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1863. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

Cette École, on le sait, a été réformée d’après un décret de l’Empereur, venu à la suite de considérations exposées dans un double rapport du ministre et du surintendant des Beaux-Arts. […] Ce que je sais, comme spectateur et témoin des mouvements et variations de notre temps, c’est que la plupart des idées et des réformes indiquées étaient depuis longtemps dans la pensée et dans les discours des hommes éclairés qui s’occupaient le plus de beaux-arts en dehors des Académies, et qu’elles venaient, bien qu’un peu tard, réaliser des vœux qu’ils n’avaient cessé d’exprimer. […] Viollet-Le-Duc, quand il s’y mit résolument en 1840, venait donc à point pour recueillir les fruits de toute cette étude et de cette battue antérieure, pour tout comprendre dans l’examen de cette époque de l’art et en développer l’ensemble, l’organisme véritable et l’esprit. […] Mon vieux guide voulut en vain me détromper ; sous cette impression de plus en plus vive, puisque j’en venais, dans mon imagination, à croire que tels panneaux de vitraux produisaient des sons graves, tels autres des sons aigus, je fus saisi d’une si belle terreur qu’il fallut me faire sortir… » J’en conclus seulement que M. 

1864. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

L’ouvrage n’étant qu’une attaque à fond, une guerre déclarée aux romans de chevalerie dont n’entendirent jamais parler ni Aristote, ni Cicéron, ni saint Basile, il n’est pas plus à propos de venir citer ces grands noms que de s’inquiéter des règles de la rhétorique auxquelles un tel sujet, né si tard et si étranger aux anciens maîtres, échappe naturellement. […] Les personnages mis en scène sont si bien venus et si vivants, ils sont nés sous une si heureuse étoile, ils sont d’une physionomie si originale et ont un caractère si marqué (y compris leurs deux montures, inséparables des deux maîtres), qu’on s’attache et qu’on s’affectionne à eux tout d’abord, indépendamment de la moralité finale que l’auteur prétend tirer de leurs actions. […] G. de Lavigne que l’ouvrage du continuateur n’est nullement méprisable et qu’il n’est difficile à lire aujourd’hui que parce que la place est prise et que chaque lecteur a dans l’esprit la suite si agréable de Cervantes, c’est tout ce que vraiment on pourrait faire ; je viens, dans mon désir d’impartialité, d’essayer de lire quelques chapitres de ce Don Quichotte d’Avellaneda ; tout ce que j’en ai vu me paraît lent, logique et lourd ; on ne peut s’empêcher de dire à chaque instant : « Ah ! […] Ce qu’il y a de plus certain en tout ceci, c’est que Cervantes avait beaucoup vu, qu’il avait probablement observé des aliénés, et qu’avec le tact de l’artiste, encore plus qu’avec le tact médical, il a présenté la folie de son héros du côté le plus plausible et le plus acceptable, de manière à entraîner son lecteur. — Mais qu’il est donc difficile de garder la juste mesure dans l’admiration comme dans la critique, et quel ingrat métier que celui qui consiste à venir sans cesse dire gare à tout excès, à vouloir toujours remettre le cavalier d’aplomb sur sa monture !

1865. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine. (suite et fin.) »

. — Comme j’en suis à cet endroit, on m’apprend qu’il est de mieux en mieux ; car je viens d’envoyer chez M. de Riberpré, son gendre, mon voisin. » De mieux en mieux ! […] Il est en effet bien à plaindre : il a de la candeur, et il viendra un bon moment où il s’en humiliera devant Dieu et réparera la mauvaise édification que son impatience peut donner. […] Vuillart raconte très-naïvement comme quoi, un matin, en allant voir Despréaux, il eut l’idée d’entrer dans l’église Saint-Denis-du-Pas110, et comment le mouvement lui vint d’adresser à Dieu, sous l’invocation de ce saint apôtre des Parisiens, une prière à l’intention de l’archevêque son successeur, le cardinal de Noailles, afin que le prélat se montrât ferme et vaillant à son exemple, et qu’au lieu de mollir il fût comme un mur d’airain pour le soutien de la bonne cause et de la vérité (9 octobre 1700) : « J’allais, dit-il, chez le cher Despréaux, et c’était ma route, car cette petite église est derrière le chœur de la cathédrale, et Despréaux est logé près du Terrain. […] N’est-ce pas un hors-d’œuvre que je suis venu offrir devant des générations ailleurs occupées, et dont la faculté d’admiration est engagée dans des voies toutes différentes ?

