Barneveld disait de lui, au sortir d’une conférence : « Je m’en vais toujours meilleur de quelque chose quand je parle à cet ambassadeur, et je ne sais ce que nous ferions sans lui. » — Et pour une marque certaine de l’estime auquel il était, nous dit Saumaise, témoin oculaire, c’est qu’il n’y a point de familles honnêtes ni de bonnes maisons en toutes ces provinces, où son portrait en leurs plus belles chambres ne servît d’ornement ; et, pour dire la vérité, cette figure est agréable à voir, car ce front élevé et cette grosse tête a je ne sais quoi de romain qui respire la liberté. […] Il avait tâché de lui faire rétablir et payer une pension de France qui lui avait été autrefois accordée par Henri III, et de le ramener, s’il se pouvait, dans sa patrie ; il en écrivit à Villeroi qui promit de s’y employer : « J’ai trouvé aussi, écrivait-il à Scaliger, M. de Sully plus doux et courtois que je ne pensais. » Mais on différa trop, et Scaliger eût le temps de mourir avant le bienfait : Il est fort regretté ici, où sa vertu et grande suffisance aux lettres ont été mieux reconnues qu’en France, écrivait le président Jeannin à de Thou, et à la vérité c’est honte à nous de n’en avoir eu plus de soin pendant qu’il a vécu. […] Le roi lui demanda à titre de service de se charger d’écrire l’histoire de son règne, l’assurant « qu’il entendait laisser la vérité en sa franchise, et à l’auteur la liberté entière de l’écrire sans fard ni artifice, et sans lui attribuer, à lui, ce qui était dû à la seule providence de Dieu ou à la vertu d’autrui ». […] On voit par une réponse énergique de lui au maréchal de Bouillon (juin 1615) que, malgré son âge, il ne faiblissait pas devant les grands redevenus factieux, et qu’il leur disait assez haut leurs vérités : « La médisance contre ceux qui sont employés au maniement des affaires publiques, écrivait-il à M. de Bouillon, est un doux et agréable poison qui se coule aisément en nos esprits, et, quand ils en sont une fois infectés, il est malaisé que la vérité pour les défendre y soit reçue. » Il y donne la clef de sa conduite, qui dut consister souvent, en ces temps de trouble et de faiblesse, à tolérer, à souffrir un moindre mal pour en empêcher un pire : Le commandement n’est pas toujours absolu pendant les minorités.
Quelques-uns de ces tigres, à la vérité, ont été un peu astronomes quand ils ont été de loisir, après avoir saccagé tout le nord de l’Inde ; mais est-il à croire que ces tigres partirent d’abord de leurs tanières avec des quarts de cercle et des astrolobates ? […] Un jeune homme, fort de raisons et de vérités, a-t-il jamais fait changer l’opinion d’un vieillard ? […] Il faut l’avouer, nous sommes nés pour les préjugés, bien plus que pour la vérité ; la vérité même n’est opiniâtre que lorsqu’elle est devenue préjugé… Les idées nouvelles, faibles parce qu’elles sont naissantes, n’ont pas la force de pénétrer, et, pour se placer, elles attendent des têtes neuves… Machinalement ou physiquement, l’homme est imitateur ; mais si la nature a voulu qu’il fût porté par un penchant secret, par une force assez grande, à faire tout ce qu’il voit faire, elle a voulu lui conserver son originalité par l’amour-propre… Ce n’est plus là une discussion à la Foncemagne, c’est même plus vif qu’une conversation d’Anacharsis chez Barthélemy. […] Le Tartare est l’image de la conscience des méchants : les vérités physiques ne se dévoilent qu’aux sages, aux âmes pures et tranquilles.
