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498. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIe entretien. Vie du Tasse (1re partie) » pp. 5-63

Pendant ces années d’exil, le père, envoyé à Paris par le prince de Salerne, pour solliciter une seconde expédition française contre Naples, vivait retiré à Saint-Germain, retouchant son poème d’Amadis et adressant des vers italiens à Marguerite de Valois. […] trop longs, qui me restent à vivre ! […] Elle aimait tant notre fils Torquato et moi que, forcée de vivre loin de nous, sans espoir d’être jamais tranquille et heureux ensemble, son cœur était torturé de mille angoisses comme celui de Tityus, dévoré par les vautours ; elle désirait vivre avec moi, fût-ce même en enfer », ajoute-t-il. « Résignons-nous donc à ce qui finit ses peines !  […] Mon pauvre vieux père n’a plus que nous deux, et, depuis que le sort lui a enlevé sa fortune et une femme qu’il aimait plus que son âme, il ne peut penser sans désespoir à être privé par la cupidité de ses oncles d’une fille chérie, dans le sein de laquelle il espérait reposer le peu de jours qui lui restent à vivre. […] Tel est le portrait minutieux qu’un contemporain et un ami trace du Tasse ; ce portrait est parfaitement conforme à celui que nous possédons nous-même, copié sur le portrait original, peint sur le Tasse vivant à Florence, et qui nous a été prêté par notre illustre ami, le marquis Gino Caponi, homme digne de vivre dans sa galerie en société avec ces grands hommes de sa patrie.

499. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre I. Les chansons de geste »

Alors vécut le comte de Montreuil-sur-Mer dont la personnalité s’est fondue dans l’unité nominale de Guillaume d’Orange. […] Ils ont vécu, et non pas seulement de cette vie individuelle qu’enregistre l’histoire : ils ont vécu en cent lieux, sous cent noms ; ce sont des types. […] On pourrait dire même que Bertolai (si jamais Bertolai a vécu et mis le poème en sa première forme), on pourrait dire que Bertolai avait l’instinct du développement épique, au meilleur sens du mot : il savait faire rendre à une situation ce qu’elle contenait d’émotion et d’intérêt. […] Bègue, de son côté, n’est pas une idéale figure, loyal, ayant la justice dans le cœur, prêt à vivre en paix, dès que lui-même ou un des siens est attaqué, le voilà fou de combats, forcené, téméraire, féroce, et je ne sais si, dans cette sanglante geste ni dans aucune autre, acte plus cruel se rencontre que celui de ce bon et brave baron : quand il a vaincu en duel Isoré, irrité qu’il est de je ne sais quelle outrageante raillerie d’un Bordelais, il arrache le cœur du vaincu et en fouette le visage de l’insulteur. […] Tout l’ennuyeux et tout l’extravagant doit périr à nouveau : ce qui mérite de vivre en sera plus au large, et la Chanson de Roland, deux ou trois autres poèmes, une douzaine d’épisodes discrètement détachés d’une centaine de poèmes, n’ont qu’à gagner à représenter seuls l’épopée française, qui y gagnera encore plus.

500. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

Jovialités facétieuses, et brusques indignations, apostrophes brutales, apologues satiriques, dialogues comiques ou dramatiques, quolibets des halles et pédantisme de l’école, descriptions saisissantes de vérité vécue, et parfois à l’aventure d’étonnantes images de mélancolie profonde, des jets hardis de poésie pittoresque, tout se mêlait, se heurtait dans cette verve puissante dont ils enlevaient les foules, grands et peuple. […] Schwob qu’il alla vivre avec ces « coquillards » bourguignons parmi lesquels on rencontre plusieurs de ses bons amis. […] C’est la dernière fois qu’on en entend parler : sans doute il n’a pas beaucoup vécu depuis. […] Et dans l’incompréhensible fatalité à laquelle nul ne se dérobe, ce pauvre diable qui a vécu dans les sales dessous de la société, saisit une grande et pathétique leçon d’égalité : mais c’est le corps encore qui la lui donne, l’entassement indiscernable des squelettes et des crânes dans les charniers ; ce sont les ossements anonymes, également nus, décharnés, dégoûtants. […] « Ils vivent de moy, et je meurs pour eux. » (Le peuple, dans le Quadrilogue invectif).

501. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVII, l’Orestie. — les Euménides. »

— « Elle a tué son mari et elle a tué mon père. » — « Oui, dit le Chœur, mais tu vis, et elle a expié par sa mort. » Oreste réplique par un trait qui porte : — « Pendant qu’elle vivait, pourquoi ne l’avez-vous pas poursuivie ?  […] ô mon cœur du temps où je vivais sur la terre ! […] il ne vivra pas ! […] — Mais voici qu’il engendre un fils qui voit tous les péchés que son père commet ; il les voit et n’agit pas comme lui… — Celui-là ne mourra pas pour le péché de son père, il vivra. — Et pourtant vous dites ; Pourquoi le fils ne porte-t-il pas le péché du père ? […] — Mais si l’impie revient de son péché, il vivra et ne mourra pas. — Est-ce que je désire la mort de l’impie ?

502. (1876) Romanciers contemporains

Il meurt en maniaque pédantesque et prédicant, sans doute comme il a vécu. […] De ces deux œuvres, la première vivra éternellement. […] L’écrivain le moins fait pour vivre en communication légitime avec ses lecteurs. […] Mais ici, nous vivons avec des réalités. […] Ceux qui la surmontent vivent à jamais dans leurs œuvres.

503. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

On se regarde vivre : l’analyse redouble toutes les perceptions et avive une sensibilité déjà trop aiguë. […] Il cherche avec nous quelle est la meilleure façon de vivre, et il nous expose quel est son propre rêve. […] Ces genres vivent de leur vie propre. […] La médiocrité où elles vivent leur donne cette physionomie sans expression. Car elles vivent étroitement, attentives au gain de chaque jour et soucieuses de le ménager.

504. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Benjamin Constant et madame de Charrière »

Vivre sans patrie et sans femme, j’aime autant vivre sans chemise et sans argent, comme je fais actuellement. […] Tant que vous vivrez, tant que je vivrai, je me dirai toujours, dans quelque situation que je me trouve : Il y a un Colombier dans le monde. […] vivent-ils encore ? […] Vous me direz que, si c’est tout, il ne vaut pas la peine de vivre. […] Retiré à Rolle, dans le pays de Vaud, il y vivait étroitement lié avec M. de Charrière.

505. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la loi sur la presse »

J’ai été journaliste, messieurs, et j’ai vécu avec les journalistes. […] Mais les restrictions, les précautions sont tout de suite venues : après cette facilité de naître pour le journal, on semble n’avoir plus été occupé que de lui opposer la difficulté de vivre. […] Ce n’est qu’à force de combinaisons, étrangères le plus souvent à son but, qu’il réussit à vivre, à surnager. […] Un homme qui la connaît bien et qui dirige avec habileté un des plus importants recueils périodiques (la Revue des Deux Mondes) me le disait encore l’autre jour : « La littérature toute seule ne fait pas vivre son homme. » Je ne vois d’exception que pour les grands succès au théâtre. […] Quelques-uns ont disparu (je pense au regrettable M. de Morny) ; quelques-autres vivent et sont peut-être ici présents : qu’ils le disent.

506. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mendès, Catulle (1841-1909) »

Catulle Mendès, où l’on vivait dans l’amour des lettres. […] Catulle Mendès a vécu. […] Autant que la Faute de l’abbé Mouret ou la Joie de vivre, le Roi vierge fit saisir aux mains actives l’inanité charmante des chapeaux de rêve. […] Ils en vivent. […] Vous y recherchez la vérité, vous y vivez pour le triomphe de l’idéal avec une passion que nos confrères ni leur « prince » n’ont connue ; avec une érudition qui humilie même les ignorants et avec ce vrai Bon Sens qui se défend d’être l’opinion moyenne, car il appartient aussi aux poètes !

507. (1889) Les premières armes du symbolisme pp. 5-50

Au contraire, osons vivre ! et vivre c’est respirer l’air du ciel et non l’haleine de notre voisin, ce voisin fût-il un dieu ! […] Il avait vécu à la cour du duc d’Orléans Gaston, il en avait noté les façons de dire. […] La poésie hellénique vivait aussi d’imitations. […] Mais là où j’oserai vous contredire, c’est lorsque vous dites que « la poésie hellénique vivait d’imitations ».

508. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre premier »

Qui ne sent à première vue combien l’espèce de relâchement dans lequel nous vivons, par des causes qui ne sont pas toutes mauvaises, rend nécessaire une ferme croyance sur ce point ? […] Mais ce sera pour en garder le lecteur, et pour le détourner de donner aux vains écrits marqués de ces caractères, un temps que l’époque où nous vivons nous compte d’une main avare, et qui suffit à peine à nous pourvoir de l’indispensable. […] Nous vivons à une époque et sous une forme de gouvernement où la réputation dans les lettres, comme la réputation au barreau chez les Romains, est une sorte de candidature universelle pour tous les emplois de l’État. […] Je m’en rapporte à la France et j’accepte sa liste pour toute la suite de sa littérature, ne réhabilitant personne et laissant les morts dans le repos de leur tombe, mais, par la recherche approfondie des causes qui ont fait vivre les uns et mourir les autres, rendant d’autant plus hommage à ceux qui ont survécu. Pourquoi ceux-ci vivent-ils, et pourquoi ceux-là ont-ils péri ?

509. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre IV. Conclusions » pp. 183-231

. — S’il est vrai que l’univers entier obéit à un rythme souverain que l’astronome constate dans la marche des soleils et que le physicien retrouve dans l’infiniment petit de la matière, pourquoi serions-nous seuls à vivre au hasard ? […] Personnellement, l’individu peut devancer les temps, préférer au groupe actuel un groupe plus vaste, mais encore faut-il qu’il ait vécu les formes précédentes ; il est alors un précurseur et son exemple n’est pas encore significatif pour la masse. […] Là où pour une raison quelconque la vie nationale est contrariée dans son développement (par exemple en Italie), la littérature originale n’apparaît que par intervalles, entre lesquels nous ne trouvons que formes imitées et idées non vécues. […] « Vivre, sur un sol libre, avec des hommes libres », c’est le rêve de Faust. […] C’est alors seulement que la vérité relative d’une époque, d’un milieu, vécue par un artiste, prend une valeur absolue : elle n’est plus une abstraction, elle est un fait ; en prenant corps dans une œuvre précise et personnelle, elle devient une réalité agissante et durable à jamais.

510. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « BRIZEUX et AUGUSTE BARBIER, Marie. — Iambes. » pp. 222-234

Ingres sectateur de l’antique beauté, des vers à la mémoire de ce Georges Farcy que sa mort a révélé à la France, et qui eût aimé ce livre s’il avait vécu, et qui, en le lisant, eût envié de le faire ; partout une nature élégante et gracieuse à laquelle le cœur se confie ; partout de bienveillantes images et un pur désir du beau : le doux Virgile en robe traînante et les cheveux négligés, s’appuyant sur le bras de Mécène au seuil du palais d’Octave ; un doute tolérant et chaste, la liberté clémente ; Jésus homme ou Dieu, dit le poëte, mais qui possède à jamais l’univers moral, et qui, s’il doit mourir, ne mourra que comme le père de famille, après que toute sa race, la race des fils d’Adam, sera pourvue ; — ce sont des vers comme ceux-ci, inspirés par le joli pays de Livry, que Mme de Sévigné chérissait déjà : ………. Sans projets, sans envie, Ne cherchons désormais que l’oubli de la vie : Que chaque objet qui passe, ou noble ou gracieux, Nous attire, et sur lui laissons aller nos yeux ; Vivons hors de nous-même ; il est dans la nature, Dans tout ce qui se meut, et respire, et murmure, Dans les riches trésors de la création, Il est des baumes sûrs à toute affliction : C’est de s’abandonner à ces beautés naives, D’en observer les lois douces, inoffensives, L’arbre qui pousse et meurt où nos mains l’ont planté, Et l’oiseau qu’on écoute après qu’il a chanté. […] quel bonheur de vivre avec de belles choses !

511. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre IV. Unité et mouvement »

Enfin elle est accompagnée d’une sensibilité bornée : les sensations extrêmes sont douloureuses et confuses ; les sensations analogues se mêlent et se brouillent ; les sensations contraires se détruisent ; les sensations simplement différentes s’affaiblissent et vivent aux dépens les unes des autres ; les sensations fortes sont tyranniques et veulent être seules dans l’âme, chassant ou excluant toutes les autres. […] Puisses-tu vivre longtemps, à pleurer la perte de tes enfants, et, à ton tour, en voir une autre parée de tes droits, comme tu t’es installée dans les miens ! […] Encadrées entre la malédiction de Marguerite et la vision du roi, toutes ces scènes, où se distribuent les événements de tout un règne, vivent d’une même vie et s’éclairent d’un même jour, sinistre et effrayant.

512. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre III. Éducation de Jésus. »

Quoique né à une époque où le principe de la science positive était déjà proclamé, il vécut en plein surnaturel. […] Philon, qui vivait dans un grand centre intellectuel, et qui avait reçu une éducation très complète, ne possède qu’une science chimérique et de mauvais aloi. […] C’est pour les besoins de la légende qu’on l’a fait vivre au temps de la captivité de Babylone.

513. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIX. Progression croissante d’enthousiasme et d’exaltation. »

La première génération chrétienne vécut tout entière d’attente et de rêve. […] Ils doivent pratiquer la pauvreté absolue, vivre d’aumônes et d’hospitalité. « Ce que vous avez reçu gratuitement, transmettez-le gratuitement 879 », disait-il en son beau langage. […] On dirait que, dans ces moments de guerre contre les besoins les plus légitimes du cœur, il avait oublié le plaisir de vivre, d’aimer, de voir, de sentir.

514. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXII. Machinations des ennemis de Jésus. »

L’état de leur conscience était celui des stigmatisées, des convulsionnaires, des possédées de couvent, entraînées par l’influence du monde où elles vivent et par leur propre croyance a des actes feints. […] Ce qu’il y a de certain, c’est que dès lors un conseil fut assemblé par les chefs des prêtres 1019, et que dans ce conseil la question fut nettement posée : « Jésus et le judaïsme pouvaient-ils vivre ensemble ?  […] Il y vécut quelques jours avec ses disciples, laissant passer l’orage.

515. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les Kœnigsmark »

D’ailleurs, cette figure est le centre d’un groupe, et, comme toutes les figures centrales dans l’histoire, autour d’elle vivent et se meuvent d’autres physionomies qui concentrent sur son front la prismatique influence de leur brûlante intensité. […] C’était une simple femme au cerveau de femme, au cœur de femme, aux passions de femme, mais, après tout, un de ces êtres rares dans toute histoire, et qu’à l’époque où elle vécut on aurait jugée impossible. […] De l’un il avait l’énergie téméraire, et de l’autre la beauté suprême, l’ironie, la grâce, l’insolence, tous les ensorcellements des hommes qui doivent vivre et mourir par l’amour.

516. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Gustave III »

Ainsi, il vendit des biens d’Église, et devint distillateur et marchand d’eau-de-vie dans les proportions d’un monopole immense, pour faire vivre dans leur luxe effréné ceux-là que Léouzon-Leduc appelle hardiment ses mignons… L’un des plus comiques de ces spectacles fut sa coquetterie avec les Francs-Maçons et le prétendant d’Angleterre, qui était grand-maître de l’Ordre, auquel, dans des vues de conquête politique, il voulut succéder ; et surtout ce fut sa réclamation, comme Maçon, de la Livonie, qui avait jadis, comme on sait, appartenu aux Templiers… Extravagant, mais d’une extravagance qui passait comme un coup de vent, il rêva tour à tour qu’il prendrait la Norvège, qu’il confisquerait le Danemark, qu’il entamerait la Russie ; et il intrigua, brouilla, remua, mais stérilement, dans le sens de tous ces rêves, lesquels n’eurent de réel qu’une superbe bataille navale qu’il gagna lui-même en personne, — belle inutilité de plus ! […] Sans doute, il fallait qu’il mourût comme il avait vécu ! […] Une circonstance qu’un historien qui sait la valeur de tout dans une pareille histoire ne peut oublier, c’est qu’à ce bal où il fut tué il parut d’abord à visage découvert, intrépide et incrédule comme César, comme le duc de Guise, comme tous les héros, — ayant dans sa poche aussi l’avertissement qu’il bravait, une lettre écrite par un des conjurés contre sa vie, — et qu’après s’être fait voir ainsi, il rentra chez lui, prit un domino et un masque, et revint pour mourir comme il avait vécu, en costume de fête et masqué !

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