1866. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

Vient ensuite le pèlerinage virgilien à l’antre de la Sibylle, cadre un peu vulgaire depuis Énée et Panurge, mais qui permet de brillants détails. […] Les noms seuls de Camille, de Tullius et des vieux Romains lui viennent à la bouche, et il est loin en idée de la patrie des Mirabeau, des Barnave et des Camille Jordan. […] A l’occasion de la Popularité, j’écrivais dans la Revue des Deux Mondes (15 décembre 1838) l’article suivant : — La Comédie Française est en veine heureuse : un jeune talent lui rend ses anciens chefs-d’œuvre ; et son poëte moderne, qui l’a accoutumée à des succès légitimes et sûrs, vient d’en obtenir un nouveau. […] Nous venons trop tard pour analyser : ce sera assez de jeter quelques observations.

1867. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Tantôt, flottant entre un passé gigantesque et un éblouissant avenir, égarée comme une harpe sous la main de Dieu, l’âme du prophète exhalera les gémissements d’une époque qui finit, d’une loi qui s’éteint, et saluera avec amour la venue triomphale d’une loi meilleure et le char vivant d’Emmanuel ; tantôt, à des époques moins hautes, mais belles encore et plus purement humaines, quand les rois sont héros ou fils de héros, quand les demi-dieux ne sont morts que d’hier, quand la force et la vertu ne sont toujours qu’une même chose, et que le plus adroit à la lutte, le plus rapide à la course, est aussi le plus pieux, le plus sage et le plus vaillant, le chantre lyrique, véritable prêtre comme le statuaire, décernera au milieu d’une solennelle harmonie les louanges des vainqueurs ; il dira les noms des coursiers et s’ils sont de race généreuse ; il parlera des aïeux et des fondateurs de villes, et réclamera les couronnes, les coupes ciselées et les trépieds d’or. Il sera lyrique aussi, bien qu’avec moins de grandeur et de gloire, celui qui, vivant dans les loisirs de l’abondance et à la cour des tyrans, chantera les délices gracieuses de la vie et les pensées tristes qui viendront parfois l’effleurer dans les plaisirs. […] Grand Dieu, votre main réclame Les dons que j’en ai reçus ; Elle vient couper la trame Des jours qu’elle m’a tissus : Mon dernier soleil se lève, Et votre souffle m’enlève De la terre des vivants, Comme la feuille séchée, Qui, de sa tige arrachée, Devient le jouet des vents. […] Puis vient la comparaison avec Orphée et la prière aux trois sœurs filandières pour le comte du Luc ; on y trouve quelques strophes assez touchantes, que La Harpe, d’ordinaire peu favorable à Jean-Baptiste, mais attendri cette fois comme Pluton, a jugées tout à fait dignes d’Orphée.

1868. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre 2. La littérature militante »