Il essaye, pour y répondre, d’hypothèses diverses : l’arrangement fortuit, la nécessité du mouvement de la matière, l’infinité de combinaisons possibles dont une a réussi… Il hésitait, il commençait à se troubler : placé entre des explications incomplètes et des objections sans réplique, il allait, s’il n’y prenait garde, trop accorder à la raison, au raisonnement ; il sentait poindre l’orgueil en même temps que s’accroître les obscurités, quand tout à coup… mais laissons-le parler lui-même sa plus belle langue : Quand tout à coup un rayon de lumière vint frapper son esprit et lui dévoiler ces sublimes vérités qu’il n’appartient pas à l’homme de connaître par lui-même et que la raison humaine sert à confirmer sans servir à les découvrir. […] Cette grâce fut le prix de son sincère amour pour la vérité et de la bonne foi avec laquelle, sans songer à se parer de ses vaines recherches, il consentait à perdre la peine qu’il avait prise et à convenir de son ignorance plutôt que de consacrer ses erreurs aux yeux des autres sous le beau nom de philosophie. […] A-t-il voulu faire entendre qu’entre la première manière de comprendre l’Être divin et toutes les autres il y a précisément toute la distance de la vérité à la fiction, et qu’un seul et même voile d’illusion, sauf la juste différence du plus au moins, s’étendra indistinctement sur tout ce qui sera vu dans le songe ? […] L’entrée d’un petit vieillard d’assez chétive mine dans le temple, l’adresse qu’il met à se faire admettre, à se faufiler, les airs d’aveugle qu’il se donne, puis, tout d’un coup, dès qu’il se voit à portée de l’autel, son brusque élan, son attaque à la statue de la Superstition ou du Fanatisme dont il déchire le voile, tout cela est ingénieux et symbolise bien Socrate ; mais ce Socrate lui-même, en mourant victime de son zèle pour la vérité, n’adresse-t-il pas à cette statue odieuse qu’il n’a pu que dévoiler sans la renverser, une espèce d’hommage un vœu de sacrifice : est-ce ironie ? […] Rien ne l’embarassait ; les questions les plus captieuses avaient à l’instant des solutions dictées par la sagesse ; il ne fallait que l’entendre une fois pour être persuadé : on sentait que le langage de la vérité ne lui coûtait rien, parce qu’il en avait la source en lui-même.
La force, la loyauté guerrière, la vérité, comme attributs de la force, étaient les seules idées qu’ils eussent jamais conçues de la vertu. […] Si quelque goût inné pour les lettres, les arts et la philosophie, se trouvait encore dans le Midi, il était dirigé principalement vers les subtilités métaphysiques ; l’esprit sophistique mettait en doute les vérités du raisonnement, et l’insouciance, les affections du cœur. […] Les dogmes de la religion chrétienne, l’esprit exalté de ses premiers sectaires, favorisaient et dirigeaient la tristesse passionnée des habitants d’un climat nébuleux : quelques-unes de leurs vertus, la vérité, la chasteté, la fidélité dans les promesses, étaient consacrées par des lois divines. […] Comment se fait-il, dira-t-on, qu’approfondir l’erreur puisse jamais servir à la connaissance de la vérité ? […] Quand les opinions que l’on professe sur un ordre d’idées quelconque, deviennent la cause et les armes des partis, la haine, la fureur, la jalousie parcourent tous les rapports, saisissent tous les côtés des objets en discussion, agitent toutes les questions qui en dépendent ; et lorsque les passions se retirent, la raison va recueillir, au milieu du champ de bataille, quelques débris utiles à la recherche de la vérité.
