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1165. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

D’Arpentigny, qui ne répète point les observations des autres s’il en répète les procédés, a pris la main comme l’expression résumante de l’homme tout entier ; mais avec les ressources variées de son esprit, avec le sentiment des analogies, qui est en lui à une haute puissance, il aurait pu tout aussi bien prendre le pied, et pas de doute qu’il ne nous eût dit, à propos du pied comme à propos de la main, une foule de choses vraies et charmantes. […] — entre le petit doigt et le pouce des peuples, et il dépense de vraies facultés scientifiques — de l’aveu des savants eux-mêmes — à faire la preuve approximative de sa thèse, engendrée d’Helvétius ; car Helvétius plaçait aussi la supériorité de l’homme sur les autres espèces dans la conformation de sa main. […] Par le relief et par le mouvement, par la sensation du pittoresque et la flamme de l’imagination, teinte de guerre depuis la jeunesse, le capitaine d’Arpentigny serait un magnifique historien militaire, et nous le croirions dans un milieu plus vrai que celui qu’il s’est choisi s’il nous écrivait quelque grand épisode de l’histoire de cet Empire pour lequel il est si dur et si injuste. […] À notre avis, le capitaine d’Arpentigny a fourvoyé, dans un livre paradoxal de donnée et scientifique de développement, des facultés qu’il pouvait appliquer d’une manière plus utile pour sa renommée à des sujets plus positifs et plus hauts ; mais, tout fourvoyé qu’il puisse être, il n’en est pas moins dans son livre un esprit piquant et même un penseur, — chez qui le détail vaut mieux que l’ensemble, il est vrai, — un penseur tout en étincelles !

1166. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte Gaston de Raousset-Boulbon »

» Eh bien, si c’est de partir, si c’est de vouloir, si c’est de deviner le vrai et le possible d’une grande chose et d’avoir sacrifié sa vie pour la conquérir, le comte Gaston de Raousset-Boulbon est un de ces touchants grands hommes que l’histoire nomme un jour entre deux de ses pages et puis finit par oublier ! […] C’était la vieille idée si simple et si vraie contre laquelle la philosophie proteste et réclame, et que tous les Congrès de la paix à mourir de rire ne parviendront jamais à déshonorer ! […] Mais cela est surtout vrai des hommes d’action, qui crient sur le cœur d’un ami, dans leurs lettres, quand l’action impossible ou empêchée ne les révèle plus. […] … Aller le prendre dans les élucubrations risquées de sa jeunesse, quand toutes les jeunesses de ce temps écrivassier et uniforme ont la plume à la main, c’est peut-être trouver les vestiges d’un poète mort dans son germe, mais ce n’est pas toucher le vrai Gaston de Raousset-Boulbon.

1167. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IX. L’abbé Mitraud »

Tous les critiques de notre temps, qui nous disent avec des variantes que Joseph de Maistre n’est qu’un sublime brise-raison, et Bonald un antiquaire d’idées, ont vanté M. l’abbé Mitraud et en ont fait un colosse, portable encore, il est vrai, mais un de ces jours trop lourd, même pour le triomphe. […] Il y a des affirmations parfois, mais bien plus souvent des tendances qui sont comme une aurore d’idées, un peu brumeuse encore, il est vrai, mais à travers laquelle les philosophes, qui ont la vue bonne, voient très clair. […] Révolutionnaire, quoiqu’il dise pour s’en défendre, l’auteur de la Nature des Sociétés humaines a écrit « que les révolutions sont les suprêmes efforts du genre humain pour découvrir les vraies conditions de sa vie, pour les définir exactement et s’y soumettre » ; ce qui revient positivement à dire que toutes les ivrogneries de la colère doivent servir à clarifier la vue ; singulier collyre, il faut en convenir ! […] M. l’abbé Mitraud nous dit bien, il est vrai, « que le catholicisme renferme toute vérité », qu’il est « l’affirmation universelle », qu’il n’y a pas « une loi qu’il ne contienne ».

