Obstacles au renouvellement de la littérature : le monde, le goût, la langue. […] Un goût singulier de représentation des choses sensibles, concrètes, particulières s’y insinue. […] Ces obstacles, c’étaient le monde, le goût, la langue. […] Le goût est fixé par des règles traditionnelles, qui sont concertées pour l’expression des idées, pour la facilité de l’analyse, du raisonnement, pour l’acquisition de la connaissance abstraite. […] Un écrivain, à la fin du xviiie siècle, nous aide à mesurer de quel poids le monde, le goût et la langue pesaient sur les esprits.
C’est une vérité d’expérience que le goût ne se forme pas tout seul. Un écolier qui se promène à travers un poème prend tous les vers luisants pour des escarboucles, et les Chinois qui se piquent d’avoir le goût bon, font des magots bien singuliers. […] Dans leur commerce, le critique puisera la goût de la simplicité et du naturel. […] Ils justifient mes goûts, effacent mes scrupules, endorment mes remords. […] Une fois engagés dans cette voie, ils y persistent, les uns par goût, un plus grand nombre pour n’en pouvoir sortir.
On est honnête homme ; on a l’esprit étendu ; mais on manque de goût : et je ne veux pas qu’Alexandre fasse rire ceux qui broient les couleurs dans l’atelier d’Apelle. Comment donnerai-je du goût à mon enfant ? […] On a de la vertu, de la probité, des connaissances, du génie, même du goût, et l’on ne plaît pas. […] Tenez-vous-en à la véracité ; rendez-le vrai, mais vrai sans réserve ; et comptez que cette seule vertu amènera avec elle le goût de toutes les autres. […] Je m’en suis félicité ; et j’ai pensé que je pourrais bien avoir de la raison et du goût, puisque de moi-même j’avais tiré les vraies conséquences des principes que mon aimable et belle comtesse avait posés.
Section 18, que nos voisins disent que nos poëtes mettent trop d’amour dans leurs tragedies Comme le goût de faire mouvoir par l’amour les ressorts des tragedies n’a pas été le goût des anciens ; comme ce goût n’est pas fondé sur la verité, et qu’il fait une violence presque continuelle à la vraisemblance, il ne sera point peut-être le goût de nos neveux. […] L’auteur anglois prétend que l’ancienne chevalerie et ses infantes ont laissé dans l’esprit de quelques nations le goût qui leur fait aimer à retrouver par tout un amour sans passion et ce qu’elles appellent galanterie, espece de politesse que les grecs et les romains si spirituels et si cultivez n’ont jamais connuë. […] Les romans de chevalerie et de bergerie ont encore fomenté chez les françois le goût qui leur fait demander de l’amour par tout.
Du moins est-il certain que cet orateur déclamoit dans un goût entierement opposé à celui qu’il reprend ici, et qu’il prononçoit gravement, et même avec beaucoup de lenteur. […] Le goût a bien changé depuis, et la progression de nos chants est devenuë si accelerée, qu’ils sont quelquefois et sans agrément et sans expression. […] Ils expriment bien la même chose que les autres airs, mais c’est dans un goût particulier et conforme à ce caractere, que j’appellerois, si je l’osois, un caractere personnel. […] Les personnes qui tiennent pour l’ancien goût alleguent ordinairement les excez où tombent les artisans qui outrent ce qu’ils font, lorsqu’elles veulent prouver que le goût nouveau est vicieux. […] Ainsi le public s’est si bien accoutumé à la nouvelle danse de théatre, qu’il trouveroit fade aujourd’hui le goût de danse, lequel y regnoit il y a soixante ans.
L’homme de goût n’est pas son fait. « L’homme de goût par excellence est celui qui n’a jamais rien admiré. » C’est ce qu’il ose dire, il en veut au goût de ce que son nom est emprunté au moins noble de tous les sens ; il estime qu’il est ignoble pour l’homme de manger, et, en mangeant, de savoir goûter. Il ne sent pas que c’est, au contraire, en vertu d’une analogie exquise que ce mot de goût a prévalu chez nous sur celui de jugement. […] je sais des esprits qui l’ont très-bon, et qui, en même temps, manquent de goût, parce que le goût exprime ce qu’il y a de plus fin et de plus instinctif dans le plusconfusément délicat des organes. […] « L’homme de goût, disait Rivarol, a reçu vingt blessures avant d’en faire une. » Quant à M. de Laprade, qui n’aime pas les gens de goût, sa plus grande peur est du côté de la raillerie ; il lui assigne une origine mystique, diabolique : « Le doute et la raillerie, dit-il, sont aussi anciens sur la terre que les premières paroles du serpent. » Il trace de l’ironie une histoire emphatique et qui n’est pas gaie du tout.
Définition du romantisme : individualisme, lyrisme, sentiment et pittoresque ; destruction du goût, des règles, des genres : refonte générale de la littérature et de la langue. — 2. […] Il brisera les formes trop arrêtées, trop fixes, qui ne se laissent plus manier par la pensée de l’artiste, ces habitudes tyranniques de composition et de style qui filtrent pour ainsi dire l’inspiration et éliminent l’originalité : en brisant les genres, les règles, le goût, la langue, le vers, il remettait la littérature dans une heureuse indétermination, dans laquelle le génie des artistes et l’esprit du siècle chercheraient librement les lois d’une reconstitution des genres, des règles, du goût, de la langue, du vers. […] Nous avons saisi, sous la superstition des règles et la routine du goût, des curiosités, des tentatives qui ne se rapportaient plus aux modèles classiques ; et Mme de Staël, avec un style tout classique, nous a fait la théorie d’une littérature romantique. […] Il porte ce goût dans des sujets plus lointains, et la vérité familière, avec l’histoire de France, fait son entrée dans la Visite de Charles-Quint et de François Ier à Saint-Denis. […] J’ai signalé déjà comment la Révolution avait enlevé aux salons, momentanément fermés, la souveraine autorité qu’ils exerçaient depuis près de deux siècles sur le goût et le style.
Mais sans parler de Térence, où nous trouverions des scènes aussi touchantes & aussi pathétiques que dans les Pieces de M. de la Chaussée, on ne peut pas nier que les Poëtes qui ont précédé Corneille & Moliere n’aient composé une infinité de Drames de cette espece, qui ont toujours trouvé des contradicteurs parmi les gens de goût. […] On peut bien nous présenter un Acteur ayant un pied dans le Cothurne, & l’autre dans le Brodequin ; mais tandis qu’on s’applaudira de cet accord bizarre, ce personnage n’en sera que plus ridicule aux yeux du goût & de la raison. […] Nous répondrons que la corruption du goût, le renversement des idées, l’amour de la nouveauté, ne seront jamais capables de justifier ce qui répugne à toutes les regles. […] L’homme éclairé, l’homme de goût, le sage Littérateur ne se laisse point entraîner aux applaudissemens de la multitude. […] C’est en vain qu’on abuse ; les regles développées par le goût, sont appuyées sur des principes invariables.
La théorie qui y préside et qui n’est autre que celle de l’école du goût, de l’école d’Horace, de Despréaux et de Voltaire, s’appliquait avec une exacte convenance à des ouvrages qui ne sortaient point des cadres connus. […] Auger en 1830, suivit ; par goût et par passion la même voie dogmatique étroite, et crut, à son tour, devoir débuter par un renouvellement du même manifeste. […] Villemain, l’Académie peut avoir des omissions, elle a trop de goût pour avoir des exclusions formelles et des anathèmes. […] La France, quels que soient son goût et ses vœux pour la liberté, est un pays où l’autorité, quand elle a pour elle l’ancienneté et la forme, ne déplaît pas. […] cet homme d’ordre, de goût classique, ce défenseur des règles, ce champion rigide de la raison dans les Lettres, M.
Flourens nous a offert, tout éclairci, tout épuré de son faux goût, et dont il a comme inauguré le buste. […] On ne connaît pas le premier Fontenelle, ce qu’il était en fait de goût originel et instinctif, quand on n’a pas lu ces lettres du précieux le plus consommé et le plus rance. […] On n’a jamais mieux compris qu’en lisant les premiers écrits de Fontenelle ce mot de Vauvenargues : « Il faut avoir de l’âme pour avoir du goût. » Fontenelle manque de goût avec tout l’esprit du monde, parce que le cœur et l’âme sont absents et muets en lui, parce que le pectus et l’affectus (comme diraient les anciens) ne lui parlent jamais. Le goût, une espèce de goût, ne lui viendra que tard, à force de finesse et de réflexion. […] Il crut possible de concilier cette disposition qui le rendait tout propre pour les vérités exactes, avec le goût qu’il avait pour les manières de dire agréables et assaisonnées.
Grimm, par l’inspiration, peut se rapporter hardiment à l’école des maîtres en critique, à celle des Horace, des Pope, des Despréaux ; il en a la susceptibilité vive, passionnée, irritable, en matière de goût. […] Il est donc faux de dire qu’il ne faut point avoir de goût exclusif, si l’on entend par là qu’il faut supporter dans les ouvrages de l’art la médiocrité, et même tirer parti du mauvais. […] Si jamais cette indulgence pour les poètes, les peintres, les musiciens, devient générale dans le public, c’est une marque que le goût est absolument perdu… Les gens qui admirent si aisément les mauvaises choses ne sont pas en état de sentir les belles. […] Qu’on lise tout ce morceau : ce sont là des pages de critique littéraire fermes, senties, d’un goût incorruptible, de cœur et de main de maître. […] Grimm, en jugeant les ouvrages les plus détestables du siècle et les plus pernicieux, se contente le plus souvent de les montrer défectueux au point de vue du goût ou de l’originalité ; il ne trouve d’ailleurs aucune parole sévère.
L’école de Malherbe, par son dédain absolu pour le passé, n’était guère propre à réveiller le goût des curiosités gauloises, et on ne le retrouve un peu vif que chez Guillaume Colletet, Ménage, du Cange, Chapelain, La Monnoye, tous doctes de profession. […] Dès lors le jeune Champenois fit des vers, d’abord lyriques et dans le genre de Malherbe, mais il s’en dégoûta vite ; puis galants et dans le goût de Voiture, et il y réussit mieux. […] Molière et Racine avaient de bonne heure cessé de se voir ; Chapelle, adonné à des goûts crapuleux, était perdu pour ses amis, et La Fontaine aussi les affligeait par de longs désordres qui souillèrent à la fois son génie et sa vieillesse. […] Il faut avouer pourtant que le nom de Ronsard, pour le peu qu’il se trouve chez La Fontaine, n’y figure guère autrement ni mieux que chez les autres contemporains ; dans une lettre de lui à Racine (1686), on lit : Ronsard est dur, sans goût, sans choix, etc. ; et il lui oppose Racan, si élégant et agréable malgré son ignorance. […] etc. » On le voit, pour lui La Fontaine était de cette famille un peu antérieure au pur et grand goût de Louis XIV.
Ce premier docteur du précieux, très estimé vers 1680, était encore, en 1730, assez en crédit pour que Voltaire lui fît une place dans le Temple du, Goût. […] Dans le premier ouvrage de Bouhours12, son estime pour le vrai est plus tiède et son goût pour l’ornement moins dissimulé. […] Bouhours voulait concilier Voiture et Boileau, c’est-à-dire son goût et son intérêt ; Trublet, à son exemple, veut concilier le précieux de Fontenelle et le naturel de Voltaire, pour avoir deux voix à l’Académie. […] Trublet a aussi ses images familières, de moins haut goût que celles de Bouhours. […] Mais ce qui étonne peu d’un bel esprit, attriste dans un prédicateur ; et je ne fais peut-être pas si mal de m’émouvoir d’un travers d’esprit qui s’était glissé jusque dans la chaire, et qui en faisait descendre, par moments, au lieu de ce grand langage qui élève l’âme en perfectionnant le goût, d’ingénieuses obscurités qui gâtaient le goût et laissaient l’âme froide.
Il est vrai que ce ne seroit pas celle du goût. […] Il y a un Roman plus ancien que ceux du prolixe la Calprenede ; & qui quoique plus négligé pour le style, fait encore les délices de plusieurs gens de goût. […] Ses Romans firent perdre le goût des ouvrages de galanterie volumineux ; mais ils n’inspirerent pas celui de la vertu. […] Madame de la Fayette donna un modèle des Romans, faits avec goût & écrits avec décence, dans Zaïde & la Princesse de Cleves. […] Le goût pour les Romans s’étoit ralenti pendant quelque tems ; mais vers l’an 1730. quelques écrivains, nés avec beaucoup de talent pour ce genre, le réveillerent.
Il n’aurait plus été l’homme de goût, l’homme de tradition, le professeur d’humanités et de belles-lettres, l’écrivain des Débats ! […] Homme tout de tenue et de maintien, qui eût sauvé une bassesse non par le faste altier du cynisme, comme Mirabeau, mais à force de goût ! Le goût est la faculté supérieure d’Horace ; mais, ne l’oubliez pas ! […] souvent les goûts que nous avons sont une mesure. […] Par le goût, c’était un horatien, s’il n’avait pas eu l’âme si chrétienne ; il était même de l’Université, comme Rigault.
J’examinerai dans un des chapitres suivants par quelles raisons les Français pouvaient seuls atteindre à cette perfection de goût, de grâce, de finesse et d’observation du cœur humain, qui nous a valu les chefs-d’œuvre de Molière. […] Il faut des secousses fortes à cette espèce d’abattement, et les auteurs partagent le goût des spectateurs à cet égard, ou s’y conforment. […] L’intermédiaire qu’on appelle la société n’existe presque point parmi eux ; et c’est dans cet espace frivole de la vie que se forment cependant la finesse et le goût. […] Les hommes livrés aux affaires sont habitués aux longs développements ; les hommes livrés au plaisir se fatiguent bien plus promptement » et le goût très exercé éprouve la satiété très vite. […] Nous avons parlé des malheurs qui sont résultés pour les Athéniens de leur goût immodéré pour la plaisanterie ; et la France nous fournirait un grand exemple à l’appui de celui-là, si la puissance des événements de la révolution avait laissé les caractères à leur développement naturel.
Réfléchissez aux conséquences de ce déplorable régime qui soumet l’art, et plus ou moins la littérature ou la poésie, au goût des individus. […] Ainsi, le riche réglant plus ou moins la production littéraire et artistique par son goût suffisamment connu, et ce goût étant généralement (il y a de nobles exceptions) vers la littérature frivole et l’art indigne de ce nom, il devait fatalement arriver qu’un tel état de choses avilît la littérature, l’art et la science. Le goût du riche, en effet, faisant le prix des choses, un jockey, une danseuse qui correspondent à ce goût sont des personnages de plus de valeur que le savant ou le philosophe, dont il ne demande pas les œuvres. […] Les riches ont généralement des goûts grossiers et attachent l’idée de bon ton à des choses ridicules ou de pure convention.
Mais cette délicatesse de goût, cette philosophie supérieure, que Molière a montrée dans ses comédies, il faut des siècles pour y amener l’esprit humain ; et quand un génie égal à celui de Molière eût vécu dans Athènes, il n’aurait pu deviner la bonne comédie. On se demande cependant avec étonnement, en lisant les comédies d’Aristophane, comment il se peut qu’on ait applaudi de semblables pièces dans le siècle de Périclès, comment il se peut que les Grecs aient montré tant de goût dans les beaux-arts, et une grossièreté si rebutante dans les plaisanteries. […] D’ailleurs ce ne sont ni les goûts ni les lumières du peuple qu’il faut consulter pour l’attendrir ; l’émotion de la pitié parvient à tous les cœurs par la même route. […] Les principes de la moralité servent communément de règles de goût aux dernières classes de la société, et ces principes suffisent souvent pour les éclairer, même en littérature. […] La république d’Athènes elle-même a dû son asservissement à cet abus du genre comique, à ce goût désordonné pour les plaisanteries qu’excitait chaque jour le besoin de s’amuser.
Car tous les écrivains durent compter avec le goût mondain, que la plupart au reste portaient en eux-mêmes. […] Ce goût eut pour premier effet de soumettre de nouveau la France aux influences étrangères. […] L’Espagne vint renforcer l’Italie : elle avait le même goût, l’ayant eue pour maîtresse. […] Voiture est peut-être le seul de nos poètes qui soit sensiblement teinté de goût espagnol. […] De sa tragédie de Pyrame et Thisbé (probablement 1625) date le règne du goût précieux dans la poésie.
Peu m’importe que Platon ait pu dire cela en effet ailleurs : Barthélemy a été conduit ici à faire une faute de goût par érudition. […] Fénelon seul, sans songer à copier ni à inventer, et par une simplicité naturelle de goût, a retrouvé sous sa plume et recommencé facilement la Grèce. […] En attendant qu’il fût connu, et que ses élégies, confiées à l’amour ou à l’amitié, dussent se répandre après sa mort par la bouche des admirateurs, on avait, à la fin du xviiie siècle, un goût croissant et plus ou moins bien entendu pour l’antique : c’est ce goût et presque cette mode que le Voyage du jeune Anacharsis est venu servir et accélérer. […] Barthélemy fut touché, mais refusa ; il se contenta de rester à ses médailles ; il revint même, vers la fin, à cette étude favorite avec quelque chose de ce renouvellement de goût que tout vieillard retrouve volontiers pour les premières occupations de sa jeunesse. […] Doux, savant, modeste, né pour la vie académique et pour ses ingénieuses recherches, né pour la vie privée, pour ses plus affectueuses et ses plus agréables élégances, il offre en lui un composé des plus distingués et tout à fait flatteur ; mais il n’eut pas le grand goût, ni même cet autre goût qui n’est pas le plus simple ni le plus pur, mais qui, aux époques avancées, trouve des rajeunissements imprévus.
Ces erreurs de goût sont la punition de ses premières complaisances pour les mœurs et les préjugés de son temps. […] Lesage les lut avec un goût formé par Molière. […] La définition que Rollin y donne du goût est toute une morale. […] Oui, ce n’est que cela ; hors de cela, il n’y a que les goûts particuliers, aussi divers que les humeurs, il n’y a que la mode. […] Tandis que les philosophes du dix-huitième siècle, en mettant le vrai hors du goût, mettent le goût hors de l’homme, la définition de Rollin met tout le goût dans le discernement du vrai, et le restitue à l’homme devenu juge des beautés des lettres, par la même sorte de raison perfectionnée qui discerne le bien du mal dans les choses de la conduite.
Daru était resté au fond l’homme de ses débuts, de ses études premières et de ses goûts littéraires variés. […] Daru se terminait par de jolis vers dans le goût de ceux de son correspondant99. […] L’un d’eux, homme de lettres peu connu aujourd’hui et même de son temps, mais d’un certain mérite et d’assez de goût, qui avait fourni à Picard plus d’un trait pour sa Petite Ville, M. de Larnac, du Languedoc, vieil ami de M. […] En dehors de lui et de ses amis, et dans une certaine opposition de goût et de doctrines, je trouve un autre groupe, celui de Fontanes, de Joubert, de Chênedollé, le monde même de Chateaubriand. […] Il était d’un goût fin, bien autrement impatient et dédaigneux ; il tranchait dès qu’un ouvrage lui déplaisait et lui semblait médiocre.
À l’égard de Paris, vous savez comme je pense ; si je pouvais m’y tenir, je n’aurais point d’autre patrie… Et il expose quelques-uns des motifs et des obstacles trop réels (sans pourtant articuler le principal de ces obstacles) qui l’empêchent de se livrer à ses goûts et d’aller se fixer à Paris pour y étudier, y cultiver les gens de mérite qu’il y rencontrerait, et y devenir lui-même peut-être un écrivain. […] Mais vous êtes ardent, bilieux, plus agité, plus superbe, plus inégal que la mer, et souverainement avide de plaisirs, de science et d’honneurs ; moi, je suis faible, inquiet, farouche, sans goût pour les biens communs, opiniâtre, singulier, et tout ce qu’il vous plaira. […] Vous n’êtes donc pas fait pour vivre comme lui ; le repos vous est dangereux ; il vous faut tenir loin de vous ; votre cœur ne peut vous verser que le fiel dont il est pétri… Dans ce qui suit, et à dessein de détourner son impétueux ami de quitter le service, Vauvenargues le raille avec une légère ironie sur ce plan un peu trop doux de vie heureuse et toute privée, sur cette félicité tempérée et dans le goût d’Horace, qu’il se promet trop complaisamment. […] Mais, cette gloire que vous aimiez (pourrait-on vous dire), dont le goût était né avec vous, l’a-t-on dépouillée de ses charmes ? […] Elle n’est pas également sensible à tous les hommes ; il faut qu’elle trouve certaines dispositions dans leur cœur : la musique et la poésie ne flattent pas tous les goûts, ni la gloire ; mais cela n’empêche pas qu’elle ne soit réelle… Je crains que le goût de la littérature n’arrête trop vos pensées.
Ce goût, cette sensibilité si éveillée, si soudaine, suppose bien de l’imagination derrière. […] C’est comme pour les vins : il y a bouquet et bouquet ; ce bouquet en soi est peu de chose, mais au goût il est tout. […] Bowles lui-même a fait en ce sens des sonnets délicieux, d’une nuance infinie, et il n’a pas pris garde qu’il érigeait son goût et son talent personnel en loi et en théorie générale ; il se prenait pour type, comme il arrive souvent. […] Chaucer, Spenser, Cowley, Milton, Shakespeare même, il parle d’eux tous à ravir, et il touche le point vif de chaque talent avec goût et impartialité. […] On y trouvera sur la traduction de Pope le dernier mot du goût.
