en était une ou un fantôme. » On conçoit pourquoi mademoiselle de Montpensier a l’air de croire à la simple apparition d’un fantôme de femme qui s’évanouit sans rien dire à madame de Montausier. Mademoiselle ne voulait pas, par respect pour le roi, paraître savoir ni ce que c’était que le prétendu fantôme, ni ce qu’il avait à dire de si terrible à madame de Montausier. […] Elle dit que de tous les millions de lettres que madame de Richelieu a reçues, celle de M. de Grignan était la meilleure ; qu’elle l’a eue longtemps dans sa poche, qu’elle l’a montrée, qu’on ne saurait mieux écrire, ni plus galamment, ni plus noblement, ni plus tendrement pour feu madame de Montausier. »

1937. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La diplomatie au xviie  siècle »

Je ne sache guères d’homme plus heureux. […] Tout ce que Valfrey croit nous apprendre, on le savait. […] Or, on sait avec quelle majesté s’impose l’ennui à ce singulier peuple français, qui ne le pardonnait pas autrefois et qui passait, dans sa légèreté séculaire, pour vouloir, avant tout, s’amuser ! […] qui pourront lui valoir, qui sait ? […] Je ne veux pas que toute cette paperasserie s’appelle de l’Histoire, car, de par tous les historiens qui ont su en faire, ce n’en est pas !

1938. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « César Daly »

Et, d’ailleurs, la France a le droit d’être tout ce qu’elle veut, comme les femmes qu’on aime et qui savent qu’avec un mot ou un sourire elles peuvent toujours tout effacer ! […] À nos yeux, à nous, qui sommes surtout littéraires, et pour qui les idées, dans leur essence poétique ou rationnelle, doivent passer bien avant les formes plastiques qu’on peut leur donner, la Revue générale de l’Architecture a une importance que ne saurait avoir un monument isolé, lequel, après tout, fût-il de génie, ne nous donnerait jamais que des sentiments élevés ou de puissantes sensations. […] Cette théorie, d’une si originale simplicité qu’elle plonge l’esprit dans l’étonnement qu’inspirent ces vers qui semblent si faciles à trouver, et pour lesquels cependant il ne fallait rien moins que du génie, cette théorie, que son auteur a exposée dans son écrit intitulé : Symbolisme dans l’Architecture, est intégralement, pour qui sait l’y voir, en cet axiome, d’une concentration si profonde ; « L’art tout entier est symbolique de l’état matériel, moral et intellectuel de l’humanité aux diverses époques de son développement. » Mais, de cette profonde concentration, Daly l’a puissamment tirée. […] On ne sait, en effet, que quand on a lu les nombreux écrits de César Daly, à quel point ce penseur hardi est historien, et cela nous charme, nous qui croyons que l’histoire est le seul garde-fou de la pensée du côté où elle peut se noyer, — du côté de la philosophie. […] Qui sait ?

1939. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Vauvenargues » pp. 185-198

D’ailleurs, avant cette correspondance, on ne savait rien ou presque rien de précis sur Vauvenargues. On ne savait que ce que Voltaire en avait dit. […] Il sait à quoi s’en tenir. […] Celui de Hume, pour qui sait voir, est une négation profondément articulée. […] Contemplateur dans un but qui n’était pas la connaissance de l’homme elle-même, laquelle est le but unique du moraliste pur, il fut un moraliste malgré lui, en attendant le jour de l’action, et qui sait ?

1940. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Abailard et Héloïse »

Pendant que les Chrétiens, avec l’ardeur de je ne sais quelle bassesse, découronnent jusqu’à Jésus-Christ et nous le montrent strictement dans la nature nue de son humanité, comme l’a fait le P.  […] La Philosophie ne saurait aller contre les lois qui régissent sa propre nature. […] Malgré des malheurs très réels, je ne sache rien de moins touchant que ces deux êtres, et malgré les efforts qu’ils font pour introduire dans l’amour la haute philosophie et la littérature, je ne sache rien de plus ennuyeux et de plus pédant que leur langage. […] C’est une chose qui ne saurait passer qu’à la honte de l’observation humaine, et, comme moraliste et observateur, nous réclamons.

1941. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Collé »

Il ne sait pas vraiment ce que vaut Collé. […] Honoré Bonhomme ne l’a point découvert pour nous l’apprendre, nous ne savons pas ce qui a pu nous priver d’un La Bruyère quelconque ; car Collé avait trop de santé d’esprit, de naturel et de droiture, pour imiter personne, même ceux-là qu’il admirait le plus. […] Collé, le Triboulet dramatique, savait la vie. […] Collé, qui n’est pas seulement un moraliste de chanson épicurienne, parle de la flatterie en homme qui sait quel levier c’est, même dans des mains maladroites et imbéciles. […] La prose de Collé en ces Lettres n’est pas lourde, mais elle a je ne sais quelle épaisseur d’embonpoint qui n’empêche ni la souplesse, ni la finesse.

1942. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Sophie Arnould »

La Correspondance de Sophie Arnould donne un démenti à tout ce qu’on savait d’elle, — du moins à tout ce qu’on en imaginait ; car elle avait tant d’esprit qu’elle faisait l’effet d’être altière, d’avoir la fierté de cet esprit terrible, et la Correspondance nous apprend qu’au contraire elle ne l’avait pas, et qu’avant de mourir, la misérable s’est aplatie. […] Je ne sache rien de plus honteusement lamentable. […] Mais Sophie Arnould, qui ne savait pas l’orthographe, n’était qu’une jouisseuse en toute chose, et elle laissait perdre la mousse de son esprit comme la mousse du vin de Champagne, sur le pied du verre, à souper… Spirituelle, n’étant que spirituelle en tout, cette diablesse d’esprit n’était pas jolie, et même le portrait qu’en donnent MM. de Goncourt, à la tête de leur ouvrage et d’après un dessin du xviiie  siècle, nous la crache fort laide. […] C’est par là que sortait ce souffle dont le marquis de Louvois, blessé certainement par quelque épigramme de Sophie, disait, avec la haine qui trouve le mot comme le génie : « Savez-vous pourquoi elle sent si mauvais, Sophie Arnould ? […] Pour eux, qui sait ?

1943. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XV. Vauvenargues »

D’ailleurs, avant cette correspondance, on ne savait rien ou presque rien de précis sur Vauvenargues. On ne savait que ce que Voltaire en avait dit. […] Il sait à quoi s’en tenir. […] Celui de Hume, pour qui sait voir, est une négation profondément articulée. […] Contemplateur dans un but qui n’était pas la connaissance de l’homme elle-même, laquelle est le but unique du moraliste pur, il fut un moraliste malgré lui, en attendant le jour de l’action, et qui sait ?

1944. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIX. Abailard »

Pendant que des Chrétiens, avec l’ardeur de je ne sais quelle bassesse, découronnent jusqu’à Jésus-Christ, et nous le montrent strictement dans la nature nue de son humanité, comme l’a fait le P.  […] La Philosophie ne saurait aller contre les lois qui régissent sa propre nature. […] Malgré des malheurs très réels, je ne sache rien de moins touchant que ces deux êtres, et malgré les efforts qu’ils font pour introduire dans l’amour la haute philosophie et la littérature, je ne sache rien de plus ennuyeux et de plus pédant que leur langage. […] C’est une chose qui ne saurait passer qu’à la honte de l’observation humaine, et comme moraliste et observateur, nous réclamons.

1945. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Charles Baudelaire. Les Fleurs du mal. »

On sait l’impression qu’elles produisirent alors. […] de savoir ce qui peut fleurir dans le fumier du cerveau humain, décomposé par nos vices. […] C’est un de ces matérialistes raffinés et ambitieux qui ne conçoivent guère qu’une perfection matérielle, — et qui savent parfois la réaliser ; mais par l’inspiration il est bien plus profond que son école, et il est descendu si avant dans la sensation, dont cette école ne sort jamais, qu’il a fini par s’y trouver seul, comme un lion d’originalité. Sensualiste, mais le plus profond des sensualistes, et enragé de n’être que cela, l’auteur des Fleurs du mal va, dans la sensation, jusqu’à l’extrême limite, jusqu’à cette mystérieuse porte de l’infini à laquelle il se heurte, mais qu’il ne sait pas ouvrir, et de rage il se replie sur la langue et passe ses fureurs sur elle. […] Elle n’a pas le merveilleux épique qui enlève si haut l’imagination et calme ses terreurs dans la sérénité dont les génies, tout à fait exceptionnels, savent revêtir leurs œuvres les plus passionnées.

1946. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Janin » pp. 159-171

Quand il tisonnait au coin de son feuilleton, il en faisait encore assez bien jaillir des étincelles, mais il n’avait plus ce beau coup de pincettes avec lequel saint Dunstan tordit un jour le nez du diable, ce père de tout drame et de tout vaudeville, comme on sait ! […] un peu plus il passait Jean, et qui sait, Gros-Jean peut-être, lorsque tout à coup, avec une souplesse d’Arlequin, — un gros aussi, très-gracieux et très-souple, — voilà qu’il repart et rebondit sur ce tremplin de critiques qu’on risquait contre lui, superbe et Janin comme devant !! […] Sans cette aînesse de l’invention, je ne sais pas ce qui lui resterait, en présence de la prodigieuse exécution de M.  […] Ce sont deux portraits du même homme, et, vous le savez, c’est bien moins le mérite du modèle que l’art du peintre qui fait la valeur des portraits. […] Janin sût le latin maintenant aussi bien que lui !