La protection des princes d’Italie a donc beaucoup contribué à la renaissance des lettres ; mais elle a dû mettre obstacle aux lumières de la philosophie ; et ces obstacles auraient subsisté, lors même que la superstition religieuse n’aurait pas altéré de plusieurs manières la recherche de la vérité. […] Enfin dans tout pays ou l’autorité publique met des bornes superstitieuses à la recherche des vérités philosophiques, lorsque l’émulation s’est épuisée sur les beaux-arts, les hommes éclairés n’ayant plus de route à suivre, plus de but, plus d’avenir, se laissent aller au découragement ; et à peine reste-t-il alors assez de force à l’esprit humain pour inventer les amusements de ses loisirs. […] Dans l’Orient, le despotisme tourna les esprits vers les jeux de l’imagination ; on était contraint à ne risquer aucune vérité morale que sous la forme de l’apologue. […] L’amour espagnol, la jalousie espagnole ont un tout autre caractère que les sentiments représentés dans les pièces italiennes ; il n’y a ni subtilité, ni fadeur dans leurs expressions ; ils ne représentent jamais ni la perfidie de la conduite, ni la dépravation des mœurs ; ils ont trop d’enflure dans le style ; mais tout en condamnant l’exagération de leurs paroles, l’on est convaincu de la vérité de leurs sentiments. […] L’affectation est de tous les défauts des caractères et des écrits celui qui tarit de la manière la plus irréparable la source de tout bien, car elle blase sur la vérité même dont elle imite l’accent.
On prend pour matière ces idées générales, ces descriptions de sentiments, ces vérités moyennes, qui sont l’objet propre de l’éloquence. […] Cousin, si ce n’est dans la possession de cette raison, dans l’art de bien développer, dans la bonne composition, dans la faculté d’expliquer en style élevé et clair les vérités moyennes ? […] Les vérités moyennes sur lesquelles il s’exerce sont les lieux communs ; et, comme il les développe, il les rend plus communs encore. […] Shakspeare n’a pas fait un seul discours concluant et éloquent, et toutes ses figures ont le relief, la vérité, l’animation, l’originalité, l’expression des physionomies réelles. […] Le premier sait ranimer les morts ; les sentiments éteints reparaissent dans son âme ; il ne déduit pas logiquement une idée d’une autre ; il ne construit pas noblement de larges périodes ; il n’essaye pas de conduire régulièrement un auditoire d’esprits pesants vers une vérité lointaine : il n’est pas maître de lui-même : il y a quelque chose de fiévreux dans son inspiration.
les gens quelquefois touchent près de la vérité, mais jamais toute la vérité. […] Et cependant la vérité surnage. […] Leur gloire ne consiste point dans l’étalage d’une fantasmagorie, mais dans la découverte d’une vérité. […] Nous parviendrons à la vérité, non au calme. […] « Il y a dix fois plus de vérité, disait Byron, dans Don Juan que dans Childe Harold.
Encore est-il que c’est une profonde vérité. […] Et il y a de la vérité dans cette idée. […] Pour ce qui est de « il ne lui fait du moins ni avance ni déclaration », comme vérité, c’est la vérité ; comme critique de Molière, c’est très injuste. Comme vérité, c’est la vérité. […] La vérité pour moi est que la déclaration de Tartuffe à Elmire est une petite merveille.
Daniel prétendoit avoir pour lui la raison & la vérité, son Adversaire avoit eu en sa faveur, ce qui a plus d’ascendant sur l’esprit des hommes, les armes du ridicule & de la bonne plaisanterie. […] Pouvoit-il ignorer que le premier devoir d’un Historiographe est d’être en garde contre son imagination ; qu’un esprit réfléchi est plus judicieux qu’un esprit plein de chaleur ; qu’il est plus essentiel de s’occuper à chercher, à démêler, à établir, à présenter la vérité, qu’à la défigurer en la chargeant d’ornemens ; qu’une histoire doit être regardée comme irréprochable, quand la narration est claire, suivie, exacte, quand les faits n’offrent rien de falsifié ou d’exagéré ; le style, rien d’artificieux & de passionné ; la chronologie, rien d’obscur ni d’embrouillé ?