Mais il dut son succès précisément à ce qu’il vint à son heure, lorsque tout le monde était disposé à le goûter, à ce qu’il exprimait des idées qu’il commençait à être inconvenant de ne pas partager : il plaidait une cause gagnée, mais si récemment gagnée qu’un plaidoyer ne semblait pas encore superflu. […] Et de là vint que son mérite et son succès ne furent pas de pure actualité : assez d’apaisement s’était déjà fait pour que la satire ne put se passer de grâce littéraire, et que cette grâce littéraire fût savourée du lecteur. […] Ce sont d’abord les deux charlatans, espagnol et lorrain, qui débitent le précieux Catholicon : symbole expressif des ambitions qui entretenaient la guerre civile ; puis le pittoresque tohu-bohu de la procession ligueuse, charge plaisante de la réelle procession de 1590, mais en même temps véridique peinture de toutes les mascarades révolutionnaires : enfin les États, et cette fameuse suite de discours où, par un spirituel emploi de procédé satirique, chacun des meneurs vient se déshabiller lui-même devant le public, et livrer le secret de son égoïsme, jusqu’à ce que, dans la bouche de D’Aubray, la voix de la saine et honnête bourgeoisie française, tour à tour indignée, ironique ou piteuse, se fasse entendre. […] Bourgeois et érudits, ils écrivent en bourgeois et en érudits : ils ont l’esprit de leur classe et de leur temps : de là vient que leurs inspirations se fondent et se confondent si bien.

1869. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les deux Tartuffe. » pp. 338-363

D’où vient cela ? […] Notez que Dorine n’est pas précisément choquée des bruits vilains que fait Tartuffe, mais qu’elle raille surtout la bienveillance avec laquelle Orgon les salue : Et, s’il vient à roter, il lui dit : Dieu vous aide ! « S’il vient à roter… », entendez : si cela lui arrive, par hasard… comme cela peut arriver à tout le monde… Du Tartuffe violemment caricaturé par Dorine, passons au Tartuffe pieusement et béatement dessiné par Orgon. […] Et cette noblesse, Dorine elle-même ne paraît pas la mettre en doute, lorsqu’elle dit à Marianne : Vous irez par le coche en sa petite ville… D’abord chez le beau monde on vous fera venir.

1870. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — III. (Suite et fin.) » pp. 47-63

Un ancien négociant de Marseille, nommé Blanc, ruiné par le maximum, était venu en Égypte pour rétablir sa fortune, et avait fait l’expédition avec le titre et les fonctions d’ordonnateur des lazarets ; mais le mal du pays l’avait pris ; il ne rêvait que France et retour ; c’était plus qu’une maladie, c’était un délire. […] Mais ici la méfiance, déjà propre à cette jeune nature, se marqua à l’instant ; sa physionomie se ferma : « Mais je ne connais personne à Paris », répondit-il ; — et après une pause d’un instant : « Je n’y connais plus que la colonne de la place Vendôme. » Puis s’apercevant qu’il avait interprété trop profondément une parole toute simple, et pour corriger l’effet de cette brusque réponse, il envoya le surlendemain à M. de La Rue, qui montait en voiture, un petit billet où étaient tracés ces seuls mots : « Quand vous reverrez la Colonne, présentez-lui mes respects. » Au maréchal Marmont, comme à toutes les personnes avec qui il parlait de la France, le jeune prince exprimait l’idée qu’il ne devait, dans aucun cas, jouer un rôle d’aventure ni servir de sujet et de prétexte à des expériences politiques ; il rendait cette juste pensée avec une dignité et une hauteur déjà souveraines : « Le fils de Napoléon, disait-il, doit avoir trop de grandeur pour servir d’instrument, et, dans des événements de cette nature, je ne veux pas être une avant-garde, mais une réserve, c’est-à-dire arriver comme secours, en rappelant de grands souvenirs. » Dans une conversation avec le maréchal, et dont les sujets avaient été variés, il en vint à traiter une question abstraite ou plutôt de morale, et comparant l’homme d’honneur à l’homme de conscience, il donnait décidément la préférence à ce dernier, « parce que, disait-il, c’est toujours le mieux et le plus utile qu’il désire atteindre, tandis que l’autre peut être l’instrument aveugle d’un méchant ou d’un insensé ». […] Le talent proprement dit, l’art d’écrire lui vient chemin faisant ; il dira à propos des sépulcres restés vides, qui furent construits près de Jérusalem par Hérode le Tétrarque : « Alors, comme à présent, il y avait des grandeurs passagères ; et des tombeaux promis et élevés ne recevaient pas les cendres qui devaient les occuper. » Mais c’est l’Égypte surtout qui est le but où tend le voyageur ; il y retrouve, en y mettant le pied, les souvenirs présents et les émotions héroïques de sa jeunesse. […] Vivant ou mort, il ne faut pas que, de la part du maréchal, une approbation, une louange exprimée dans l’intimité semble venir solliciter une faveur et une grâce ; ce serait aller contre sa pensée.