1168. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Monselet »

Depuis qu’un poète, d’un vrai génie, sans doute, mais dont la grandeur a été mesurée, a laissé tomber contre la Critique, peut-être pour se venger de l’exactitude de sa mesure, le mot courroucé d’impuissance, bien des gens l’ont ramassé par terre, où ils auraient dû le laisser, et ils s’en sont fait une arme contre elle. […] Jugez tous les vrais poètes à cette lumière ! […] … Mais jusqu’à ce coup de foudre qui allume la poussière d’un homme et en fait un poète, et sur lequel il n’est permis à personne, si optimiste soit-on, de compter, que Monselet aille dans sa voie vraie, indiquée par la nature de ses facultés, et s’il fait des vers encore, que ce soit seulement pour ce public de cœur qui prend tout de nous avec ivresse, — nos rimes, nos cheveux et nos portraits ! […] Il n’a pas, il est vrai, cette spontanéité de malice du premier, qui faisait dire à un grand critique étranger : « Le trait frappe avant qu’on ait pu même soupçonner que l’arc a été tendu », ni la causticité mordante et l’ampleur d’événements du second.

1169. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Marie Desylles » pp. 323-339

Que ce soit donc un vrai nom que ce nom de Marie Desylles, ou que ce soit un pseudonyme, plus pudique que celui de George Sand qui ne l’était pas, si les lettres de Réa Delcroix sont un roman de femme, je suis plus à l’aise pour les juger. […] Or, si le roman disparaît, il n’y a plus là que des lettres, — des lettres sans aucun souci littéraire, sans aucune ambition que celle d’exprimer l’amour dans la nudité passionnée et pure d’une âme vraie. […] Une femme vraie ! […] … » Elle a écrit « puérile », et c’est vrai !

1170. (1890) La bataille littéraire. Deuxième série (1879-1882) (3e éd.) pp. 1-303

— Vrai ? […] c’est vrai, fit Molina. […] — C’est vrai ? c’est vrai ? […] il est donc vrai que j’ai tué un homme ; ô Dieu, quel malheur ! 

1171. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

Dans les salles, le vrai public du dimanche. […] ce sont de vraies scènes de comédie, ces lettres ! […] Mais la vraie messe de Satan est la messe dite par un prêtre qui n’y croit point. […] Le peuple sent simple et vrai. […] Non, à vous dire vrai, ni ceci ni cela.

1172. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

Voilà de l’injustice ; nous abusons du droit du plus fort ; des deux voisins, le plus gros écrase l’autre ; nous nous faisons le centre unique ; il est vrai qu’en ceci nous le sommes devenus un peu. […] Aussi Walter Scott ne néglige pas un trait si vrai et si favorable au pittoresque. […] L’amitié seule, peut-être, quand elle est vraie, et que, semblable à un vin généreux, les années là mûrissent en l’épurant. […] Toute la première partie de l’histoire est aussi vraie que touchante et délicate ; je hasarderai une seule critique sur la fin. […] Töpffer le sait bien, et en général il fait choix ; en vrai disciple de Paul-Louis Courrier, il ne va pas toujours aussi couramment qu’il en a l’air.

1173. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

Sa vraie place était dans le conseil de ce Périclès des papes. […] Alfred Mézières, est un des hommes qui ont traduit avec le plus de sagacité la vraie pensée de Machiavel. […] Les empereurs et les papes, ligués contre les Lombards et les autres barbares, sont donc les seuls et vrais souverains alors de l’Italie. […] Mais enfin voilà l’Italie depuis sa mort, l’Italie posthume, si on veut savoir à cette époque son vrai nom ; voilà l’Italie exhumée et renaissant de ses cendres jusqu’à Machiavel. […] Le Piémont, en démasquant son ambition, a compromis la vraie cause libérale en Italie.

1174. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

Ces principes, vrais quand on commande au nom de Dieu et quand on obéit par humilité volontaire, étaient admirables dans la famille, inapplicables dans la société politique. […] Ce sera plus vrai et plus charmant. […] C’était une bonne pâte d’homme, le vrai père de sa fille, et que sa femme ne trompait pas, parce qu’il n’en était pas besoin. […] je voudrais bien que vous disiez vrai. […] — C’est vrai, dis-je à mon tour.