1947. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « L’Abbé *** »

Sans valoir la millième partie du bruit qu’on lui a fait, Renan a bien ce qu’il faut, semble-t-il, pour illusionner, je ne dis pas les évêques, dont les mains calmes et consacrées doivent savoir exactement le poids ou la légèreté de l’erreur, mais du moins ce gros public, dont l’instinct est faillible, — mauvais juge d’une science assez grande pour tromper et d’un style assez travaillé pour paraître beau. […] Il a, je le sais très bien, des qualités inquiétantes au premier aspect. […] Franchement, je ne sais trop comment m’y prendre pour vous parler convenablement d’un livre dont le caractère est la platitude, — une platitude comme je n’en ai jamais vu, — une platitude ineffable, qui ne ressort ni de la critique sérieuse ni même de la plaisanterie, et dans lequel, si par hasard le Diable y était pour quelque chose, je le tiendrais, lui qu’on a toujours regardé comme une personne d’esprit, pour complètement déshonoré ! […] Si vous joignez de plus à cela l’horripilation impudique que causent, à ces sensitives du mariage des prêtres, le dogme de l’immaculée Conception et la haine profonde pour le Marianisme, — cette affreuse religion entrevue par Michelet, — qui remplacerait prochainement le Christianisme si nous n’avions pas pour le sauver des docteurs comme des Julio de la Clavière et des abbés Trois-Étoiles, vous aurez à peu près tout ce qu’il y a de vues et de choses nouvelles dans ce Maudit, que j’appelle plutôt le mal dit ; car il est impossible de plus mal dire, il est impossible de plus manquer que ce livre du talent qui sait exprimer même des sottises, et qui parfois les fait passer ! […] C’est alors que les jésuites, qui gouvernent l’Église, comme on sait, et font du pape leur polichinelle, lèvent sur Julio, pour ne plus le baisser jamais, le terrible glaive dont, suivant un cliché célèbre, la poignée est à Rome et la pointe partout, et, cette pointe de l’épée aux reins, ils le chassent de Toulouse et l’envoient dans la petite cure de Saint-Aventin, sise aux montagnes des Pyrénées, où ce curé amateur va faire désormais de la botanique et de la géologie, entre ses messes.

1948. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre xi‌ »

Chacun de nous sait que les Français sont là pour qu’il y ait moins de misère entre les hommes. […] Ce qui naîtra, je ne sais, mais l’âme nationale vient de se réaliser.‌ […] — Nous ne savons pas, mais vous pourriez peut-être vous arranger entre vous. — Eh bien ! […] Je ne crois pas, mais sait-on jamais ! […] » Ces morts que nous savons meilleurs que nous-mêmes et dont nous entendrons la voix jusqu’à la fin de nos jours, pouvons-nous accepter qu’ils se taisent désormais et qu’ils ne donnent aucun avis dans la reconstruction de la patrie qu’ils ont sauvée ? ‌

1949. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IX. Suite des éloges chez les Grecs. De Xénophon, de Plutarque et de Lucien. »

On sait qu’il commanda les Grecs dans la retraite des dix mille, mais on ne sait pas également que pour récompense, il fut exilé de son pays. […] Les grâces dans le même temps avaient, au rapport des anciens, embelli l’esprit, le caractère et l’âme de Socrate ; il allait quelquefois les étudier chez Aspasie : il en inspirait le goût aux artistes, il les enseignait à ses disciples, et probablement Xénophon et Platon les reçurent de lui ; mais Platon, né avec une imagination vaste, leur donna un caractère plus élevé, et associa pour ainsi dire à leur simplicité un air de grandeur ; Xénophon leur laissa cette douceur et cette élégante pureté de la nature qui enchante sans le savoir, qui fait que la grâce glisse légèrement sur les objets et les éclaire comme d’un demi-jour ; qui fait que peut-être on ne la sent pas, on ne la voit pas d’abord, mais qu’elle gagne peu à peu, s’empare de l’âme par degrés et y laisse à la fin le plus doux des sentiments : à peu près comme ces amitiés qui n’ont d’abord rien de tumultueux, ni de vif, mais qui, sans agitation et sans secousses, pénètrent l’âme, offrent plus l’image du bonheur que d’une passion, et dont le charme insensible augmente à mesure qu’on s’y habitue. […] On sait qu’il était né dans cette ville où la plus étonnante des institutions avait créé une nature nouvelle ; où l’on était citoyen avant que d’être homme ; où le sexe le plus faible était grand ; où la loi n’avait laissé de besoins que ceux de la nature ; de passions que celle du bien public ; où les femmes n’étaient épouses et mères que pour l’État ; où il y avait des terres et point d’inégalité ; des monnaies et point de richesse ; où le peuple était souverain quoiqu’il y eût deux rois ; où les rois absolus dans les armées, étaient ailleurs soumis à une magistrature terrible ; où un sénat de vieillards servait de contrepoids au peuple et de conseil au prince ; où enfin tous les pouvoirs étaient balancés, et toutes vertus extrêmes. […] Il ne fait donc point de ces portraits brillants dont Salluste le premier donna des modèles, et que le cardinal de Retz, par ses mémoires, mit si fort à la mode parmi nous ; il fait mieux, il peint en action ; on croit voir tous ses grands hommes agir et converser ; toutes ses figures sont vraies et ont les proportions exactes de la nature ; quelques personnes prétendent que c’est dans ce genre qu’on devrait écrire tous les éloges : on éblouirait peut-être moins, disent-elles, mais on satisferait plus ; et il faut savoir quelquefois renoncer à l’admiration pour l’estime.

1950. (1730) Des Tropes ou des Diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Traité des tropes pp. 1-286

Combien de persones se servent d’expressions métaphoriques, sans savoir précisément ce que c’est que métaphore ? C’est ainsi qu’il y avoit plus de quarante ans que le bourgeois-gentilhome disoit de la prose, sans qu’il en sut rien. […] On sait la périphrase simple et naturèle que Malherbe a faite de ces vers. […] C’est-à-dire, je ne sai point deviner les discours énigmatiques. […] Toute votre science n’est rien, si les autres ne savent pas combien vous êtes savant.

1951. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIe entretien. Molière et Shakespeare »

Le que sais-je ? […] Sans doute ; ne le saviez-vous pas ? […] Tu sais que Banquo et son fils Fleance respirent ? […] À ne savoir qui l’emporte d’elle ou du matin. […] Ne cherche point à en savoir davantage.

1952. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

Elle se retire donc dans une grande solitude pour que Parsifal ne sache rien du monde et de la chevalerie. […] Or, ce que Parsifal ne sait pas, le voici. […] Car elle sait sa vie mieux que lui-même. […] Il devine, il voit, il sait, et voici qu’il prie ! […] Gurnémanz, qui l’a souvent retrouvée ainsi et qui ne sait rien de sa vie de péché, remarque cette fois-ci une différence.

1953. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Théâtre » pp. 83-168

Je ne sais pas si le Vaudeville vous attend et si vous êtes en pourparlers avec lui ; ce que je sais, c’est que la pièce ne me semble pas plus impossible au Théâtre-Français qu’au Vaudeville. […] Le Nord signalait et racontait notre premier acte, en lui prêtant les couleurs d’une turpitude immorale ; et nous ne savons comment l’article non signé du Nord parvenait, sous bande, à la censure. […] « Ce qui nous regarde, nous, contribuables, disait-elle, c’est de savoir si nous devons, dans un temps où l’on parle tant d’économies, continuer à sacrifier trois ou quatre cent mille francs, par an, pour le plus grand profit d’une entreprise ministérielle, qui sait si bien tirer profit même du scandale… Ce même jour, l’administrateur du Théâtre-Français, M.  […] sifflé, je ne sais quelles rapsodies que Bobino ne voudrait pas pour coudre à ses grelots ! […] Nous savons chiffonner d’une main osseuse la guimpe des vieilles Muses, et nous accrocher, quand nous voulons rire, à la queue des sourds satyres, amoureux de la joie et de la folie.

1954. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Resterait alors à savoir quels sont les défauts qui peuvent devenir comiques, et dans quels cas nous les jugeons trop sérieux pour en rire. […] Le bon sens consiste à savoir se souvenir, je le veux bien, mais encore et surtout à savoir oublier. […] Le rire, nous le savons, est incompatible avec l’émotion. […] — C’est ce que nous n’avons jamais pu savoir. […] L’un de nous deux s’y noya, mais on n’a jamais su lequel.

1955. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

Nous savons comment elle a fini en 1830. […] On savait peu lire alors dans les campagnes, dans les casernes et dans les ateliers où Béranger voulait retentir. […] Je ne sais de cette histoire que ce que Béranger m’en a souvent raconté épisodiquement à propos de lui ou des autres ; j’en ai entendu assez cependant pour savoir que ce jeune homme, devenu une grande mémoire, n’était nullement dépourvu d’éducation, ni même d’instruction classique. […] Pourrait-on supposer un graveur de tableaux qui ne saurait pas le dessin ? […] Sais-tu quel est ce lieu sauvage ?

1956. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre II. La Nationalisation de la Littérature (1610-1722) » pp. 107-277

On ne peut le savoir qu’en y regardant. […] On ne saurait être ensemble chrétien et cartésien ! […] Nous savons plus de choses que nos pères, et nos fils en sauront plus que nous. […] Que peuvent en savoir ? […] On sait qui est Irène, qui Laïs, et qui Césonie.

1957. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

Nous ne savons plus tout bêtement et simplement être heureux avec une femme. […] Je savais — comme on sait dans les rêves — que j’étais quelque part dans les environs de Florence. […] Comme conversation, je sais d’avance ce que vous allez me dire. […] ” Car il savait que toutes les places étaient vendues. […] Je ne sais quelle malencontreuse inspiration a eue le poète à déjeuner.

1958. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

Mais les grâces… mais le bon goût… Ne savez-vous pas que l’art doit rectifier la nature ? […] Du reste, nos grands poëtes ont encore su faire jaillir leur génie à travers toutes ces gênes. […] La vérité de l’art ne saurait jamais être, ainsi que l’ont dit plusieurs, la réalité absolue. […] Elle laisse au costumier le soin de savoir à quelle époque se passent les drames qu’elle fait. […] Qu’ils ne lui en sachent du reste aucun gré.

1959. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

Et il en riait, excité plutôt, les épaules solides, avec la tranquille carrure d’un travailleur qui sait où il va. […] si les gens de la Beauce le savaient, M.  […] On ne saurait être choqué, en le lisant, par aucun mot grossier, obscène, ni même vulgaire. […] Vous savez tous que Nana, fille de Coupeau et de Gervaise, est le rejeton de quatre générations d’alcooliques. […] Mais ce n’est jamais par ignorance de ce qu’il fallait faire je le savais, mais j’ai été lâche.