1871. (1903) Zola pp. 3-31

C’est là qu’on trouve, aveu naïf que l’auteur se serait gardé de faire plus tard : « Elle en vint à… par un lent travail d’esprit qu’il serait très intéressant d’analyser » ; et que l’auteur n’analysait point du tout. […] Prenez le premier venu des admirateurs de Zola, il vous dira : « Sans doute ; mais qu’est-ce que c’est que Swift, La Rochefoucauld, La Fontaine, La Bruyère et Voltaire, auprès de Victor Hugo, Balzac et Zola ?  […] Le sens pittoresque est devenu en lui cette couleur grosse et criarde qui fait comme hurler les objets au lieu de les faire chanter, comme disent les peintres, dans une harmonie et comme une symphonie générale selon leurs rapports avec les autres objets qui les entourent. — L’objet matériel animé d’une vie mystérieuse, qui est peut-être l’invention la plus originale des romantiques et d’où est venue toute la poésie symbolique, est devenu chez Zola, souvent, du moins, une véritable caricature lourde, grossière et puérile et la « solennité de l’escalier » d’une maison de la rue de Choiseul a défrayé avec raison la verve facile des petits journaux satiriques. — La simplification de l’homme, réduit à une passion unique et dépouillé de sa richesse sentimentale et de sa variété sensationnelle, est devenue, chez Zola, une simplification plus indigente encore et plus brutale ; chaque homme n’étant plus chez lui qu’un instinct et l’homme descendant, en son œuvre, on a dit jusqu’à la brute et il faut dire beaucoup plus bas, tant s’en fallant que l’animal soit une brute et que chaque animal n’ait qu’un instinct. […] Une partie du mépris que professent à notre égard les étrangers vient des livres d’Émile Zola.

1872. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

I La lecture des romans de Flaubert, faite du point de vue qui vient d’être indiqué, laisse peu de chose à dire sur le Bovarysme des individus, en tant qu’il donne naissance au relief comique des personnages6.Flaubert se complète ici par Molière : Le Bourgeois gentilhomme, Les Précieuses ridicules, Les Femmes savantes nous montrent autant de cas de Bovarysme dont la démonstration est trop aisée pour qu’on y insiste. […] Ainsi on en vient à agir au gré d’une sensibilité que l’on croit avoir et que l’on n’a pas. […] Le snob est sincère, et s’il s’inquiète de fournir aux autres hommes des prétextes de le juger favorablement, c’est afin que leur illusion vienne au secours de la sienne : c’est lui qu’il supplie qu’on trompe. […] Aussi le snobisme ne vient-il à maturité que dans des milieux suffisamment denses et parmi des conditions avancées déjà de sociabilité.

1873. (1887) La banqueroute du naturalisme

C’est ce qui vient d’arriver : et le volume n’a point encore paru, le journal de M.  […] Ils n’en ont vu que le contour, ils n’en ont su fixer que la silhouette ; et, pour cette raison, s’ils doivent durer quelque temps, si les générations qui viennent les lisent encore, ce ne sera pas comme naturalistes, ce ne sera pas non plus comme pessimistes, — un autre mot qu’ils compromettent par l’usage qu’ils en font, — ce sera comme vaudevillistes. […] Ayant renouvelé d’abord les moyens de la pornographie, il a pensé que le temps était venu, dans le programme de son art démocratique et social, de renouveler aussi les moyens de la scatologie. […] Ainsi sommes-nous faits en France, toujours courtisans du succès, et non moins empressés d’oublier, quand l’heure en est venue, pour quelle part nous y avons autrefois contribué.