1175. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Il est vrai que la vue de Froissart ne s’étend pas au-delà des motifs et des circonstances les plus ordinaires, et ne sort pas du cercle du récit ou de la description. […] De tels changements sont coupables dans un historien qui apprécie les faits et juge les personnes, s’il est vrai que, pour complaire à la vanité de ses contemporains, il ait trompé la postérité et menti par intérêt. […] Mais le mérite particulier de Froissart, le trait auquel s’est reconnu l’esprit français, c’est d’avoir peint des couleurs les plus vraies, ou plutôt des seules couleurs qui y convinssent, une époque caractéristique de la société française. […] Elle aussi marque un âge de la langue : c’est, il est vrai, un âge sans caractère, sans physionomie, mais où la science remarque le travail d’une langue qui va se renouveler et s’étendre. […] On ne s’attend guère à rencontrer, à cette date, un sentiment si vrai et si profond, exprimé avec la grâce du style de Montaigne.

1176. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 7-11

En second lieu, il s’est expliqué si souvent lui-même en faveur de la bonne & vraie Comédie, contre celle à laquelle il a sacrifié, qu’un jugement si désintéressé n’est propre qu’à lui procurer une double gloire, l’une d’avoir fait les deux meilleures Pieces d’un genre qu’il condamne lui-même, l’autre de savoir rendre hommage aux regles & au goût. […] On peut même penser que c’est pour rendre hommage au goût & réparer ses propres écarts, qu’il s’est occupé à rajeunir plusieurs Pieces de notre ancienne & vraie Comédie.

1177. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 5-9

Comment le vrai goût pourroit-il ne pas être soulevé par la fumée insipide de tant d’encens prodigué à des Ouvrages médiocres ? […] On a vu, par la publicité que je lui ai donnée, qu’elle nous enjoint d’être plus circonspects ; de nous reconnoître l’un & l’autre pour gens d’honneur, qu’un zele aveugle d’un côté, & un amour-propre d’Auteur de l’autre, a écartés du vrai ; qu’elle nous fait défense à tous deux de récidiver ; qu’elle supprime les écrits respectifs qui avoient donné lieu à la plainte de mon Adversaire & à la mienne ; & que, sur le surplus, elle nous met hors de Cour & de procès.

1178. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 45-49

M. de Voltaire a-t-il cru peindre au vrai son caractere, en s’exprimant ainsi dans son Siecle de Louis XIV ? […] Quand il seroit vrai que l’Abbé de Rancé auroit pris quelque part aux événemens de ce monde, après y avoir renoncé, les sentimens qu’il manifeste dans ses Ecrits & dans ses Lettres, n’ont rien qui ne puisse faire honneur à son zele & à sa piété.

1179. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 23, quelques remarques sur le poëme épique, observation touchant le lieu et le tems où il faut prendre l’action » pp. 179-182

Il est vrai que les raisons que nous avons alleguées pour montrer qu’on ne devoit point prendre une action trop recente pour le sujet d’une tragedie, prouvent aussi qu’une action trop recente ne doit pas être le sujet d’un poëme épique. […] Quand bien même il seroit vrai que nos moeurs, nos combats, nos fêtes, nos ceremonies et notre religion, ne fourniroient point aux poëtes une matiere aussi heureuse que celle que fournissoit à Virgile le sujet qu’il a traité, il ne seroit pas moins necessaire d’emprunter de notre histoire les sujets des poëmes épiques.

1180. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Mais il a sur le temps, indispensable à la réalité et à la conception même du mouvement, une théorie qu’Aristote a cru devoir réfuter, et qui cependant est profondément vraie. […] Mais, au vrai, il n’y a de loi morale que dans le cœur de l’homme ; et celui qui a créé les mondes avec les lois éternelles qui les régissent, n’a rien fait d’aussi grand que notre conscience. […] Comme ils sont des sujets ainsi que lui, ils ne sont que ses égaux ; ils ne peuvent être ses vrais juges. […] C’est l’âme qui d’abord a réglé le corps ; c’est elle qui l’a soumis au gouvernement convenable, et qui l’a restreint dans ses vraies limites. […] « Je dis que la science morale, comprise comme je viens de le faire, est la seule vraie, et que tout ce qui s’éloigne de ce type est faux.

