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932. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Poésies d’André Chénier »

Mme Gouy d’Arcy, qui peut-être ne sut jamais bien elle-même toute la vivacité du sentiment qu’elle inspira un moment, faisait partie de la brillante société de Luciennes. […] En même temps qu’il a été si soigneux de rattacher à chaque page, à chaque vers, tout ce qui s’y rapporte directement ou indirectement chez les Anciens ou même chez les modernes, le nouvel éditeur ne tire point trop son auteur du côté des textes et des commentaires, et il ne prétend point le ranger au nombre des poëtes purement d’art et d’étude ; il relève avec un soin pareil, il sent avec une vivacité égale et il nous montre le côté tout moderne en lui, et comme quoi il vit et ne cesse d’être présent, de tendre une main cordiale et chaude aux générations de l’avenir : « Chénier, remarque-t-il très justement, ne se fait l’imitateur des Anciens que pour devenir leur rival. » À Homère, à Théocrite, à Virgile, à Horace, il essaye de dérober la langue riche et pleine d’images, la diction poétique, la forme, de la concilier avec la suavité d’un Racine, et quand il en est suffisamment maître, c’est uniquement pour y verser et ses vrais sentiments à lui, et les sentiments et les pensées et les espérances du siècle éclairé qui aspire à un plus grand affranchissement des hommes.

933. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Poésie — I. Hymnes sacrées par Édouard Turquety. »

Turquety a un public ; en Bretagne, dans le Midi, à Toulouse, beaucoup de lecteurs fervents et fidèles le désirent : pour eux, il donne à des sentiments chrétiens qu’il rajeunit, à des dogmes qu’il exprime, une mélodie qu’on aime. […] Turquety, il est vrai, suit cette idée avec un sentiment de composition et d’ensemble systématique : ainsi, son présent volume, qui commence par un hosannah au Père céleste, s’achève par un hymne à son terrestre représentant, le pape. […] Un sentiment évangélique et chrétien les a inspirés, en effet, non sans mélange toutefois d’un certain humanitarisme moderne, d’un certain culte optimiste et confiant de la création et de la nature, qui fait songer à Jocelyn et qui l’a précédé : Ô Nature, immense Évangile Que rien ne saurait altérer !

934. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXIX » pp. 319-329

Elle exprime un sentiment juste et vrai. […] Si les paroles du roi ne prouvent pas en lui réveil d’un sentiment nouveau, il est du moins certain qu’elles durent faire une vive impression sur deux personnes fort intéressées a les étudier, après les avoir entendues. […] Le 19, elle écrit à d’Aubigné une lettre qui respire la reconnaissance, l’amour pour le roi, et le sentiment de la faveur toute particulière à laquelle d’Aubigné doit cette place.

935. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 8-23

La Poésie Françoise, portée au plus haut point de noblesse, d’élégance, de sentiment, & de pureté, a consacré sans réserve son nom à une gloire immortelle. […] Aucun Poëte n’a mieux connu, mieux éprouvé, plus vivement exprimé le sentiment ; ses Vers le respirent à chaque phrase, & ce caractere est si marqué dans ses Ouvrages, qu’on peut lui appliquer ce que disoit Horace : Invenias etiam disjecti membra Poëtæ. […] Ils avoient, à la vérité, des objets de culte, des sujets nationaux capables de captiver, d’attacher, d’emouvoir le Spectateur, sans recourir à ce sentiment trop foible pour des Républicains ; mais quand ces sujets leur auroient manqué, ils eussent dédaigné tout ce qui n’étoit pas propre à repaître & à soutenir l’élévation de leur ame.

936. (1762) Réflexions sur l’ode

Celui qu’on place avec justice au premier rang, est supérieur dans l’harmonie et dans le choix des mots : des juges, peut-être sévères, désireraient qu’il pensât davantage ; la partie du sentiment est chez lui encore plus faible. […] Un sentiment confus semble nous dire, qu’il ne faut pas mettre à exprimer les choses plus de peine et de soin qu’elles ne valent ; et que ce qui paraîtrait commun en prose, ne mérite pas l’appareil de la versification. […] Je suis bien éloigné, en hasardant ce parallèle, de prétendre affaiblir la juste admiration qu’on doit à ce poète, celui de tous les anciens qui a réuni au plus haut degré le plus de sortes d’esprit et de mérite, l’élévation et la finesse, le sentiment et la gaieté, la chaleur et l’agrément, la philosophie et le goût.