On ne le croirait pas, c’est notre excès de bonté et de docilité qui bannit de chez nous le goût et le génie tous les jours davantage ; nous sommes (habitués à jurer) in verba magistri, nous ne sommes pas assez volontaires, nous admirons chez les autres et chez nous tout ce qui nous en impose. […] Il aime le luxe à cause qu’il idolâtre les arts, étant poète, bel esprit et homme de goût ; il n’est pas fait pour se ravaler aux choses communes et éloignées des excès. […] Il semblera naturel, quand on juge si sévèrement Mme de Sévigné, qu’on ait un goût marqué pour l’abbé Terrasson. […] Il le pouvait, il est vrai, mieux qu’un autre, écrivant à huis clos ; mais il fallait encore en avoir le goût et l’allure. […] Dix-huit mois avant sa mort, d’Argenson, qui mourut à soixante-deux ans et qui était encore plein de santé et de verdeur, se promettait une longue vieillesse : il se la prédisait sous une forme indirecte dans un portrait intitulé Goûts d’un vieux philosophe, et qui est de juin ou juillet 1755 : Le vieux Damon m’a dit avoir conservé ses goûts sans passions en plus grand nombre et le plus longtemps qu’il avait pu.
Pourquoi la nation française était-elle la nation de l’Europe qui avait le plus de grâce, de goût et de gaieté La gaieté française, le bon goût français, avaient passé en proverbe dans tous les pays de l’Europe, et l’on attribuait généralement ce goût et cette gaieté au caractère national ; mais qu’est-ce qu’un caractère national, si ce n’est le résultat des institutions et des circonstances qui influent sur le bonheur d’un peuple, sur ses intérêts et sur ses habitudes ? […] Les liens délicats, les préjugés maniés avec art, formaient les rapports des premiers sujets avec leur maître : ces rapports exigeaient une grande finesse dans l’esprit ; il fallait de la grâce dans le monarque, ou tout au moins dans les dépositaires de sa puissance ; il fallait du goût et de la délicatesse dans le choix des faveurs et des favoris, pour que l’on n’aperçût ni le commencement, ni les limites de la puissance royale. […] La gaieté piquante, plus encore même que la grâce polie, effaçait toutes les distances sans en détruire aucune ; elle faisait rêver l’égalité aux grands avec les rois, aux poètes avec les nobles, et donnait même à l’homme d’un rang supérieur un sentiment plus raffiné de ses avantages ; un instant d’oubli les lui faisait retrouver ensuite avec un nouveau plaisir ; et la plus grande perfection du goût et de la gaieté devait naître de ce désir de plaire universel. La recherche dans les idées et les sentiments, qui vint d’Italie gâter le goût de toutes les nations de l’Europe, nuisit d’abord à la grâce française ; mais l’esprit, en s’éclairant, revint nécessairement à la simplicité. […] Non seulement la grâce et le goût servaient en France aux intérêts les plus grands, mais l’une et l’autre préservaient du malheur le plus redouté, du ridicule.
Le goût élevé, exclusif, de ceux-ci, se combinait au fond avec la gravité morale, et s’y appuyait : ils représentent le siècle de Louis XIV à son centre. […] Mme Des Houlières en a juste dans ce goût, dans cette même coupe déjà ancienne alors, et qui rappelait la jeunesse de Mme de Motteville. […] Et combien n’y a-t-il pas, en effet, de Mme Des Houlières dans le goût comme dans les idées de cette spirituelle Launay, contre laquelle un illustre critique a été si ingénieusement sévère ! […] Mais le goût d’un jour, la manière, est-elle pour cela absente ? […] C’est ainsi, à la distance d’un siècle, que les défauts de goût, en quelque sorte, se transposent.
Dur métier qui suppose d’incessantes lectures, un esprit toujours en éveil et le goût de la justice. […] Ainsi, par négligence coupable, ils se font complices d’un abaissement du goût, dont eux-mêmes sont victimes. […] 3º N’importe lequel, s’il est de bonne foi et s’il ne remplace pas le goût par un critérium. […] René Gillouin, ne peut plus être un « magistère du goût ». […] Deffoux, entre le dogmatisme universitaire et le goût de l’art indépendant que naît la meilleure critique.
On voit que, dans une chose quelconque, son goût apathique le porte du côté où il y a le moins d’embarras, dût-il être le plus mauvais. […] Ce ne sont là que des singularités, dira-t-on ; mais elles attestent le goût et la passion des lettres chez cette femme « qui aurait aimé François Ier ». […] Tout dans la physionomie, dans l’attitude, exprime la grâce, le goût suprême, l’affabilité et l’aménité plutôt que la douceur, un air de reine qu’il a fallu prendre, mais qui se trouve naturel et qui se soutiendra sans trop d’effort. […] Cette gracieuse femme rajeunit la Cour, en y apportant la vivacité de ses goûts bien français, de ses goûts parisiens. […] Ce relevé, avec la désignation et l’emploi des sommes, présente un tableau complet des goûts variés de la marquise et ne fait pas trop de déshonneur à sa mémoire.
On sent dans cette Tragédie le goût d’un Écrivain qui s’est formé sur la majestueuse simplicité des Grecs. […] Le goût, la naïveté, l’art de narrer, celui de bien entremêler les aventures, celui de ne rien prodiguer valent bien mieux que l’esprit. […] Celui de Leonidas est très-beau, mais en général on trouve dans ce Poëme plus d’esprit que de goût. […] Mais un de ses défauts les plus remarquables, est son goût pour les jeux de mots. […] C’est une satyre ingénieuse sur les coquettes & les petits maîtres, en quatre Chants, & dans le goût de la Boucle enlevée de Pope.
Ce sont des théâtres de luxe ou des écoles de goût. […] Mais le Théâtre-Français surtout est et demeure, à travers toutes les vicissitudes, une grande école de goût, de bon langage, un monument vivant où la tradition se concilie avec la nouveauté. […] Nulle institution ne contribua plus directement à la restauration de l’esprit public et du goût. […] Tout cela pourtant est voué par devoir et par goût à la parole et à l’éloquence. […] Rien ne contribue davantage à rendre une nation grossière, à détruire le goût, à abâtardir l’éloquence et toute sorte d’esprit.
Ils tâchèrent de communiquer leur goût & de maintenir, par des dissertations, la simplicité qu’on ramenoit. […] Le goût du public parut si décidé pour elles, que les critiques furent réduits à se taire. […] La parodie dramatique, chez les Grecs, étoit dans le goût de celle de nos jours. […] quel goût ! […] Richelieu a fait bâtir la salle du palais royal ; Mazarin a eu les mêmes goûts.
Daru brilla de bonne heure dans ce genre d’exercice, et en garda toujours le goût. […] Il paye tribut au goût du moment, à la mode des Almanachs des Muses et des Athénées ; il fait de petits vers, mais il ne s’y tient pas, et il sort bientôt du frivole. […] Actuellement, mon cher ami, je ne prêche plus, et ma santé s’en trouve bien ; j’y ai substitué des leçons d’histoire à nos pensionnaires : ce qui est plus analogue à mon goût, et, je l’ose dire, à mon talent. […] En composant cette Épître, Daru avait voulu faire quelque chose dans le goût de celles d’Horace qu’il était en ce moment occupé à traduire. […] Dans Casti, le conte est plus développé, et il y a des hardiesses que le goût français eût supportées moins aisément.
Aussi Boileau lui-même y reconnaît-il « une narration également vive et fleurie, des fictions très ingénieuses, des caractères aussi finement imaginés qu’agréablement variés et bien suivis Il fut fort en estime même des gens du goût le plus exquis17 ». […] Il est fort présumable que le Ier volume, qui était du goût de tout Paris et du goût de Henri IV lui-même, tout éloigné qu’était ce prince des amours platoniques, ne déplaisait pas non plus à l’hôtel de Rambouillet. […] Du fait seul que telle chose était du goût de l’adversaire qui a succombé, elle doit être réprouvée sous peine d’être accusée de complicité avec les desseins funestes que la défaite a fait avorter. […] Cependant leurs élèves se multiplient, des écoles sortent des essaims innombrables de maîtres nouveaux dont les productions étouffent ce qui peut rester de goût et de sens dans la nation.
Le bel esprit a essayé de nos jours d’accréditer un paradoxe qui me paraît blesser tout ensemble la vérité, la morale et le goût. […] La bienséance du langage serait une loi du goût, quand elle ne serait pas une règle de morale, et c’est par cette raison que la bienséance peut être respectée au plus haut point chez une nation où la corruption des mœurs est portée au dernier excès. La pureté du goût est une qualité de l’esprit ; c’est un tact qui peut, bien que difficilement, s’acquérir par l’affinage de l’intelligence : au lieu que la pureté des mœurs est le résultat d’habitudes sages, dans lesquelles tous les intérêts de l’âme sont entrés et se sont mis d’accord avec les progrès de l’intelligence, C’est pourquoi l’accord du bon goût et des bonnes mœurs est plus ordinaire que l’existence du goût sans mœurs, ou des mœurs sans goût.
Cependant les ménestrels formèrent plutôt le goût national, porté ensuite au théâtre, que le théâtre même. […] Le clergé anglais était plus intimement associé aux goûts, aux habitudes, aux divertissements du peuple. […] Le goût national se vit attaqué presque en même temps par les anathèmes des réformateurs et par les prétentions des lettrés. […] Lord Buckhurst lui-même n’exerça d’influence sur le goût dominant qu’en lui demeurant fidèle. […] Le goût ne se montrait pas plus difficile que les mœurs.
Pour peu que Minerve sourît ou n’y mît pas d’obstacle, il naissait presque de toute nécessité avec le goût des livres et déjà lettré. […] Vitet l’a fait mieux que personne, avec le goût et la supériorité qu’on lui connaît. […] Son goût, mis en demeure de se prononcer, n’a pas de ces promptes réponses qui partent d’elles-mêmes et ne s’éludent pas. […] Le premier il a introduit dans ces matières d’apparence ingrate le sentiment du goût et une critique déliée, avisée, exacte et légère. […] Peu importe ; ses remarques n’en sont pas moins fines et justes en tout ce qui est du goût.
L’enseignement est tenu, bon gré mal gré, de s’y orienter derechef, de s’y raviser ; il a de quoi s’y renouveler aussi, de quoi y modifier sa manière de servir le goût et de défendre la tradition. […] On a eu le goût des sources ; on a voulu connaître toutes choses de plus près, moyennant des pièces et des documents de première main et, autant que possible, inédits. […] Maintenons, messieurs, les degrés de l’art, les étages de l’esprit ; encourageons toute recherche laborieuse, mais laissons en tout la maîtrise au talent, à la méditation, au jugement, à la raison, au goût. […] Mais aussi il y a, même dans le cercle régulier et gradué des admirations légitimes, une certaine latitude à laisser à la diversité des goûts, des esprits et des âges. […] [1re éd.] je me méfie un peu du goût et de la parfaite justesse des conclusions
Le goût des portraits, Retz l’a pris aussi à son monde ; il y a été vraiment supérieur. […] Ce public est à distance des chefs-d’œuvre ; il a un goût capable de les comprendre, de les aimer, distinct pourtant du goût qui les crée, et surtout inférieur. […] Elle a des goûts de précieuse, d’exquise mais authentique précieuse. […] Ses goûts vérifient en somme ce que je disais à propos de Bussy. […] Par le goût, ce roman exquis, malgré sa date, est antérieur au réalisme artistique dont sortent au même temps presque tous les chefs-d’œuvre.
Il eut de bonne heure le goût, le sentiment du costume et du travestissement ; c’était son plaisir et sa folie. […] Je ne m’arrête pas à Gavarni auteur, inventeur de modes et de costumes ; je le devrais pourtant, car il a le goût, le génie, l’invention en ce genre. […] Voilà une image du premier Gavarni, dont le goût naturel eût été du côté de l’élégance et peut-être du sentiment. Il est bon qu’il ait eu ce goût en lui, et en même temps que ce goût ait été combattu par celui du public et des entrepreneurs de journaux qui lui demandaient de la malice, du comique, et qui l’auraient bien Voulu pousser à la charge, s’il n’y avait résisté. […] Il dut donc sacrifier au goût du public lorsqu’il travailla pour le Charivari, pour la Caricature.
En. un mot, le goût seul ne suffit plus désormais, et il est bon qu’il y ait la connaissance et l’intelligence des choses. […] Je n’en médis pas et ne déprécie rien, mais on a bien fait de ne pas se tenir à ce goût-là si vite contenté, si promptement dégoûté. […] Villemain, le goût même à l’œuvre sur Cromwell, sur Milton. […] Le goût seul ne dispense pas des méthodes armées et précises. […] Deschanel, quand il va de ville en ville et de pays en pays propager le goût des conférences, n’est l’envoyé de personne et ne tient sa mission que de lui-même.
Les goûts littéraires dominaient-ils en lui et remplissaient-ils tous ses loisirs ? […] Cette décimale, on en conviendra, est maniérée ; il y a très-peu de ces fautes de goût chez M. […] Ce qui le distingue entre les étrangers écrivant en français et non venus à Paris, c’est précisément le goût simple. […] Et qu’on ne s’étonne pas si j’allie ainsi l’idée de la simplicité du goût avec celle du centre le plus raffiné. […] Les légères fautes d’incorrection sont presque aussi rares chez M. de Maistre que celles du goût.
Derrière ma faiblesse il y a de la force ; la faiblesse est dans l’instrument. » Mais s’il n’écrivait pas de livres, il lisait tous ceux des autres, il causait sans fin de ses jugements, de ses impressions : ce n’était pas un goût simplement délicat et pur que le sien, un goût correctif et négatif de Quintilius et de Patru ; c’était une pensée hardie, provocante, un essor. […] Cela me rend le goût très-difficile et la fatigue insupportable. […] « On parle de leur imagination : c’est de leur goût qu’il faut parler ; lui seul réglait toutes leurs opérations, appliquant leur discernement à ce qui est beau et convenable. « Leurs philosophes même n’étaient que de beaux écrivains dont le goût était plus austère. » Paul-Louis Courier les jugeait ainsi. […] Cicéron surtout lui revient souvent, comme Voltaire ; il le comprend par tous les aspects et le juge, car lui-même est un homme de par-delà, plus antique de goût : « La facilité est opposée au sublime.
Ce qu’il était peut-être avant toute chose par nature, et le plus naïvement, si l’on peut dire, et le plus primitivement, c’était encore homme de lettres, dilettante, virtuose, avec le goût vif des arts, avec la passion et le culte surtout de l’esprit. […] Au point de vue du goût, il y aurait bien des choses à remarquer. […] Il suffit, pour être informé des vrais goûts intellectuels de Frédéric, de l’entendre lui-même au naturel dans ses diverses correspondances. […] Toute illusion a cessé, et il ne reste plus que ce goût vif de l’esprit qui se manifeste encore. […] Jamais aucun auteur avant vous n’a eu le tact aussi fin, ni le goût aussi sûr, aussi délicat que vous l’avez.
Elle n’y est pas plus tôt qu’elle sent avec quelles gens on la fait dîner : « J’étais née, dit-elle, pour avoir du goût » ; et elle entre à l’instant dans ce cercle d’élite comme dans sa sphère. […] il n’était pas question de cela ici, et comme je l’ai déjà dit, si je n’avais pas eu un peu de goût naturel, un peu de sentiment, j’aurais pu m’y méprendre et je ne me serais aperçue de rien. […] Voltaire, qui le raille volontiers sur le goût, aurait pu prendre exemple de lui pour la morale. […] La nature humaine n’y est pas creusée assez avant ; on y voit du moins le faible de l’auteur et son goût pour ce genre de serviteurs officieux, voisins des maîtres. […] Marivaux avait les goûts recherchés que l’on conçoit de la part d’une organisation si fine et si coquette, parure, propreté curieuse, friandise ; tout ce superflu lui était chose nécessaire.
Heureux homme que ce Guillaume Favre, et que rien ne commandait dans la libre et capricieuse application de ses goûts ! […] C’est à ces questions qu’il songeait par goût et se délectait depuis des années, dans l’intervalle de ses passe-temps mondains. […] Mme de Staël dit que c’est par paresse que j’étudie tout cela ; elle voudrait me voir travailler pour produire un effet instantané, et c’est la chose pour laquelle j’ai le moins de goût. […] On a publié depuis sa mort des poésies françaises de sa façon, presque toutes dirigées contre nous ; elles ne tournent que contre lui, tant elles décèlent une absence complète de goût et de sentiment français ! […] De Brosses eût été moins effrayé en entrant dans la galerie de La Grange et chez un hôte qui lui eût rappelé les goûts et les entretiens mitigés de son ami le président Bouhier.
Hetzel, y a mis le soin et le goût qu’il apporte à ces sortes de publications ; il s’est piqué d’honneur comme toujours, ainsi que M. […] D’une époque assurément tardive, mais de date incertaine, elle ne saurait être cependant rejetée très-bas dans les âges de décadence, car un goût fin y a présidé. […] On est confondu, en vérité, de lire un pareil jugement, de la part d’un si savant homme et qui avait traduit le livre dans sa jeunesse, de celui même qui, en homme de goût, relisait son Théocrite une fois chaque année, au printemps. […] L’intérêt même de cette innocence ne se conserve pas longtemps ; et l’épisode de la courtisane Lvcénion, si choquant sous le rapport du goût, fait disparaître la moitié du charme. […] Et un goût, une perfection, une délicatesse de sentiment comparables à tout ce qui s’est fait de mieux !
C’est, dis-je, un signe, car celui qui saurait pouvoir s’intéresser à une lecture qu’il jugerait médiocre ferait bien de renoncer à toute critique son goût est mauvais, ou son jugement faux, et sa critique vide. […] On concède moins unanimement la nécessité de cette autre inclination le goût du jugement. […] Je porte à un degré extrême, et presque ridicule, ce goût du jugement exact. […] Je sais que cette causerie contente des esprits de goûts analogues, mais moins enclins, moins entrainés à la pénétration critique, à l’amusant « démontage » ceux-là lisent avec moi. […] Tous les goûts, même antinaturels, sont dans la nature.
Du temps de La Rochefoucauld, le goût des maximes était général dans certains salons et menaçait de gagner la province : « Je ne sais si vous avez remarqué, écrivait La Rochefoucauld à Mme de Sablé, que l’envie de faire des sentences se gagne comme le rhume. […] En obéissant à son goût naturel et réfléchi, M. de Latena cependant ne s’y est point laissé aller comme un simple amateur ; il n’a pas jeté au hasard et sans suite les remarques que lui suggérait l’étude de l’homme ou le spectacle de la société, et, sans enchaîner précisément toutes ses notes et ses aperçus dans une combinaison de chapitres se succédant avec méthode et transition, il a tenu à y établir un ordre général qui maintient la liaison des principales parties ; il a fait et voulu faire un ouvraget ; il a eu tout le respect du sujet qu’il traitait. […] Car, pour louer ensuite plus à mon aise M. de Latena, je veux en passant avouer une disposition de mon esprit qui est peut-être un faible, mais dont je ne puis faire tout à fait abstraction dans mes jugements : je suis (sans être Alcibiade) du goût de celui-ci, à qui Socrate disait : « Vous demandez toujours quelque chose de tout neuf ; vous n’aimez pas à entendre deux fois la même chose. » Je suis de ceux qui, dans cet ordre moral, pencheraient plus volontiers du côté du nouveau (si le nouveau est possible) que du trop connu ; en ce qui est de l’expression, le brillant du tour et la pointe (dans le sens des anciens) ne me déplaisent pas non plus autant qu’à d’autres. […] — Je crois que moyennant deux ou trois corrections que je viens de faire et un ou deux mots où j’ai appuyé, il ne saurait y avoir de doute sur le sens de mon jugement : ce n’est point à titre de nouveau, comme quelques personnes l’ont pensé, que je recommandais ce que j’allais citer, c’est en prenant sur mon goût habituel et non en y cédant que je rendais justice à un moraliste estimableu, sans avoir d’ailleurs le moins du monde l’intention de le rapprocher de M. […] c’est en prenant sur mon goût habituel et non y cédant que je rendais justice à un moraliste estimable
De la littérature pendant le siècle de Louis XIV61 C’est par l’étude des anciens que le règne des lettres a recommencé en Europe ; mais ce n’est que longtemps après l’époque de leur renaissance que l’imitation des anciens a dirigé le goût littéraire. Les Français cultivaient la littérature espagnole au commencement du dix-septième siècle : cette littérature avait en elle une sorte de grandeur qui préserva les écrivains français de quelques défauts du goût italien alors répandu dans toute l’Europe ; et Corneille, qui commence l’ère du génie français, doit beaucoup à l’étude des caractères espagnols. […] C’est dans le cercle resserré d’un petit nombre d’hommes supérieurs, soit par leur éducation, soit par leur mérite, que les règles et le goût du style peuvent se conserver. Comment, au milieu d’une société grossière, parviendrait-on à créer en soi cette délicatesse d’instinct qui repousse tout ce qui blesse le goût, avant même d’avoir analysé les motifs de sa répugnance ? […] Devant un tel tribunal, le goût paraît encore plus nécessaire que l’énergie.
Un poëte tragique qui auroit autant de genie qu’eux, trouveroit des sujets qui leur ont échappé, et il traiteroit les sujets qu’il mettroit au théatre dans un goût aussi different du goût de Corneille que le goût de Racine, et aussi éloigné du goût de Racine que le goût de Corneille.