1874. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

Il s’approprie et publie une seconde fois, avec corrections, la correspondance de Malebranche et de Mairan, qui venait d’être publiée. […] II Tel est cet orateur que l’imagination poétique et l’esprit d’érudition ont promené dans l’érudition et égaré dans la philosophie, qui, après avoir voyagé parmi divers systèmes et hasardé un pied, et même deux pieds, dans le panthéisme, est venu se rasseoir dans les opinions moyennes, dans la philosophie oratoire, dans la doctrine du sens commun et des pères de famille ; qui, pensant faire l’histoire du dix-septième siècle, en a fait le panégyrique ; qui, croyant tracer des portraits et composer des peintures, n’a su que recueillir des documents et assembler des textes ; mais qui, dans l’exposition des vérités moyennes et dans le développement des sujets oratoires, a presque égalé la perfection des écrivains classiques, et qui, par la patience de ses recherches, par le choix de ses publications, par la beauté et la solidité de ses monographies, a laissé des modèles aux érudits qui continueront son œuvre, et des matériaux aux philosophes qui profiteront de son travail. […] Si le lecteur daigne regarder autour de lui, il verra cent exemples de ces vocations contrariées par les circonstances, de ces esprits prématurés ou tardifs, de ces hommes de talent qui eussent été des hommes de génie s’ils étaient venus à temps. […] Un jour, par hasard, Mme de Longueville vint écouter son sermon ; la belle pénitente pleura, et tout le monde confessa que le prédicateur s’était surpassé.

1875. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — [Introduction] » pp. 132-142

Un grand génie, Descartes, est venu proclamer hardiment qu’il y avait des matières où l’érudition n’était qu’un embarras, et que l’esprit humain, pour procéder avec sûreté, n’avait qu’à s’armer de méthodes propres à lui, exactes et nouvelles. […] Vingt ans après, La Motte réveille les hostilités en publiant son imitation en vers de L’Iliade, accompagnée d’un discours irrévérent Sur Homère (1714) ; Mme Dacier prend feu, les érudits se fâchent ; on en vient aux gros mots. […] Seulement, vers la fin, il a commis une légère injustice, et je viens en appeler à lui-même.

1876. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Note »

Note J’ai peu à ajouter à ces articles au point de vue littéraire, et toute la gamme des sentiments du critique, depuis l’enthousiasme premier jusqu’au temps d’arrêt et à la résistance finale, vient d’être, ce me semble, parcourue et comme épuisée. […] Tenez ferme, tirez-nous de là et vous aurez des autels. » — Lamartine monta avec son monsieur dans une citadine près la rue du Grand-Chantier ; je le quittai et j’allais devant, lorsque à la hauteur de la rue Sainte-Avoie je fus arrêté, et la citadine qui venait derrière aussi, par la légion du quartier du Temple qui défilait en revenant de l’Hôtel de Ville et qui criait à tue tête : Vive la république ! […] Ce sont des bulletins comme celui de Ledru-Rollin, d’hier (le bulletin du 14 ou 15 avril), qui font tout le mal. » Il me répondit : « Ledru-Rollin est venu ce matin à dix heures se rallier à nous, il s’est repenti.

1877. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XXIV. Conférence sur la conférence » pp. 291-305

Comment, n’allant presque jamais au théâtre, depuis qu’après un an d’expérience quotidienne, poursuivie par devoir ou plutôt par métier, en 1888, je reconnus dès 1889 que, plus ça changeait plus c’était la même chose, que, si aux reprises du Courrier de Lyon, le régisseur, je suppose, a l’attention gracieuse de rafraîchir les scènes les plus défraîchies, pour les vaudevilles d’usage courant on néglige même ce soin ingénu, qu’on change, il est vrai sur l’affiche Boucheron en Burani, et dans la pièce Molinchart en Dupotard, mais que ces corrections nominales ne font différer en rien les produits nouveaux de l’invariable étalon déposé dans les prisons où le Palais-Royal fait travailler, — comment, avec ce parti pris évident d’indifférence aux manifestations, dramatiques, viens-je, en personnage de prologue, improviser sur cette scène mon petit solo de rhétorique ? […] de l’écouter avec agrément, sous peine de vous confesser à vous-même votre tort d’être venu, d’avoir peut-être payé vos places, et en ce cas ridiculement cher. […] Avec les optimistes qu’on en est venu à plus de simplicité sinon de sincérité ; — ou avec les pessimistes que, dans l’impossibilité d’imposer gravement des théories auxquelles on ne croit pas à un public qui y croirait peu, on a dépouillé tout dogmatisme, le bon comme le mauvais, et suivant une distinction de mots que nous emprunterons, petite pédanterie, Pascal, on n’ose plus essayer de convaincre et l’on se contente d’agréer.