1960. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théophile Lavallée. » pp. 473-494

Son Histoire des Français depuis le temps des Gaulois jusqu’en 1830, arrivée à la neuvième édition, présente en quatre volumes l’abrégé le plus succinct et le plus substantiel de nos annales ; l’esprit exact de l’auteur a su réduire tous les faits dans ce court espace sans rien laisser échapper d’important ni de saillant, et, mérite rare ! […] En ce qui est des femmes, elle n’avait aussi sur elles que des idées très arrêtées et médiocrement flatteuses : « Les femmes, disait-elle, ne savent jamais qu’à demi, et le peu qu’elles savent les rend communément fières, dédaigneuses, causeuses, et dégoûtées des choses solides. » L’éducation de Saint-Cyr, après la réforme, et dans le plein et véritable esprit de Mme de Maintenon s’il avait été constamment suivi, n’eût donc point péché par trop de timidité, de faiblesse et de grâce tendre ; l’austérité seulement en était voilée. […] Dans les grands moments, il intervient comme roi : quand on juge à propos de réformer les constitutions, il les relit et les approuve de sa main ; lorsqu’il faut éloigner les Dames récalcitrantes, telle que Mme de La Maisonfort et quelques autres, et employer à cet effet des lettres de cachet, il sait que le cœur des Dames est affligé de cet exil de leurs sœurs, et, après avoir écrit du camp de Compiègne pour motiver sa rigueur, il vient lui-même avec cortège dans la salle de la Communauté tenir en quelque sorte un lit de justice tout à la fois royal et paternel. […] Pendant les guerres, il sait qu’il a à Saint-Cyr dans ces jeunes âmes, filles de Saint-Louis et de la race des preux, « des âmes guerrières, bonnes religieuses et bonnes Françaises ». Il se recommande à leurs prières, les jours de défaite comme les jours de victoire ; il sait que leur deuil est le sien, et que sa gloire est leur joie.

1961. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — I. » pp. 413-433

C’est avec ce surveillant ignare, avec ce Brutus qui ne sait pas lire, qu’il se suppose en conversation et discutant lequel des deux est le plus heureux au sens du sage ; lequel est le plus libre. […] Qui sait ? […] Mme de Staël, que Daru avait vue pour la première fois en Suisse, à Coppet, lui écrivait qu’elle avait lu l’Épître avec son père et qu’elle en savait par cœur des passages. […] [NdA] Je ne saurais assez exprimer mes remerciements à M. le comte N.  […] Ce que je sais, c’est qu’à un jeune écolier qui, en 1818, se trouvant le premier de sa classe, dînait ce jour-là à la table de son chef d’institution, Picard, ami de ce dernier, et qui était du dîner, disait gaiement : « Je vous fais mon compliment, jeune homme !

1962. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — I » pp. 139-158

Le vieux monsieur me conduit à Cambridge dans sa voiture : c’est un homme de savoir, de bon sens, et aussi simple que le curé Adams (dans le roman de Joseph Andrews, de Fielding). […] On s’est demandé s’il n’avait eu à aucun temps l’idée d’épouser Mme Unwin devenue veuve ; il ne paraît pas qu’une telle pensée se soit jamais présentée à leur esprit ni à leur cœur à l’un ni à l’autre : il n’était pour elle qu’un fils aîné et un malade, dont elle savait toutes les souffrantes délicatesses, et au service, à la surveillance duquel, en devenant plus seule, elle s’était tout entière consacrée ; elle n’était pour lui que la plus tendre et la plus intelligente des mères. […] On lui en avait donné un auquel il avait pris plaisir, et, quand on le sut, il lui en vint de plusieurs côtés : J’entrepris, a-t-il raconté dans un agréable récit, d’élever trois des levrauts qu’on m’avait apportés, et pour les distinguer ici, je vous dirai les noms que je leur avais donnés, Puss, Tiney et Bess. […] Nulle créature ne saurait se montrer plus reconnaissante que mon pauvre malade après sa guérison : il exprimait sa gratitude de la manière la plus significative en me léchant la main, le dos de la main d’abord, puis la paume, puis chaque doigt séparément, comme s’il s’était inquiété de ne laisser aucune partie sans remerciement ; cérémonie qu’il ne renouvela jamais qu’une seule fois depuis et dans une occasion toute semblable. […] Son esprit réveillé, et, à quelques égards, réparé par un si long repos, le tourmentait par accès, et il ne savait qu’en faire.

1963. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — II » pp. 316-336

Elle s’y adonna avec un dévouement à la cause commune qui ne saurait se contester : ni le maréchal de Bouillon qui finissait et qui dès longtemps n’était plus qu’un politique consultant, ni le vieux Lesdiguières qui pensait à se convertir et à se retourner contre ses anciens frères, ni les La Trémouille, ni les La Force, ni les Châtillon, dont les résolutions n’étaient pas de longue haleine, aucun n’essaya, dans ces nouvelles levées de boucliers, de le disputer aux Rohan. […] Le maréchal de Thémines commandait l’armée que le roi opposa à Rohan ; il se présenta devant Castres, où la duchesse de Rohan, qui avait laissé son mari, avec un conseil ou abrégé d’assemblée, dut prendre sur elle, dans l’embarras de ses conseillers, de donner des ordres ; et la circonstance l’élevant au-dessus d’elle-même, cette personne mondaine, mais de courage, sut pourvoir à tout. […] Cependant on ne saurait leur faire à l’un ni à l’autre l’injure de poser cette question, s’ils étaient braves et très braves en effet : mais ils étaient les têtes du parti, et ils avaient à se réserver pour leur cause ; et de plus, comme on l’a très judicieusement observé, ils devaient craindre, non pas de périr les armes à la main de la mort du soldat, mais d’être pris et d’aller finir sur un échafaud en rebelles. […] D’autre part, l’héroïsme et la résignation morale des assiégés et des affamés de La Rochelle égala tout ce qu’on sait des plus patients et des plus généreux sièges. […] En ce qui est du récit de la capitulation et de la prise de La Rochelle, dans les mémoires de Richelieu, il perce un accent de triomphe un peu trop étincelant et qui sent l’inhumanité : ceci est le point faible, on le sait, du grand cardinal.

1964. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Merlin de Thionville et la Chartreuse du Val-Saint-Pierre. »

Il y a des noms, on n’en saurait disconvenir, qui sont un fardeau pour un fils. […] Cette belle Euménide, au front calme, au dédaigneux sourire, était, on le sait, par le sang, de la race du vieux Corneille, une arrière-petite-fille du grand tragique. […] Le canon surtout était son arme favorite ; il savait le pointer ; il semblait né artilleur. […] Des hommes d’esprit et d’intelligence se rencontraient pourtant au milieu de cette vie de bombance, et quelques-uns savaient concilier leurs devoirs extérieurs avec leurs aises au dedans. […] Ce fut lui qui chercha l’occasion de m’en parler en me faisant remarquer, combien pouvait être douce et heureuse l’existence d’un curé qui sait ménager les convenances.

1965. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Je ne sais pas un autre mot : on va en juger. […] Votre réputation, madame, est de meilleur aloi : vous vous élevez davantage et plus souvent ; vous avez de ces choses exquises qui sont à côté de tout, et vous savez revêtir d’une poésie dorée des élans de cœur qu’il est impossible d’oublier. […] Il y a là-dessous une longue histoire que je te dirai une autre fois… Tu sauras, si c’est une nouvelle pour toi, que Joanny est devenu la bête noire du public ; c’est à qui veut crier haro sur le baudet. […] Tu sais que nous avons eu les missionnaires, et le mauvais esprit de parti qui cherche toujours quelque prétexte pour faire du tapage s’est assemblé devant les églises pour crier : À bas les prêtres ! […] Plusieurs d’entre eux, qui ne savaient pas ce qu’on leur voulait dire, criaient à tue-tête : À bas les millionnaires !

1966. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

Le jour où l’on comprend enfin ce poëte, cette fleur de plus, où elle existe pour nous dans le monde environnant, où l’on saisit sa convenance, son harmonie avec les choses, sa beauté que l’inattention légère ou je ne sais quelle prévention nous avait voilée jusque-là, ce jour est doux et fructueux ; ce n’est pas un jour perdu entre nos jours ; ce qui s’étend ainsi de notre part en estime mieux distribuée n’est pas nécessairement ravi pour cela à ce que les admirations anciennes ont de supérieur et d’inaccessible. […] Il y a deux sortes de poëtes : ceux qui sont capables d’invention, d’art à proprement parler, doués d’imagination, de conception en sus de leur sensibilité ; qui possèdent cet organe applicable à divers sujets, qu’on nomme le talent : et il y a ceux en qui ce talent n’est nullement distinct de la sensibilité personnelle, et qui, par une confusion un peu débile mais touchante, ne sont poëtes qu’en tant qu’amants et présentement affectés. […] Il n’est pas jusqu’à Montesquieu lui-même sur qui ne s’épanche cette tendresse crédule ; lui qui ne savait pas de chagrin dont une demi-heure de lecture ne le consolât, elle se figure qu’il a gémi. […] Cette image du violon brisé, puis rajusté et trouvé plus sonore, cette particularité technique, si difficile, ce semble, à rencontrer et à exprimer, et qui prouve que les poëtes savent toujours ce dont ils ont besoin, s’applique en toute exactitude à Mme Desbordes-Valmore, sauf que le rajustement mystérieux est demeuré inachevé en quelques points ; imperfection, d’ailleurs, qui nuit peu à l’ensemble et qui est une grâce39. […] Moi, j’aurais mieux aimé Mme Valmore fidèle à sa précédente manière, non pas précisément à celle des Idylles, mais à celle des dernières Élégies, avec l’absence du rhythme, comme un ruisseau qui court sans trop savoir, avec l’insouciance et le hasard des teintes, un sentiment borné à peu d’images, et sous le gris de lin de sa parure.

1967. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Aloïsius Bertrand »

Ils coulent avec tant de grâce, Qu’on ne sait, malgré ta pâleur, S’ils laissent une amère trace, Si c’est la joie ou la douleur. […] De telles imagettes sont comme le produit du daguerréotype en littérature, avec la couleur en sus. […] On sait, dans l’antique églogue, le joli tableau de cet enfant qui est tout occupé à cueillir des brins de jonc et à les tresser ensemble, pour en façonner une cage à mettre des cigales. […] Mais l’éditeur, comme l’auteur, y désirait un certain luxe, des vignettes, je ne sais quoi de trop complet. […] Même à ses meilleurs moments, il s’est trop retranché des sources vives. — On ne saurait aussi, à propos de cette page, ne pas se souvenir de l’admirable tableau qui termine l’idylle de Théocrite, les Thalysies.

1968. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

Si l’on excepte quelques pièces de commande, il ne sut qu’écrire à sa fantaisie, selon l’impérieuse impression du moment. […] Je ne sais même pas s’il convient de parler des idées de Régnier : rien de moins profond, de plus vague et de plus banal que la morale de Régnier. […] Réminiscence, hérédité, l’antiquité, l’Italie, la France, tout cela se mêle pour former la substance de ce sain et robuste talent, qui ne saura fausser ni forcer sa sensation. […] Il est de la famille de Molière et de Regnard, par la franchise de son vers, par la couleur, la plénitude, la largeur qu’il sait lui donner. […] On sait l’amitié qui l’unit à Mme de Chantai, fondatrice de l’ordre de la Visitation, et à l’évêque de Belley, Camus.