Ensuite la lecture des mauvais livres forme le goût, à la condition qu’on en ait lu de bons, d’une façon qu’il ne faut pas mépriser, ni peut-être négliger. […] Les études scolaires donnent le goût du beau, ou l’horreur du beau, ou l’indifférence à l’égard de la littérature. Elles donnent le goût du beau à ceux qu’elles ont intéressés, et ils ne songent plus qu’à retrouver des sensations d’art analogues à celles qu’ils ont éprouvées en lisant Horace, Virgile, Corneille et Racine, et c’est pour cela, disons-le en passant, qu’il faut toujours, au lycée, amener l’élève jusqu’aux auteurs presque contemporains, pour que, entre les grands classiques et les bons auteurs de leur siècle, il n’y ait pas une grande lacune qui les ferait désorientés en face des bons auteurs de leur siècle et qui les empêcherait de les goûter, par où ils seraient de ces humanistes qui ne peuvent entendre que les auteurs très éloignés de nous, gens respectables et peut-être même enviables, mais qui sont privés de grandes et saines jouissances. […] Serait-il grand si je n’existais pas. » Tant y a qu’il n’est pas inutile de retremper son goût pour les hommes d’esprit dans le commerce des imbéciles. Certaine table d’hôte a formé mon goût peut-être plus que Sainte-Beuve.
On ne peut cependant nier que le Gouvernement ne soit interessé à multiplier les Ouvrages capables de rappeler les Littérateurs aux principes du goût & de la raison. […] L’esprit d’anarchie s’est répandu sur tous les genres : en matiere de goût, comme en matiere de raison, tout se réduit à l’arbitraire ; le plus grand nombre des Ouvrages d’agrément annoncent l’oubli des regles, l’amour des systêmes, le renversement des principes reçus ; les Ouvrages de morale ne sont le plus souvent que le fruit d’une imagination indépendante, qui assujettit à ses caprices les sentimens, les devoirs, les bienséances ; dans les Ouvrages de raisonnement, le sophisme triomphe, la Philosophie attaque les vérités les plus certaines, mine avec activité les fondemens de la Religion, des Mœurs, des Loix, rompt les nœuds de la Société, & obscurcit jusqu’aux notions les plus claires de la Nature. […] Les Journaux seuls peuvent offrir des ressources sûres pour retablir l’ordre & repousser les usurpations ; presque tous sont aujourd’hui dévoués aux corrupteurs du goût & de la morale : il n’y a guere que l’Année Littéraire & les Annonces & Affiches pour la Province, où l’on ose les combattre & les ridiculiser, encore même les Auteurs de ces Feuilles, aussi patriotiques que littéraires, sont-ils souvent exposes aux persécutions de l’amour-propre des Auteurs blessés de leurs censures, &c….. […] Un tel moyen seroit plus sûr pour remédier à la corruption du goût, le conserver dans toute sa pureté, & faire avorter une foule d’Ouvrages qui ne peuvent que déshonorer la Littérature & la ruiner entiérement.
César et Strabon nous font un portrait des Gaulois de leur temps, où certains traits nous permettent de nous reconnaître : le courage bouillant et inconsidéré, le manque de patience et de ténacité, la soudaineté et la mobilité des résolutions, l’amour de la nouveauté, un certain sens pratique, et la pente à se mêler des affaires d’autrui pour la justice, le goût de la parure et de l’ostentation, celui de la parole et de l’éloquence, tout cela est français, si l’on veut, autant que gaulois. […] Il serait aussi téméraire de rechercher dans l’éloquence et dans la poésie gallo-romaines une première ébauche du goût français. Car il s’en faut que, dans la latinité de l’époque impériale, les écrivains gaulois fassent un groupe aussi tranché, aussi caractérisé que les Espagnols et surtout les Africains ; et l’on ne trouverait rien chez eux qui ne se rencontre fréquemment chez des Italiens ou chez des Grecs : tout ce qu’il est permis d’inférer de la littérature gallo-romaine, c’est l’aptitude et le goût de la race pour l’exercice littéraire. […] Race enfin discoureuse, conteuse, sociable, tempérant par la vanité le goût, des idées générales et par le désir de plaire l’âpreté du dogmatisme.
Cette critique est à la fois l’ouvrage de l’esprit & du goût, & celui d’un mouvement de vengeance contre les jésuites. […] Il mit le comble à sa gloire, par la manière de bien penser dans les ouvrages d’esprit ; livre très-utile aux jeunes gens, pour leur former le goût, & leur apprendre à fuir l’enflure, l’obscurité, les pensées fausses & recherchées. […] Tout ce qu’on peut exiger d’un observateur rigide & judicieux s’y trouve réuni, esprit de sagacité, finesse de goût, jugement sûr, nuances saisies avec force & clarté, très-bonne plaisanterie. […] On raconte qu’ayant voulu mettre, dans toute la délicatesse & dans toute la pureté de la langue, un sermon de Bourdaloue, & que le lui ayant rapporté avec les changemens, Bourdaloue, ce génie mâle & rapide, fut tellement indigné de voir son ouvrage défiguré, qu’il le jetta par terre, & protesta qu’il ne prêcheroit de sa vie, s’il falloit qu’il le fît dans un goût si misérable & si puérile.
Vous êtes homme de goût, je vous en fais juge. » — « Elle est infâme, vous dis-je. » — « On l’aura changée en nourrice. […] il ne s’agit point de goût ? car du goût, votre Piron n’en a pas, — ne s’en doute pas ! » Et, là-dessus, on s’embarquait dans une dissertation sur le goût. L’amphitryon chez lequel on a dîné est toujours un homme de goût, et il s’en pique.
L’historien rompu aux habitudes et aux discussions parlementaires a beau faire, son goût vif pour cette nature de conquérant organisateur et civilisateur a pu souffrir, mais n’a pas faibli ; et lorsqu’aux dernières heures de la lutte, il le retrouve tout d’un coup rajeuni, éblouissant de génie et d’ardeur, il retrouve à son tour sa note jeune, émue, sa note claire et première, le chant du départ, trop tôt éteint et reperdu dans les deuils, dans les tristesses suprêmes de Fontainebleau. […] Les uns et les autres étaient attirés par des motifs divers : ceux-ci par l’intérêt qu’ils portaient au gouvernement, ceux-là par le plaisir de le voir contredire, beaucoup par zèle pour la question soulevée, tous enfin par la curiosité, et, il faut le dire, par un goût tout nouveau pour la discussion éloquente des affaires publiques qui venait de se développer dans notre pays. Il suffit chez une nation vive qu’un goût l’ait longtemps dominée pour qu’elle soit prête à en éprouver un autre. Si la France avait ressenti le goût des scènes militaires, elle avait eu, hélas ! […] Thiers, au contraire, semble par moments s’être méfié davantage de sa plume, et il a redoublé, à l’égard des personnes, de précautions et de ménagements qui sont chez lui du meilleur, goût ; il y a mis proprement de la courtoisie ; mais le résultat, le fin mot est le même : l’impossibilité d’une durée pour ce premier essai de Restauration si mal conduit est également évidente.
En parlant des jeux des enfans, une bale , dit-il, un balon, un sabot, sont fort de leur goût… ; depuis le toît jusqu’à la cave tout parloit latin chez Robert Etienne . […] Le titre de confrère & d’ancien ami de l’auteur, ne parut pas suffisant à Gibert pour l’empêcher de le citer au tribunal du public, de vouloir le dépouiller d’une gloire usurpée, & faire mettre en balance qui des deux méritoit de l’emporter pour le goût, le talent & les lumières : il osa même adresser ses observations à Rollin. […] Rollin fut blâmé pour avoir fait dire à Cicéron que l’orateur doit former son stile sur le goût de ceux devant lesquels il parle. Son rival Gibert soutient avec raison que l’orateur Romain n’a jamais eu cette pensée ; qu’on ne doit se règler, en parlant en public, sur le goût de ceux qui nous écoutent, que lorsque leur goût est bon. Mais dans ce passage*, qui fait le sujet de la dispute, est-il question de goût ?
Que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. Ce que nous avons dit jusque ici a pu conduire le lecteur à cette réflexion, que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. […] Celui qui aime la laideur, dans un temps où mille chefs-d’œuvre peuvent avertir et redresser son goût, n’est pas loin d’aimer le vice ; quiconque est insensible à la beauté pourrait bien méconnaître la vertu. […] Nécessairement encore l’incrédulité introduit l’esprit raisonneur, les définitions abstraites, le style scientifique, et avec lui le néologisme, choses mortelles au goût et à l’éloquence. […] Celui qui renie le Dieu de son pays est presque toujours un homme sans respect pour la mémoire de ses pères ; les tombeaux sont sans intérêt pour lui ; les institutions de ses aïeux ne lui semblent que des coutumes barbares ; il n’a aucun plaisir à se rappeler les sentences, la sagesse et les goûts de sa mère.
Monsieur Lépicié, laissez là ces sujets, ils exigent un tout autre goût de vérité que le vôtre, faites plutôt… rien. […] La mémoire des expériences et des phénomènes ne nous étant pas présente, nous n’en jugeons pas moins sûrement, nous en jugeons même plus promptement ; nous ignorons ce qui nous détermine et nous avons ce qu’on appelle tact, instinct, esprit de la chose, goût naturel. S’il arrive qu’on demande à un homme de goût la raison de son jugement, que fait-il ? […] Il faut partager une nation en trois classes : le gros de la nation qui forme les mœurs et le goût national ; ceux qui s’élèvent au-dessus sont appellés des fous, des hommes bizarres, des originaux ; ceux qui descendent au-dessous sont des plats, des espèces. […] Pour une petite poignée d’hommes de goût qui vous admireront en silence, tandis que le stupide, l’ignorant vulgaire, jettant à peine un coup d’œil sur vos chefs-d’œuvre, ira se pâmer, s’extasier devant une enseigne à bierre, un tableau de guinguette.
Si vous ôtez le loisir, a dit Ovide, vous supprimez tout l’art de l’amour ; et moi j’ajoute : vous supprimez tous les amours délicats et les nobles goûts. […] Le goût des livres n’a fait que gagner dans ces derniers temps. […] On y voit la jeune princesse se repentir du malheureux goût qu’elle avait pour le jeu et qu’elle partageait avec toute la Cour. […] Vers la fin du règne de Louis XIV, le goût de l’esprit et même du bel esprit reparut sans doute et trouva faveur dans les petites cours de Saint-Maur et de Sceaux ; mais le gros de la Cour pendant ce temps-là était en proie à la bassette, au lansquenet et à d’autres excès, parmi lesquels celui du vin avait sa bonne part. […] Adorée de son jeune époux, et sachant prendre en main ses intérêts en toute rencontre, il ne paraît pas qu’elle eût pour sa personne un goût bien vif et bien tendre.
Agréable et brillante dans sa jeunesse, elle ne se bornait pas à un seul goût, à un seul talent ; elle les briguait tous et en possédait réellement quelques-uns. […] Une telle vocation semblerait indiquer des goûts austères ; mais ici cette vocation sait très bien se combiner avec des goûts romanesques, et c’est un trait encore et des plus essentiels dans le caractère de Mme de Genlis. […] Voilà pourtant jusqu’où la passion entraînait le critique en titre, l’homme de goût de ce temps-là. […] M. de Valois (comme on l’appelait alors) n’annonçait en rien la fleur des anciens Valois, cette distinction suprême dans le goût, qui n’est pas toujours en accord avec le bon sens et avec la science pratique de la vie. […] Le goût d’enseigner ne doit point se considérer chez elle comme un travers, c’était le fond même et la direction de sa nature.
» dit-on ordinairement aux idéalistes, ce qui fait très grand honneur aux poètes ; on peut dire aussi : « Il est distingué, surtout il veut l’être ; volontiers original, un peu dédaigneux ; il a le goût des sentiments nobles ; c’est un lecteur de poètes ». […] Et enfin on s’aperçoit assez souvent, surtout chez les femmes, qu’un très grand goût de lectures romanesques n’est qu’une surface et qu’en leur fond on les trouvera très réalistes et très pratiques ; je dis assez souvent. […] Je songe au lecteur d’Homère ou d’Horace qui les lit par goût, par élection, par vocation, et qui se plaît à eux, seulement parce que ce sont eux et que c’est lui. […] Je veux dire qu’à chaque époque l’homme de raison, d’imagination, de sensibilité et dégoût y trouve son plaisir, à la condition qu’il ne soit pas dominé par le tour d’imagination, de sensibilité, de goût et de raisonnement qui est particulier à son temps même. […] Il ne s’aperçoit pas des changements qui se sont produits depuis sa jeunesse dans le goût public.
La Révolution vint interrompre cette vie qui était déjà si pleine, et où s’annonçaient des goûts si divers. […] Walckenaer a le goût du complet, en même temps qu’il en a le moyen dans la diversité de ses connaissances. […] Walckenaer est classique, mais il l’est à travers le goût de son temps et de sa jeunesse, et il y a une teinte première dont il ne s’est jamais débarrassé. […] Ce goût réfléchi et acquis, mais réel, est une des conquêtes de la critique depuis M. […] Avec un zèle et un goût si louable d’étude et de retour aux sources, il n’a pas eu le sentiment des atticismes.
Balzac eut plus de goût dans ses doctrines que dans ses ouvrages ; mais il se borna à des observations générales sur l’éloquence. […] Bayle, inépuisable érudit, compilateur judicieux, consacre son excellente critique plutôt aux faits historiques qu’au goût et aux formes de l’art. […] L’abonné, s’il a du goût, n’approuve pas toujours, mais il sourit et continue à lire. […] En France nous avons des critiques d’une habileté incomparable, pleins de goût pour juger, de talent pour écrire. […] Son esthétique n’est que l’analyse du goût ; ce qui conduit logiquement à la négation de l’esthétique comme science.
Ce fut là où Ronsard prit un goût si intrépide pour les Auteurs Grecs & Latins. Ce disciple enthousiaste ne garda nulle mesure dans l’estime qu’il avoit pour Dorat, & observa encore moins les regles du goût, dans les louanges qu’il lui donnoit. […] Ce que nous venons de remarquer peut bien contribuer à faire condamner par les gens de goût l’usage que M. […] Ses Fables, fruits d’une imagination riante & séconde, & du don d’inventer heureusement un sujet, eussent mérité la seconde palme de l’Apologue, s’il eût eu autant d’attention à consulter la Nature & le goût, que de facilité à s’abandonner à son génie.
Il a eu beau dire que le goût & la gloire des Lettres étoient intéressés à cette sévérité ; que les défauts des Auteurs célebres sont beaucoup plus dangereux que ceux des Auteurs médiocres, qu’on n’est jamais tenté de prendre pour modeles ; qu’il est essentiel d’arrêter les usurpations des Tyrans littéraires, qui abusent de leur réputation pour renverser les Loix & faire respecter jusqu’à leurs écarts : de pareilles raisons ne sauroient justifier ces attentats toujours impardonnables, si on fait attention aux génies qu’ils attaquent. […] A-t-il pu imaginer qu’on adopteroit ses decisions, lorsqu’on l’a vu vingt fois s’efforcer de prouver que ce premier Poëte de notre Nation n’est pas si infaillible qu’on le pense ; que ses Ouvrages ne sont pas exempts de fautes contre la Langue & le goût ; qu’il a avancé des erreurs & des mensonges ; qu’il est injuste dans presque toutes ses critiques, indécent & atroce dans ses diatribes ; que tous ses Opéra sont détestables ; que plusieurs de ses Comédies n’ont d’autre mérite que celui de la versification ; que quelques-unes de ses Tragédies sont médiocres ; que ses Histoires sont remplies de faussetés, ses Satires de calomnies, ses Romans d’impiétés ? […] Il leur a reproché de corrompre le goût par des paradoxes & des exemples, les mœurs par des principes qui tendent à troubler & à renverser toute société. […] Ajoutons qu’incapable de sentir combien le siecle des lumieres doit l’emporter sur le siecle du goût, il a eu la simplicité de prendre la défense des Corneilles, des Racines, des Crébillons, contre MM. de Voltaire & de Saint-Lambert ; celle de Despréaux & de J.
au philtre d’un homme de goût, peut attirer la curiosité et la satisfaire. […] Échappant aux règles du goût par l’excentricité même de sa nature intellectuelle, — car c’est un excentrique que Mercier, et il a je ne sais quoi dans l’esprit qui rappelle la bizarrerie de certaines imaginations anglaises, — méconnaissant l’autre règle de la vie, plus importante que le goût, c’est-à-dire la religion, qui, en nous éclairant le cœur, fait monter la lumière jusqu’à la pensée, Mercier s’adapte exactement à l’époque qu’il a plutôt inventoriée que peinte. […] Avec la religion, avec le goût, lui manque la vie.
Traduire fidèlement, avec goût, c’est-à-dire avec une sincérité habile, les tragiques, Pindare, Homère, même Théocrite, ce serait, je le crois, innover en français, et innover de la manière la mieux fondée, la plus prudente et la plus exemplaire. […] Tout ce qui tend à élargir, à aiguiser du même coup et à simplifier le goût public, est favorable à cette régénération poétique dans laquelle il s’agit d’introduire, de combiner le plus de naturel et de vérité avec le plus de beauté. […] Quant au Fontenelle, c’est-à-dire à ce tour d’esprit volontiers moqueur d’un certain goût simple, il était aisément partout dans les salons, dès qu’il s’agissait de poésie, et on en découvrirait plus d’une dose jusque dans Voltaire. […] plus d’un rapprochement m’a frappé pour le style, pour le goût. […] Son goût chemine entre ces deux limites.
Ce n’est pas toutefois qu’il n’y ait un goût relatif. […] Qu’il avoit le goût étroit & faux dans l’ensemble, cet homme qu’on nous représente comme un modèle de goût ! […] C’est dans la nature de l’homme, qu’il faut puiser les règles de l’éloquence & du goût. […] L’homme de goût, proprement dit, est inhabile à bien juger l’ouvrage, de l’homme de génie. […] Cependant il ne faut pas désespérer de voir ce goût détestable absolument anéanti.
Réveil du goût de la beauté antique. — 2. […] Réveil du goût de la beauté antique. […] L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres entretînt le goût sérieux et l’exacte connaissance de la Grèce et de Rome. […] Barthélémy répand sur sa solide érudition, sont pour quelque chose dans le succès du Voyage du Jeune Anacharsis : mais le goût du public y a été pour beaucoup aussi ; le livre est venu à son heure. […] Son hymne à David sur le Serment du Jeu de Paume, n’est pas seulement une manifestation de libéralisme politique, il y célèbre le génie et le goût du peintre.
Une thèse de littérature française, si nous négligeons quelques exceptions de médiocre valeur ou de notoriété insuffisante, c’était alors, pour tout le monde, une étude de goût, une fine analyse ou une construction vigoureuse. […] Ce qu’il avait d’esprit, de goût, de talent, perçait, filtrait à travers les pages de son gros volume : il ne semblait appliqué qu’à le dérober, à le masquer, à en détourner l’attention. […] Il prit la méthode, plus dure et plus lente, qui recueille tous les documents utiles pour illuminer des écrits, en déterminer le caractère, limiter et contrôler la réaction subjective du goût à leur contact. […] Larroumet a fait ce travail avec un goût parfait. […] Ce n’est pas cette mesure timide des gens de goût poli qui masquent ou nient volontiers les réalités laides, et qui aiment à voir en beau les écrivains dont ils s’occupent.
Pourquoi Montaigne a-t-il un goût particulier pour certains écrivains de la décadence latine. — § VI. […] Il n’a pas de goût pour les choses arrêtées, et sur lesquelles tout le monde est d’accord. […] Il y a d’ailleurs des causes générales de ce goût de Montaigne pour les auteurs des époques de décadence. […] Ni dans l’une ni dans l’autre époque, les auteurs n’ont de goût : car le goût, c’est la présence de la raison dans tous les détails d’un ouvrage d’esprit. […] Le goût, c’est encore le sentiment du vrai commun à tous ; or, à ces deux époques, comme on ne croit pas à des vérités communes à tout le monde, on ne peut pas avoir de goût.
L’étoile du berceau de madame de Maintenon semble avoir jeté quelque influence de goût, d’esprit et de destinée sur le sien. […] S’il ne montrait d’ordinaire que de la sensibilité dans le talent, il portait de la passion dans le goût. […] Les guerriers instruits sont humains ; je souhaite que le même goût se communique à tous vos lieutenants qui savent se battre aussi bien que vous. […] Sa matinée s’était passée de la sorte sur cette douce note virgilienne, dans cet épicuréisme du goût. […] Mais il est aisé de sentir qu’il le loue plus qu’il ne l’adopte, et que, depuis la traduction des Géorgiques, il le juge en relâchement de goût.
On regrette qu’à côté de ces jugements, qui, partant d’un homme de goût et d’autorité, ont leur prix, D’Olivet n’ait pas procuré plus de détails, au moins académiques, sur La Bruyère. […] Suard dit en propres termes que La Bruyère avait plus d’imagination que de goût. […] Le goût changeait donc, et La Bruyère y aidait insensiblement. […] Mais non… ; La Bruyère en est encore pleinement, de son siècle incomparable, en ce qu’au milieu de tout ce travail contenu de nouveauté et de rajeunissement, il ne manque jamais, au fond, d’un certain goût Simple. […] ) La satyre n’étoit pas du goût de Madame la Dauphine, et j’avois commencé une réponse aux Caractères du vivant de cette princesse qu’elle avoit fort approuvée et qu’elle devoit prendre sous sa protection, parce qu’elle repoussoit la médisance.
