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1130. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mort de M. Vinet »

On n’a rien écrit sur ce sujet de plus intimement vrai et de plus justement senti. […] Vinet comprenait si bien Pascal, il ne sentait pas moins vivement les esprits d’une autre famille, et il y eut un jour où lui, l’un des pasteurs du christianisme réformé, il songea à écrire l’Histoire de saint François de Sales.

1131. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Tissot. Poésies érotiques avec une traduction des Baisers de Jean Second. »

Toute la partie antique y est surtout traitée avec prédilection, et comme célébrée avec amour ; on sent que M.  […] On le sent bien à l’entraînement qui y règne, ses pièces étaient jetées sans effort dans les intervalles de la passion, entre le souvenir et le désir.

1132. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre X. De la simplicité du style »

C’est une prétention d’user des mots en artiste, non pour penser et sentir, ni pour provoquer des pensées et des sentiments, mais pour produire les impressions les plus spéciales qui appartiennent aux autres arts, à la musique, à la peinture, à la sculpture, des impressions de son, de couleur et de forme. […] Ils ne conçoivent guère en effet et ne sentent que ce qui intéresse leur esprit et leur cœur.

1133. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 348-356

Ses chapitres font autant de petits corps de lumiere, qui, réunis ensemble, forment un Tout, dont l’effet est d’éclairer & de diriger l’esprit du Lecteur sur les objets qu’il doit appercevoir & sentir. […] Les loix des Romains, les ressorts de leur gouvernement, leurs mœurs, les principes vivisians ou destructeurs qui ont contribué, soit à former, à agrandir, soit à ébranler, à ruiner leur Empire, tout est développé avec une sagacité étonnante pour quiconque est en état de sentir combien il est difficile de ne présenter que la substance des choses, sans nuire à l’effet qui en doit résulter.

1134. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre premier. Que la Mythologie rapetissait la nature ; que les Anciens n’avaient point de Poésie proprement dite descriptive. »

Le spectacle de l’univers ne pouvait faire sentir aux Grecs et aux Romains les émotions qu’il porte à notre âme. […] Le voyageur s’assied sur le tronc d’un chêne, pour attendre le jour ; il regarde tour à tour l’astre des nuits, les ténèbres, le fleuve ; il se sent inquiet, agité, et, dans l’attente de quelque chose d’inconnu ; un plaisir inouï, une crainte extraordinaire font palpiter son sein, comme s’il allait être admis à quelque secret de la Divinité : il est seul au fond des forêts ; mais l’esprit de l’homme remplit aisément les espaces de la nature ; et toutes les solitudes de la terre sont moins vastes qu’une seule pensée de son cœur.

1135. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 11, les romains partageoient souvent la déclamation théatrale entre deux acteurs, dont l’un prononçoit tandis que l’autre faisoit des gestes » pp. 174-184

Je crois qu’il seroit inutile d’exposer dequel poids est ici l’autorité de Tite-Live, et de faire voir que tous les raisonnemens possibles ne doivent pas balancer un moment sa déposition, il n’y aura personne qui ne sente bien cette verité. […] On sent bien, ajoute Quintilien, qu’il est impossible de le réciter sans renverser un peu la tête en arriere, comme l’on est porté à le faire par un instinct machinal, lorsqu’on veut prononcer quelque chose avec emphase.

1136. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VI »

Vouloir, c’est essayer de voir, de sentir, d’écrire autrement, trois choses qui ne se séparent point et que nous n’avons point séparées, quoi qu’on prétende. […] Grande entreprise 20. »‌ Il écrit, à propos de son Voyage aux Pyrénées :‌ « Mon Hachette me casse la tête ; j’ai trop de littérature… pour ne pas sentir ce qui est bien, et trop peu de talent pour bien faire.