1969. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

Rien à cette date, dans l’œuvre de Voltaire, ne saurait contre-peser les Lettres persanes, les Considérations sur les Romains, et l’Esprit des Lois : il y a là une raison qui sait démolir et construire, un esprit qui peut guider son siècle, quand Voltaire en est encore à faire des niches au gouvernement, et à faire partir des fusées pour l’amusement des badauds. […] Mais elles ont des parties graves : Montesquieu a l’habitude de se mettre tout entier dans chacun de ses livres ; il ne sait pas réserver une partie de sa pensée. […] Jamais Montesquieu n’a su composer : sa pensée procède par saillies, non par développement continu. […] On savait qu’il avait communiqué à l’Académie des sciences, lettres et arts de Bordeaux des recherches sur la cause de l’écho, et sur l’usage des glandes rénales. […] On sait la définition, juste autant que vaste, que Montesquieu a donnée de la loi.

1970. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Victor Duruy » pp. 67-94

Du moins elle pensait ainsi, ou plutôt (car elle ne saurait penser autrement), ce que la nécessité l’oblige à taire aujourd’hui, elle pouvait encore, il y a trente ans, le crier très haut. […] Il n’entrait pas dans son esprit que l’ardeur de savoir pût n’être pas un bien. […] Un homme qui saurait tout serait nécessairement bon. […] Tous ceux qui l’approchaient, soit dans son modeste appartement de Paris, soit à Villeneuve-Saint-Georges, où sa médiocrité de fortune lui avait pourtant permis d’acquérir la maison et le jardin du sage, l’aimaient pour sa bonté, sa douceur, la simplicité de ses mœurs et l’on peut bien ajouter, — car la chose était exquise chez un vieillard, et l’on sait ici le vrai sens des mots, — pour sa naïveté : disposition d’esprit franche et fière, qui n’excluait ni la connaissance des hommes ni la finesse, mais seulement les défiances et les moqueries stériles et le pessimisme d’amateur. […] Ces assises séculaires, il les eut en lui profondes ; et vous savez si, en effet, il porta la vie honorablement.

1971. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

J’ai touché, il y a quelque temps, l’autre Lauzun à propos de la Grande Mademoiselle qu’il avait su rendre folle de lui : il ne mérite pas un plus long regard. […] « L’embarras de me trouver un bon gouverneur engagea mon père, dit-il, à confier cc soin à un laquais de feu ma mère, qui savait lire et passablement écrire, et que l’on décora du titre de valet de chambre, pour lui donner de la considération. » Notez déjà ce tour d’esprit et d’ironie plaisante : ce sera celui de Lauzun. […] Mais, on le sait très bien aujourd’hui par l’accord de tous les témoignages, Marie-Antoinette n’était pas femme à s’occuper volontiers de politique ; elle n’y vint que tard dans les années de la Révolution, et quand il le fallut absolument. […] C’est qu’à moins d’être un homme du premier ordre, un homme qui en réunit et en assemble plusieurs en lui, on ne saurait, eût-on trente ans et même cinquante, s’affranchir jamais du cachet qu’une pareille vie première imprime à l’âme, à la volonté, à toute l’existence. […] J’ignore en quelles mains il en a pu tomber quelques copies ; ce que je sais avec certitude, c’est qu’ils ont été horriblement falsifiés.

1972. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

Quand la Révolution éclata, quand les luttes de l’Assemblée constituante occupèrent l’attention de l’Europe, Mallet du Pan, dans le Mercure, fut le seul écrivain qui sut, sans insulte ni flatterie, donner une analyse raisonnée de ces grands débats. […] Aussi ce publiciste tant injurié, tant calomnié, et qui lui-même n’a pas su toujours tenir sa plume exempte de duretés injustes et d’invectives, laisse-t-il empreint sur la totalité de ses pages un cachet d’élévation, de respect pour soi-même et de dignité, qui tient à la pureté de son intention, à son désintéressement fondamental, et qui pour nous tous aujourd’hui devient une leçon. […] En même temps qu’il jugeait avec ce bon sens sévère les déportements et les délires de la philosophie, Mallet du Pan savait garder des mesures. […] Il savait les vices du siècle, parmi lesquels l’écrivaillerie était l’un des plus grands : « L’écrivaillerie, répétait-il d’après Montaigne, est le symptôme d’un siècle débordé. […] De loin en loin il s’élève quelques hommes d’État supérieurs aux événements qu’ils savent prévoir, préparer et conduire (Frédéric le Grand, Franklin, par exemple) ; mais la routine ou la nécessité gouvernent ordinairement le monde, et la vieille Europe renferme malheureusement plus d’ouvriers que d’architectes.

1973. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre I. Shakespeare — Sa vie »

Cette maison, — qu’il est temps de réhabiliter un peu et de consoler, car qui sait si, dans son isolement, elle n’est pas triste de ce que nous venons d’en dire ? […] Elle s’était agenouillée, les yeux bandés, pour ce jeu, s’essayant, sans le savoir, à la posture de l’échafaud. […] Shakespeare avait marié ses deux filles, Suzanne à un médecin, Judith à un marchand ; Suzanne avait de l’esprit, Judith ne savait ni lire ni écrire et signait d’une croix. […] Les historiens de la vieille école donnent de ces certificats à tous les princes, qu’ils sachent lire ou non. […] En 1707, un nommé Nahum Tate publia un Roi Lear, en avertissant les lecteurs « qu’il en avait puisé l’idée dans une pièce d’on ne sait quel auteur, qu’il avait lue par hasard. » Cet on ne sait qui était Shakespeare.

1974. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Aux yeux de Celui qui sait tout et qui peut tout, le comique n’est pas. […] une caricature bien appétissante pour nous, grosse de fiel et de rancune, comme sait les faire une civilisation perspicace et ennuyée. […] Et, en vérité, je vous le dis, qu’elle ait compris ou qu’elle n’ait pas compris, il lui restera de cette impression je ne sais quel malaise, quelque chose qui ressemble à la peur. […] Pour je ne sais quel méfait, Pierrot devait être finalement guillotiné. […] Et pour en revenir à mes primitives définitions et m’exprimer plus clairement, je dis que quand Hoffmann engendre le comique absolu, il est bien vrai qu’il le sait ; mais il sait aussi que l’essence de ce comique est de paraître s’ignorer lui-même et de développer chez le spectateur, ou plutôt chez le lecteur, la joie de sa propre supériorité et la joie de la supériorité de l’homme sur la nature.

1975. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Veut-on savoir ce qui l’empêche de décrire le front d’Orante ? […] On sait ce qu’était la berne. […] Boileau avait gardé cinq ans en portefeuille la satire sur l’Equivoque ; réserve de l’homme qui sait douter de lui-même. […] Il manqua à ce sage la sagesse la plus rare, celle de savoir finir à propos. […] Au vrai, qu’il a su trouver et exprimer dans la satire, dans le poème didactique et dans l’épître, trois genres si unis quoique si différents.

1976. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XIX » pp. 76-83

Par suite de la même activité, qui se porte actuellement sur de l’inédit, Cousin a publié ses Fragments littéraires, anciens discours académiques, ou éloges mortuaires, auxquels il a ajouté pour assaisonnement les lettres inédites de madame de Longueville (chassant ainsi sur mes terres et me tuant sans façon mon gibier) ; il a ajouté un petit commentaire à ces lettres, dont il s’est, je crois, exagéré un peu l’importance littéraire ; comme étude d’âme et de confessionnal, c’est curieux, (et j’en avais tiré parti dans mon étude). « Au fond, il n’y a de véridique, dit-il, si quelque chose l’est entièrement, que les correspondances intimes et confidentielles, les mémoires eux-mêmes sont toujours destinés au public, et ce regard au public, même le plus lointain, gâte tout ; on s’y défend ou on attaque, on se compose un personnage, on pense à soi, on ment. » — Ceci est dit à merveille comme Cousin sait dire, dans sa langue excellente et digne du xviie  siècle ; mais que serait-ce si on appliquait cette vérité à son éclectisme officiel, qu’il défendait et qu’il préconisait hier tout en attaquant Pascal ? […] La poésie de madame Colet, c’est en effet un je ne sais quoi qui est parfois le simulacre du bien, qui a un faux air de beau. […] Il a de l’invention à cet égard, il sait construire. […] Il redeviendra lui après ; mais il faut savoir dissimuler.

1977. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat. (suite et fin) »

Mais cet essai de travail, je l’ai fait ailleurs55, et je n’y saurais revenir ici. […] Dans sa troisième manière, qui date de l’Oraison funèbre de la reine d’Angleterre (1669), ce sont les sujets qui sont plus en vue et plus glorieux ; mais, lui, il ne fera qu’y appliquer les puissances qu’il possédait déjà, et les magnificences dont bien souvent jusqu’alors il ne savait que faire. […] L’abbé Maury l’avait dit, mais, selon son habitude, il l’avait affirmé plus qu’il ne l’avait su ; il ne l’avait nullement démontré. […] La restitution de Bossuet grand sermonnaire, et l’un des plus célèbres, le plus célèbre même, dans les chaires de Paris avant Bourdaloue, est assez considérable en soi ; c’est une assez belle conquête de la critique historique : qu’elle sache s’en contenter et se tenir pour satisfaite sans trop exiger.

1978. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Réception à l’Académie Française »

Poète de recueillement et de rêverie, on désirait savoir sa pensée encore ignorée sur cette renaissance poétique dans laquelle sa part est si grande ; on voulait entendre de quel ton il s’adresserait à ses devanciers, et comment il désignerait ceux qui le suivent. […] M. de Lamartine a su en dégager ce qu’elle avait de trop sec, de trop étouffant, et s’y ouvrir encore çà et là des horizons et des perspectives. […] Cuvier, se levant aussitôt, a répondu que l’Académie n’avait jamais fait autre chose que d’accueillir tous les génies, toutes les illustrations, et il a énuméré à l’appui nos grands écrivains académiciens, depuis Racine jusqu’à Buffon, en omettant, je ne sais pourquoi, Molière, Diderot et Jean-Jacques ; il a prétendu qu’aucun novateur de vrai talent, aucun nova leur raisonnable n’avait été exclu de l’Académie et qu’en nommant M. de Lamartine, c’était précisément l’alliance du goût et du génie, la juste mesure de la nouveautés de la correction qu’on avait voulu reconnaître et couronner. […] Une poignée d’hommes médiocres ou usés, libéraux à ce qu’on dit, mais obéissant à un triste esprit de rancune littéraire ou philosophique, et s’accordant fort bien dans leurs petites haines avec leurs adversaires religieux et politiques, seraient à la veille de laisser encore une fois le génie sur le seuil, pour s’attacher à je ne sais quel candidat bénin et banal qui fait des visites depuis quinze ans18.