Ils ont marqué, si même ils ne l’ont pas provoqué, un retour de goût dans le public français ; ils ont rendu plus facile la tâche de Malherbe, qui devait apprendre d’eux à faire mieux qu’eux. […] Un peu par timidité, à la suite des imprudences de Ronsard un peu par goût, il se contenta d’être plus correct et plus raffiné dans l’expression de la galanterie. […] C’est un progrès dans la composition et le langage opéré par un homme de goût, plutôt qu’une veine nouvelle de poésie ouverte par un esprit hardi et fécond. […] Il fit ses plus belles pièces ayant passé l’âge mûr, alors que l’imagination n’a plus de fumées, la raison plus d’illusions, le goût plus d’incertitude : c’est l’âge où Bossuet écrivait l’oraison funèbre du prince de Condé. […] Quant au goût pour Sénèque, ce goût lui est commun avec tous les écrivains de la seconde moitié du xvie siècle, y compris le plus excellent, Montaigne120.
Il a le goût sain ; il est ennemi, dès lors, mais un ennemi mortel du goût épigrammatique et raffiné, cher aux Fontenelle, aux La Motte et à toute la société de Mme de Lambert ; il exècre ce lambertinage comme il l’appelle, qui régnait sous la Régence et tenait le dé à l’Académie8. […] Ne proscrivons pas plus au nom du goût qu’au nom de la conscience ; toutes les orthodoxies ont leur danger. […] Il avait du goût, on l’a vu, et même des expressions. […] « Mme de Lambert avait beaucoup d’esprit, écrivait M. de La Rivière, si l’on peut en avoir sans goût… Elle ne sentait point les différences du bon, du meilleur et de l’excellent. […] J’ai été vingt-quatre ans sans entrer chez elle… » Ces antipathies, ces antagonismes de goûts et d’écoles sont de tous les temps ; ils se sont reproduits périodiquement dans l’histoire littéraire, et nous avons été témoins, il y a trente-cinq ans, de quelque chose de pareil.
Mêlés aux plaisirs, aux affaires, aux intrigues de leur temps, ils ont vécu de la vie la plus remplie, la plus animée et agitée, ils y ont développé et aiguisé leur esprit, leur goût ; et, lorsque ensuite ils ont pris la plume, leur langage y a gagné. […] Il savait la littérature latine, peu ou point de grec ; il avait du goût pour les lettres, de la curiosité pour la philosophie, et aimait la conversation des gens d’esprit et de pensée. […] Il éludait et déclinait l’effet du pardon royal sans trop paraître en faire fi, n’affectant rien, déguisant volontiers sa constance en nonchalance, homme de goût jusqu’à la fin. […] On a dans cette lettre tout un tableau de l’esprit d’un homme distingué, à le suivre dans ses goûts, dans ses lectures et dans les entretiens de l’amitié : c’est tout un inventaire moral. […] Il avait trop de goût pour être ridicule, et ceux qui le voient tel à cette distance n’ont pas pris la peine de se placer au point de vue.
Mais ces Condé avaient tous quelque chose de supérieur dans l’esprit ; ils avaient de vastes connaissances, un goût exquis ; ils aimaient le talent sous toutes ses formes. […] Rappelons-nous le goût de la société polie pour les Maximes, d’où était sorti le livre de La Rochefoucauld : et rappelons le goût de la même société pour les portraits, d’où était sorti le Recueil de Mademoiselle en 1659, et qui, dans les romans ou comédies, et jusque dans les sermons du siècle, mit tant de descriptions de caractères individuels. […] Il propose à l’Académie de faire une grammaire, une rhétorique, une poétique, des traités sur la tragédie, la comédie, l’histoire ; et à ce propos il dit ses idées, ses impressions, son goût sur les genres et sur les œuvres. […] Il nous découvre une délicatesse de goût sensible surtout à la couleur pittoresque et à la grâce élégiaque. […] Avec la Lettre à l’Académie, la relativité du goût devient secrètement le principe de la critique.
que Gœthe le connaissait bien, ce goût qui, sous tous les masques, même les plus romantiques, est toujours un peu au fond le goût de M. […] Il paraît qu’en fait de germanisme, le goût anglo-saxon lui-même ne peut pas tout porter ; mais il est plus robuste, il est moins petite bouche que le nôtre, et il permet de mordre davantage. […] Cousin, de « rester toujours à la maison. » Gœthe avait donc organisé sa vie avec ensemble, avec une suprême ordonnance, et dans l’intérêt de cette universalité de goûts qui était le caractère éminent de sa vaste intelligence. […] Celui-ci avait gardé des premières ferveurs révolutionnaires et antisociales de sa jeunesse et de son drame des Brigands un certain goût de cruauté. […] Il laissait reparaître en cela le fond de goût ovidien ou du moins olympien dont nous avons parlé.
Lui, il est critique, en quelque sorte, d’emblée et essentiellement ; on ne voit pas que ce goût se soit substitué chez lui à une vocation première, à une ardeur autre part déterminée. […] Magnin ne faisait que marquer son goût pour leurs ouvrages, sa familiarité dans leur commerce, et témoigner agréablement qu’il avait qualité comme critique des choses de théâtre. […] Voltaire l’a très-bien remarqué : « Un excellent critique serait un artiste qui aurait beaucoup de science et de goût, sans préjugés et sans envie. […] Après le génie grec, ce fut ce qui s’en rapproche le plus, le goût italien, le soleil d’Italie, l’art de Venise, de Florence, de Rome, qui l’enchantèrent le plus. […] Magnin à donner une traduction complète du Théâtre de cette abbesse, avec texte, introduction, notes, le tout d’un soin et d’un goût accomplis (1845).
Dans ce flot de rythmes et cet éblouissement d’images, l’oreille et les yeux font illusion à l’esprit, et c’est même la séduction de cette pièce, de surprendre le goût avant qu’il ait fait ses réserves. […] Où l’on voyait les règles de l’épopée appliquées avec un goût timide, on croyait lire un poème épique. […] Pour se défendre d’une prévention si forte, il ne fallait pas moins que la prévention contraire ; encore était-ce trop peu que cette prévention vînt du goût, s’il ne s’y ajoutait la passion contre la personne. […] J’en veux moins à la Henriade qu’à ses apologistes, de certaines de leurs excuses qui ont la prétention de se donner comme des règles de goût. […] Encore le sont-ils si peu que, sauf quelques passages charmants où ils sont naturels par le goût, je ne vois de rustique dans leurs poésies que l’archaïsme de leur langue.
Elles ont de commun un goût prononcé pour l’esprit, et pour la raison relevée d’un certain tour distingué, concis et neuf, qu’il ne tient qu’aux personnes peu bienveillantes de confondre avec le recherché et le précieux. […] Elle fut très considérable à ses origines et dans les premiers temps de son institution : le monde et la littérature, malgré quelques révoltes çà et là, reconnurent en elle la régulatrice de la langue et du bel usage, et même un tribunal souverain du goût. […] Boileau et La Fontaine attendirent longtemps avant d’être de l’Académie ; et, lors même qu’ils en furent, il y restait beaucoup de gens de l’ancien goût, et il s’en glissait déjà quelques-uns d’un goût nouveau, lequel n’était pas le plus pur. […] Comme je suis né simple par goût et peut-être par nécessité, je ne voulus point paraître complice d’un tel travers et je pris congé d’elle. […] On appelait cela du précieux et un retour à l’hôtel Rambouillet : on pourrait dire aussi bien que c’était déjà dans le sens et dans le goût du salon de Mme Necker.
Si l’on n’avait à consulter que ses propres goûts et ses prédilections, on serait bien vite décidé ; mais, quand il s’agit d’appliquer à des générations entières ce qui doit si puissamment influer sur elles, il est bien juste qu’on hésite. […] En face d’eux et dans le camp opposé, les Jésuites, si attentifs toujours aux besoins et aux goûts de la société présente, avaient également modifié l’enseignement, lui avaient donné un caractère de culture riante et fleurie, et l’avaient rendu plus accessible, au risque parfois de l’affaiblir. […] Nommé de nouveau recteur de l’Université en 1720, il ne resta que trois mois dans cette charge, toujours à cause de sa profession trop déclarée dans l’affaire de la bulle Unigenitus ; il y croyait sa conscience intéressée, et il y sacrifiait ses goûts et ses autres devoirs les plus chers. […] De même, sur le goût, il n’a guère à produire que des généralités incontestables : pourtant il y mêle des pensées des anciens, et c’est ici que le mérite et l’utilité se font sentir. […] Il n’enfante que des désirs mourants et des projets sans consistance… Ses goûts et ses pensées, par un contraste affligeant, appartiennent à la fois à tous les âges, mais sans rappeler le charme de la jeunesse, ni la gravité de l’âge mûr.
De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins Après le siècle de Louis XIV, et pendant le siècle de Louis XV, la philosophie a fait de grands progrès, sans que la poésie ni le goût littéraire se soient perfectionnés. […] La tyrannie, comme tous les grands malheurs publics, peut servir au développement de la philosophie ; mais elle porte une atteinte funeste à la littérature, en étouffant l’émulation et en dépravant le goût. […] Le style des auteurs latins, dans la troisième époque de leur littérature, a moins d’élégance et de pureté : la délicatesse du goût ne pouvait se conserver sous des maîtres si grossiers et si féroces. […] On peut aussi manquer de goût, comme Juvénal, lorsqu’on essaie, par tous les moyens possibles, de réveiller l’horreur du crime dans une nation engourdie. […] Vainement la plupart des féroces empereurs de Rome montrèrent-ils un goût excessif pour les jeux et pour les spectacles ; aucune pièce de théâtre digne d’un succès durable ne parut sous leur règne, aucun chant poétique ne nous est resté des honteux loisirs de la servitude.
Par-là elles resteront éternellement populaires : elles demeureront, de la Vierge catholique, la représentation la plus claire, la plus générale, la plus accessible, la plus bourgeoisement hiératique, la mieux appropriée au goût d’art de la piété. […] Ce goût déclaré qu’ils ont pour les civilisations arrivées à leur terme le plus raffiné fait aimer à MM. de Goncourt la Chine, le Japon, dont ils connaissent l’art travaillé, recherché et bizarre, avec ses merveilles d’imitation ou ses chimères, autant qu’on peut le connaître et l’apprécier de si loin. […] Pour les autres, pour le grand nombre de lecteurs, instruits même et cultivés, et plus ou moins gens de goût, cette vache toute seule, cette moitié de vache ne dit pas assez. […] Ce sont des modernes et de purs modernes ; ils marchent hors rang, courageux et unis, à leurs risques et périls, se tenant par goût aux avant-postes de l’art ; ils tentent constamment, ils cherchent sans cesse. […] Et puisque j’ai commencé de me découvrir, je ne m’arrêterai pas en si beau chemin et j’achèverai, s’il le faut, de me perdre dans l’esprit, de beaucoup de mes contemporains et des plus chers : oui, en matière de goût, j’ai, je l’avoue, un grand faible, j’aime ce qui est agréable.
De tout temps, même de bonne heure, il eut du tact ; le goût ne lui vint qu’ensuite. […] Le goût, pour lui, est la conscience littéraire de l’âme. […] Le bon goût lui-même, en ce cas, permet qu’on s’écarte du meilleur goût, car le goût change avec les mœurs, même le bon goût. […] J’ai emprunté à Voltaire ses articles « Goût » et « Style » du Dictionnaire philosophique, son Temple du goût, et quelques passages de ses lettres où il juge Boileau, Racine et Corneille. J’y ai joint, pour étendre un peu l’horizon à ce moment, quelques considérations sur l’esprit de Goethe et sur le goût anglais de Coleridge.
Tout le xviiie siècle, on peut le dire, ferait donc défaut et n’aurait, pour le représenter littérairement, que des femmes d’un mérite inégal et d’un goût mélangé, s’il n’avait à offrir Mme Du Deffand. […] Plus tard, dans sa vieillesse, on la voit, jusqu’à la fin, faire tant qu’elle peut de nouvelles connaissances pour combler les vides ou diversifier le goût des anciennes : elle dut faire à plus forte raison la même chose en amour durant la première moitié de sa vie. […] Walpole était un curieux, un amateur, antiquaire, bibliophile, ayant toutes sortes de goûts et peut-être même quelques manies. […] En fait d’histoire pourtant et de mémoires, elle se félicite d’avoir un rapport de goût avec lui. […] , elle n’a aucune de ses préventions, mais un goût plus universel.
Le jugement lui donne ce qu’on appelle le goût dans les arts, le goût, c’est-à-dire le discernement exquis, irréfléchi, mais pour ainsi dire infaillible, de l’esprit, qui lui fait dire : ceci est bon, ceci est mauvais ; ceci est dans la convenance des choses, ceci n’y est pas. […] C’est là que le génie français règne par le goût, qu’il maintient sa royauté par l’esprit, cette monnaie du génie à l’usage d’un plus grand nombre d’intelligences que le génie lui-même. […] C’est là ce qui distingue le satiriste du libelliste, l’homme de goût du vil envieux. […] Son amitié était si fidèle et son goût pour les hommes d’élite était si sûr qu’il ne se trompa dans aucune de ses prophéties. […] Homme de règle et de monarchie dans les lettres, Boileau sentit le besoin d’un gouvernement des lettres : il fonda le gouvernement du goût.
L’ascendant de David sur le goût de ses élèves pouvait-il être tyrannique, lorsque l’on compte parmi ceux-ci Drouais, Girodet, Gérard, Gros, M. […] Dès sa plus tendre enfance, Étienne avait montré du goût et quelque aptitude pour l’art du dessin. […] Alors, dans le public, ce goût ne faisait que commencer à se répandre. […] C’est bon, c’est bon, je suis toujours content quand je m’aperçois qu’un homme a des goûts bien prononcés ; c’est toujours bon signe. […] Dans celui des Sabines, je traiterai cette partie de l’art avec plus d’adresse et de goût.
Comme tel, comme arbitre secret des âmes, il a eu ses erreurs, il a dévié, il s’est livré surabondamment à ses goûts et à sa prédilection. […] Au-dedans, vous avez à surmonter le goût d’une vie délicate, un esprit hautain et dédaigneux, avec une longue habitude de dissipation. […] Je le prie de tout mon cœur, madame, de vous ôter non seulement vos défauts, mais encore ce goût de grandeur dans les vertus, et de vous rapetisser par grâce. […] Il est plein d’abus de goût ; il s’amuse, il folâtre, il se joue. […] En général, on le voit, la simplicité délicate de Fénelon n’est pas cette simplicité d’où l’on part, c’est celle à laquelle on revient à force d’esprit, à force d’art et de goût.
Mesnard et en voyant un magistrat éminent et un homme politique aussi distingué profiter de quelques moments de loisir pour traduire Dante comme autrefois l’on traduisait Horace, ma première pensée a été de me dire qu’il avait dû se passer en France toute une révolution littéraire, et qu’un grand travail s’était fait dans les portions les plus sérieuses de la culture intellectuelle et du goût. […] Telle était alors l’opinion, en France, des gens de goût. […] Mais il est des courants de pensée qu’on ne peut établir qu’en combattant nettement les courants contraires ; il est des révolutions dans le goût et dans les manières de voir qui ne peuvent réussir qu’en s’appelant de leur nom et se dessinant hardiment, et non par voie insensible et de transaction. […] Un homme plus jeune, sorti comme Ginguené de la philosophie du xviiie siècle, et qui tenait par ses habitudes premières à la société d’Auteuil, Fauriel était destiné à opérer ce changement profond dans le goût, je ne dirai pas du public, mais de tous les littérateurs instruits et de la portion la plus éclairée de la jeunesse française. […] S’il nous est donné aujourd’hui, grâce à tant de travaux dont il a été l’objet, de le mieux comprendre dans son esprit, et de le révérer inviolablement dans son ensemble, nous ne saurions abjurer (je parle au moins avec la confiance de sentir comme une certaine classe d’esprits) notre goût intime, nos habitudes naturelles et primitives de raisonnement, de logique, et nos formes plus sobres et plus simples d’imagination ; plus il est de son siècle, moins il est du nôtre.
Cousin s’est enfoncé dans l’érudition, dans la philologie, dans la bibliomanie, dans les goûts d’antiquaire, et il y est resté. […] Un érudit est un maçon, un philosophe est un architecte ; et quand l’architecte, sans nécessité absolue, au lieu d’inventer des méthodes de construction, s’amuse à tailler, non pas une pierre, mais cinquante, c’est que, sous l’habit d’un architecte, il a les goûts d’un maçon. […] Désormais tout écrivain qui entreprendra l’histoire du goût et de la pensée au dix-septième siècle devra profiter de ses veilles ; il n’aura plus qu’à tailler et à assembler les matériaux que M. […] Cet amour des textes et ce goût du détail appliqués à la critique littéraire ont produit deux œuvres fort belles, la restitution des Pensées de Pascal et le Commentaire du Vicaire savoyard. […] C’est une gloire plus rare encore d’être resté homme de goût, homme éloquent, amateur d’idées générales, parmi des détails si insipides et des argumentations si sèches.
Ce « je ne sais quoi », c’est peut-être ce que j’y sens de trop éloigné de mes goûts, de mon idéal de vie, des vertus que je préfère et que je souhaiterais le plus être capable de pratiquer ou tout simplement, si vous voulez, de mon tempérament. […] C’est un soldat, Un administrateur et un diplomate, et qui a le goût de ces diverses fonctions. […] Ne point se former le goût sur l’exemple de mes devanciers, mais à coups d’analyse, en recherchant comment la poésie plaît aux hommes et comment elle peut parvenir à leur plaire autant que possible. » Et alors il s’impose d’énormes lectures. […] Il a le goût et l’amour de la naïveté et de la vérité. […] Ce que nous raconte le journal, c’est peut-être l’aventure d’un grand homme d’action paralysé peu à peu par un incomparable analyste, — lequel a gardé d’ailleurs, dans ses œuvres écrites, le goût le plus décidé pour l’énergie humaine.
Dans tous les deux mêmes originalités, même fraîcheur d’idées, même luxe d’images neuves et vraies, seulement l’un est plus grave et même plus mystique dans ses peintures ; l’autre a plus d’enjouement, plus de grâce, avec beaucoup moins de goût et de correction. […] Cette place ne sera jamais, je pense, celle des écrivains classiques dignes d’être proposés comme modèles, sans restriction, aux étrangers et aux jeunes esprits dont le goût n’est pas encore entièrement formé. […] En admirant ses poésies, où l’on aperçoit plusieurs des parties des grands poètes, on y verra aussi la marque de l’inexpérience et de l’inachèvement ; on les regardera, non comme des pièces accomplies, mais comme des fragments, des ébauches, qui ne présentent guère, si ce n’est dans une ou deux pièces, une page entière où l’on ne reconnaisse, à côté des plus heureuses qualités de l’harmonie, de la sensibilité, de la grâce, les traces de l’affectation et de faux goût. […] Le goût pur de Fontanes, la grâce attique de Joubert s’étaient laissé séduire à la fraîche muse du poète.
Il osa s’élever contre le goût de son siècle, & se brouiller avec la plus belle moitié du genre humain. […] Il ne connoissoit point ce qu’on appelle goût, graces, convenance. […] Son envie de dogmatiser sur le goût, alloit au point, que, pour critiquer le Pastor fido, il n’attendit pas que la pièce fût imprimée. […] Chacun voulut avoir la pastorale : on en tira des copies ; & c’est sur ces copies, la plupart fautives, que de Nores déclama contre le goût des pièces modernes.
La faute de français paraît lui cacher la faute de goût. […] Par lui le goût des lettres espagnoles s’introduisait à la cour, et de la cour se répandait parmi les auteurs, avec le désir d’imiter ce qu’il était de mode d’admirer. […] Changer de goût littéraire, c’est tout au moins confesser qu’à une certaine époque on ne l’a pas eu bon, et personne n’aime à faire cet aveu-là. […] Pour ses éloges, il ne les gâta point par cet excès qui prouve que, dans nos admirations, c’est notre propre goût que nous admirons. […] Boileau ne s’adresse plus au poète ni au juge des écrits, mais à l’homme ; non plus au goût, mais à la conscience.
Lisant sans autre but que de s’instruire et de se charmer, de revenir à la source de la juste éloquence et des pensées salutaires, il n’a guère pris la plume en littérature que pour exprimer ce sentiment vif, l’amour et le goût des bonnes et vieilles œuvres. […] D’ailleurs, M. de Sacy ne s’est jamais donné comme un critique de profession, un critique complet, aspirant à tracer un tableau littéraire de son temps : il se borne à traduire avec feu et à nous livrer avec candeur une image de ses goûts intègres, de ses prédilections restées toutes sérieuses et probes. […] Il ne s’en ennuie pas, c’est son goût et son mérite ; et chaque fois que l’occasion s’en présente, il y rentre avec ardeur et verve ; il redit ce qu’il ne rougit pas de penser avec tous les maîtres ses prédécesseurs, mais il le redit bien comme le pensant lui-même et comme venant de se retremper vivement au bouillon de la source. […] Il nous donne ingénument ses raisons, raisons d’homme de goût et qui sait les délicatesses du sentiment. […] Aussi, sans viser à l’originalité dans la critique, et par la seule droiture de son goût, par l’incorruptible fidélité de ses affections comme de ses répugnances, il remplit parmi nous une place à part, il tient un coin qu’on ne prendra pas et qui n’est qu’à lui.
Mais le propre de cette aimable société de la caserne et de Feuillancour, c’est que la distinction, l’élégance, le goût de l’esprit surnageaient toujours jusque dans le vin et les plaisirs. […] L’oreille était satisfaite par un rythme pur, mélodieux ; le goût l’était également par une diction nette, élégante, et qui échappait au jargon à la mode, au ton du libertinage ou de la fatuité. […] Je sais que tout a changé ; nous n’en sommes plus à Horace en fait de goût, nous en sommes à Dante. […] J’insiste sur ce travers de notre goût, sur cette gloriole de notre esprit. […] Parny est trop entièrement épris et trop paresseux pour aller faire comme André Chénier, pour revenir, par une combinaison de goût et d’érudition, aux maîtres de la lyre éolienne.
