Parmi les géomètres allemands de ce siècle, deux noms surtout sont illustres ; ce sont ceux des deux savants qui ont fondé la théorie générale des fonctions, Weierstrass et Riemann. […] Et pourtant la nature est toujours la même, il est peu probable qu’elle ait commencé dans ce siècle à créer des esprits amis de la logique. […] Poncelet était l’un des esprits les plus intuitifs de ce siècle ; il l’était avec passion, presque avec ostentation ; il regardait le principe de continuité comme une de ses conceptions les plus hardies, et cependant ce principe ne reposait pas sur le témoignage des sens ; c’était plutôt contredire ce témoignage que d’assimiler l’hyperbole à l’ellipse.
Les siècles ont une signature qu’ils apposent aux chefs-d’œuvre et qu’il faut savoir déchiffrer et reconnaître. […] Il m’a paru que dans notre siècle cet exemple de bêtise était bon à donner. […] Autre siècle, autre art.
Cela posé, et en conséquence de cette loi, il a été démontré, par d’assez nombreux exemples, que les talents les plus vrais parmi les femmes de ce siècle (comme de tous les siècles, du reste, si on en écrivait l’histoire), qui ont osé la littérature, ont toujours été ceux-là qui ont affecté le moins d’être littéraires ou qui ont eu le bonheur d’oublier, en faisant leur livre, qu’ils en faisaient un. […] Emmerich, décloîtrée par les événements qui ruinèrent son couvent, dans les premières années de ce siècle, était retombée aux mains d’une famille à l’esprit étroit, peureux et abaissé ; et, par le fait, elle était plus durement cloîtrée entre les deux rideaux de son lit de douleur, qu’entre les murs d’un monastère.
Sous ces deux titres on peut concevoir ce que, bien des siècles plus tard, et dans une science toute formée des traditions grecques, nous retrouvons sous la plume de Varron, divisant la théologie en mythologique, naturelle, et civile : « La première, ajoutait-il, faite pour le théâtre, la seconde pour l’univers, la troisième pour Rome. » Il paraît, d’après les courtes analyses de saint Augustin, que Varron touchait dans sa seconde théologie à cet antique panthéisme, à cette idée d’une nature éternellement vivante et par là divine, qui semble le fondement des cultes antiques de l’Inde. […] Très grande de son vivant, sa célébrité s’accrut avec le temps dans l’imagination des Grecs ; et, après le grand siècle des arts et de la science, lorsque le monde polythéiste fut troublé et divisé par une lumière nouvelle, le nom d’Empédocle, les légendes sur sa vie, les prodiges attribués à sa science magique, furent un des secours dont s’étayait l’ancienne croyance. […] Sans doute, dans quelques vers épars d’Empédocle sur les premières ébauches de création fortuite, on pourrait voir ce panthéisme où, depuis tant de siècles, ont abouti souvent la fausse imagination et la fausse science ; mais il semble, au contraire, malgré les éloges de Lucrèce, que le poëte d’Agrigente était spiritualiste au plus haut degré dans sa Cosmogonie comme dans sa morale.
C’est la beauté de tous les siècles qui subsistera indépendante des modes & des variations. […] que nous importe ce siècle d’Homère si vanté ! ce siècle est effacé, il ne peut plus être pour nous que l’objet d’une stérile curiosité. […] Pourquoi rit-on moins aujourd’hui qu’on ne rioit dans le siècle passé ? […] Ils sont plutôt chagrins contre leur siècle.
Ce siècle est ridicule, ou bien vieillot, de tant coucher avec les poupons. […] Pourtant, c’est nous qui, dès les premières années du siècle, avions rendu impossible la « vie artistique ». […] Je ne crois pourtant pas qu’homme au monde ait conçu depuis vingt siècles quelque idée dont les grecs n’aient eu l’intuition. […] Mais nous vivons — nous croyons vivre — dans un domaine de réalités que nos aïeux depuis des milliers de siècles, ont classé, étiqueté et référencé. […] Moins de deux siècles après, Montesquieu peut écrire : « Je n’ai jamais connu d’ennui qu’une heure de lecture n’ait dissipé ».