1979. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De la tendresse filiale, paternelle et conjugale. »

Mais j’ai dit dans l’introduction de cet ouvrage, qu’en considérant toujours la vertu comme la base de l’existence de l’homme, je n’examinerais les devoirs et les affections que dans leur rapport avec le bonheur ; il s’agit donc de savoir maintenant, quelles jouissances de sentiment, les pères et les enfants peuvent attendre les uns des autres. […] Le cœur tend à l’égalité, et quand la reconnaissance se change en véritable tendresse, elle perd son caractère de soumission et de déférence : celui qui aime, ne croit plus rien devoir ; il place au-dessus des bienfaits leur inépuisable source, le sentiment, et si l’on veut toujours maintenir les différences, les supériorités, le cœur se blesse et se retire ; les parents cependant ne savent, ou ne veulent presque jamais adopter ce nouveau système, et la différence d’âge est, peut-être, cause qu’ils ne se rapprochent jamais de vous que par des sacrifices ; or il n’y a que l’égoïsme qui sache s’arranger du bonheur avec ce mot là. […] Personne ne sait à l’avance, combien peut être longue l’histoire de chaque journée, si l’on observe la variété des impressions qu’elle produit, et dans ce qu’on appelle avec raison, le ménage, il se rencontre à chaque instant de certaines difficultés qui peuvent détruire pour jamais ce qu’il y avait d’exalté dans le sentiment ; c’est donc de tous les liens celui où il est le moins probable d’obtenir le bonheur romanesque du cœur, il faut pour maintenir la paix dans cette relation une sorte d’empire sur soi-même, de force, de sacrifice, qui rapproche beaucoup plus cette existence des plaisirs de la vertu, que des jouissances de la passion.

1980. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De la philosophie. »

Il est une multitude de jouissances partielles qui ne dérivent point d’une même source, mais offrent des plaisirs épars à l’homme, dont l’âme paisible est disposée à les goûter ; une grande passion, au contraire, les absorbe tous, ne permet pas seulement de savoir qu’ils existent. […] S’il n’était dans l’existence de l’homme qu’une seule époque, la jeunesse, peut-être, pourrait-on la vouer aux grandes chances des passions ; mais à l’instant où la vieillesse commande une nouvelle manière d’exister, le philosophe seul sait supporter cette transition sans douleur. […] Je l’ai dit, celui qui veut mettre le suicide au nombre de ses résolutions, peut entrer dans la carrière des passions ; il peut y abandonner sa vie, s’il se sent capable de la terminer, alors que la foudre aura renversé l’objet de tous ses efforts et de tous ses vœux ; mais comme je ne sais quel instinct, qui appartient plus, je crois, à la nature physique qu’au sentiment moral, force souvent à conserver des jours dont tous les instants sont une nouvelle douleur, peut-on courir les hasards, presque certains, d’un malheur qui fera détester l’existence, et d’une disposition de l’âme qui inspirera la crainte de l’anéantir ? […] Rien cependant n’inspire autant d’horreur que la possibilité d’exister uniquement, parce qu’on ne sait pas mourir ; et comme c’est le sort qui peut attendre toutes les grandes passions, un tel objet d’effroi suffit pour faire aimer cette puissance de philosophie, qui soutient toujours l’homme au niveau de la vie, sans l’y trop attacher, mais sans la lui faire haïr.

1981. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Préface »

. — Demander l’avis du propriétaire, soumettre au peuple français les plans de sa future habitation, c’était trop visiblement parade ou duperie : en pareil cas, la question fait toujours la réponse, et d’ailleurs, cette réponse eût-elle été libre, la France n’était guère plus en état que moi de la donner : dix millions d’ignorances ne font pas un savoir. Un peuple consulté peut à la rigueur dire la forme de gouvernement qui lui plaît, mais non celle dont il a besoin ; il ne le saura qu’à l’usage : il lui faut du temps pour vérifier si sa maison politique est commode, solide, capable de résister aux intempéries, appropriée à ses mœurs, à ses occupations, à son caractère, à ses singularités, à ses brusqueries. […] Pour répondre à cette question, il faut savoir comment cette France s’est faite, ou, ce qui vaut mieux encore, assister en spectateur à sa formation. […] Grâce à eux, nous pouvons donner des chiffres précis, savoir, heure par heure, l’emploi d’une journée, bien mieux, dire le menu d’un grand dîner, recomposer une toilette d’apparat.

1982. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VI. De l’emploi des figures et de la condition qui les rend légitimes : la nécessité »

Mais Corneille savait ce qu’il faisait, mieux que les plats comédiens qui, du temps de Voltaire, supprimaient le morceau. […] Ainsi qui sait aimer se rend de tout capable : Il réduit à l’effet ce qui semble incroyable. […] Simplement parce que cela ne sert à rien, et qu’on ne décrit pas à ses gens les objets qu’on demande, dès qu’on en sait le nom. […] En second lieu, des termes simples, exacts, nus, peuvent former un style expressif et plein, par la précision même et la netteté du sens qui résulte de leur juste emploi, quand ils sont maniés par un homme qui pense et qui sait les employer à faire penser.

1983. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Contre une légende »

Paul Bourget, mal lu par les gens du monde et traduit sans finesse dans leurs conversations, a-t-il contribué sans le savoir à répandre cette idée d’un Renan sceptique et dilettante. […] Savoir est de tous les actes de la vie le moins profane, car c’est le plus désintéressé, le plus indépendant de la jouissance… C’est perdre sa peine que de prouver sa sainteté ; car ceux-là seuls peuvent songer à la nier pour lesquels il n’y a rien de saint. » L’Avenir de la Science est un livre de foi, car je ne connais point de livre où le scepticisme et le dilettantisme mondains soient traités avec un mépris plus frémissant de colère. […] Oui, vous savez lire, vous verrez qu’il l’a gardée, sa foi. […] Renan…   Je pourrais ajouter que cet homme « fuyant » a eu la vie la plus harmonieuse, la plus soutenue, la plus une qu’on puisse concevoir ; que cet « épicurien » a autant travaillé que Taine ou Michelet ; que ce grand « je m’enfichiste » (car on a osé l’appeler ainsi) est, au Collège de France, l’administrateur le plus actif, le plus énergique et le plus décidé quand il s’agit des intérêts de la haute science ; que, s’il se défie, par crainte de frustrer l’humanité, des injustices où entraînent les « amitiés particulières » il rend pourtant des services, et que jamais il n’en a promis qu’il n’ait rendus ; que sa loyauté n’a jamais été prise en défaut ; que cet Anacréon de la sagesse contemporaine supporte héroïquement la souffrance physique, sans le dire, sans étaler son courage ; que ce sceptique prétendu est ferme comme un stoïcien, et qu’avec tout cela ce grand homme est, dans toute la force et la beauté du terme, un bon homme… Mais je ne sais s’il lui plairait qu’on fît ces révélations, et je m’arrête.

1984. (1890) L’avenir de la science « XIV »

L’organisation, exigeant l’expérience et le balancement des principes par les faits existants, ne saurait en aucune façon être l’œuvre d’un jeune homme. […] Que l’État ait le devoir de patronner la science, comme l’art, c’est ce qui ne saurait être contesté. […] Certaines branches de la science (et ce sont les plus importantes) ne sauraient procurer à ceux qui les cultivent le nécessaire de la vie : l’État doit, sous une forme ou sous une autre, offrir aux travailleurs méritants les moyens nécessaires pour continuer paisiblement leurs travaux à l’abri du besoin importun. […] L’Angleterre, je le sais, comme autrefois à quelques égards l’ancienne France, suffit à presque tout par des fondations particulières, et je conçois que, dans un pays où les fondations sont si respectées, on puisse se passer d’un ministre de l’Instruction publique.

1985. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVIII » pp. 198-205

Cela est sans contredit juste et parfaitement écrit ; mais à la suite, quand Agnès déclare à son tuteur qu’un jeune homme, malgré tous les obstacles, a trouvé le moyen de s’introduire près d’elle et de lui plaire, le tuteur se plaint d’avoir perdu tous les soins qu’il a pris pour lui plaire lui-même ; Agnès lui répond : Vraiment, il en sait donc là-dessus plus que vous, Car à se faire aimer il n’a pas eu de peine. […] La question est de savoir si un vieillard pourra réussir à s’assurer la tendresse et la fidélité d’une jeune tille qu’il épousera ; Molière réduit le problème à cette simple expression : sera-t-il cocu ou non ? […] Mais ce qui paraît aujourd’hui le plus étonnant dans la pièce, c’est la scène vi du 2e acte, où Arnolphe, informé des visites que le jeune amant a faites à Agnès pendant son absence, veut savoir les particularités de leurs entretiens. […] On lit dans la Muse historique de Loret ces vers : Le roi festoya l’autre jour La plus fine fleur de sa cour, Savoir sa mère et son espouse.

1986. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre II. Bovarysme essentiel de l’être et de l’Humanité »

À savoir écrit d’avance le texte entier du drame, à savoir qu’aucun effort n’y peut rien changer, à savoir qu’ils ne sont rien de plus que des acteurs, les hommesse désintéresseraient de leur jeu, de leurs paroles et de leurs mimiques ; ils ressembleraient à ces cabotins, qui récitent pour la salle des tirades pathétiques, tandis qu’ils murmurent quelque gaudriole à l’oreille de l’actrice qui leur donne la réplique. […] À savoir qu’ils ne peuvent rien changer à la forme de leur volonté, aux modes de leur activité, à la fatalité de leurs passions, non plus qu’aux circonstances avec lesquelles leur personne doit en venir aux prises, la plupart des hommes seraient atteints de désespoir ou frappés de torpeur.

1987. (1867) Le cerveau et la pensée « Avant-propos »

On nous rendra cette justice que nous discutons nos adversaires sans haine et sans colère : nous serions plutôt disposé à leur savoir gré de nous fournir l’occasion d’étudier les choses de plus près, et de nous rendre mieux compte de nos propres opinions. […] Dire que cette circonstance est le poids ou le volume du cerveau, le nombre ou la profondeur de ses plis, telle forme, telle structure, telle composition chimique, etc. n’est-ce pas dire clairement qu’on ne sait pas au juste quelle est la circonstance capitale dont il s’agit ? […] Nous n’en savons rien, et nos neveux raisonneront sur les faits qu’ils connaîtront, comme nous ne pouvons raisonner nous-mêmes que sur ceux qui sont à notre disposition. […] Je sais que Broussais s’est beaucoup moqué de cette hypothèse d’un petit musicien caché au fond d’un cerveau ; mais n’est-il pas plus étrange et plus plaisant de supposer un instrument qui tout seul et spontanément exécuterait, bien plus, composerait des symphonies magnifiques ?