Tout ce qui contribuerait à nous rendre dans l’expression la netteté première, à débarrasser la langue et l’esprit français du pathos et de l’emphase, de la fausse couleur et du faux lyrique qui se mêle à tout, serait un vrai service rendu non seulement au goût, mais aussi à la raison publique. […] Il faisait des couplets dans le goût de Coulanges ; il écrivait à ses amis des lettres en prose entremêlée de vers dans le goût de Chaulieu. […] Mais eût-ce été un autre que l’indigne Soulavie, eût-ce été Rulhière en personne qui eût tenu la plume, il n’y aurait apporté que ce qu’on peut prévoir et deviner ; il y aurait mis du mordant et du goût. […] En attendant, c’est profit de se remettre en goût de temps en temps avec ces auteurs faciles qu’on a sous la main, et qui n’ont rien de vieux. […] On noterait deux ou trois traits pareils d’un goût équivoque, et ce ne serait que justice chez un railleur qui ne passe rien.
Tout avait été dit sur André Chénier, tout ce que le goût et une vivacité délicate et passionnée peuvent inspirer à une simple lecture ; il restait un travail à faire et d’un détail infini, qui demandait une longue patience, un savoir ingénieux et sagace : c’était de traiter André Chénier comme un ancien, comme un classique qu’il est, de fixer son texte, d’éclaircir tout ce qui se passe de voilé ou de transparent dans ses poésies, de les rattacher avec précision aux diverses circonstances connues de sa vie, de rassembler autour de lui toutes ses sources et ses origines littéraires, d’indiquer toutes les fleurs où il est allé butiner, toutes les ruches ou il est allé piller son miel. […] Becq de Fouquières, jeune officier, avait conçu cette idée d’homme de goût et d’érudit dans le temps où, « un André Chénier à la main, il trompait les longues oisivetés de la vie militaire » ; devenu libre, il s’est empressé de se mettre à l’œuvre, et, d’abord, de se pourvoir de tous les instruments indispensables à l’exécution, parmi lesquels il faut compter au premier rang une connaissance des plus fines de la langue grecque. […] Sachant le grec dès l’enfance et comme sa langue maternelle, il étudie le français, et il s’y applique « avec le soin et l’exactitude qu’on met à approfondir une langue ancienne. » Il commente Malherbe, il possède à fond son Montaigne, son Rabelais ; il ignore Ronsard, et ce ne fut pas un malheur, car s’il doit renouveler à quelques égards la tentative de Ronsard, ce sera sans fausse réminiscence et « avec le goût pur de Racine. » M. […] Il a fallu bien des années, bien des efforts et des bégayements de l’admiration et de la critique pour arriver à le refaire et à le compléter ainsi ; mais ces efforts n’ont pas été vains, mais on ne s’était point trompé dans un premier élan d’enthousiasme et de sympathie filiale ou fraternelle ; on ne l’avait point porté trop haut, et l’étude attentive, approfondie, n’a fait que justifier les désirs du cœur et confirmer les pressentiments du goût. […] Toute politique à part, c’est une faute de goût et une dissonance.
Nous avons vu que le naturalisme classique est le produit d’une combinaison d’éléments dissemblables : le rationalisme et le goût esthétique. Issus tous les deux de la Renaissance, le rationalisme et le goût esthétique étaient pourtant deux courants qui portaient en sens contraire. […] Nous avons parlé plus haut de ces épopées prosaïquement emphatiques, auxquelles le goût précieux avait donné naissance. […] Au fond, Boileau était dans une fausse position : il était très « moderne » lui-même, et la façon dont il a habillé son Longin à la française montre la puissance qu’a sur lui le moyen goût de son siècle. […] Enfin, avec une étonnante sûreté de goût, il faisait le départ des œuvres immortelles du xviie siècle ; il séparait les Molières des Sarrasins : il disait, pour faire valoir son temps, précisément les noms que nous disons encore.
En créant Constantinople, il donna une nouvelle direction à l’Orient, établit un nouveau centre de commerce, posa certaines barrières, en abaissa d’autres, et fit revivre, ou conserva pendant mille ans, au fond de la Thrace, une partie du goût et des lumières de la Grèce. […] D’ailleurs, la naissance du christianisme dans ces climats, le renouvellement du platonisme, l’école d’Alexandrie, le choc des deux religions, le zèle ardent des païens pour attaquer, le zèle des chrétiens pour se défendre, tout dans l’Orient contribuait à entretenir la culture et le goût ; des évêques étudiaient Homère ; des saints se nourrissaient d’Aristophane ; Platon était presque aussi souvent cité qu’un Père de l’église : c’était un arsenal ennemi où le christianisme venait s’armer, et l’on combattait les fables et la mythologie des Grecs avec l’éloquence des Grecs mêmes. […] De tout cela ensemble, dut naître un mélange de beautés et de défauts, de négligence dans le style et de grandeur dans les idées, quelquefois toute la force et toute l’impétuosité du zèle religieux, quelquefois toute la faiblesse d’une morale froide et monotone, ce qui peut souvent frapper l’imagination, ce qui doit souvent révolter le goût. […] Son goût pour les sciences multiplia encore ses panégyriques ; car c’est une espèce de séduction à laquelle les philosophes même ne résistent pas. […] Cependant on rencontre quelques beautés de détail et des lueurs d’éloquence ; car dans les siècles qui penchent vers la barbarie, ou qui en sortent, il est encore plus aisé, sans doute, de trouver de l’éloquence que du goût.
Ses autres Poésies sont dans le même goût, mais n’ont pas toujours le même agrément. […] De là, la plus grande liberté dans ses goûts, comme dans ses idées : de là, plus de naturel que de politesse, moins de délicatesse que de licence & de débauche. […] Chapelle aimoit la bonne chere encore plus que la Poésie, & joignoit à ces deux goûts celui des bons mots.
Il faut être d'une extrême indulgence ou peu attentif à observer le mérite d'un Ouvrage, pour assurer, comme l'a fait l'Auteur du Nouveau Dictionnaire historique, que cette Histoire de Louis XIV mérite en général de satisfaire les Gens de goût. Le goût est plus difficile à contenter ; il exige de l'ordre, de la clarté, de la méthode ; il demande de la chaleur & de l'intérêt dans l'exposition des faits, du discernement dans le choix des autorités, & une noblesse d'expressions assorties aux événemens qu'on raconte : or, c'est ce que M. […] Il est aussi peu sensé au Lexicographe de dire, en se contrariant, que ce même Ouvrage seroit plus digne des Gens de goût, si quelque homme instruit vouloit le corriger sur l'Histoire du Siecle de Louis XIV de M. de Voltaire.
Ô toi dont, un seul jour, j’osai nier la loi, Veux-tu bien, Despréaux, que je parle de toi, Que j’en parle avec goût, avec respect suprême, Et comme t’ayant vu dans ce cadre qui t’aime ! […] Fut d’enseigner leur siècle et de le maintenir, De lui marquer du doigt la limite tracée, De lui dire où le goût modérait la pensée, Où s’arrêtait à point l’art dans le naturel, Et la dose de sens, d’agrément et de sel, Ces talents-là, si vrais, pourtant plus que les autres Sont sujets aux rebuts des temps comme les nôtres, Bruyants, émancipés, prompts aux neuves douceurs, Grands écoliers riant de leurs vieux professeurs. Si le même conseil préside aux beaux ouvrages, La forme du talent varie avec les âges, Et c’est un nouvel art que dans le goût présent D’offrir l’éternel fond antique et renaissant. […] Dans l’époque, à la fois magnifique et décente, Qui comprit et qu’aida ta parole puissante, Le vrai goût dominant, sur quelques points borné, Chassait du moins le faux autre part confiné ; Celui-ci hors du centre usait ses représailles ; Il n’aurait affronté Chantilly ni Versailles, Et, s’il l’avait osé, son impudent essor Se fût brisé du coup sur le balustre d’or.
Au reste, ceux et surtout celles qui sont dignes d’avoir du goût y arrivent assez tôt, et de bien des manières. […] Pourtant cette jouissance du goût laisse après elle une impression inquiétante et soulève dans l’esprit un problème qui lui pèse. Que le goût ne soit pas la même chose que la morale, nous le savons à merveille ; mais est-il possible qu’il s’en sépare à ce point, et que la perfection de l’un se rencontre dans la ruine et la perversion de l’autre ? […] Disons vite qu’il est un certain goût primitif et sain, né du cœur et de la nature, plus rude parfois, mais tout généreux, et dont la franche saveur répare et ne s’épuise pas. […] Et comment peut-on mieux témoigner qu’on est stupide et sans goût, que d’être insensible aux charmes de l’esprit ?
Un goût décidé pour les Beaux-Arts, a fixé ses délassemens sur la Poésie & la Littérature. […] Ceux dont le goût est un peu sévere, n'y trouvent pas, à la vérité, une versification assez châtiée. […] On peut dire encore, à la gloire de son goût & de ses connoissances, que le Public cesseroit de se plaindre des négligences & des bévues tant reprochées aux Editeurs & aux Coopérateurs du Dictionnaire Encyclopédique, si tous les Articles y eussent été traités, chacun dans leur espece, par des Ecrivains aussi instruits, aussi méthodiques, aussi précis, que lui.
Daru dont il était parent, il regardait à mille choses, à un opéra de Cimarosa ou de Mozart, à un tableau, à une statue, à toute production neuve et belle, au génie divers des nations ; et tout bas il réagissait contre la sienne, contre cette nation française dont il était bien fort en croyant la juger, contre le goût français qu’il prétendait raviver et régénérer, du moins en causant : c’était là être bien Français encore. […] À Vienne, à Milan, à Naples, on sent autrement : mais Beyle, à force de nous expliquer cette différence et d’en rechercher les raisons, d’en vouloir saisir le principe unique à la façon de Condillac et d’Helvétius, que fait-il autre chose lui-même, sinon, tout en frondant le goût français, de raisonner sur les beaux-arts à la française ? Au fond, quand il s’abandonne à les goûts et à ses instincts dans les arts, Beyle me paraît ressembler fort au président de Brosses : il aime le tendre, le léger, le gracieux, le facile dans le divin, le Cimarosa, le Rossini, ce par quoi Mozart est à ses yeux le La Fontaine de la musique. […] Il en veut à mort aux La Harpe, à tous les professeurs de littérature et de goût, qui précisément corrompent le goût, dit-il, et qui, en fait de plaisirs dramatiques, vont jusque dans l’âme du spectateur « fausser la sensation ». […] Le goût du vrai et du naturel qu’il met en avant a souvent, de sa part, l’air d’une gageure ; c’est moins encore un goût tout simple qu’une revanche, un gant jeté aux défauts d’alentour dont il est choqué.
Je crois qu’il prévoyait moins cela alors, qu’il n’obéissait à un goût naturel, à un besoin chez lui très caractérisé et qu’ont noté tous ceux qui l’ont bien connu. […] Ce grand monde et ces salons qui se disputaient Voltaire l’accomplirent à certains égards et firent de lui le poète du tour le plus vif, le plus aisé, l’homme de lettres du goût le plus naturellement élégant. […] Le théâtre, la tragédie, qu’adorait Voltaire et où il excellait selon le goût de son temps, le livrait au public par un plus noble côté. […] Mais je ne sais si ma petite fortune, très dérangée par tant de voyages, ma mauvaise santé, plus altérée que jamais, et mon goût pour la plus profonde retraite, me permettront d’aller me jeter au travers du tintamarre de Whitehall et de Londres. […] Il vient un temps, aimable Thalie, où le goût du repos et les charmes d’une vie retirée l’emportent sur tout le reste.
Les plus marqués, les plus originaux, non seulement parmi les hommes mais parmi les écrivains, sont ceux qui ne comprennent pas tout, qui ne sentent pas tout, qui n’aiment pas tout, dont la science, l’intelligence et les goûts sont nettement délimités. […] Taine, il tient l’esprit scientifique, certaines habitudes de composition et de langage et le goût des grandes généralisations ; de M. […] Il a, ce qui est presque toujours la marque d’une éducation chrétienne, le goût de la chasteté. […] Du reste, un goût inné le portait vers ce monde, vers la vie qu’on mène aux alentours de l’Arc de Triomphe et vers les âmes et les corps de femmes qui y habitent. Peut-être seulement a-t-il avoué ce goût avec un rien de complaisance.
Point de loi, point de doctrine, l’instinct est le seul juge ; le sentiment et le goût individuel, les seules autorités ; mon plaisir est la loi suprême. […] On a cessé de mépriser les époques primitives, de préférer les ornements du goût aux audaces du génie, de repousser le familier et le naïf, de trouver ridicules les mœurs et les goûts qui ne sont pas les nôtres. […] Nous voulons donc aujourd’hui que la critique trouve moyen de concilier les lois éternelles du goût, sans lesquelles il n’y a plus de différence entre les bons et les mauvais ouvrages, et cette liberté des formes sans laquelle il n’y a ni création ni spontanéité dans les œuvres d’art. […] De là le prix qu’il faut attacher à la tradition en littérature, non sans réserve toutefois, car il peut arriver que la tradition ne soit que la continuation irréfléchie d’un faux goût. La littérature française a ainsi passé à plusieurs reprises par certaines manies qui ont duré un jour, ont enchanté les ruelles ou les salons pendant une saison, et ont disparu chacune à son tour : le précieux, le galant, le grotesque, le pompeux, le pleureur, le voluptueux, le lugubre, l’imitation italienne, espagnole, anglaise, allemande, grecque, tous ces faux goûts ont successivement succombé ; mais à côté de ces fausses beautés il y en avait d’autres vraies, générales, durables, qui ont subsisté.
Réflexions sur la poésie, écrites à l’occasion des pièces que l’Académie française a reçues en 1760 pour le concours On voit tous les jours des gens d’esprit, et même des gens de goût, qui ayant été dans leur jeunesse enthousiastes de la poésie, et ayant fait leurs délices de cette lecture, s’en dégoûtent en vieillissant, et avouent franchement qu’ils ne peuvent plus lire de vers. […] Si la philosophie inspire le goût des lectures utiles, le plus grand mérite auprès d’elle est de joindre l’agrément à l’utilité ; par là on rend nos plaisirs plus réels et plus durables. […] L’homme de goût est encore bien plus difficile sur la diction dans les vers que dans la prose. […] Il me semble entendre déjà l’anathème lancé contre lui de toutes parts, et surtout par cette espèce de connaisseurs qu’on appelle gens de goût par excellence, gens de goût tout court, qui jugent de tout sans rien produire, et qui en matière de plaisir protègent les anciens usages. Malheureusement ces gens de goût, qui déclameraient le plus contre la nouveauté que nous proposons, ne s’apercevraient pas qu’ils entendent tous les jours au Concert Spirituel de la prose latine à demi barbare, sans que leurs oreilles délicates en soient offensées.
La coutume même et la nécessité de parler sur-le-champ, quelque piquante qu’elle dût être, et de quelques études qu’elle fût précédée, devait nuire au véritable goût de l’éloquence. […] L’orateur corrompait le goût du peuple, et l’indulgence du peuple corrompait l’orateur. […] La corruption du goût, qui naît des vices et des passions fortes, est différente de celle qui naît du défaut d’énergie, et de l’oisiveté qui s’amuse de tout ; l’une fait trop d’efforts, l’autre n’en fait pas assez : ainsi l’une exagère, l’autre affaiblit, et par là même peut-être le goût à Rome était plus près d’une décadence entière que dans la Grèce et dans l’Asie ; car celui qui ne va pas où il peut aller, est bien plus près de la nature que celui qui est emporté au-delà. En fait de goût, il faut moins de force pour remonter au but, que pour y redescendre. […] La fin de ce discours est une fiction moitié poétique et moitié morale, dans le goût de celles de Lucien.
Peu d'Hommes ont eu un goût plus vif pour les Lettres & les Arts, & ont été aussi jaloux de la gloire de ceux qui les ont cultivés. […] Après tout, si cette indulgence peut paroître excessive aux yeux des Gens de goût, l'ouvrage n'en fait pas moins d'honneur aux sentimens de M. […] Titon avoit assez de lumieres, de justice & de goût, pour lui préférer le grand Rousseau.
Il est fait pour tourner la tête à deux sortes de gens ; son élégance, sa mignardise, sa galanterie romanesque, sa coquetterie, son goût, sa facilité, sa variété, son éclat, ses carnations fardées ; sa débauche, doivent captiver les petits-maîtres, les petites femmes, les jeunes gens, les gens du monde, la foule de ceux qui sont étrangers au vrai goût, à la vérité, aux idées justes, à la sévérité de l’art ; comment résisteraient-ils au saillant, au libertinage, à l’éclat, aux pompons, aux tétons, aux fesses, à l’épigramme de Boucher. […] Ils ont ce me semble, la même imagination, le même goût, le même style, le même coloris.
Ayez du goût comme des Anglais, de l’esprit comme des Allemands ; c’est le seul moyen qui vous reste de cueillir encore des couronnes. […] Aussi voyons-nous qu’après nous avoir tant reproché d’être mobiles dans nos goûts, dans nos habitudes, dans nos affections, ils nous accusent au contraire d’opiniâtreté dans nos idées littéraires. […] Il y a cependant bien plus longtemps encore qu’ils écoutent et qu’ils admirent Shakespeare, ceux qui s’étonnent de la constance de notre goût pour Racine. […] Ce goût, immuable depuis deux siècles, avait dominé Shakespeare lui-même et tyrannisé son génie. […] la multitude en tout pays, n’a déjà que trop de goût pour le spectacle des supplices qui, vrais ou imaginaires, devraient inspirer presque autant d’horreur que les crimes.
Encore un trait du caractère artiste : le goût de la solitude. Le goût de la solitude chez cet homme qui plaisait tant dans le monde et qui se plaisait tant dans le monde, le goût de la solitude a été continuel, et il a été chez lui — il ne faut guère se servir du mot profond quand on parle de La Fontaine — mais il a été presque profond chez lui ; il a été, en tout cas, très pénétrant. […] Mais je ne changerais peut-être pas mon sort pour le vôtre. » Goût de la solitude avec le goût de l’indépendance. […] Au fond de La Fontaine, il y a un véritable Rousseau par la plupart de ses goûts, de ses tendances, de ses tournures d’esprit, et même un peu par sa sensibilité. Oui, La Fontaine a été un Rousseau, c’est-à-dire qu’il a eu le goût de l’indépendance et de la solitude poussé à un très grand point et mélangé d’un certain goût, toujours persistant aussi, pour les plaisirs de la société.
Il se prend résolument pour point de départ de ce qu’il préfère ; son goût personnel entraîne tout son jugement dans une seule et même verve. […] Distingué par la reine Anne d’Autriche, devenu vers la fin son prédicateur de prédilection, Bossuet avait d’abord dans le talent quelque luxe d’esprit, quelques-unes de ces subtilités abondantes et ingénieuses qui tenaient au goût du jour. […] festin étrange selon le siècle, mais que Jésus a jugé digne de son goût ! […] Bossuet, en parlant en sa présence, sentit, pour un certain goût élevé, qu’il avait en face de soi un régulateur. […] À l’honneur et non à la honte du temps, le goût et le sentiment public se rendirent compte de la différence.
Il y montra plus de curiosité d’art et de goût de forme que d’esprit critique et de philosophie… Son livre, son Pèlerin passionné, vaut qu’on en parle, d’abord parce qu’on y trouve çà et là de l’aimable et même de l’exquis… Pour ma part, la prosodie de M. Jean Moréas déconcerte un peu mon goût sans trop le blesser. […] Mais ne vous y trompez pas ; avec tous les défauts et tous les travers de son école, il est artiste, il est poète ; il a un tour à lui, un style, un goût, une façon de voir et de sentir. […] Il reste Ériphyle, mince recueil fait d’un poème et de quatre « sylves », le tout dans le goût de la Renaissance et destine à être le cahier d’exemples où les jeunes « Romans » aiguillonnés aussi par les invectives un peu intempérantes de M.
Ils ne reconnoîtront dans l'accueil qu'on fait à ces sortes de Productions, que la corruption du goût des Spectateurs ; & dans les Auteurs, que l'impuissance d'atteindre à ce vrai comique, sans lequel il n'est plus de Comédie. […] Ils aiment mieux plaire quelques instans, se faire applaudir aux dépens du goût & de la raison, que de s'assujettir aux regles qu'exige la véritable Comédie. […] Ce n'est pas au caprice du Public à diriger la maniere des Auteurs : c'est aux bons Auteurs à fixer le caprice du Public, en lui présentant des Ouvrages d'accord avec le goût & la raison.
Bénie soit à jamais la mémoire de celui qui en instituant cette exposition publique de tableaux, excita l’émulation entre les artistes, prépara à tous les ordres de la société, et surtout aux hommes de goût, un exercice utile et une récréation douce ; recula parmi nous la décadence de la peinture de plus de cent ans peut-être, et rendit la nation plus instruite et plus difficile en ce genre. C’est le génie d’un seul qui fait éclore les arts ; c’est le goût général qui perfectionne les artistes. […] Toutes les sortes de goût, un cœur sensible à tous les charmes, une âme susceptible d’une infinité d’enthousiasmes différents, une variété de style qui répondît à la variété des pinceaux ; pouvoir être grand ou voluptueux avec Deshays, simple et vrai avec Chardin, délicat avec Vien, pathétique avec Greuze, produire toutes les illusions possibles avec Vernet.