Bien différent de quelques-uns des physiciens de notre siècle, qui séparent la cause de l’effet, il remonte à Dieu toutes les fois qu’il faut découvrir un principe. […] Le philosophe grec, quatre siècles avant notre ère, a vu tout aussi bien que les deux mathématiciens du dix-septième siècle, que c’est par l’étude du mouvement qu’il convient d’expliquer le système du monde. […] Ces notions fondamentales de temps, d’espace, de lieu, d’infini, posent sans cesse devant l’esprit humain ; elles le sollicitent à tout instant et sous toutes les formes ; et depuis vingt-deux siècles, personne n’en a mieux parlé que le disciple de Platon et l’instituteur d’Alexandre. […] L’esprit humain les a en quelque sorte éprouvées pendant de longs siècles, puisque d’Aristote à Galilée c’est le Péripatétisme seul qui lui a suffi. […] Je les ai demandés à l’observation directe de la conscience, mais je les ai reçus aussi de la tradition ; et en prenant la morale au point où je la trouve, dans notre siècle, au fond de tous les cœurs honnêtes, je sais bien que, eux non plus, ne l’ont pas faite à eux seuls, et qu’ils doivent beaucoup de ce noble héritage aux siècles qui nous l’ont transmis.
Il murmurait tout bas les chants des siècles passés : le bruit de nos armes frappa son oreille ; il se lève avec effort, étend sa main tremblante, me touche et bénit le fils de Fingal. « Ossian, me dit-il, mes forces sont évanouies. […] Les enfants des siècles à venir passeront une race nouvelle les remplacera : les hommes se succèdent comme les flots de l’Océan ou comme les feuilles des bois de Morven. […] Deux guerriers fameux, ô Malvina, reposent dans cette vallée… Revivez dans mes chants, événements des siècles passés, actions des héros qui ne sont plus ! […] Ce sont les siècles, les climats, les civilisations qui les créent. […] Mais les chants d’Alpin sauveront ton nom de l’oubli ; les siècles futurs apprendront ta gloire, ils entendront parler de Morar.
L’homme que la nature l’avait fait s’est trouvé impropre à la vie sociale telle que ce siècle l’entendait, par conséquent froissé, révolté : il s’est replié sur lui-même, et il a trouvé la raison des choses. […] Pareillement, l’idée de progrès, la grande idée du siècle, anime toute l’œuvre de Jean-Jacques ; il ne semble en nier la réalité que pour en proclamer plus hautement la possibilité, plus impérieusement la nécessité. […] Il a agi sur son siècle à la fois par ses idées et par son tempérament, et il a déterminé des mouvements considérables, soit dans la société, soit dans la littérature. […] C’est la mode du siècle, et Rousseau n’y a pas échappé. […] Aussi l’a-t-il mise dans son œuvre à la place d’honneur ; et, dans le sens particulier où nous prenons ici le mot, on peut dire qu’il a ramené son siècle à la nature.
Par les portraits dont il a égayé les Lettres persanes, il soutient la langue du grand siècle ; par tout ce qu’il écrit de nouveau sur le caractère français et sur les sociétés humaines, il la développe et l’enrichit. […] Ce ne sont pas les écrivains du dix-huitième siècle, a-t-on dit, qui ont corrompu le siècle ; c’est la corruption du siècle qui a gâté les écrivains. […] Et si cette compensation est juste, à qui sied-il mieux de l’appliquer qu’à l’écrivain qui depuis un siècle est le bon conseil des nations civilisées, à l’homme de bien dont l’histoire privée offre des traits à la Plutarque, au citoyen qui a pu dire de lui-même sans risquer d’être démenti : « J’ai toujours eu une joie secrète lorsqu’on a fait quelque règlement qui allait au bien commun ? […] Ce régime, d’une application difficile et délicate en tout temps, l’est devenu plus encore à notre époque, malgré l’autorité et la gloire du succès pendant trois siècles. […] Un homme d’esprit de la fin du siècle a dit le mot de l’époque : « Je ne suis point touché de ce qui est vrai, mais de ce qui est neuf35. » En revanche, si ces définitions omettent le vrai, elles nomment ou contiennent implicitement le plaisir.
Notre siècle n’est pas métaphysique. […] On peut s’adresser sur la résurrection, sur les miracles évangéliques, sur le caractère de Jésus et des apôtres, une foule de questions auxquelles il est impossible de répondre, en jugeant le premier siècle d’après le nôtre. […] Toute question qui aurait un sens dans notre siècle de réflexion et de publicité, mais qui n’en avaient pas à une époque de crédulité, où ne s’élevait aucune pensée critique 136. […] L’islamisme ne se fortifia qu’un ou deux siècles après la mort du prophète, et depuis il est toujours allé se consolidant par la force du dogme établi. […] Mais le siècle de Louis XIV, qui prenait dogmatiquement cette mythologie comme une théologie, n’en pouvait faire une machine poétique.