1878. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Préface »

L’effroyable aventure du moyen âge, cette interruption de mille ans dans l’histoire de la civilisation, vient moins des barbares que du triomphe de l’esprit dogmatique chez les masses. […] Je crois bien que, si les idées démocratiques venaient à triompher définitivement, la science et l’enseignement scientifique perdraient assez vite leurs modestes dotations. […] Le jour même où j’allais donner le bon à tirer de cette feuille la mort de mon frère est venue rompre le dernier lien qui m’attachait aux souvenirs du toit paternel.

1879. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 32, que malgré les critiques la réputation des poëtes que nous admirons ira toujours en s’augmentant » pp. 432-452

J’en appelle à témoin les grecs qui vinrent nous les expliquer après la prise de Constantinople par les turcs. […] Mais, dira-t-on, ne pourra-t-il pas arriver que les critiques à venir fassent remarquer dans les écrits que vous admirez des fautes si grossieres, que ces écrits deviennent des ouvrages méprisez par la posterité ? […] Ainsi nous pouvons promettre sans trop de témerité la destinée de Virgile, d’Horace et de Ciceron aux écrivains françois, qui font honneur au siecle de Louis Le Grand, c’est-à-dire, d’être regardez dans tous les temps et par tous les peuples à venir comme tenans un rang entre les grands hommes, dont les ouvrages sont réputez les productions les plus précieuses de l’esprit humain.

1880. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVII. Le Retour du Christ. Appel aux femmes ! »

Dumas, susceptible, à lui tout seul, comme une Assemblée nationale, a fait de cet Appel aux femmes un véritable appel au Public ; et ce n’est qu’après l’avoir lu, que le Public, qui n’est pas toujours une bête, s’est refroidi et n’est plus venu à l’Appel… II C’est que ce livre n’est qu’une déclamation vide, sans talent et sans sincérité. […] La femme qui vient d’écrire ce livre du Retour du Christ n’est peut-être pas sans croyance, mais elle a un style de Lélia convertie qui n’a pas oublié son ancien langage. […] Elle est incroyable, et encore plus, incompréhensible de la part de ce catholique… du lendemain. — de ce lendemain qui ne vient jamais, dit saint Augustin, mais qu’on attend toujours ; — et qui, du coup de cette thèse, renonce à une de ses attitudes favorites et renie le catholicisme, avant de l’avoir pratiqué !

1881. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Tallemant des Réaux »

De gaîté, cette qualité vulgaire et toujours bien venue en France, il n’en a point, quoique le fond de beaucoup de ses historiettes soit comique. […] On entend parfois dans ses historiettes les petits éclats de ce rire sec dont Joubert disait, avec son appréciation ferme et exquise : « Tout ricanement déplacé vient d’une petitesse de tête », et, malgré la gaucherie des formes qui révèlent le cuistre, il y a parfois, çà et là, de ces légèretés d’assassin qui font pressentir Voltaire, cet autre bourgeois, mais étincelant de génie, et qui, frotté aux grands seigneurs, avait contracté la grâce pestiférée de leurs vices. […] Il va, il vient, il flâne, il trotte sur les pas de son vieux Tallemant, mais de repli véhément sur soi-même, de réflexion, d’appréciation pénétrante qui ouvre le flanc à cette société qui a la mort dans les entrailles et qui a l’air de vivre si fort, il n’y en a trace nulle part dans la préface ou dans les notes de ce bel esprit superficiel.

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