Des ruines en arcades, placées sur le devant et occupant tout l’espace de la gauche à droite, dérobent le massif lourd et sans goût sur lequel elle est élevée ; il y a de l’esprit à cela. […] La figure brisée avec l’ornement est d’excellent goût ; ces eaux ramassées sur le devant ont de la transparence ; mais le tout est gris ; mais il est sec, mais il est dur, mais la lumière forte est trop égale, mais son effet blesse les yeux, mais les figures sont mal dessinées ; mais ce tableau, mis malignement à côté de la galerie antique de Robert, fait sentir l’énorme différence d’une bonne chose et d’une excellente. […] En général les morceaux de Machy sont gris ou d’un jaune de paille ; ce sont des ruines toutes neuves. à parler rigoureusement, il ne peint pas, c’est une estampe qu’il enlumine précieusement, avec un goût et une propreté exquise, aussi ses tableaux ont-ils toujours un œil dur et sec.
— C’est que vous doubleriez votre peine, et qu’à la perte du temps, vous ajouteriez celle du goût, en vous accoutumant à des tours vicieux et barbares. […] Ces deux langues renferment de si grands modèles en tous genres, qu’il est difficile d’atteindre à l’excellence du goût sans les connaître. […] Denys d’Halicarnasse, l’Histoire romaine et quelques ouvrages de grand goût et de peu de lecteurs. […] Les meilleurs ouvrages dans tous ces genres sont les auteurs mêmes avec un professeur intelligent qui sache les commenter avec goût. […] L’élévation d’Horace dans ses odes, sa raison dans ses épîtres, sa finesse dans sa satire, son goût exquis dans tous ses ouvrages.
Bientôt après, la passion du cardinal de Richelieu pour les spectacles mit le goût de la comédie à la mode ; et il y avait plus de sociétés particulières qui représentaient alors, que nous n’en voyons aujourd’hui. […] Louis XIV, qui avait un goût naturel et l’esprit très juste, sans l’avoir cultivé, ramena souvent, par son approbation, la cour et la ville aux pièces de Molière. […] Le goût du public s’est tellement perfectionné depuis, que cette comédie ne paraît aujourd’hui inimitable que par son extrême impertinence. […] On voit par là combien l’habitude a de puissance sur les hommes, et comme elle forme les différents goûts des nations. […] On voulut donner au roi et à la cour pour l’hiver de 1670, un divertissement dans ce goût, et y ajouter des danses.
Excepté l’agriculture qui soutire un peu, tout le reste prospère d’une manière surprenante ; l’idée de la stabilité pénètre pour la première fois depuis cinq ans dans les esprits, et avec elle le goût des entreprises. […] Ce n’est pas à vous, mon cher Mill, que j’ai besoin de dire que la plus grande maladie qui menace un peuple organisé comme le nôtre, c’est l’anéantissement graduel des mœurs, l’abaissement de l’esprit, la médiocrité des goûts : c’est de ce côté que sont les grands dangers de l’avenir. […] Je n’ai pu encore me remettre dans le courant d’idées et de souvenirs qui peuvent me donner du goût pour ce travail ; et, en attendant que l’inspiration revienne, je me suis borné à rêvasser à ce qui pourrait être pour moi le sujet d’un nouveau livre, car je n’ai pas besoin de te dire que les Souvenirs de 1848 ne peuvent point paraître devant le public. […] Je suis l’homme du monde le moins propre à remonter avec quelque avantage contre le courant de mon esprit et de mon goût ; et je tombe bien au-dessous du médiocre, du moment où je ne trouve pas un plaisir passionné à ce que je fais. […] Toutes ces réflexions, je pourrais dire toutes ces agitations d’esprit, m’ont naturellement porté, dans la solitude où j’habite, à rechercher plus sérieusement et plus profondément l’idée-mère d’un livre, et j’ai senti le goût de te communiquer ce qui m’est venu dans l’imagination et de te demander ton avis.
On s’attache d’ordinaire à son sujet, on y prend goût, on y porte amour et indulgence : ici c’est le contraire. […] Nisard s’est efforcé de faire, en traduisant Perse, afin d’aggraver les torts de goût du poëte. […] Tous les défauts de goût ne consistent pas (tant s’en faut !) […] Nisard, au reste, s’est enfoncé de plus en plus fort dans la même illusion de goût, lorsque, plus tard, il n’a écrit si au long et parlé si haut sur Carrel que pour faire aboutir immédiatement l’éloge à M. le duc d’Orléans. […] Eu même temps qu’il célèbre les maisons de campagne de ses amis, il parle de leurs mœurs, de leurs goûts, de leur âme.
L’Académie française, dans le désir d’exciter les fortes études de lettres et la hardiesse sévère du goût, avait proposé, il y a quelques années, un prix extraordinaire pour la meilleure traduction en prose ou en vers de Pindare. […] Mais, je m’arrête : je voulais indiquer un fait dans l’histoire du goût, et non médire de Boileau qui, dans son domaine, était grand poëte aussi. […] Cette érudition, d’un goût excellent de style dans sa sobriété, était un peu timide dans ses jugements. […] Cet oubli d’un homme de goût marquait bien le déclin commencé du style. […] Il ajoutait des ornements à cette poésie concise comme la perfection du goût.
Il faut fournir aux comédiens, même aux dépens du bon sens et du goût, des tirades où ils puissent briller. […] Cette union de l’héroïsme militaire avec la galanterie fut longtemps dans le goût espagnol et français. […] Le goût de Richelieu pour le théâtre ennoblit tout à la fois les acteurs et les auteurs. […] Le style de Pompée est moins correct, plus rempli de fautes contre le goût. […] Croit-on que sa chute importe à l’honneur du goût de Voltaire ?
L’abbé Prévost y insiste et le discute, au sujet même de l’abbé de Pons : Je ne sais, dit-il22, par quel préjugé on s’est persuadé depuis quelque temps que les cafés sont une mauvaise école pour l’esprit et pour le goût. […] On a recueilli ce qu’on a pu de ses écrits depuis sa mort pour composer ce recueil, et véritablement on y lit avec plaisir l’homme de goût, l’homme de belles-lettres, le philosophe. […] Ce qu’il dit contre les stupides admirateurs des anciens à propos de L’Iliade française me semble d’une grande justesse ; mais son La Motte n’est pas si grand poète qu’il dit, quoique homme de beaucoup d’esprit et de goût. Et M. d’Argenson, qui est sans gêne dans son tête-à-tête et dont tous les jugements d’ailleurs ne sont pas articles de foi, note dans ce volume de l’abbé de Pons qu’il vient de lire « un petit traité De l’origine des âmes qui est, dit-il, une miniature de métaphysique. » L’abbé Trublet, autorité peu considérable en matière le goût, mais témoin exact des faits, nous dit de son côté : Je n’ai connu personne qui écrivît plus facilement que l’abbé de Pons, quoique d’un style très singulier et en apparence très recherché. […] La plupart des gens croient avoir donné une haute idée de leur goût lorsqu’ils ont reproché durement à un auteur quelques fautes sensibles de son ouvrage.
Nous avons foi, nous Français, dans l’un et dans l’autre de ces principes, et armés de ce double instrument de critique, nous ouvrons le premier théâtre comique venu, le théâtre d’Alfred de Musset, je suppose, et nous raisonnons ainsi : un poète comique peut paraître derrière ses personnages de deux manières : soit en faisant une allusion complaisante à lui-même, à sa vie, à son caractère, à ses goûts, soit en déployant avec coquetterie les grâces de son imagination et de son esprit. […] Tout fait a sa cause, et toute littérature, toute œuvre d’art est un fait dont il suffît de chercher, dont il faut sans passion chercher la cause dans les mœurs, les idées et les goûts de la société qui l’a produite, dans l’esprit du siècle qui l’a inspirée, dans le génie de la nation qui lui a donné son caractère général, dans le tempérament, les habitudes et la vie de l’auteur original qui lui a imprimé son cachet particulier. […] qui descendront dans l’arène et les confiner dans le champ clos de la littérature, entrouvrir cependant de grands abîmes dans de petits problèmes, éveiller la curiosité du lecteur sur les questions de critique générale, et lui inspirer, avec le goût de leur examen, le désir de les résoudre par lui-même, pour lui-même : tel est l’objet de ce livre.. […] Sainte-Beuve ; j’ai répondu que je n’en savais vraiment rien, et qu’il me suffisait de savoir que par son indépendance vis-à-vis de tout système, par la finesse de son goût et de sa psychologie, M. […] En Allemagne, un homme tel que Hegel unit et concilie avec une profondeur dogmatique incomparable, la plus grande largeur historique et la sensibilité d’un goût aussi délicat, aussi vif que celui de Goethe.
La division des états excluant une capitale unique, où toutes les ressources de la nation se concentrent, où tous les hommes distingués se réunissent, le goût doit se former plus difficilement en Allemagne qu’en France. […] Il est reconnu, je crois, que la fédération est un système politique très favorable au bonheur et à la liberté, mais il nuit presque toujours au plus grand développement possible : des arts et des talents, pour lesquels la perfection du goût est nécessaire. […] Les Allemands manquent quelquefois de goût dans les écrits qui appartiennent à leur imagination naturelle ; ils en manquent plus souvent encore par imitation. […] À ce défaut, qui leur est commun avec les Anglais, ils joignent un certain goût pour la métaphysique des sentiments, qui refroidit souvent les situations les plus touchantes. […] Les Anglais n’écrivent point pour les femmes ; les Français les ont rendues, par le rang qu’ils leur ont accordé dans la société, d’excellents juges de l’esprit et du goût ; les Allemands doivent les aimer, comme les Germains d’autrefois, en leur supposant quelques qualités divines.
Il y a dans La Fontaine assez de quoi répondre à cette origine420 : par toute une partie de son humeur et de son génie, il plonge en quelque sorte dans le sol natal, et l’on saisit en lui le goût du terroir champenois. […] De son siècle, de l’esprit rationaliste et scientifique qui prévalait alors, il tient son goût de vérité exacte, son observation précise et serrée, sa curieuse recherche et sa sûre connaissance de la vie morale et des passions humaines. […] Par là il manifeste son entière communion de goût avec les grands artistes classiques, chez qui nous avons trouvé la même conception originale de la véritable invention. De plus, quand il s’agit de fables, c’est une preuve de goût notable, que de se refuser l’honneur facile de créer des sujets. […] Bussy et Mme de Sévigné423 nous ont laissé des témoignages décisifs du succès du bonhomme : et qui peut mieux représenter qu’eux le goût de la haute société du xvie siècle ?
Mais ce qu’on ne saurait assez dire, parce que le souvenir plus fugitif est bien près d’en être effacé, c’est la douceur qu’il y avait pour l’homme instruit et lettré, pour l’homme de goût, à ce mode et à cette habitude de culture, tant qu’elle fut en vigueur, à son bon moment, avant la routine, après le labeur passé des premiers et des seconds défrichements. […] Ces raisons, qu’il indique d’une manière aimable et bien naturelle, je les résume plus au net : dix ans se sont écoulés ; dans l’intervalle, Du Bellay a vieilli ; il a passé à Rome des années qui ont compté double ; les ennuis, les affaires, peut-être les plaisirs, l’ont blanchi ; il allègue pour excuse la diminution de la verve, « de cet enthousiasme qui le faisoit librement courir par la carrière de ses inventions », et en même temps il a conservé, dit-il, son goût de la poésie, « de ce doux labeur, jadis seul enchantement de ses ennuis ». […] Tant qu’on a été classique en France, que le goût du public a été tel, et d’un classique moyen, on a aimé la traduction en vers des poètes. […] Et c’est ici que, pour donner une idée du poète tel qu’il le conçoit, il recourt au maître de l’esprit le plus sain, du goût le plus sûr, Horace. […] Dans tous ces chapitres de l’Illustration il y a ampleur, harmonie, élévation, noblesse de style, un ton soutenu ; c’est d’un souffle bien autrement puissant que chez Boileau, ce dernier étant plus occupé du détail et de la perfection, plus attentif à ce qu’on appelle goût.
Mais ce qui, chez son père, n’avait été qu’une distraction de jeunesse et un goût délassant, devint chez le fils une passion principale, entraînante, une verve durable et continuelle. […] En effet, un grand nombre des vrais précédents de l’époque et du goût Louis XIII en littérature sont aux iiie et ive siècles de la Gaule romaine, comme les précédents naturels du goût et du genre Louis XIV sont plutôt à l’époque d’Auguste. […] Et ce n’est pas sous les aspects légers et bizarres seulement que se prononce cette ressemblance des deux époques ; elle est plus sérieuse que dans le goût, et elle éclate surtout dans la partie religieuse et profonde. […] Ces religieux estimables ont la critique des textes, celle des dates et des noms ; mais la critique des idées ou du goût, ils ne s’en doutent que peu ou s’en abstiennent. […] Les continuateurs estimables de dom Rivet ont à leur tour vérifié et subi ce que Prévost appelait dès l’abord le malheur d’une si vaste entreprise, à savoir l’indiscrétion, l’infinité des matériaux, l’asservissement de l’idée et du goût sous la lettre.
Le luxe représente l’exception, le privilège en économie ; le raffinement des besoins et des goûts. […] Mais d’autre part il y a aussi entre les hommes une grande diversité de goûts et d’appréciations. […] Ce mètre est significatif du mépris de notre civilisation pour le goût individuel, pour les convenances individuelles, les évaluations individuelles. […] Les goûts d’exception et les besoins d’exception seront méconnus et par suite les aptitudes et les mérites d’exception seront dépréciés. […] En dépit du mot si vrai de Schopenhauer : « En morale la bonne volonté est tout, en art, elle n’est rien » on verra la société couronner l’effort laborieux, le mérite médiocre et respectueux du goût général plutôt que l’originalité heureuse, hardie et dédaigneuse du goût moyen, de l’esthétique de tout le monde.
Est-il, en effet, un romancier dont la méditation eût pu mieux flatter, s’il ne se fût si tôt perverti, ce goût cérébral très accentué qui a failli se généraliser pour une mesure presque savante d’expression, de portée et d’intérêt ? […] Vous apercevrez ce goût de l’harmonieux jusque dans les spéculations éthiques auxquelles M. […] Anatole France est un écrivain de race qui porte en soi, comme d’autres l’empruntent, le goût de comprendre, de penser et de bien dire. […] Mais il est évident que l’esprit a sa manière, opportune et logique, alors que l’habitude et un certain pouvoir de concentration l’arment de la volonté et du goût de l’entreprise idéale, — et qu’il a dès lors ses maîtrises. […] France est né pédagogue, ou du moins avec le goût de la profession, et dès lors aussi avec son intelligence.
Sans être un homme régulièrement lettré, il avait le goût des arts, de la musique, jouait du luth, dansait et composait agréablement des vers. […] Boileau se fâcha de l’air et du ton qu’il prenait quand le goût lui semblait en cause. […] Son goût même était patient et tranquille comme son humeur ; le goût en lui avait de la longanimité, et, si j’ose dire, de la longévité. […] Huet, bien que si partisan des anciens, est assez de la littérature de Fontenelle en ce qui concerne le goût moderne ; il est un peu de sa philosophie, mais avec un petit ressort de moins. […] Ce goût-là le peint aussi au moral dans l’ensemble de son humeur comme de son génie.
Arnault à l’éloge du défunt, il est résulté que M. l’abbé de Montesquiou avait de l’éloquence, qu’il possédait une finesse d’esprit et un piquant de conversation qui auraient pu, dans l’application à la littérature, se réaliser en œuvres délicates, ingénieuses, surtout en œuvres d’un excellent goût, et certainement contraires à la barbarie du jargon moderne. […] Arnault, victime de ce procédé odieux, de le qualifier avec une sévérité de juge ; mais, osons le dire, le goût, dont il a tant été question dans cette séance, ne lui commandait-il pas plus de mesure et de brièveté dans une cause qui est personnellement la sienne ? […] Jay, des questions déjà bien vieilles de goût et de genres en littérature, ne sont plus en rapport avec la préoccupation du public, ni même avec l’atmosphère de l’Académie. […] par quelles œuvres, par quels échantillons, du moins, protestent-ils contre le goût de leurs contemporains ?
Goût , &c. […] Voici un madrigal de M. de la Sabliere, qui a toûjours été estimé des gens de goût. […] ) On a vû dans l’article précédent en quoi consiste le goût au physique. […] On se forme le goût des Arts beaucoup plus que le goût sensuel ; car dans le goût physique, quoiqu’on finisse quelquefois par aimer les choses pour lesquelles on avoit d’abord de la répugnance, cependant la nature n’a pas voulu que les hommes en général apprissent à sentir ce qui leur est nécessaire ; mais le goût intellectuel demande plus de tems pour se former. […] C’est la fantaisie, plûtôt que le goût, qui produit tant de modes nouvelles.
Cette bienveillance a prolongé la jeunesse de ses sentiments et de ses goûts. […] Par une suite de la même disposition expansive, elle avait éprouvé de bonne heure un goût très-vif pour la campagne. […] Le goût remontait à ses hautes sources ; la religion, servie par M. de Chateaubriand, représentait ses grands modèles. […] Rien n’est plus adapté au goût de chaque époque que la conversation qui y règne. […] Elle avait pris le goût de la vie intérieure et domestique, tout entière adonnée au bonheur des siens, quand elle leur fut enlevée bien prématurément en décembre 1821.
En voici cette fois une édition très soignée, très agréable à l’œil, jouant l’Elzévir à s’y méprendre, et pour laquelle un libraire homme de goût n’a rien négligé. […] En 1656, c’est-à-dire dix ans avant que Boileau publiât ses premières satires, et trois ans avant Les Précieuses ridicules de Molière, on était dans la pleine littérature des Scudéry, des Sarasin, des Pellisson, Scarron, Chapelain, Gilles Boileau, Ménage, et de tous ces beaux esprits dont le goût n’était pas également sain et pur. […] Ce sont toujours les précieuses de Montpellier qui sont censées parler au rebours du bon sens et du goût : « Dans l’Alaric et dans le Moïse, on ne loua que le jugement et la conduite ; et dans la Pucelle rien du tout. » Ici il y a une politesse et une faiblesse pour Chapelain, ami des auteurs, ancien ami surtout de M. […] On sent trop par ce coin que Chapelle est de la Régence, c’est-à-dire d’un monde où l’on n’a pas toujours le ton de plaisanterie des honnêtes gens, et qu’il n’est pas digne d’atteindre jusqu’au goût sérieux de Louis XIV : il ne saura jamais s’y encadrer. […] Ils ont l’œil si clairvoyant qu’ils aperçoivent le faible de toutes les idées et de tous les styles, aucun prestige ne les éblouit, aucune renommée ne les abuse ; leur goût est un crible qui ne laisse passer que le pur froment ; c’est une de ces balances d’une sensibilité infinie qui ne pèsent que l’or.
Delécluze seul avait manié le pinceau ; mais son instruction, très-réelle et estimable quand elle se tenait dans le domaine historique, ne servit guère à lui affiner le goût. […] Charles Lenormant mériterait d’être cité aussi à côté d’eux, s’il avait eu autant de goût que d’avidité de savoir et de zèle. […] Une publication à la fois spéciale et répandue, l’Artiste, sous la direction d’Arsène Houssaye, conviait les jeunes plumes et préparait le goût de plus d’un expert. […] Avec des antipathies profondes de genres, il a toujours adouci l’expression de son peu de goût à l’égard des œuvres et des personnes. […] Par un effet de ce grand goût qu’il a pour l’art et un certain art de convention, il a mieux aimé étudier la vie dans la comédie que de retrouver la comédie dans la vie.
De toutes parts et de quelque côté qu’on tourne les yeux, dans cet espace de vingt ans qui sépare le Cid des Provinciales (1636-1656), il se fait sensiblement une grande éducation du goût, ou plutôt de la politesse et de la culture qui doivent bientôt amener le goût. Tandis que Corneille redouble et produit sur la scène cette série de chefs-d’œuvre grandioses et trop inégaux, l’éducation des esprits se poursuit concurremment et se continue de moins haut par les romans des Gomberville, des Scudéry, par les traductions de d’Ablancourt, par les lettres des successeurs et des émules de Balzac et de Voiture, par les écrits théologiques d’Arnauld et de Messieurs de Port-Royal : — autant d’instituteurs du goût public, chacun dans sa ligne et à son moment. […] Il n’y avait point, à cette heure, d’arbitre unique et souverain du langage et du goût, comme l’avait été précédemment Malherbe, comme le sera plus tard Boileau : on avait seulement la monnaie de ce dictateur littéraire dans les premiers académiciens, Sérisay, Cérisy, Conrart, d’Ablancourt, Chapelain surtout, « homme d’an très-grand poids ! […] En les lisant, il a des regrets à bien des mots qui passent ; s’il les rejette et s’il se voit forcé de constater leur déclin ou leur décès, son sentiment d’homme de goût ne laisse pas de souffrir en les sacrifiant. […] Patru qui, par son goût, méritait une partie de ces éloges, était beaucoup trop mou et trop paresseux pour accomplir jamais de telles promesses.