1988. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « A Monsieur Naigeon » pp. 9-14

Quand on ne présente sur la toile qu’un seul personnage, il faut le peindre avec la vérité, la force et la couleur de Van Dyck ; et qui est-ce qui sait faire un Van Dyck ? […] quels sujets à traiter, si j’avais su faire pour l’innocence du philosophe ce que vous avez fait pour l’intelligence de ses écrits ! […] A cet avantage tâchons, mon ami, d’en ajouter un second, plus précieux peut-être : qu’il ne vous suffise pas d’avoir éclairci les passages les plus obscurs du philosophe ; qu’il ne me suffise pas d’avoir lu ses ouvrages, reconnu la pureté de ses mœurs, et médité les principes de sa philosophie : prouvons que nous avons su, l’un et l’autre, profiter de ses conseils. […] Cette vérité affligeante est le sujet d’un quatrain de Pibrac, que le grand Condé répétait souvent, soit qu’il eût lui-même éprouvé les suites funestes de la calomnie, soit qu’il en eût observé les effets sur d’autres personnes : Quand une fois ce monstre nous attache, Il sait si bien ses cordillons nouer, Que bien qu’on puisse enfin les dénouer, Restent toujours les marques de l’attache.

1989. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XV »

Il y a des objections de détails, des divergences, des restrictions ; mais, en principe, nous sommes d’accord : « On ne saurait dire trop, ni même assez, écrit M. […] Je ne sais si tous ces auteurs n’avaient pas besoin de se corriger. […] Faguet contre la nécessité de corriger son style proviennent de ce fait qu’il y a des écrivains qui ne savent pas ou ne peuvent pas se corriger. […] La gloire de George Sand n’est pas, que je sache, assise sur Pauline… » Mon Dieu, j’ai cité Pauline parce que j’avais ce volume sous la main.

1990. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Alaux. La Religion progressive » pp. 391-400

J’ai avalé son étiquette, et j’ai voulu savoir ce que l’auteur mettait dessous. En fait, une religion qui progresse est une religion à l’envers de toutes les religions connues, qui, comme on le sait, ont très peu progressé, mais sont restées, au contraire, parfaitement immobiles dans la majesté de leur établissement et de leur influence sur le monde. […] « Tout le mal de la vie — disait Pascal — vient de ce que l’homme ne sait pas rester assis dans une chambre. » Eh bien, peut-être ils seront cet homme-là ! […] D’un autre côté, en tant qu’invention, que système religieux, — et un système religieux est loin d’être une religion encore, — la Religion progressive, — même à nos yeux, à nous, catholiques, qui, comme ce grand siècle marcheur, ne cherchons pas la vérité sur toutes les routes, parce que nous savons où elle se tient, immobile et rayonnante !

1991. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — III »

Renan nous tiennent au courant, comme on sait, de la succession de circonstances et de raisonnements qui le décidèrent à renoncer à la cléricature. […] Voilà une atmosphère où le goût de l’éternel est si vigoureux que nul sentiment médiocre, je veux dire de considération pour les choses passagères, ne saurait y être viable.‌ […] Mais au point de vue catholique, la curiosité de savoir pour savoir n’est-elle pas une vanité aussi coupable que la folie du jeu, la débauche et autres « divertissements » ?

1992. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — I. Sur M. Viennet »

Les hommes qui savent durer ont leur lendemain et leur revanche : “On aura beau dire, disait encore M.  […] Les Mémoires, on ne les connaît pas encore ; les Fables, on les sait par cœur. […] Viennet est fort instruit, ce qu’on ne saurait dire de tous les poètes.

1993. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VI. Utilité possible de la conversation »

Tâchez d’attraper l’art de tirer votre interlocuteur du lieu commun : faites-le parler de ce qu’il sait le mieux, de ce qu’il a pu sentir ; forcez-le d’évoquer son expérience personnelle : dépouillez-le. […] Mais il n’est que de savoir presser le bouton ; on peut toujours amener les gens à vider leur sac. […] Mais à l’ordinaire on ne songe guère à cela : la plupart des gens ne sont occupés qu’à dégorger ce qu’ils croient savoir, à tirer la conversation du côté par où ils pensent briller, à faire les honneurs de leur information ou de leur esprit.

1994. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Schwob, Marcel (1867-1905) »

Il a fait de la dernière nuit de Cartouche à la Courtille un tableau à la manière de Jeaurat, le peintre ordinaire de Mam’selle Javotte et de Mam’selle Manon, avec je ne sais quoi d’exquis que n’a pas Jeaurat. […] Et Bûchette et Jeanie, qui regarde en dedans, et Ilsée, Ilsée qui est l’apparition la plus essentielle que je sache ; et Marjolaine qui, la nuit, jette des grains de sable contre les sept cruches multicolores et pleines de rêves, et Cice, la petite sœur de Cendrillon, Cice et son chat qui attendent le prince ; et Lily, puis Monelle qui revient… Je ne puis tout citer de ces pages, les plus parfaites qui soient dans nos littératures, les plus simples et les plus religieusement profondes qu’il m’ait été donné de lire, et qui, par je ne sais quel sortilège admirable, semblent flotter sans cesse entre, deux éternités indécises… Je ne puis tout citer ; mais, cependant, la Fuite de Monelle, cette Fuite de Monelle qui est un chef-d’œuvre d’une incomparable douceur, et sa patience et son royaume et sa résurrection, lorsque ce livre se renferme sur d’autres paroles de l’enfant, qui entourent d’âme toute l’œuvre, comme les vieilles villes étaient entourées d’eau… [Mercure de France (août 1894).]

1995. (1890) L’avenir de la science « A. M. Eugène Burnouf. Membre de l’Institut, professeur au Collège de France. »

Or, s’il en était ainsi, si la science ne constituait qu’un intérêt de second ordre, l’homme qui a voué sa vie au parfait, qui veut pouvoir dire à ses derniers instants : « J’ai accompli ma fin », devrait-il y consacrer une heure, quand il saurait que des devoirs plus élevés le réclament ? […] Quant à la science sérieuse et philosophique, qui répond à un besoin de la nature humaine, les bouleversements sociaux ne sauraient l’atteindre, et peut-être la servent-ils en la portant à réfléchir sur elle-même, à se rendre compte de ses titres, à ne plus se contenter de jugement d’habitude sur lequel elle se reposait auparavant. […] Nous saurons maintenir la tradition de l’esprit moderne et contre ceux qui veulent ramener le passé et contre ceux qui prétendent substituer à notre civilisation vivante et multiple je ne sais quelle société architecturale et pétrifiée, comme celle des siècles où l’on bâtit les Pyramides.

1996. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Charles Nisard »

Tout le monde sait le reste. Ce qu’on ne savait pas, c’était l’importance que trois pédants colossaux devaient retrouver, dans ce temps, aux yeux du moins de l’écrivain qui se dévouait à écrire leur vie oubliée. […] Il prétendait, comme on sait, descendre de Totila, roi des Goths, et se faisait appeler Altesse et duc de Vérone, avec un aplomb que rien dans sa vie ne déconcerta, ni les moqueurs, ni les ennemis, ni les incrédules.

1997. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

Par je ne sais quel instinct de leur nature, ils pressentaient un vengeur dans cet homme qui les charmait malgré eux. […] Voix vivante, animée, qui sait ce qu’elle dit et ce qu’elle chante, bien supérieure, à mon avis, à la voix stupide et sans conscience de la cloche de nos cathédrales. […] Dieu seul le sait, et qu’il me l’accorde ou non, je ne l’en bénirai pas moins. Lui seul sait à quelle destinée il appelle ses créatures, et pénible ou douce, éclatante ou obscure, cette destinée est toujours parfaite, si elle est acceptée avec résignation et en inclinant la tête ! […] Ils m’ont rendu bien au-delà de ce que je leur ai donné : je ne sais quel poète disait, qu’une critique lui faisait cent fois plus de peine que tous les éloges ne pourraient lui faire de plaisir.

1998. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre II. Attardés et égarés »

On ne sait pas encore marcher, on danse ; et toute la vigueur du corps robuste passe dans le bras qui arrondit un salut. […] Il vivait dans l’intimité de la marquise de Rambouillet, et il savait toujours faire jaillir quelques rimes ou quelques pointes, de toutes les circonstances qui intéressaient le petit cercle. […] Ces épiques ne savent éviter la platitude que par les pointes, et incapables de se concentrer, ils se boursouflent ; ils ne donnent que du fatras ou du clinquant. […] Il n’y a pas un de ces poètes qui sache ce que c’est qu’un homme, et soit capable d’en faire vivre un dans son poème. […] On ne saurait dire à quel point l’ignorance, la grossièreté, la brutalité étaient venues, après quarante ans de guerres civiles, à la cour et dans la noblesse.

1999. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

Il se savait au nombre des élus : il écrivait l’étrange et admirable Mystère de Jésus. […] IX), qui vaut comme une introduction générale de l’ouvrage, Pascal exposait sa thèse de l’impuissance de la raison, incapable de savoir tout, et de rien savoir certainement, réduite à juger des « apparences du milieu des choses » (les deux infinis, art. 1). […] Mais quand cela ne serait point, quand aucun moyen ne s’offrirait à l’homme de parvenir jusqu’à Dieu, par la raison ou par toute autre voie, dans l’absolue impossibilité de savoir, il n’en faudrait pas moins faire comme si on savait. […] Ces discours montrent qu’il peut y avoir un moyen de savoir et des raisons d’agir comme si on savait. […] Je ne sais pas de style qui ait plus de pénétration à la fois et d’envolée.

2000. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

. — Mais si l’on savait ce qu’est une pareille tâche, être exact ! […] Je ne sais pas si M.  […] Nous savons heureusement, que les maîtres de cet art poursuivent, au loin du Salon, leurs hautes créations. […] Et je sais des images cruelles de M.  […] Deux ou trois hommes qui savaient ce que Wagner était vraiment, apparurent parmi nous et commencèrent, d’une manière bien modeste encore, à nous enseigner.