Ils cherchent le sentiment religieux par-delà les dogmes, la beauté poétique par-delà les règles, la vérité critique par-delà les mythes. […] Voilà la vérité neuve que les poëmes de Cowper ont mise en lumière. […] Mais la grande vérité, qui consiste à entrer dans les sentiments des personnages, leur échappe : ces sentiments sont trop étranges et immoraux. […] Il s’était appuyé sur l’imitation, et l’on ne subsiste que par la vérité. […] En poésie, comme ailleurs, il s’agit non d’ornement, mais de vérité.
La persuasion intime de la vérité qu’on veut prouver, est alors le sentiment profond dont on est rempli, et qu’on fait passer dans l’âme de l’auditeur. […] J’ajoute que plus le discours sera simple dans un grand sujet, plus il sera éloquent, parce qu’il représentera le sentiment avec plus de vérité. […] Les anciens, si je ne me trompe, ont senti cette vérité ; et c’est pour cette raison qu’ils ont traité principalement de l’élocution dans leurs ouvrages sur l’art oratoire. […] C’est alors que l’éloquence, débarrassée de toute contrainte et de toutes règles, produit ses plus grands miracles ; c’est alors qu’on éprouve la vérité de ce passage de Quintilien, lib. […] Ces éloges étant historiques, sont proprement des mémoires pour servir à l’histoire des lettres : la vérité doit donc en faire le caractère principal.
On ne connaît bien, Aladin, que les chemins par lesquels on a passé. » — « Mais n’est-il pas quelque maxime générale qui puisse faire éviter de tomber dans l’erreur, si elle ne suffit pas pour démêler la vérité ? […] Dans ces sortes de portraits personnels on ne se donne jamais trop de désavantages, même lorsqu’on a l’air de se dire des vérités. […] Ce que j’écris, ce que je dis, n’est jamais pour moi ni une vérité intime, ni un motif d’amour-propre. Je me crois toujours supérieur à ce que l’on connaît de moi, et prêt à l’abandonner… C’est ici que, professant cette absolue indifférence pour le fond de toute chose et pour la vérité en elle-même, il laisse échapper cet aveu que nous avons déjà recueilli et qui juge tout l’homme : « Rien n’a jamais fait effet sur moi comme vrai, mais comme bien trouvé. » Et il continue de se dessiner en se mirant : Je suis vivement paresseux, ce qui me donne deux inconvénients, celui de la paresse et celui de l’ardeur. […] [NdA] Il avait dit aux femmes de son temps bien des impertinences en effet et aussi des vérités ; il les avait montrées plus faciles à séduire par l’éclat et la vanité, que par le sentiment ou même les sens ; il avait dit par exemple : Louez, admirez, soyez étonné, en extase, ne craignez pas d’outrer les flatteries, l’enthousiasme auprès des femmes ; faites croire, si vous pouvez, à celle que vous voulez séduire qu’elle est une substance particulière plus près de l’ange que de la femme : vous serez cru ; que dis-je ?
Un grand prince de France lui reprochait un jour qu’il était léger : il fit venir, pour s’en défendre, tous ses officiers domestiques, ceux de cuisine, ceux de panneterie, de la sommellerie, ceux des écuries, et quasi tout son train ; il ne s’en trouva pas un qui n’eût servi ou qui ne fût sorti de personnes qui avaient servi son père et son aïeul, et lui-même dès le berceau : l’autre se trouva bien empêché à la réplique, étant accoutumé, de trois en trois mois, de faire maison neuve… On l’a estimé aussi être avare, et à la vérité il était malaisé autrement, succédant à un prince qui était par-delà le libéral… L’un pourvoyait à ses libéralités plutôt qu’à ses nécessités : celui-ci ne le fera pas. […] Il a une pièce que peu de princes ont eue, et jamais nul ne l’eut qu’il ne fût grand prince : il sait souffrir qu’on lui dise vérité. […] » Henri IV a plus que le bon sens qui plante ses jalons sur la route ; il a l’éclair et l’illumination dans les périls, le rayon qui semble venir d’en haut : Les ignorants, conclut Du Fay, appelaient cela bonheur et félicité ; mais nous qui savons la vérité le devons nommer grâce et faveur de Dieu le grand monarque, le Dieu des batailles, et en tirer de là une conclusion nécessaire, que ce grand ouvrier ne fait rien à demi, et que, puisqu’il a si heureusement commencé son ouvrage en ce petit berger, il l’achèvera entièrement à sa gloire. […] Un historien qui n’est pas exempt de faux goût, mais qui a des portions de vie et de vérité, Pierre Matthieu, a exprimé d’une manière mémorable le deuil des villes et des campagnes à cette soudaine et fatale nouvelle que Henri IV n’était plus : Dire maintenant quel a été le deuil de Paris, c’est entreprendre de persuader une chose incroyable à qui ne l’a vu. […] J’aime peu ces réactions en sens divers ; car on laisse toujours tomber en chemin quelque vérité.