« Une expression d’un goût aussi moderne que celle de l’héréditaire éclat suffit sans doute, ajoute-t-il, pour détruire toute l’harmonie de la couleur antique. » Et il continue de raisonner en ce sens. […] remy de meilleures pages, de plus dignes des études si méritoires auxquelles il s’est livré ; l’autre jour, par exemple95, il défendait avec esprit et goût la mémoire de Charles Nodier, insultée par un pamphlétaire ; sa plume devenait excellente. […] De plus, lorsqu’un poëte, un peintre, a un style à lui et une manière reconnue, on lui passe d’ordinaire quelque mélange : ainsi La Fontaine se laisse souvent aller dans ses plus franches peintures à je sais quelles teintes du goût Mazarin. […] remy s’était borné à faire remarquer qu’André Chénier, malgré tout, était de son temps ; à indiquer en quoi il composait avec le goût d’alentour, comment dans tel sujet transposé, dans tel cadre de couleur grecque, il se glisse un coin, un arrière-fond peut-être de mœurs et d’intérêt moderne, on n’aurait eu qu’à le suivre dans ses analyses. […] Croyez-vous donc que l’Aristonoüs, publié vers 1788 ou vers 1819, eût produit de grands miracles de goût ?
Personne, en France, avant Boileau, n’avait nettement conçu ni formulé ce grand principe de l’imitation de la nature, et tous les mots dont on se servait : vérité, bon sens, avaient en soi un air d’abstraction ou un sens subjectif, qui faisaient glisser la littérature dans la sèche logique, ou l’abandonnaient à la tyrannie du goût individuel et de la mode. […] Brunetière fera connaître l’importance et les conséquences générales de ce débat dans l’évolution de la littérature et du goût français. […] Il fit parler spirituellement et même raisonnablement son abbé sur la technique des beaux-arts ; il y distingua des beautés universelles et des beautés relatives ; il fit voir que les formes, le style et le goût sont choses infiniment variables, qui enveloppent et déguisent certaines conditions générales et permanentes. […] Il montrait à Perrault que les vrais admirateurs de l’antiquité n’étaient pas les pédants en us, mais les honnêtes gens, les gens du monde même dont le goût est fin et exquis. Et il reprenait pour son compte la thèse des Parallèles : il refaisait le livre à son goût.
Et comme les goûts sont divers, et que les fantaisies humaines se découpent en cent façons (c’est Montaigne qui dit cela), Montaigne aussi a ses dévots, lui qui l’était si peu : il fait secte. […] Ce qui lui manquait surtout, c’était le goût, si l’on entend par goût le choix net et parfait, le dégagement des éléments du beau. Mais ce goût-là, dans les âges suivants, est trop vite devenu du dégoût. […] En art, il a le goût riche et fin, libre à la fois et compliqué, antique tout ensemble et moderne, tout à fait particulier et original. […] Ne nous hâtons pas de prendre au mot ces gens de goût qui ont horreur de se surfaire.
Le goût s’est vivement reporté à toutes les choses du siècle de Louis XIV, et, du moment qu’on y entrait surtout par le côté de l’esprit, elle était sûre d’y être comptée pour beaucoup et d’y tenir un des premiers rangs. […] Nous n’avons qu’une partie de son esprit dans ses lettres, le goût, le bon ton, la raison parfaite et le tour parfois piquant ; mais ce qui animait la société, cet enjouement qu’elle mêlait discrètement à ses récits, à ses histoires, ce qui pétillait de brillant et de fin sur son visage quand elle parlait d’action, comme dit Choisy, tout cela a disparu et ne s’est point noté. […] Elle eut une pension de la reine mère, et elle put, pendant quelques années, jouir d’une vie assez selon son goût. […] Le goût qu’on avait pour moi était plutôt une amitié générale, une amitié d’estime, que de l’amour. […] Elle y satisfait sa passion d’éduquer, de morigéner autour d’elle, son goût de Minerve et de Mentor qui se développe en vieillissant, et à la fois elle s’y détend, elle s’y attendrit un peu.
Doué d’une grande facilité à produire et d’une grande aptitude à juger, d’une ardeur d’amour-propre qui paraît inhérente au tempérament littéraire, et d’une excessive irritabilité dans les matières de goût, La Harpe, en entrant dans le monde, se fit des ennemis dont il accrut le nombre durant le cours de ses variations si peu ménagées, et leur animosité a tout fait pour empoisonner sa vie et pour en noircir ou en travestir bien des circonstances. […] Il engagea une guerre ou plutôt mille petites guerres avec la foule des amours propres des auteurs du temps, se posant comme leur juge et comme leur fléau ; et à la fois il aspira à l’honneur d’un restaurateur du goût et d’un modèle dans ses œuvres et ses productions de poète. […] Son goût n’est ni très rare ni très curieux, ni même exquis ; mais, dans son ordre d’idées, ce goût est pur, sain et judicieux ; il est prompt et n’hésite pas. […] Ceux qui ont été habitués dès l’enfance à entendre parler de La Harpe comme d’un oracle, d’un dictateur du goût, et du Quintilien français, seront étonnés de voir à quel degré de discrédit il était tombé à ce moment. […] Il étend, il développe et il applique les principes de goût de Voltaire ; et sans avoir de son imprévu ni de son piquant, il a quelque chose de son agrément clair, aisé et naturel.
Or, ces critiques qui disent que les poëmes des anciens ne font pas sur eux l’impression qu’ils font sur le reste des hommes, sont un contre cent mille. écouteroit-on un sophiste qui voudroit prouver que ceux qui sentent du plaisir à boire du vin, ont le goût corrompu, et qui fortifieroit ses raisonnemens par l’exemple de cinq ou six personnes qui ont le vin en horreur. […] On feroit en deux lignes le catalogue de ces critiques, et des volumes entiers suffiroient à peine pour faire le catalogue des critiques du goût opposé. […] Quand même nous en aurions pleine connoissance, il se trouveroit que par des raisons que je vais exposer, nous n’aurions pas pour ces choses le même goût qu’avoient les romains, et l’image qui remet sous nos yeux ces mêmes choses, ne peut nous affecter comme elle affectoit les romains. […] Virgile et les autres poëtes anciens auroient emploïé des figures d’un goût opposé, s’ils eussent écrit pour les nations hyperborées. […] Indifferens et sans goût pour le plaisir même que nous ne souhaitons pas, nous ne pouvons être affectez vivement par sa peinture, fut-elle faite par Virgile.
On ne saurait demander à un volume composé de tant d’extraits et de notices dues à des plumes différentes une unité qui est plus de décorum que d’utilité réelle ; mais ce qui vaut mieux, ici, la variété est infinie, et les choix ont été faits avec goût et conscience, même quand il s’y est mêlé un peu de caprice. […] Joséphin Soulary habite Lyon ; il y est retenu moins encore par quelque emploi administratif que par ses goûts, par son humeur casanière. […] Ceux de nos maîtres qui n’y étaient point intéressés par curiosité et par goût s’en sont passés, et n’ont eu que faire de cette prison. […] Vous toutes qui savez tout ce dont se composent les mille et un secret d’une toilette éblouissante et réparatrice, écoutez : Art sublime d’un nœud, d’une tresse ou d’un pli, Corsages à la fois voluptueux et chastes, Toilettes d’un matin à défier l’oubli, Étoffes dont le goût assortit les contrastes Où tempère l’éclat, à dessein affaibli ; Adorables chiffons, terribles bagatelles, D’inévitables traits arsenal chatoyant, Gazes, crêpe, rubans, guipures et dentelles. […] le rubis, l’émeraude, Dont ses bras et son front ruissellent étoilés ; Tout ce que la nature a de riche et de frêle, Tout ce qu’a pu rêver le goût le plus hardi, Tout cet or répandu, tout cet art, tout ce zèle, Pour que Suzon l’efface en robe d’organdi, Ou qu’on dise : « Voyez comme elle est encor belle !
Ce n’est pas sans une défiance extrême qu’il les présente à l’examen des gens de goût ; car, s’il croit à des théories nées d’études consciencieuses et de méditations assidues, d’un autre côté, il croit fort peu à son talent. […] Le goût, qui n’est autre chose que l’autorité en littérature, leur a enseigné que leurs ouvrages, vrais pour le fond, devaient être également vrais dans la forme ; sous ce rapport, ils ont fait faire un pas à la poésie. […] Mais quand on considère les immenses services rendus à la langue et aux lettres par nos premiers grands poëtes, on s’humilie devant leur génie, et on ne se sent pas la force de leur reprocher un défaut de goût. […] On a rassemblé ci-dessus quelques exemples pareils entre eux de ce faux goût, empruntés à la fois aux écrivains les plus opposés, à ceux que les scholastiques appellent classiques et à ceux qu’ils qualifient de romantiques ; on espère par là faire voir que si Calderon a pu pécher par excès d’ignorance, Boileau a pu faillir aussi par excès de science ; et que si, lorsqu’on étudie les écrits de ce dernier, on doit suivre religieusement les règles imposées au langage par le critique, il faut en même temps se garder scrupuleusement d’adopter les fausses couleurs employées quelquefois par le poëte. […] Le goût national, accoutumé à ne point séparer les idées de religion et de poésie, eût répudié tout essai de poésie irréligieuse, et flétri cette monstruosité non moins comme un sacrilège littéraire que comme un sacrilège social.
C’est cette envie de s’instruire & de se former le goût, qui le fit lier, dès son entrée dans le monde, avec les Sulli, les Châteauneuf, les Chaulieu, & tout ce qu’il y avoit en France de gens aimables & de mérite. […] C’est là que ses idées se développèrent, qu’il puisa cette force de raison, cette fleur de politesse, ce goût exquis & sûr qu’on admire dans ses écrits. […] Rousseau trouva la pièce très-bonne en général, en releva quelques endroits, & finit par exhorter l’auteur à travailler dans ce goût, à s’élever toujours ainsi sur les pas de Corneille & de Racine. […] Dans cette opinion, M. de Voltaire crut devoir peindre Rousseau sous les traits d’un envieux forcené, comme on peut le voir dans le Discours sur l’envie, dans l’Epître sur la calomnie, dans le Temple du goût.
Comment le vrai goût pourroit-il ne pas être soulevé par la fumée insipide de tant d’encens prodigué à des Ouvrages médiocres ? […] Ce Journal, destiné dans son origine à recueillir les prémices des Muses naissantes, à offrir aux yeux de la Nation les premiers germes des talens capables de flatter ses espérances, à former un mélange intéressant des traits de délicatesse, d’agrément, de force & de sensibilité qu’a produits l’imagination Françoise ; à rendre compte de ce que les Sciences & les Beaux-Arts enfantent tous les jours ; à encourager les Artistes par de justes éloges, ou à les éclairer par des critiques lumineuses : ce Journal borne à présent tout son mérite à des Logogryphes dignes du seizieme siecle, à des Contes d’une froideur qui glace l’esprit, ou d’une extravagance qui égare le sentiment & corrompt le goût ; à des analyses infidelles ou partiales, qui contredisent ouvertement les regles de la Littérature ou celles de la décence ; & à quelques nouvelles politiques rédigées avec une sécheresse qui ôte tout le piquant de la nouveauté. […] Ne devroit-il pas leur défendre, en vertu de son autorité pécuniaire, de persister nos bons Ecrivains, pour applaudir aux corrupteurs du goût ; de recourir aux injures, aux mensonges, à la mauvaise foi, pour décrier les Auteurs qui écrivent contre les Philosophes, ou qui ne pensent pas comme eux ?
C’est de l’examen réfléchi de ces chefs-d’œuvre que s’est formé le goût. […] Quand on voit un bel esprit, tel que Saint-Évremond, mettre l’Alcyonée de Du Ryer à côté de l’Andromaque de Racine, on sent que le goût n’était pas infaillible dans le siècle du goût. […] Le goût était autrefois dans les auteurs plus que dans le public ; aujourd’hui le public en a plus que les auteurs. […] Nerée a traduit servilement, et Racine a imité avec goût : il n’y a point de plagiat. […] Il n’y avait donc pas de goût, disent-ils, dans ce siècle de Louis XIV si prôné !
Le goût exclusif du Vrai (si noble quand il est limité à ses véritables applications) opprime ici et étouffe le goût du Beau. […] Pour moi, je ne crois pas que le patriotisme commande le goût du faux ou de l’insignifiant. […] Paul Huet reste fidèle aux goûts de sa jeunesse. […] Hébert a-t-il cédé à ce goût de MM. […] Tu réponds, grand squelette, à mon goût le plus cher !
De Philémon et Baucis je ne vous dirai presque rien aujourd’hui, parce que ce que ce poème contient de plus beau, de plus brillant et de plus charmant, j’ai eu l’occasion de vous le lire lorsque je vous ai décrit le caractère de La Fontaine et lorsque je vous ai parlé du goût de La Fontaine pour la médiocrité et de la manière exquise dont il s’est exprimé sur ce goût et sur cette chose. […] Il a montré Faust qui, après s’être élevé peu à peu dans l’échelle de l’humanité par sa conscience, par son goût du travail, par le goût de l’activité féconde et productrice qui lui est venu, il l’a montré ayant cependant une grave défaillance de conscience, toute naturelle, du reste, de la part du puissant et du victorieux. […] Sûr de lui, sûr de sa parfaite mesure, sûr de sa discrétion, de son goût parfait, il se permettait le burlesque, sachant bien qu’il s’arrêterait de lui-même et sans s’y appliquer, au moment où le burlesque devient trivial, devient rebutant. […] La Fontaine n’avait pas le don de psychologie, ni même, ni surtout, le goût de la psychologie. […] Le théâtre d’amour proprement dit, c’est-à-dire le théâtre élégiaque, n’était pas beaucoup du goût de son temps, et le théâtre gai ne l’était pas tant qu’on l’a cru.
Conclusion La cause et la loi que nous venons d’assigner aux variations du goût ont ce mérite et ce défaut d’être très générales ; l’une fait comprendre pourquoi l’évolution littéraire est incessante ; l’autre permet de tracer la trajectoire sinueuse et pourtant régulière que parcourt une littérature. […] Le jour où l’on aura su, ne fût-ce que dans la vie littéraire d’une nation, expliquer l’apparition et la disparition de tant de goûts divers, enchaîner l’une à l’autre les transformations subies par l’idée de beauté et les répercussions exercées par la littérature sur les autres branches de l’activité humaine, on aura certes accompli une œuvre dont la critique et la sociologie pourront tirer une grande utilité. […] Telle école a fait son temps et le public va exiger autre chose. — Il pourra pressentir le goût de demain, être la vigie qui annonce la côte voisine, qui crie Terre !
La faux de Tarquin dans la main de Richelieu, cruel par goût autant au moins que par politique, avait abattu toutes les têtes qui tendaient à se relever à la cour ou dans les provinces. […] Revenant sans cesse à Port-Royal pendant les vacances du collège d’Harcourt comme dans un foyer paternel, il s’y livrait avec une ardeur fiévreuse aux trois goûts que la nature et l’éducation avaient développés comme des instincts en lui : le goût de l’histoire qu’il satisfaisait dans Plutarque, le goût de la poésie qu’il nourrissait d’Homère et de Virgile, et enfin le goût de la tragédie, cette histoire poétique en drame dont il puisait les exemples dans les deux tragiques Sophocle et Euripide. […] Elle avait, au rapport de Boileau, plus de goût pour mon père que pour lui, et Mme de Montespan avait, au contraire, plus de goût pour Boileau que pour mon père ; mais ils faisaient toujours ensemble leur cour, sans aucune jalousie entre eux. […] Ils s’entretenaient un jour avec elle de la poésie ; et Boileau, déclamant contre le goût de la poésie burlesque, qui avait régné autrefois, dit dans sa colère : “Heureusement ce misérable goût est passé, et on ne lit plus Scarron, même dans les provinces.” […] Le roi crut que ce divertissement serait du goût du roi d’Angleterre ; il l’y mena et la reine aussi.
Je ne ferai ici ni la critique ni l’éloge de cette manière historique, la plus éloignée, je l’avoue, de mes goûts et de mes habitudes : qu’il me suffise de dire que M. […] D’ailleurs un goût ardent le portait à tout ce qui est défendu au corps et à l’esprit. […] Michelet qui veut chercher dans les parents du jeune prince, et jusque dans les mystères de la génération, les éléments et le secret de cette organisation singulière, ce qui pouvait lui venir de sa mère dans ses goûts bizarres, ce qu’il ne tenait certainement pas de son père. […] On sent, à ces suppressions, le goût intimidé et affaibli de ces esprits polis que la Révolution a effrayés, même en ce qui est de la littérature : ils émoussent tout ce qui a un accent. […] Un grand prince, de nos jours, est allé choisir par goût et a traduit l’Idéal de Schiller, le poète magnanime.
Il y avait parmi eux d’assez puissants naturalistes pour nous affermir dans le goût du principe essentiel et excellent de la doctrine, dans le goût de l’objectivité, de l’expression intense de la nature. […] Il a appliqué à l’étude de la littérature un fort tempérament de polémiste et d’orateur, une rare puissance d’abstraction, de logique et de synthèse, une grande richesse d’information bibliographique et chronologique ; et tout cela a valu beaucoup, parce que des impressions fines et originales, de vives intuitions déterminées au contact des œuvres, un goût enfin sûr et délicat lui ont fourni la base de ses constructions. […] Sarcey a voulu se réduire à enregistrer le goût du public, que personne ne sait flairer, démêler, dégager comme lui ; au lieu de hausser ce public à lui ; il s’est rabaissé à ce public. S’ils diffèrent une fois d’impression, il donne raison à ce public contre lui-même ; au lieu d’aider la foule à s’affranchir, à s’éclairer, à s’élever, il la flatte dans la médiocrité de ses goûts, il l’entretient dans l’illusion béate qu’il n’y a rien de curieux à chercher au théâtre que les satisfactions du vaudeville et du mélodrame. […] Voilà où trente ans de pratique du théâtre, et d’auscultation trop soigneuse du goût commun, ont mené un des esprits les plus libres, les plus vifs, les plus hardis que je connaisse.
Tâchons d’avoir du goût. […] Je tiens à très haut prix son goût, son talent et ses œuvres. […] Ce que je propose, évidemment, ce sont mes jugements, mes idées, mon goût personnel. Or, mon goût ne fait pas autorité, cela va sans dire ; mais celui de M. […] Vergniol ne peut pas opposer son goût au mien, sans encourir lui-même les reproches qu’il me fait.
Il nous a donné l’homme des principes et du goût, — le législateur du Parnasse, comme on disait du temps de Boileau, — mais j’aurais voulu l’exécuteur des hautes-œuvres, dont ne peut se passer aucune législation. […] « Boileau — a-t-il dit quelque part — était idolâtre des Anciens, et devait l’être, sans doute, par goût et par reconnaissance ; mais il se mêle toujours de la superstition dans tous les cultes, et sa délicatesse en est une preuve. » Fréron, cet inconnu au xixe siècle, était une imagination puissante, réglée par une raison plus puissante encore, et qui comprenait la critique comme Louis XIV le gouvernement. […] Homme de goût, — de ce goût qu’il a défini : « Un discernement vif et une sensation délicate, c’est le cœur éclairé » ; s’il l’avait sévère, ce goût, du moins il ne l’avait point étroit.
Ce goût n’est point sorti de la boutique de ces ouvriers. […] Rien n’est moins pittoresque que le goût de dessein et de coloris qui regne dans ces ouvrages. […] Il est de l’essence d’une cour d’entrer avec ardeur dans tous les goûts de ses maîtres ; et celle de France épousa toujours le goût des siens avec encore plus d’affection que les autres cours. […] Est-ce parce que Ronsard et ses contemporains ne sçavoient pas les langues anciennes qu’ils ont fait des ouvrages dont le goût ressemble si peu au goût des bons ouvrages grecs et romains ? […] Il n’y a plus ni goût ni dessein dans leur gravure, ni entente dans leur fabrication.
Viollet-le-Duc, Amar, de Saint-Surin, l’environnèrent des assortiments de leur goût et de leur érudition ; M. […] En sortant de philosophie, il fut mis au droit ; son père mort, il continua de demeurer chez son frère Jérôme qui avait hérité de la charge de greffier, se fit recevoir avocat, et bientôt, las de la chicane, il s’essaya à la théologie sans plus de goût ni de succès. […] Il fréquente les meilleures compagnies, celles de M. de La Rochefoucauld, de mesdames de La Fayette et de Sévigné, connaît les Lamoignon, les Vivonne, les Pomponne, et partout ses décisions en matière de goût font loi. […] Boileau, depuis la mort de Racine, ne remit pas les pieds à Versailles ; il jugeait tristement les choses et les hommes ; et même, en matière de goût, la décadence lui paraissait si rapide, qu’il allait jusqu’à regretter le temps des Bonnecorse et des Pradon. […] Je ne blâme pas ces soins ; bien loin de là, je les honore, et j’en profite ; le moment en était venu sans doute ; mais l’opiniâtreté du labeur, chez ceux qui s’y livrent, remplace trop souvent la vivacité de l’impression littéraire, et tient lieu du goût.
J’ai été forcé toute ma vie de suivre des occupations auxquelles je n’étais pas propre, et de laisser de côté celles où j’étais appelé par mon goût… Je ne sais s’il ne s’abusait point en parlant ainsi, et si cette diversité d’objets sans cesse renaissants n’était point selon ses goûts mêmes. […] Je suis constant dans mes goûts… Constant dans ses goûts, je le veux bien ; mais, certes, extrêmement mobile dans ses impressions, et il le dit lui-même en face de son portrait par Michel Van Loo, portrait dans lequel il avait peine à se reconnaître : « Mes enfants, je vous préviens que ce n’est pas moi. […] Mme Necker écrivait à Diderot : « Je continue à m’amuser infiniment de la lecture de votre Salon : je n’aime la peinture qu’en poésie ; et c’est ainsi que vous avez su nous traduire tous les ouvrages, même les plus communs, de nos peintres modernes. » Voilà bien l’éloge, et qui, selon quelques gens de goût, est la plus grande critique. […] Le chef-d’œuvre proprement dit, la pièce achevée, définitive et complète, où le goût donne la mesure du mouvement et du sentiment, n’est pas son fait : la qualité supérieure, partout diffuse chez lui, n’est concentrée nulle part, nulle part encadrée et nettement rayonnante. […] Tout en regrettant de rencontrer trop souvent chez lui ce coin d’exagération que lui-même il accuse, le peu de discrétion et de sobriété, quelque licence de mœurs et de propos, et les taches de goût, nous rendons hommage à sa bonhomie, à sa sympathie, à sa cordialité d’intelligence, à sa finesse et à sa richesse de vues et de pinceaux, à la largeur, à la suavité de ses touches, et à l’adorable fraîcheur dont il avait gardé le secret à travers un labeur incessant.