1181. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IX »

Aujourd’hui Wotan est le point central, autour duquel tout rayonne ; tout part de lui, et — constamment — chaque action des autres personnages est ramenée à tus, et n’acquiert une vraie signification que par son rapport à lui. […] Et ce « purement humain », le seul personnage tout à fait vivant et vrai de ce drame, c’est Wotan. […] On verra que chez chaque personnage, et à chaque moment, c’est ce conflit intérieur qui est devenu le vrai drame94. […] — Mais quant aux concerts, et à leur influence néfaste, il est vrai, hélas ! […] Jullien soit vraie, qui dans les biographies allemandes « devine a chaque page et l’influence directe et le contrôle permanent du maître ou de ses représentants99 » Mais M. 

1182. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

Il parle de son Cercle des Arts avec un monsieur qui dîne à côté de lui, et je l’entends lui dire : « Je ne sais plus quels sont les gens qui en font maintenant partie… et vrai, je ne connais pas la langue qu’ils parlent. […] Mais la perle est vraie, elle ne se brise pas sous ses envieuses quenottes. […] Du reste, un chef de famille pas commode ; notre père qui était chef d’escadron à vingt-cinq ans et qui passait pour un vrai casse-cou parmi ses camarades de la Grande Armée, racontait qu’il lui arrivait de garder dans sa poche, huit ou dix jours, une lettre de son père, avant d’oser l’ouvrir. […] Il est sans cravate, le col nu, la tête rasée, en vraie toilette de guillotiné. […] On se fait en général l’image d’un bœuf, d’un lutteur savatier, mais le vrai est plus joli, plus original que l’imagination.

1183. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Dans l’exécution de son œuvre Tolstoï réalise, à rencontre de tous les romanciers idéalistes, l’une des principales lois de toute vitalité et de toute vivification : il a su reconnaître et montrer d’instinct qu’un être ne peut être décrit dans les limites bornées d’une série cohérente et dramatique d’incidents, d’une, action que la multiplicité des faits physiques et psychiques dont il est le centre déborde, que l’homme est du plus au moins toujours un microcosme complet, divers, désuni, d’une infinie variété ; qu’ainsi le roman, s’il veut être l’image et contenir tout l’intérêt et l’importance de la vie, doit être complexe, nombreux et diffus comme elle ; construite sur cette intuition profonde, l’œuvre perdra en fini, en concentration artificielle d’effet, en unité factice des caractères ; mais elle pourra se hausser à la variété frémissante et nuancée des vrais faits et des vraies âmes, au point de déployer la même richesse de contrastes et subtils développements, que la nature où les individus ne sont en définitive que des centres réflecteurs sous un angle défini de toutes choses, des particules essentiellement participantes. […] Les vieux aspects des cieux et des horizons, les grandes et antiques scènes des champs, de la route, de la guerre, de la ville, toutes les mille cérémonies de la vie sociale dont il s’est détourné avec indifférence, lui apparaissent à nouveau définis et retracés avec la vision obstinément exacte et clignante d’un prestigieux dessinateur, dont les claires pupilles savent prendre aux choses les vrais reflets. […] Ceux qui l’ont suivi, que cette création d’art a saisis par son aspect aussi original que le vrai, par sa cohérence intérieure, par l’abondance, la variabilité et la constance des êtres, par sa complexité, et ce caractère de présentation immédiate et illogique qui la rend égale et aussi incontestable que ce qui existe, séduits ainsi au point de transposer en ces livres quelques instants de leur vie, hésitent déconcertés devant ce dédain et ce souci d’autres choses. […] Le sentiment d’aise est profond à lire cette merveilleuse idylle de joie, de grâce, de gaieté, d’opulence, de bonté vraie où passent en leur vieillesse bonasse les deux parents entourés des mines espiègles, tendres et fines des petites-filles, de l’enthousiaste petite personne de Petia, au milieu de la foule des hôtes et des clients, entre les servantes, l’intendant, les valets et les veneurs. […] Mais tous ceux qui aiment le feu de la vie malgré l’incessante mort de ses flammes, trouveront en ces livres la plus grande et la plus vraie des images fictives de ce monde, la plus complète représentation qui soit des derniers fleurissements de la force sur ce globe.

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