1137. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ii »

Chacun de ces hommes, au moins à certaines heures, se sent subordonné, misérable, minime, pauvre fétu jeté dans la fournaise, mais avec un tel frémissement ! […] Quel apaisement et quel réconfort de se trouver plusieurs qui sentent pareillement et de pouvoir se suspendre tous ensemble à quelque idée supérieure !‌

1138. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre premier. Sujet de ce livre » pp. 101-107

Nous verrons d’un bout à l’autre de ce livre que tout ce que les poètes avaient d’abord senti relativement à la sagesse vulgaire, les philosophes le comprirent ensuite relativement à une sagesse plus élevée (riposta) ; de sorte qu’on appellerait avec raison les premiers le sens, les seconds l’intelligence du genre humain. […] L’intelligence, pour remonter au sens étymologique, inter legere, intelligere, l’intelligence agit lorsqu’elle tire de ce qu’on a senti quelque chose qui ne tombe point sous les sens.

1139. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Déjà l’on Sent, dans ses tragédies classiques, l’impossibilité prochaine de la forme théâtrale. […] Toutes innovations nécessaires et légitimes, mais qui ne font pas excusable le caractère incomplet de cette vie : le personnage est, non expliqué, décrit ; nous savons, ce qu’il sent, mats non par quels motifs il le sent. […] Les Latins semblent avoir les premiers senti que les mots, par une séculaire liaison avec des idées émouvantes, avaient acquis eux-mêmes une valeur émotionnelle. […] [NdA] L’orchestre, sous Schuch, est admirable, les cuivres incomparables ; mais l’instrumentation se rapproche de celle de Parsifal, et, toujours, on sent que cette musique est écrit pour des conditions acoustiques autres que celles de nos théâtres. […] Mais parfois îles phrases intelligibles apparaissent : et elle sent une éblouissante musique séraphique, l’écho, certes, des régions où elles furent conçues.

1140. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

tous ces traits, toutes ces expressions, toutes ces intonations diverses, avaient un tel charme qu’on se sentait retenu, fasciné, ravi de contemplation par ce visage, et qu’on se disait intérieurement ce qu’Alcibiade disait de Socrate après l’avoir entendu parler des choses divines et des choses humaines : « Il faut qu’une divinité se soit répandue à notre insu sur ce visage. […] Quand une concierge, qui semblait sentir la dignité et la responsabilité de gardienne du repos d’un philosophe favori du peuple, vous avait indiqué sa demeure, vous tourniez, à droite en entrant dans la cour, sous une petite voûte conduisant à des écuries ; vous rencontriez sous la voûte le premier degré d’un escalier de bois ; cet escalier vous conduisait de palier en palier, par des marches douces, comme il convient à l’âge essoufflé, jusqu’au dernier palier, sous les toits, où vous n’aviez plus au-dessus de vous que les tuiles et le ciel. […] Les chansons de Béranger ont un but ; elles visent aux passions d’un parti, au cœur d’un peuple, au trône des rois ; le regard tendu de l’archer roidit la main, la flèche vole plus haut, mais elle vole moins leste ; les chansons de Béranger sentent un peu la lampe et l’huile de ses veilles, au lieu de sentir le raisin de la vendange et la mousse du banquet. […] Béranger était l’écho de la Révolution, l’écho de l’armée ; le peuple et l’armée s’écoutaient sentir, penser, aimer, haïr, conspirer en lui. […] C’est la profession la plus rapprochée de celle de l’écrivain, si toutefois penser, sentir et écrire est une profession.