« On ne passe point dans le monde, dit Pascal, pour se connaître en vers, si l’on n’a mis l’enseigne de poète, ni pour être habile en mathématiques, si l’on n’a mis celle de mathématicien. » Dans les beaux siècles de l’antiquité, on était philosophe ou poète, comme on est honnête homme dans toutes les positions de la vie. […] Il y a des hommes nécessairement détestés et maudits de leur siècle ; l’avenir les explique et arrive à dire froidement : il a fallu qu’il y eût aussi de ces gens-là 160. […] Sans doute l’Allemagne, à la fin du dernier siècle et au commencement de celui-ci, avait moins de liberté extérieure que nous n’en avons. […] Le siècle est enlacé par les jésuites, l’Oratoire, les rois, les prêtres. […] Comment, au milieu du XIXe, siècle, un membre de l’Académie des sciences morales et politiques a-t-il pu écrire des axiomes comme ceux-ci : « La société n’est pas les hommes, elle n’est que leur union.
Cette négation de tout le passé théologique, philosophique, poétique, architectural, historique même, de l’humanité antérieure à nous, leur est nécessaire ; car, sans cela, comment pourraient-ils se justifier à eux-mêmes cette progressivité indéfinie et continue de l’esprit humain, progressant de Brahma, de Job, de l’Égypte, de la Judée, de la Grèce et de Rome, jusqu’à Paris, au siècle de Louis XV, et au nôtre ? […] L’accent vient du plus profond des siècles. […] Pendant combien d’années ou de siècles ne fallait-il pas que l’humanité eût accumulé, remué, scruté ses pensées en elle-même, pour arriver à de telles conclusions métaphysiques sur les misères de sa destinée et sur les mystères de la Providence divine ! […] Où donc Job aurait-il pris sa science de la nature, son expérience des choses humaines, sa lassitude de la vie, son suicide du désespoir, si ce n’était dans le trésor de nos misères et de nos larmes déjà accumulé depuis de longs siècles dans l’abîme d’un temps déjà vieux ? […] Examinons la philosophie de ce poème, et voyons si, après tant et tant de siècles de réflexions, de discussions, de prétendus progrès dans la voie de Dieu, nous avons fait un seul pas de plus dans cette philosophie évidemment innée, révélée ou inspirée à l’homme des anciens jours, et que nous appelions au commencement de cet entretien la tradition antédiluvienne ou la philosophie du Jardin (de l’Éden).
On avait mis un siècle à détruire tous les ports de refuge où la société chrétienne et monarchique aurait pu s’abriter. […] On crut voir d’ailleurs dans les principes philosophiques et politiques de quelques-uns de ceux qui obtinrent le plus de célébrité dans ce genre, et dans leur respect et leur attachement pour les beaux siècles de notre littérature, étroitement liés avec les beaux siècles de notre monarchie, une sorte d’opposition à la tyrannie, et on leur en sut gré. […] Seulement on aperçoit bien qu’il y a dans l’histoire générale, et dans l’histoire de son siècle en particulier, un point qui l’embarrasse. […] La démocratie démonte tous les quarts d’heure, sous prétexte de la remonter, l’horloge que la monarchie monte pour des siècles. […] Ce n’est pas tout : M. de Lamartine a fait une révolution dans la poésie, une révolution commencée dans la littérature, avec le siècle, par Chateaubriand.
Daudet, homme aux épithètes excessives, en sera une sur ce siècle « stupide ». […] Les noms des poètes romantiques ressemblent à des noms de crus, et nous disons la Légende des Siècles comme on dit la Romanée. « Cela tue ! […] Lanson, la première Légende des Siècles, par M. […] Il y a vingt-cinq ans, on se disait volontiers fin de siècle. […] Voilà le bénéfice que le recul d’un quart de siècle, en 1926, nous permet d’apprécier en toute connaissance.