2001. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Si pourtant l’objet de notre étude ce jour-là, et en quelque sorte de notre dévotion, est un de ces morts fameux et si rares dont la parole remplit les temps, l’effet ne saurait être ce que nous disons ; l’autel alors nous apparaît trop lumineux ; il s’en échappe incessamment un puissant éclat qui chasse bien loin la langueur des regrets et ne rappelle que des idées de durée et de vie. […] Ce fut pourtant, si l’on parle un instant avec lui la langue vaguement complaisante de Louis XIV, ce fut, à tout prendre, un heureux et facile génie, d’un savoir étendu et lucide, d’une vaste mémoire, inépuisable en œuvres, également propre aux histoires sérieuses et aux amusantes, renommé pour les grâces du style et la vivacité des peintures, et dont les productions, à peine écloses, faisaient, disait-on alors, les délices des cœurs sensibles et des belles imaginations. […] Riche de savoir, rompu à l’étude, propre aux langues, regorgeant, en quelque sorte, de souvenirs et d’aventures éprouvées ou recueillies qui s’étaient amassées en lui dans le silence, il saisit sa plume facile et courante pour ne la plus abandonner ; et par ses romans, ses compilations, ses traductions, ses journaux, ses histoires, il s’ouvrit rapidement une large place dans le monde littéraire. […] Quant à ces fils d’Amulem, à ces neveux de M. de Renoncour, il se trouve que le plus charmant des deux est une nièce qu’on avait déguisée de la sorte pour la sûreté du voyage ; mais le marquis, si triste de la mort de sa Diana, n’a pas pris garde à ce piége innocent, et, à force d’aimer son jeune ami Mémiscès, il devient, sans le savoir, infidèle à la mémoire de ce qu’il a tant pleuré. […] Cassiodore déjà vieux, comme on sait, et dégoûté de la cour par la disgrâce de Boëce, se retira au monastère de Viviers, qu’il avait bâti dans une de ses terres, et s’y livra avec ses religieux à l’étude des anciens manuscrits, surtout à celle des saintes Lettres, à la culture de la terre et à l’exercice de la piété.

2002. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

Ces bonnes gens, vrais enfants, qui ne savaient rien et ne pensaient guère, n’aimaient rien tant que de se faire conter des histoires. […] Mais je ne sais rien de plus curieux que la lamentation des trois cents demoiselles enfermées au château de Male Aventure. […] Tant qu’il n’a pas rejoint Genièvre, il va pensif, égaré, assoté, Ne sait s’il est ou s’il n’est mie, Ne sait où va, ne sait d’où vient, si sourd, si aveugle, qu’il faut qu’on l’assomme presque pour qu’il revienne à lui et comprenne qu’il y a bataille. […] Chrétien de Troyes a esquissé parfois la charmante comédie de l’amour aux prises avec la vanité, et s’il n’entend rien à la passion, il sait envelopper délicatement le sentiment sincère de naturelle coquetterie. […] Il est difficile de le savoir, et c’est grande matière à disputes pour les érudits.

2003. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

Je voudrois savoir si un Magistrat seroit flatté d’entendre un de ces Messieurs s’écrier : Sages de la terre, Philosophes de toutes les Nations, c’est à vous seuls à faire des Loix ; ayez le courage d’éclairer vos freres…. […] Les gens éclairés ne peuvent en avoir été dupes : à travers les artifices de la malignité, ils savent démêler le mensonge, & repoussent, comme par instinct, les fausses impressions qu’on voudroit leur donner. […] On sait que la plupart des Pamphlets qui ont paru contre la Magistrature, dans le temps de la disgrace des Parlemens, ont été composés par des Ecrivains Philosophes, & que les cinq ou six premiers étoient de la façon de leur auguste Coryphée. […] Tout le monde sait avec quel humeur, avec quel mépris les Philosophes du siecle parlent des Grands & des Gens en place. […] Ce n’est pas être méchant, c’est être bon, ajoute l’Homme de bien, que de ne pas savoir pardonner à ceux qui font du mal aux hommes.

2004. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre Premier »

On sait la donnée de la comédie de M.  […] — « Je suis semblable au mûrier dépouillé de ses rameaux ; je souffre, mais qui s’en inquiète, qui le sait ?  […] On ne saurait danser plus gaiement le pas de l’Ilote. […] Paul, qui sait qu’il ne peut être sauvé que par une trahison, part pour l’échafaud, quand Richelieu se ravise et lui fait grâce. […] Le poète de la Ciguë excelle à traduire les émotions douces, les sentiments voilés, les gaietés attendries et légères ; il sait sourire dans les larmes et faire jaillir du cœur les étincelles de l’esprit.

2005. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Il montre ces efforts subversifs toujours renaissants et infatigables, et les oppose, pour la stimuler, à la tiédeur des honnêtes gens qui, ennemis de tout ce qui peut avoir l’air de violence, se reposant sur la bonté de leur cause, espérant trop des hommes, parce qu’ils savent que, tôt ou tard, ils reviennent à la raison ; espérant trop du temps, parce qu’ils savent que, tôt ou tard, il leur fait justice ; perdent les moments favorables, laissent dégénérer leur prudence en timidité, se découragent, composent avec l’avenir, et, enveloppés de leur conscience, finissent par s’endormir dans une bonne volonté immobile et dans une sorte d’innocence léthargique. […] Son inspiration en ceci est encore antique : elle relève de celle de Tacite et de l’homme juste d’Horace ; elle rappelle de vertueux accents de Juvénal ou de Perse, quelque chose comme un Caton poète, un Alceste lyrique, et qui sait, au besoin, s’armer de l’ïambe. […] Tout à l’heure, c’était l’écrivain et l’homme de goût, dans Chénier, qui se révoltait contre Manuel ; ici, c’est le militaire qui prend feu contre Collot d’Herbois, c’est le gentilhomme qui a porté l’épée et qui sait ce que c’est que la religion du drapeau. […] André Chénier en tire sujet d’adjurations éloquentes et véritablement patriotiques : Ô vous tous, dont l’âme sait sentir ce qui est honnête et bon ; vous tous qui avez une patrie, et qui savez ce que c’est qu’une patrie ! […] Ils n’ont pas même su écrire grossièrement et noter les sons tels quels, et mettre : qu’il ne vit que de ce que lui fait son père.

2006. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

Ils savent l’admirable, l’immortel, l’inévitable rapport entre la forme et la fonction. […] Je ne connais pas de problème plus confondant pour le pédantisme et le philosophisme, que de savoir en vertu de quelle loi les artistes les plus opposés par leur méthode évoquent les mêmes idées et agitent en nous des sentiments analogues. […] Si un artiste produit cette année une œuvre qui témoigne de plus de savoir ou de force imaginative qu’il n’en a montré l’année dernière, il est certain qu’il a progressé. […] on ne saurait le trouver ; le plus intéressant ? […] Delacroix a traité tous les genres ; son imagination et son savoir se sont promenés dans toutes les parties du domaine pittoresque.

2007. (1875) Premiers lundis. Tome III « Sur le sénatus-consulte »

— Je ne prétends point expliquer tout le phénomène, mais enfin j’en dirai le peu que j’ai pu observer et que je sais, et cette explication n’est point un hors-d’œuvre, car en montrant comment s’est formée la nécessité de la situation, elle avertit par là même combien il importe pleinement d’y satisfaire. […] » Mais on ne s’en tenait pas là, et il devenait trop clair que, pour une raison ou pour une autre, tout ce qui avait une plume et savait s’en servir d’une manière vive, acérée, spirituelle, venait se ranger dans des cadres opposés, et prenait plus ou moins parti contre vous. […] nous savons ce que c’est que les plumes ; elles n’en font jamais d’autres ! […] on le sait trop bien qu’ils dépendent de l’empereur, et de lui seul. […] On devrait savoir par expérience ce que vaut dans la pratique tout article 14.

2008. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre V. Subordination et proportion des parties. — Choix et succession des idées »

Une composition de quatre pages qui n’est point partagée en paragraphes, où l’on ne va point à la ligne en passant d’une idée importante à une autre idée importante, où l’écriture enfin ne sépare point visiblement ce que l’esprit sépare idéalement, est insupportable ; la clarté n’y saurait être parfaite. […] La complaisance qu’on a pour ses idées, la peine qu’on éprouve à se retrancher, à repousser un trait d’esprit ou une pensée originale, font qu’on manque sans cesse aux lois de la proportion, qu’on développe les parties au gré de sa fantaisie et de son plaisir, non pas selon leur importance, et qu’on produit des œuvres boiteuses, bossues, des monstres difformes qui ne se tiennent pas debout et qui ne sauraient vivre. […] J’entends qu’on peut être amené à évoquer en divers endroits une même idée, parce qu’en ces divers endroits elle est nécessaire à l’enchaînement exact de la pensée, parce qu’il y aurait, si on ne l’y rapportait, une lacune, un vide, que rien d’autre ne saurait combler ou couvrir. […] Un récit ne sera vraisemblable que par telle petite circonstance, qu’il faudra tenir toujours présente sous les yeux du lecteur : la dire une fois, ce serait tout risquer, on ne saurait la trop rappeler. […] Je ne parle pas pour contester ce qu’a déclaré Brutus, mais je suis ici pour dire ce que je sais.

2009. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « « L’amour » selon Michelet » pp. 47-66

« L’amour » selon Michelet Michelet a écrit l’Amour en 1858, parce que la France « était malade », qu’on n’y savait plus aimer, et que les statistiques des mariages et des naissances y étaient pitoyables. […] Il pense que le mari ne doit pas tout lui laisser lire, qu’« elle ne doit pas savoir ce que sait l’homme, ou doit le savoir autrement. » Il ne craint pas de lui attribuer une certaine vulgarité de jugement, un faible pour l’« amateur », l’homme agréable, l’« honnête homme » d’autrefois, brillant et superficiel. […] Michelet, et certes il l’en faut louer, est aux antipodes d’un sentiment que j’ai rencontré chez quelques âmes, peut-être anormales sans le savoir : une grande répugnance à faire de la même femme un objet d’amour (l’amour impliquant ici estime, respect, tendresse, adoration) et un objet de possession physique. […] Michelet, prêtre de la bonne Isis, de la sainte Cybèle, croit que ce qui est naturel, universel, inévitable, ne saurait être un sujet de honte non plus que de facéties.