1141. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Je ne puis mieux l’adresser qu’à vous, dont l’exemple prouve si bien qu’on peut vivre heureux sans les grands, et dont le commerce fait sentir combien il est facile de s’en passer. […] Il fut sans doute assez éclairé pour sentir, au milieu des troubles qui agitaient son royaume, que la culture des lettres est un des moyens les plus infaillibles d’assurer la tranquillité des monarchies, par une raison qui peut rendre au contraire cette même culture nuisible aux républiques quand elle y est poussée trop loin ; c’est que l’attrait qui l’accompagne, isole pour ainsi dire les hommes, et les rend froids sur tout autre objet. […] Si elle ne va pas jusqu’à la familiarité et à cette égalité parfaite hors de laquelle tout commerce est sans douceur et sans âme, la distance humilie, parce qu’on a de fréquentes occasions de la sentir ; et si la familiarité s’y joint, c’est pis encore, c’est la fable du lion avec lequel il est dangereux de jouer. […] Dans le temps que notre langue n’était encore, grâce aux tribunaux d’esprit, qu’un mélange bizarre de bas et de précieux, les grands écrivains la devinaient pour ainsi dire, en proscrivant de leurs ouvrages les tours et les mots qu’ils sentaient devoir bientôt vieillir : c’est ce que Pascal a fait dans ses Provinciales, ouvrage qu’on croirait de nos jours, quoique composé il y a cent ans. […] Élevés par la faveur, ces hommes médiocres sentent que les bons juges les voient toujours à leur véritable place : et ils ne peuvent le leur pardonner.

1142. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

Cette aspiration douloureuse a d’ailleurs son charme, parce qu’elle nous grandit dans notre propre estime, et fait que nous nous sentons supérieurs à ces biens sensibles dont notre pensée se détache momentanément. […] Étendez le bras en recourbant légèrement votre index, comme si vous alliez presser la détente d’un pistolet : vous pourrez ne pas remuer le doigt, ne contracter aucun muscle de la main, ne produire aucun mouvement apparent, et sentir pourtant que vous dépensez de l’énergie. […] Vous sentirez d’abord comme un chatouillement, puis un contact auquel succède une piqûre, ensuite une douleur localisée en un point, enfin une irradiation de cette douleur dans la zone environnante. […] Mais il faut remarquer aussi que, plus l’effort de tension des cordes vocales est considérable dans la voix de poitrine, plus grande est la surface du corps qui s’y intéresse chez le chanteur inexpérimenté ; c’est même pourquoi l’effort est senti par lui comme plus intense. […] Les expériences récentes de Blix, Goldscheider et Donaldson 17 ont montré que ce ne sont pas les mêmes points de la surface du corps qui sentent le froid et la chaleur.

1143. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

Ce rapport intime est-il toujours bien senti par l’artiste lui-même ? […] Un seul et même sujet (paysage, figure, situation morale) sera senti très différemment, selon le tempérament de l’artiste ; et la forme d’expression devrait être adéquate à cette façon de sentir, c’est-à-dire personnelle. […] Parce que Chevreul a distingué vingt-cinq mille tons de couleur, on ne saurait pourtant nier les sept couleurs du spectre solaire ; et ainsi qu’un peintre voit en jaune, un autre en violet, de même un poète sent en poète lyrique et un autre en dramaturge. […] Incapable de sentir vraiment ces choses, il tombe dans l’artifice. […] Ce chapitre est une de ces exagérations trop fréquentes chez Hugo ; mais enfin il est d’allure bien épique et a un but psychologique précis : faire sentir l’énorme difficulté du travail entrepris par Gilliatt.

1144. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Ce despotisme de la mécanique se fait sentir partout, et partout se cache sous mille mensonges. […] Manifester ce que nous sentons de l’être absolu, de l’infini, de Dieu, le faire connaître et sentir aux autres hommes, tel est, dans sa généralité, le but de l’art. […] L’homme sentit d’abord l’univers en bloc, il fut impressionné d’abord, sinon par son unité, du moins par sa totalité. […] Il y a mis en même temps tout ce que son époque pouvait savoir et sentir de la couleur et des mœurs homériques. […] Quand les poètes antiques ont parlé d’un dieu qui les inspirait, c’est qu’ils l’ont senti.