Les exemples sont en général bien choisis & bien éclaircis, mais il s’en trouve quelques-uns d’un très-mauvais goût.” […] Rollin, ou que celui-ci eût autant médité que son émule sur les fondemens de l’art oratoire ; l’un a plus de sçavoir, l’autre a plus de goût. […] Aussi tous ses lecteurs ne sont-ils pas de son goût. […] Les morceaux qu’il cite sont pris très-souvent dans des Orateurs qui avoient plus d’esprit que de goût. […] Ces réfléxions sont absolument à tous égards dans le goût de mes Essais de littérature & de morale.
Nos pères avaient donc meilleur goût que les beaux esprits du temps, quand, après avoir applaudi ce chef-d’œuvre, ils s’obstinèrent dans leur admiration, en dépit des censures du cardinal. […] A peine souffrons-nous qu’on nous veuille donner le goût de vertus moins sublimes, mais plus sûres. […] De même que rien ne plaît plus à notre nation que l’idéal d’héroïsme qui brille dans ces pièces, rien n’effarouche plus sa délicatesse et son goût que l’inégalité dans les ouvrages de l’esprit. […] Telle fut l’influence du goût espagnol sur le génie de Corneille. […] Racine eut à connaître lui aussi cette dépendance : mais alors le goût s’était épuré, et le naturel, réglé par la raison, était à son tour à la mode.
Il avoit en même temps les défauts qui égarent & défigurent les plus grands talens, point de discernement, point de dépendance, point de goût. […] Il ne lui manquoit que du goût ; & le goût qui n'est que le discernement des convenances, est rarement le partage de ceux qui ouvrent une carriere & écrivent dans une Langue encore barbare.
Ici il importe de distinguer deux faits bien différents et dont les effets convergent pourtant : le drame à thèse et le goût du théâtre. […] Il y aura à toute heure des amateurs du lyrisme, du roman, du drame ; soit par goût spontané, soit par tradition purement littéraire. Mais enfin le goût du théâtre s’affirme avec une force particulière en de certaines époques, et révèle une psychologie spéciale. […] Leur nombre révèle-t-il une mode, un goût du public ? […] Deux traits dominants, difficiles à concilier bien que conciliables, semblent se disputer la priorité dans la littérature française : le goût de l’analyse psychologique et le goût des idées générales, propagandistes.
Le drame en un acte annoncé par l’affiche pose la question vieille mais éternelle de la femme fatale, de la Sapho de Daudet, la question des relations intellectuelles et des confidences possibles de frère à frère ; l’autre tragi-comédie incitait à parler du divorce, ou de la fidélité, ou de la jalousie, mais ces fantaisies physio-psychologiques, de trop fortes lectures récentes m’en avaient ôté le goût. […] Et cependant la conférence doit correspondre à quelque goût naturel puisqu’elle existe depuis si longtemps et puisqu’elle subsiste. […] … » Et ce goût un peu malsain d’assister à quelque chose de périlleux fait qu’on réserve toujours meilleur accueil au belluaire, je veux dire au conférencier, qui se présente sans cuirasse, c’est-à-dire sans notes. — Cette badauderie maladive, cette envie de la personne réelle et du morceau vivant, d’autres exhibitions sans doute la satisfont davantage : c’est elle que l’industrieux tenancier des Folies-Bergère exploite si intelligemment lorsqu’il laisse voir, sur, dirai-je sa scène, Mlle de Pougy ou Mlle de Presles. […] Même dans les faubourgs d’élite, authentiques ou snobs, Saint-Germain ou Saint-Honoré, il semble bien que plusieurs forcent leur naturel et s’excitent pour manifester un goût décidé d’un divertissement si médiocre. […] Peut-être attendaient-elles une plus substantielle causerie, une mise en goût de la représentation à laquelle je vais laisser libre cette scène.
On sçoit que son principal mérite étoit le jugement & le goût. […] Autant l’une a pour objet de faire sentir toute la force & tout le mérite du texte, autant l’autre tend à l’accommoder à notre goût, & à le tourner beaucoup moins à notre instruction qu’à notre amusement. […] Selon lui, les beautés du goût de toutes les nations doivent être conservées : mais il ne juge pas qu’il en soit de même de certaines beautés locales, que des allusions, à des usages particuliers, empêchent d’être senties partout, & rendent le plus souvent des énigmes insipides. […] Le célèbre président Bouhier, ce sçavant d’un esprit si juste & d’un goût si délicat, tient pour les vers. […] Ce langage ne convient qu’aux mauvais versificateurs & à ceux qui n’ont pas assez d’enthousiasme, & peut-être de goût, pour sentir les charmes de la belle poësie.
Quant au jugement de la Harpe, dont le goût est trop souvent un goût d’école, il est incroyable avec quelle insuffisance de lecture il décide des réputations et des rangs. […] Il est admirable avec quelle simplicité sévère Bourdaloue moralise ; le goût lui en était venu du devoir, du sentiment de l’utilité, bien plus que d’un tour d’esprit particulier. […] Voltaire, bien que d’un goût si sûr, ne voit pas toujours juste. […] Dans le Temple du goût, d’ailleurs, dont Voltaire est le dieu, le goût c’est le petit, et celui de Vauvernargues c’est le grand, auquel le petit prépare mal, quand il ne l’ôte pas tout à fait. […] Son peu de goût pour Molière va jusqu’à l’injustice.
Le célèbre sculpteur, Michel-Ange Buonarotti donna, à Rome, une scène dans le même goût. […] Boivin, homme sçavant &, qui plus est, d’esprit & de goût, se déclara vivement pour madame Dacier. […] Entre deux genres de beauté différente, ce ne sera jamais que le goût particulier qui décidera. […] Le Juvénal François, jeune alors, mais d’un goût fin, & d’un jugement formé, sentit allumer sa bile : il en vomit des torrens. […] Le comte de Hamilton a fait aussi des romans dans un goût plaisant, qui n’est pas le burlesque de Scarron.
Ainsi le prince de Ligne, vif, brillant, étincelant de traits, rencontrait le mieux, mais ne s’y tenait pas ; il avait plus d’imagination que de mesure et de goût. […] Il y discute des changements que la Révolution devra apporter dans les mœurs publiques et dans le goût : « Après tout ce qui est arrivé depuis quelque temps, toutes les idées doivent décidément se renouveler. » Et d’abord il croit que l’universalité de la langue française en souffrira ; que Paris ne sera plus comme auparavant la capitale intellectuelle et littéraire reconnue de l’Europe, les autres nations voulant se venger d’avoir si longtemps obéi à l’esprit venu de Paris. […] Ne séparant point l’idée de goût d’avec celle des sociétés charmantes où il a vécu, il conclut en disant : On peut remettre le trône en France, mais le goût jamais. […] Mais, au lieu du gros bon sens de la première, l’autre avait une conversation pleine de traits, et avait l’épigramme et le couplet à la main. — Le genre de Mme Geoffrin était, par exemple, une espèce de police pour le goût, comme la maréchale de Luxembourg pour le ton et l’usage du monde. […] Heureux celui qui, par le prix qu’il met et le goût qu’il prend aux plus petites choses, prolonge son enfance !
Le roman de Fortunio, où la fantaisie de l’auteur s’est déployée en toute franchise et où il a glorifié tous ses goûts, se rapporte à ce temps de collaboration. […] Les poètes, lorsqu’on fait d’eux des critiques (car, on ne saurait se le dissimuler, la poésie de nos jours, c’est le luxe et l’ornement ; la critique, c’est le gagne-pain), les poètes ont une difficulté particulière à vaincre : ils ont un goût personnel très-prononcé. Le père de la duchesse de Choiseul lui répétait souvent dans son enfance : « Ma fille, n’ayez pas de goût. » Ce sage père savait que les délicats sont malheureux. […] Pour moi, qui viens de relire bon nombre de ces feuilletons de Théophile Gautier sur l’Art dramatique, j’ai plutôt admiré comme il s’acquitte de sa tâche en parfaite bonne grâce, comme il se tire des difficultés et triomphe à demi de ses goûts sans les sacrifier toutefois. […] Une fois mis en goût de voyage et cette nouvelle vocation reconnue et déclarée, Théophile Gautier ne chôma plus et ne résista qu’autant qu’il était retenu par sa chaîne au cou, « dans la niche qu’on lui avait faite au bas du journal », ainsi qu’il s’est lui-même représenté.
Quelques livres de piété que lui prêta un chanoine de Soissons lui firent croire d’abord qu’il avait du goût pour l’état ecclésiastique et pour la retraite : il fut reçu à l’institution de l’Oratoire le 27 avril 1641 et envoyé à Paris au séminaire de Saint-Magloire. […] Ces premières poésies légères de La Fontaine sont dans le goût de Voiture et de Sarrasin et ne s’élèvent guère au-dessus des agréables productions de ces deux beaux esprits ; on sent seulement que chez lui le flot est plus abondant et plus naturel. […] Lui aussi, il a naturellement le goût noble, celui de l’harmonie régulière et des grandes lignes en tout genre. […] Mme de Staël et M. de Chateaubriand, en survenant à l’heure propice, éveillèrent, chacun à sa manière, le goût du mystérieux ou de l’infini ; il y eut une génération où plus d’un esprit ressentit de ces malaises et de ces désirs inconnus à nos pères. […] On n’aurait même pas de peine à découvrir chez lui un certain goût sensuel que l’on pourrait dire innocent et primitif, contemporain des patriarches, mais qui l’empêche de se perdre dans le raffiné des sentiments.
Son goût littéraire n’a pas eu de peine à s’affranchir des banales admirations qui se retranchaient sous la protection d’une fausse tradition. […] Cela posé, il faudrait convenir que Rousseau avait le goût et l’instinct de quelque chose de meilleur que ce qui suffisait à son siècle : ni le plaisir seul ni les convenances, ne satisfaisaient cette âme gâtée mais généreuse. […] Enseignez donc à ce siècle-ci le respect de la tradition, l’intelligence du passé, le goût de la stabilité, l’amour de ce qui dure, rien de mieux. […] Soyez l’interprète, l’avocat de cette grande époque, et réveillez dans ma conscience le goût de ces sortes de vérités que j’oublie trop, j’y donne les mains ; mais, pour me toucher, il faut que vous partagiez ma passion, car vouloir que je sois un contemporain de Bossuet qui accorde quelque chose à Voltaire et à Montesquieu, voilà qui est impossible : ce n’est pas là la réalité. […] Aujourd’hui, l’esprit français n’a plus cette candide innocence qui lui faisait croire qu’il était le modèle Unique et parfait de la civilisation, de la littérature et du goût.
Si le lecteur daigne relire l’exposé des causes qui ont guidé ses fondateurs, il en trouvera deux : le besoin de subordonner la science à la morale, et le goût des mots abstraits. […] Ce goût pour l’abstraction a persuadé à M. de Biran de transformer en substances les forces, simples qualités ou rapports abstraits, de considérer la volonté comme l’âme, de changer l’étendue en une apparence, et de ressusciter les monades de Leibnitz. Ce goût pour l’abstraction, après avoir promené M. […] Ce goût pour l’abstraction, après avoir égaré M. […] La chose n’est guère probable ; car la science s’agrandissant chaque jour, chaque jour il devient plus difficile d’être universel, et Humboldt lui-même n’a fait qu’un catalogue des faits acquis. — Il se peut aussi que le goût de l’analyse reparaisse.
Ce mariage fut célébré poétiquement par Fléchier, qui était déjà dans la maison ; il fit à ce sujet une élégie en vers français dans le goût d’alors qui précédait la venue de Despréaux. […] Fléchier touchera tout cela dans le goût de ses patrons, qui est aussi le sien, avec finesse, d’un air d’indulgence et d’une griffe légère. […] Par cette disposition de bel esprit qui s’arrête et se complaît à la bagatelle, Fléchier n’est point de l’école sévère et judicieuse de Boileau : il a en lui de ce goût qu’aura Fontenelle, et qu’avait Benserade, un goût de ruelles dans le meilleur sens du mot. […] (Voir dans les Derniers Portraits, pages 414.) — Pourquoi les ecclésiastiques vertueux et instruits manquent-ils donc si souvent de goût ? […] Cela lui en avait donné le goût et le ton, et, de l’un à l’autre, il passa sa vie avec tout ce qu’il y avait de meilleur en ce genre, il était lui-même d’excellente compagnie….
Ils ne manquaient pourtant ni d’esprit ni de goût, et leur admiration de disciples tendres et fidèles donne à leurs pièces le caractère de pieux hommages à la gloire du maître. […] Notre goût a réduit la terreur tragique à ce qu’elle doit être pour que les nerfs n’y aient pas plus de part que l’esprit. […] Tant de facilité et d’abondance désarme le goût. […] Il voyait par-delà ses succès le refroidissement venir, dès qu’on lirait ses pièces avec le goût qu’il avait lui-même contribué à former. […] Mais le goût reprenait le dessus, et Voltaire avait du goût même contre Voltaire.
Ce sont ces aimables frères, unis ou plutôt confondus par l’amitié comme par les goûts, qui viennent aujourd’hui nous donner le résumé, la quintessence et l’esprit de leurs recherches favorites, de leur commerce prolongé avec le xviiie siècle, dans un volume où les femmes de ce temps sont montrées dans tous les rangs et dans toutes les classes, à tous les crans et à tous les moments de la société, à toutes les heures et à tous les âges. […] On détacherait pourtant de fort agréables pages, et qui sont bien dans le goût et le ragoût de ce qu’ils avaient à peindre. […] Quant à Mme de Luxembourg, qui peut-être, en accueillant si vivement l’ombrageux solitaire, caressait aussi l’auteur à la mode et qui put ensuite se refroidir en effet pour le pauvre méfiant attaqué de manie, on ne saurait lui voir, cependant, aucun tort sérieux, et les témoignages si redoublés que Rousseau accorde à « son cœur bienfaisant », ne sont pas moins significatifs que ceux par lesquels il rend hommage à son goût juste et sûr. […] Telle était la personne qui était généralement tenue pour l’oracle du goût et de l’urbanité, celle qui exerçait, on l’a dit, une espèce de police pour le ton et l’usage du monde, le censeur de la bonne compagnie durant les belles années de Louis XVI. […] J’ai connu la personne7 qui, dans un milieu, dans un cadre plus persistant et plus fixe, eût été par le goût, par l’autorité, par la concision ornée et une sorte de grâce imposante, comme une autre maréchale de Luxembourg ; qui aurait réprimé, parmi la jeunesse de l’un et l’autre sexe, le système commode du sans gêne ou du què que ça fait, s’il eût jamais pu être réprimé de nos jours ; celle dont l’approbation, exprimée d’un mot, était un honneur.
La récolte des grains de la petite métairie assurait notre subsistance : la cire et le miel des abeilles, que l’une de mes tantes cultivait avec soin, était un revenu qui coûtait peu de frais ; l’huile, exprimée de nos noix encore fraîches, avait une saveur, une odeur que nous préférions au goût et au parfum de celle de l’olive. […] Marmontel n’a pas ce goût sévère qui avertit de s’arrêter à temps et de s’en tenir à la seule nature. […] Voilà l’erreur ; et c’est parce qu’il n’a pas le goût assez sûr pour discerner à l’instant ces nuances, que Marmontel n’est pas un véritable artiste, ni même un critique du premier ordre. […] Il fut du premier jour à la mode : les financiers fastueux qui se piquaient de goût, tels que M. de La Popelinière, ne voulurent plus qu’il quittât leur salon, et les femmes qui se piquaient d’aimer la gloire, telle que Mlle Navarre, le voulurent à l’instant dans leur alcôve. […] Quand il s’est avisé de vouloir corriger le Venceslas de Rotrou pour complaire à une fantaisie de Mme de Pompadour, Grimm a remarqué que c’était là une entreprise de mauvais goût que d’habiller ainsi Rotrou à la moderne : « Mais cette remarque, ajoute-t-il sévèrement, ne peut se faire que pour ceux qui ont véritablement du goût.
La littérature et la critique industrielles n’ont de portée que sur cette classe d’esprit qui a les goûts de la plèbe et les prétentions de l’aristocratie. […] Il a la phrase agile de Voltaire ; un grand goût de nouveauté l’anime : il est excessivement habile à défendre ses admirations. […] Ces derniers ne brillent pas en général par un souci fort apparent de découvrir des talents ignorés ou de guider le goût du public. […] Albalat, Chaumeix, et Chantavoine — qui ont de l’érudition, du goût, des mérites convenables, de l’esprit, — possède M. […] Pourtant la génération dont nous avons tracé les débuts, manifesta de bonne heure son goût pour les études précises.
Un pareil choix fait honneur au goût de M. […] Le goût national pourra le maintenir. […] Il eut le tems de se plier au goût national. […] Son goût paraît l’entraîner vers le genre Italien. […] Duni l’Artiste & l’homme de goût.
Que l’on vous demande si vous aimez de même façon votre mère, votre chien, votre bel habit, et votre poète favori, vous direz non sans doute : mais quant à dire la différence de ces affections et de ces goûts, quant à en distinguer la nuance et la portée, vous en seriez bien empêché, n’est-il pas vrai ? […] Mme de Sévigné laissait trotter sa plume, mais elle l’avait bien en main, et ne la quittait pas de l’œil : elle pesait ses mots avec une décision rapide et sûre qu’elle tenait de son goût naturel et d’un fréquent exercice. […] En somme, la société de l’ancien régime, qui n’avait qu’à se divertir, a toujours eu, quelles qu’aient été ses faiblesses, le goût des divertissements qui tiennent l’esprit en éveil. […] des romans même, autres que les succès bruyants du jour, par mode, ou les histoires intriguées, fades et fausses, par goût ?
Ils se sont vu placer devant les yeux des modèles parfaits, mettre en main des méthodes — merveilleux instruments de mentalité ; — ils se sont vu montrer des raccourcis, ouvrir des portes dérobées et soudain ils se trouvèrent de plain-pied avec un territoire où fleurissaient l’art, la science et le goût, où s’épanouissaient déjà la connaissance et la beauté. […] Suscitant le goût de la recherche et de l’érudition, cette curiosité passionnée aboutissait à la découverte de la beauté antique, et il est permis de penser que si cette trouvaille fut par la suite le moyen de l’un des bonds les plus prodigieux de l’esprit humain, elle fut elle-même la conséquence et l’un des effets d’une activité déjà formée et qui avait sa source en elle-même. […] Il n’a pas fallu moins de deux siècles pour que le goût national se dégageât de ce servage et avec Boucher, avec Greuze, avec Fragonard nous restituât une peinture française. […] Pour ce qui est de l’art de construire, si une même disposition naturelle a permis à nos architectes d’accommoder en quelque mesure le goût antique aux besoins si différents des temps modernes et aux nécessités d’un autre climat, il est trop évident que c’en est fait, dès la Renaissance, de notre architecture religieuse.
Trop de penchant à mettre de l’esprit dans ses pensées, trop d’affectation dans la symétrie du style, trop de goût pour les antithèses, ne pourroient produire & n’ont peut-être déjà que trop produit de mauvaises copies, parce qu’il est plus facile d’imiter l’esprit des grands Orateurs, que leur génie. C’est sans doute cette imitation mal entendue qui a altéré si fort, parmi nous, le vrai goût de l’Eloquence de la Chaire. […] La maturité de l’âge & la perfection du goût les lui firent sentir & éviter dans ses derniers Ouvrages.
On seroit en droit de lui reprocher d’avoir abandonné le Cothurne, si on ignoroit qu’il a dans son porte-feuille plusieurs autres Pieces excellentes, & dont le succès est assuré, pour peu que le goût & la justice conservent encore des droits parmi nous. […] On y trouve en revanche des traits de force & de lumiere, des leçons de morale, des regles de goût qu’on peut adopter sans craindre de s’égarer. […] Ce qui acheve de prouver qu’il est un de nos meilleurs Littérateurs, est l’érudition qu’il joint au mérite du style & de la Poésie ; érudition qui n’est point fantastique & mendiée, comme celle de tant d’Ecrivains dont le fond consiste dans quelques Extraits lus sans réflexion, & insétés uniquement pour faire étalage, mais une érudition solide, étendue, choisie, dirigée par le goût, appuyée sur la connoissance de l’Hébreu, du Grec, du Latin, & de plusieurs Langues vivantes.
Nous avons de lui la vie de François I, jusqu’en 1539, sans compter des harangues, des traductions, beaucoup de critiques, quatre livres de poësies, intitulées Premier & second enfer, & des lettres dans un goût singulier. […] Il attaqua vivement l’auteur, Italien de naissance, un de ces sçavans, il est vrai, sans esprit & sans goût, mais considérés à cause de leur application & de leurs recherches, qui ne sortent des bornes de la modération, que lorsqu’on ne garde aucun ménagement pour eux. […] Floridus, outré d’une critique furieuse, se vengea, non en relevant des fautes de grammaire & de goût, mais en reprochant des crimes, en donnant une brochure qui contenoit la vie affreuse de Dolet.