2010. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXI. Dernier voyage de Jésus à Jérusalem. »

Va en Judée, pour qu’on voie ce que tu sais faire. » Jésus, se défiant de quelque trahison, refusa d’abord ; puis, quand la caravane des pèlerins fut partie, il se mit en route de son côté, à l’insu de tous et presque seul 942. […] On sait l’admirable réponse de Jésus 974. […] Un jour, un groupe de pharisiens et de ces politiques qu’on nommait « Hérodiens » (probablement des Boëthusim), s’approcha de lui, et sous apparence de zèle pieux : « Maître, lui dirent-ils, nous savons que tu es véridique et que tu enseignes la voie de Dieu sans égard pour qui que ce soit. […] Malheur à vous, qui parcourez les terres et les mers pour gagner un prosélyte, et qui ne savez en faire qu’un fils de la Géhenne ! Malheur à vous, car vous êtes comme les tombeaux qui ne paraissent pas, et sur lesquels on marche sans le savoir 982 !

2011. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXVI. La sœur Emmerich »

C’est une ignorante et une paysanne, qui savait à peine écrire correctement son nom. » Et elles auront raison, les virtuoses de lettres ! […] Elle ne le savait pas plus que l’eau qui coule ne sait qu’elle est de l’eau ! […] Elle ne sut jamais rien, du moins avec nos manières de connaître… Elle n’avait rien appris que de son Ange gardien, qu’elle voyait toujours, extatique dès l’enfance, sans se douter de son extase ! […] II S’il n’y avait eu que le monde, en effet, autour de l’obscure religieuse de Westphalie, le monde du monde, ou le monde du couvent, — car le couvent parfois dans un certain sens est le monde, — qui saurait seulement son nom aujourd’hui ? […] Dieu seul sait les efforts affreux de courage et d’abnégation que fit Brentano, pour tirer parfois ces deux malheureux rideaux et se pencher sur ce miraculeux lit de douleur où gisait la Visionnaire, pâmée sous la griffe de vautour de toutes les souffrances et la foudre de ses intuitions !

2012. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — Se connaître »

Pourquoi se comparer, lorsqu’on se sait d’avance supérieur ? […]   A ce point de vue, il y a en France, — naturellement en dehors des exceptions (sans lesquelles un pays ne saurait subsister) — deux espèces d’opinions. […] Il faut changer quelques institutions     « Tout bon esprit ne sait-il pas que notre système d’héritage est néfaste ? […] Jules Lemaître. « Il s’agit de savoir, en définitive, écrit M.  […] Le « nationalisme », tel qu’il est généralement compris en France, ne peut aboutir qu’à la défaite et à la ruine, parce qu’il est basé sur une tromperie, et qu’il ne peut que propager cette inconscience formidable dont nous sommes paralysés, il faut avant tout savoir si on est fort ou faible, et dans ce dernier cas, savoir pourquoi, afin d’y remédier.‌

2013. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre II. La relativité complète »

Nous n’avons donc pas à tenir compte du mouvement absolu dans la construction de la science : nous ne savons qu’exceptionnellement où il se produit, et, même alors, la science n’en aurait que faire, car il n’est pas mesurable et la science a pour fonction de mesurer. […] Nous ne savons quel sort définitif la physique lui réserve. […] Parce qu’on savait que l’idée ne conviendrait plus au mouvement accéléré. […] Or, si tout mouvement est relatif et s’il n’y a pas de point de repère absolu, pas de système privilégié, l’observateur intérieur à un système n’aura évidemment aucun moyen de savoir si son système est en mouvement ou en repos. […] Il n’y a qu’un mouvement, disions-nous, qui soit perçu du dedans, et dont nous sachions qu’il constitue par lui-même un événement : c’est le mouvement qui traduit à nos yeux notre effort.

2014. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

je ne saurais l’aimer ! […] Vous ne savez pas choisir un homme. […] Mais je savais déjà tout cela. —  Que dit-il de notre mariage ? […] Tu sais qu’Adam, dans l’état d’innocence, tomba. […] Elle ne saura pas se contenir.

2015. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

Le génie fait sa langue… Qui ne sait que par Ennius et Lucrèce on attaquait Horace et Virgile ? […] Racine et Molière, qui ne s’aimaient pas, se turent l’un sur l’autre, et on leur sut gré de cette convenance morale. […] Que sais-je ? […] On sait la lettre du duc de Rovigo et cette honteuse histoire. […] On sait que la Pyramide de Cestius marque le cimetière des protestants.

2016. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre premier. Rapports de l’invention et de la disposition »

Si l’on n’avait d’abord, par une aventureuse et libre recherche, récolté de tous côtés les matériaux qu’on emploiera, si l’on n’avait poussé son exploration en tous sens, un peu au hasard, prenant sans compter, fourrant pêle-mêle dans son sac tout ce qui pourra servir, sans trop s’embarrasser de savoir comment et quand il servira, si l’on n’avait battu tous les buissons, à gauche, à droite, devant, derrière, fait mille tours, s’arrêtant, allant, revenant, s’écartant, comme le chasseur qui sait qu’il y a du gibier dans une région, sans savoir où il est, il serait prématuré de choisir l’ordre selon lequel on traitera son sujet.

2017. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVI. Consultation pour un apprenti romancier » pp. 196-200

Il faut savoir sa grammaire et son vocabulaire sur le bout du doigt et jongler avec. […] Léon Daudet, dont on ne saurait suspecter la foi ni la compétence sans émulsionner les familles Daudet, Hugo et Dorian, voici que ce Swift du Kamchatka nous révèle la vénalité foncière des critiques les plus jeunes et les plus sévères. […] Pour ce, vous savez la recette : à la hussarde !

2018. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VII. Objections à l’étude scientifique d’une œuvre littéraire » pp. 81-83

Savons-nous quelle a été son enfance ? […] Parce que nous ne pouvons pas tout savoir, faut-il renoncer à organiser ce que nous savons ?

2019. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 115-120

Artaxerce, environné de tant de poignards, n’est réellement mort que du poison de l’ennui mortel qu’il a communiqué aux Spectateurs ; & l’on ne sait pas ce que Barnewelt seroit devenu, si on eût permis qu’il parût sur la Scène. […] Une lampe d’une main, un poignard de l’autre, une femme toujours prête à être égorgée, & qui, par un quart de conversion, ne l’est pas, ont paru, à des yeux avides de spectacle, un jeu d’optique qu’on pouvoit supporter quelquefois ; mais les gens de goût savent combien cette pantomime est peu propre à intéresser, ou plutôt combien elle prouve la sécheresse d’un esprit qui a eu besoin de recourir à de si minces ressorts. […] C’étoit peu d’avoir su imiter le plan & la marche de ce Poëte ingénieux, élégant & délicat, il falloit, comme lui, avoir le talent de donner de la vie & de l’intérêt aux tableaux qu’on vouloit présenter.

2020. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 192-197

Il imita les mouvemens de Pindare ; mais, à l’exemple d’Horace, il sut captiver l’enthousiasme sous le joug de la raison, de sorte que le désordre est chez lui un effet caché de l’Art ; qualité bien préférable à cette impétuosité fougueuse, plus semblable au délire, qu’à la chaleur du vrai génie. […] Horace a-t-il mis plus d’énergie dans sa fameuse Strophe du Pallida mors aquo pulsat pede, que Malherbe dans sa riche Imitation, que tout le monde sait par cœur ? […] On sait qu’il voulut se battre contre de Piles, qui avoit tué son fils en duel : Il avoit alors soixante-treize ans, & quelqu’un lui faisant sentir l’inégalité de la partie, C’est pour cela , répondit-il, que je veux me battre ; je ne hasarde qu’un denier contre une pistole  ; réponse plus ingénieuse que philosophique ; tant il est vrai que les Muses, qu’on nous dit avoir apprivoisé les hommes sauvages, ne rendent pas toujours le même service à leurs plus chers Nourrissons.

2021. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre premier. Du Christianisme dans l’éloquence. »

Cicéron défend un client ; Démosthène combat un adversaire, ou tâche de rallumer l’amour de la patrie chez un peuple dégénéré : l’un et l’autre ne savent que remuer les passions, et fondent leur espérance de succès sur le trouble qu’ils jettent dans les cœurs. […] Il ne lui faut ni les cabales d’un parti, ni des émotions populaires, ni de grandes circonstances, pour briller : dans la paix la plus profonde, sur le cercueil du citoyen le plus obscur, elle trouvera ses mouvements les plus sublimes ; elle saura intéresser pour une vertu ignorée ; elle fera couler des larmes pour un homme dont on n’a jamais entendu parler. […] Les païens se consumaient à la poursuite des ombres de la vie 181 ; ils ne savaient pas que la véritable existence ne commence qu’à la mort.

2022. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1889 » pp. 3-111

» Et, Dieu sait, ajoute Alexis, ce que sont vos acteurs, sauf Antoine. […] Ils ont eu l’idée de me donner un dîner, de m’entourer un peu de la chaleur de leur affection, et ça m’a été une jouissance de cœur, de savoir que c’était Geffroy qui avait eu cette idée. […] Je ne sais, mais il me semble que le culte des morts s’en va, au milieu de la rigolade de l’Exposition. […] Maintenant il ne sait plus travailler à une table, et si on lui en apporte une, il la brise, et en jette les morceaux au diable. […] Loti répond naïvement qu’il se présenterait bien, mais qu’il ne sait pas trop comment ça se fait.

2023. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre IV. Addison. »

Addison sut agir et vivre. […] Quand vint la fin, il repassa sa vie et se trouva on ne sait quel tort envers Gay ; ce tort était bien léger sans doute, puisque Gay ne le soupçonnait pas. […] Je ne sais pas, ou plutôt je sais très-bien, quel succès aurait en France une gazette de sermons. […] Ce mélange et ce décousu peignent bien l’esprit ordinaire qui reste au niveau de son auditoire, et l’esprit pratique qui sait maîtriser son auditoire. […] Au fond, le classique ne sait pas voir.

2024. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

Nous savons maintenant ce que cela nous a coûté de vanter et de grandir ainsi l’Allemagne ! […] Il ne la savait point, mais il la devinait par la forte intuition de son génie. […] Or, on sait l’importance de la femme dans les œuvres des hommes de génie. […] Porchat (et l’on sait l’honnêteté des traducteurs pour ceux qu’ils traduisent) écrit, dans une note, démoralisé et la tête perdue, que Gœthe avait probablement dans l’esprit un autre dénoûment (comment le sait-il ?) […] Si mince que soit un homme ou un écrit, il y a en cet homme ou en cet écrit une chose qu’il a faite ou qu’il n’a pas faite, un principe d’instinct ou de réflexion, qu’il sait ou ne sait pas, peu importe !

/ 4089