. — Harmonie générale entre le caractère d’un poëte et le caractère de son siècle. — Nash, Decker, Kyd, Peel, Lodge, Greene. — Leur condition et leur vie […] C’est pourquoi l’homme qui, depuis trois siècles, devient un animal domestique, est, à ce moment encore, un animal presque sauvage, et la force de ses muscles, comme la dureté de ses nerfs, augmente l’audace et l’énergie de ses passions. […] Les courtisans de ce siècle ressemblent à nos hommes du peuple. […] Voyez pareillement la Vie de Bohême et les Nuits d’hiver, de Murger ; la Confession d’un enfant du siècle, par de Musset. […] La crudité, l’énergie extraordinaire et repoussante montreront la différence des deux siècles.
Vers la fin du siècle, un concours subit de circonstances extraordinaires l’étale tout d’un coup à la lumière et le dresse à une hauteur que nul âge n’avait connue. […] Alors paraît la maladie du siècle, l’inquiétude de Werther et de Faust, toute semblable à celle qui, dans un moment semblable, agita les hommes il y a dix-huit siècles : je veux dire le mécontentement du présent, le vague désir d’une beauté supérieure et d’un bonheur idéal, la douloureuse aspiration vers l’infini. […] C’est justement avec ces facultés qu’ils créent un nouveau genre, qui par des milliers de rejetons pullule encore aujourd’hui, avec une abondance telle que les talents s’y comptent par centaines, et qu’on ne peut le comparer pour la séve originale et nationale qu’à la peinture du grand siècle des Hollandais. […] Cependant par-delà cette inclination, qui aujourd’hui est européenne, ils ont un besoin particulier, qui chez eux est national et remonte au siècle précédent : ils veulent que le roman contribue comme le reste à leur grande œuvre, l’amélioration de l’homme et de la société. […] Ce sont là les questions que les poëtes, transformés en penseurs, agitaient de concert, et Gœthe, ici comme ailleurs, père ou promoteur de toutes les hautes idées modernes, à la fois sceptique, panthéiste et mystique, écrivait dans son Faust l’épopée du siècle et l’histoire de l’esprit humain.
La ville de Béziers, assiégée il y a plusieurs siècles, avait été délivrée le jour de l’Ascension. […] Mais revenons au dix-septième siècle, au siècle de Richelieu et de Corneille. […] Aujourd’hui encore, après deux siècles, il fait loi. […] Ses comédies sont une critique agréable des ridicules de son siècle. […] Pendant un siècle, il sut soutenir sa réputation.
Elle fait effet, elle règne à la manière des puissants du siècle, et même plus qu’eux : Ils n’agissent que sur les esprits, et j’ai le cœur et les sens de plus dans mon domaine… Suis-je une dupe, dites-le-moi, de jouir à la manière des héros et des ministres, d’avoir sans peine ce qui leur coûte des années de travail, ce qui leur fait passer tant de mauvaises nuits dans la crainte d’en être privés ? […] Estimant avec tout son siècle que le règne des idées religieuses est passé, il ajoute : Celui de la liberté paraît renaître : mais chez les anciens, remarque-t-il, l’amour de la liberté avait sa racine dans le cœur, c’était une passion ; celui qui éclate en ce moment a sa racine dans l’esprit, il est raisonné et systématique. […] Le passé, attesté par des ruines majestueuses, lui paraît plus grand, et préférable au temps où il vit : « Quel bonheur, dit Aladin, j’aurais eu de vivre dans un siècle aussi éclairé ! […] Je laisse perdre le temps, et ensuite je veux tout forcer : voilà la clef de ma conduite… Mon amour-propre est extrême ; mais dans les petits objets, dans la société, il n’est que sur la défensive, il ne demande qu’à n’être pas blessé, sans désir d’être flatté ; dans les grands, il ne me porterait qu’à la gloire la plus éclatante ; mais le dégoût suivrait de près, et le mépris de mon siècle ne me permettrait pas de mettre longtemps du prix à son approbation… Mon amour-propre s’irrite quelquefois dans le tourbillon du monde : il se tait dans la solitude… Je n’aime point à me montrer à mes amis sous un côté défavorable ; je souffre de les voir malheureux de mon malheur, et je suis convaincu que les sentiments diminuent par la perte des avantages… Il faut donc cacher ses plaies, dissimuler les grandes impuissances de la vie : la pauvreté, les infirmités, les malheurs, les mauvais succès… Il ne faut confier que les malheurs éclatants, qui flattent l’amour-propre de ceux qui les partagent et s’y associent.