Son objet est, non l’exposition seule, mais la prédication des vérités utiles à l’humanité. […] Ils échangèrent des lettres impertinentes, aigres, injurieuses ; le président dit avec esprit de dures vérités à Voltaire. […] Il n’y a pour lui au monde que des sottises, des erreurs, ou des vérités. […] L’esprit est brusquement heurté par tant d’évidence de vérité ou d’erreur qu’il trouve à la place de l’obscurité qu’il attendait, et il s’égaie de trouver réduites à des jugements de M. de la Palisse les idées où il croyait se casser la tête. […] La même ironie apparaîtra dans le choix des faits : chacun d’eux est comme une expérience bien combinée qui dégage instantanément le contenu de vérité ou d’erreur qu’une théorie abstraite dissimule.
Il n’attache en effet d’importance qu’à la pensée ; il laisse presque tout à fait à l’écart la sensibilité et il la traite assez mal : les sens nous trompent ; l’imagination est, comme dit Pascal, une maîtresse d’erreur et de fausseté ; les passions sont des guides déplorables qui nous détournent de la vertu et de la vérité, etc. […] Quantité de vérités générales sont exprimées avec bonheur ; le style prend volontiers un air sentencieux, et, à mesure qu’on avance dans le siècle, il se débarrasse des plis de la grande période oratoire, s’applique à condenser plus de choses en moins de mots, vise aux formules courtes et brillantes où la raison aiguisée reluit comme un diamant taillé à facettes. […] Mais tous, en s’inspirant du monde environnant, s’efforcent de s’élever au-dessus ; ils ne se bornent pas à constater des faits particuliers ; ils veulent arriver à « des vérités qui soient vraies demain comme elles l’étaient hier. […] C’est à l’art de l’historien (et l’art comme le style est éminemment personnel) de savoir faire jaillir des documents entassés la lumière et la flamme ou, si l’on veut, de transmuer la vérité en beauté. […] Elle fausserait la vérité, si elle ne savait établir dans sa reproduction du passé une hiérarchie de talents et d’œuvres correspondant à ce que fut la réalité vivante.
Il n’en comprend ni la profondeur, ni la portée, ni la vérité plus vraie que nature ! […] Il n’y a pas que le roi des Huns qu’il nous représente sans vérité poétique, s’imaginant, comme tous les bourgeois de l’Histoire, que la prose, c’est la vérité ! […] Telle est la vérité sur M. […] En ces Récits mérovingiens, insuffisants pour les imaginations exigeantes, au moins il ne fut jamais faux et même il fut souvent vrai, mais ce fut toujours d’une vérité diminuée, qui avait comme peur de s’attester dans des détails par trop prolongés de brutalité et d’horreur. […] les vrais artistes, ne fussent-ils pas chrétiens, ne connaissent pas ce mot de presque et ils le laissent aux habiles, aux subtils, aux nuancés, qui ont peur de l’affirmation, de l’enthousiasme et de la vérité !