1145. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Un petit discours, prononcé sur la tombe de Luce, fit admirer chez le naissant orateur le talent de bien dire, dont alors les moindres témoignages, dans le silence de la presse et de la tribune, étaient si curieusement relevés et sentis. […] Il ne se sentait attiré avec charme que vers cette première fleur du beau siècle de l’éloquence. […] alors, s’il la saisit de son propos clair et débarrassé, élégant et court (comme disait Vaugelas, comme faisait Voltaire) ; s’il l’arme de finesse, s’il la revêt de plus d’une flatteuse imagination et d’éclairs lumineux (lumina orationis) ; si surtout il la colore d’une sorte de passion sentie et la fait renaître à chaque instant avec originalité ; oh ! […] Ce discours devra donc fournir matière à plus d’une discussion approfondie dont nous ne nous sentons pas ici le goût ni la force. […] Il faisait sentir l’éloquence dans la conversation, et cela sans excès, sans passer la mesure.

1146. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIe entretien. Trois heureuses journées littéraires » pp. 161-221

Ce visage inspirait tant de sécurité et tant de paix par sa franchise et par son recueillement qu’on se sentait en amitié dès la première parole. […] On sent partout dans ces idylles ce retour à la nature, seule inspiratrice infaillible des vrais poètes, les poètes de sentiment. […] Mon aile s’est ouverte au vent que tu déchaînes ; Enivré de ton souffle, à l’odeur des prés verts, J’ai senti circuler, de mon sang à mes vers, L’esprit qui fait mugir les taureaux et les chênes. […] Plus heureux que le Dante toscan, on sent le bonheur intime à travers ses rugissements de poète indigné ; car Laprade n’a connu ni les odieuses vengeances des partis politiques, ni l’exil, ni le veuvage du cœur ; heureux fils, heureux amant, heureux père ! […] Ces poésies sont des Heures de l’âme poétique ; ces vers sentent l’encens.

1147. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

je le sentis s’arrêter. […] Il était devenu acquéreur du Mercure ; Bonaparte le lui enleva après l’article sur Tacite, dont il sentit la portée ; ses brochures se succédèrent comme les jours dans toutes les occasions qui prêtaient à la haine ou à l’ambition. […] Je l’ai senti sous la République, en 1848 ; j’en ai mesuré exactement, jour par jour, la puissance, l’effet, la durée, laissez la presse totalement en dehors des lois, à Paris, vous aurez un accès de guerre civile tous les mois. […] Il est évident qu’elle se sentait à charge, qu’elle voulait éviter à son tour la contrainte et l’humiliation d’un changement si pénible en l’homme qu’elle avait aimé, et que le voile de l’absence et de la distance pouvait excuser aux yeux de leurs amis communs. […] Au lieu du démocrate inquiet, envieux et petit, on sent dans le gentilhomme breton l’aristocrate à cheval sans rivalité comme sans bourgeoisie, maniant sa pensée comme son épée, foulant aux pieds les choses mesquines et abordant les grandes avec la magnanimité du génie.

1148. (1920) Enquête : Pourquoi aucun des grands poètes de langue française n’est-il du Midi ? (Les Marges)

Mais l’homme qui, sous un ciel moins indulgent, dans une nature moins affectueuse, travaille et lutte contre les hommes et les choses et sent qu’il joue son sort, celui-là éprouve le besoin de chanter son amertume, son impatience, sa détresse. […] Au reste, ne savez-vous point que Lamartine se prit à chanter Elvire, non pas lorsqu’il la pouvait serrer dans ses bras, à Aix ou à Paris, mais lorsqu’il se trouva seul au bord du lac… — … dans le lac… — … et qu’il sentit qu’il fallait perdre à jamais. […] Mais, si quelques-uns de nos meilleurs prosateurs (citons Montaigne, Montesquieu, Rivarol) sont des méridionaux, peut-être que cette spontanéité qui est nécessaire à la poésie, et qui fait qu’elle est plus une chose d’instinct que de raison, ne peut s’épancher que dans une langue dont les sons, la construction ont été mêlés à notre vie familière en ces années d’enfance où nous apprenons à sentir. […] En poésie, mieux vaut sentir le thym, mieux vaut sentir l’ail, vous dis-je, que sentir l’odeur des autres.

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