Ce siècle est ordinairement nommé le siècle des grands hommes ; on l’appellerait avec autant de vérité le siècle des éloges. […] Enfin, Balzac la créa parmi nous ; Balzac qui eut longtemps la plus grande réputation, et qu’on n’estime point assez aujourd’hui dont les lettres sans doute sont peu intéressantes et quelquefois ridicules, mais qui, dans ses ouvrages, et surtout dans son Aristippe et dans son Prince, à travers des fautes de goût, a semé une foule de vérités de tous les pays et de tous les temps, et où l’on retrouve l’âme d’un citoyen et la hauteur de la vertu, relevées quelquefois par l’expression de Tacite. […] Surtout leur sensibilité inquiète doit redouter une sorte d’éloquence impétueuse et vive, qui, dans sa marche, suivrait l’impulsion trop rapide de la vérité. […] Le théâtre, dans une farce d’un grand homme66, nous en a conservé la peinture ; et si on excepte le degré d’exagération théâtrale qu’il faut toujours pour que la fiction produise l’effet de la vérité, et que le ridicule soit en saillie, les portraits étaient ressemblants. […] Ce n’est pas assez pour elle de sentir et de peindre, il faut qu’elle compare et combine une grande multitude d’idées ; il faut qu’elle leur assigne à toutes l’ordre et le mouvement ; il faut qu’elle en fasse un tout raisonné et sensible ; il faut qu’elle ait parcouru les arts, les lois, les sciences et les mœurs ; qu’enrichie de connaissances, elle les domine et semble planer au-dessus d’elles ; qu’en les jetant, elle n’en paraisse ni prodigue, ni avare ; que tantôt elle les indique et tantôt elle les déploie ; que souvent elle fasse succéder des vérités en foule, que souvent elle s’arrête et se repose sur une vérité.
Il y a une profonde et consolante vérité à nous présenter ainsi le peuple comme certain de lui-même, sentant sa vigueur croissante et son avénement prochain ; à lui faire donner une sévère leçon au poëte qui trop souvent en nos jours, lui qui devrait diriger, s’égare, s’exaspère, n’entend que la voix de l’orgueil blessé, au lieu de répondre d’une lyre sympathique à l’appel fraternel des hommes, et farouche, inutile, manquant de foi au lendemain, s’enfuit comme Salvator dans les montagnes84. […] Je pardonnerais de grand cœur au poëte de nous ranger, Gaulois ou Germains, parmi les barbares : pourtant n’y aurait-il pas eu plus de vérité à la fois et de pensée progressive ou même inspiratrice à montrer cette main noblement suppliante que l’Italie nous tend, que l’égoïsme de nos gouvernants a lassée jusqu’ici, mais que nous irons étreindre un jour d’une main de frères ? […] Avec plus de vérité, je le crois, il aurait pu trouver à répandre tout autant de charme.
Quelques traits de plume çà et là éclairciraient ces fautes courantes que rachète tant de verve, de vérité et d’amusement. […] Quoique un vrai talent dramatique s’y marque jusqu’au bout, j’avoue que cette fin me plaît peu, et, sans me gâter le reste, ne l’achève pas, à mon sens, avec autant de vérité qu’on a droit d’attendre. […] Après tout, M. de Bernard, en se livrant vers cette fin au terrible à la mode, a pu se dire qu’il avait, dans les trois autres quarts du roman, payé assez largement sa dette à l’observation fine et franche, à la vérité amusante des mœurs, à cette nature humaine d’aujourd’hui, vivement rendue dans ses sentiments tendres ou factices, ses élégances et ses ridicules, ses affectations naïves ou impertinentes ; car il a fait de tout cela dans Gerfaut, et bon nombre de ces pages, de ces conversations et de ces scènes scintillantes ou gaies, entraînantes ou subtiles, et parfois simplement plaisantes, auraient pu être écrites par un Beaumarchais romancier, ou même par un Regnard.