937. (1925) Dissociations

Il y a la question de fait et la question de sentiment. […] Il faut donc distinguer le fait même du sentiment que nous avons du fait. […] Comme sentiment de la vie, il est resté un problème. […] Le nationalisme est un sentiment qui ne devrait être individuel que dans la mesure où l’individu se sent solidaire du sentiment national. […] Il y avait aussi dans ce geste quelque fierté de sentiment.

938. (1895) Hommes et livres

L’action est simple, peu chargée d’incidents et l’intérêt est moins dans l’intrigue que dans les sentiments qu’elle développe chez les personnages. […] Sauf un épisode parasite, Hardy traduit, coupe, étend, déplace, précisément comme il faut pour faire saillir le sentiment et dégager le pathétique. […] Le mécanisme curieux, d’abord, et les déplacements de sentiments qu’on remarque dans Polyeucte. […] Mais on ne fait pas au sentiment moral sa part ; où il entre, il règne : c’est une juste remarque de Schiller. […] C’est qu’en fait, ce que Marivaux peint n’est pas individuel : ce sont certains sentiments, certaines combinaisons de sentiments qui peuvent, dans un certain âge, se produire à fleur d’âme et se superposer au caractère personnel dans un monde poli et sensuel.

939. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre II. Du Chant grégorien. »

Il a varié la musique sur chaque strophe ; et pourtant le caractère essentiel de la tristesse consiste dans la répétition du même sentiment, et, pour ainsi dire, dans la monotonie de la douleur. […] Partout où il y a variété, il y a distraction, et partout où il y a distraction, il n’y a plus de tristesse : tant l’unité est nécessaire au sentiment ; tant l’homme est faible dans cette partie même où gît toute sa force, nous voulons dire dans la douleur.

940. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Édouard Fleury »

Fleury a le sentiment de l’héroïsme catholique, le respect (et qui ne l’aurait pas ?) […] de princesse révoltée est sublime, car elle allait en mourir ; mais nous, ne sommes-nous pas tenus à être moins sobres dans l’expression de nos sentiments lorsque nous retraçons l’histoire de ces exécrables jours qui ne nous menacent plus, et qui ne nous font pas un héroïsme de la légèreté de nos mépris ?

941. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre IV. Pourquoi le génie d’Homère dans la poésie héroïque ne peut jamais être égalé. Observations sur la comédie et la tragédie » pp. 264-267

Les sentiments, le langage, les actions qui leur sont appropriés, ont, par leur violence et leur atrocité même, quelque chose de merveilleux, et toutes ces choses sont au plus haut degré conformes entre elles, et uniformes dans leurs sujets. […] Au caractère d’Achille, dont la peinture est le principal sujet de l’Iliade, ils rapportèrent toutes les qualités propres à la vertu héroïque, les sentiments, les mœurs qui résultent de ces qualités, l’irritabilité, la colère implacable, la violence qui s’arroge tout par les armes (Horace).

942. (1890) Les romanciers d’aujourd’hui pp. -357

Le sentiment ? […] Guiches a un vif sentiment des choses et des êtres de nature. […] Oserai-je dire mon sentiment et qu’à tout prendre je préfère la forme ironique et souriante qu’il affecte chez M.  […] J’y trouve ce goût, auquel on ne croit plus guère, et qui n’est que le sentiment de la mesure. […] Le petit Moreau est une étude à part (très honnête, très discrète, attristée et douce) du sentiment maternel.

943. (1893) Alfred de Musset

Elle a ses poètes, qui traduisent ses sentiments et ses aspirations. […] Au recul vers la forme classique correspondit un débordement de romantisme dans le sentiment. […] Il hait la comédie du sentiment et les phrases. […] La violence de ses sentiments lui a aussi beaucoup nui auprès des nouvelles générations. […] Quel attrait peut avoir une poésie toute de sentiment et de passion, aux yeux d’une jeunesse pour qui le sentiment est une faiblesse, l’amour une infirmité ?

944. (1913) Les idées et les hommes. Première série pp. -368

Lui demandent-ils leurs sentiments et leurs idées ? […] Notre jeunesse a le sentiment d’être née dans des ruines. […] Certitude, sentiment. […] Puis : « Sentiment de solitude, dès mon enfance. […] Dès lors, tous les sentiments qui y entrèrent, se pénétrèrent de cela.

945. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VI. Utilité possible de la conversation »

Mais l’essentiel ici est de démêler ce qui, chez eux, est lieu commun, phrase apprise, provision de la mémoire, et ce qui est sentiment intime, émotion personnelle, éclosion spontanée de l’âme : ce qui est sifflé et ce qui est vécu. […] Il faut se défier de cette inclination : il faut ne recevoir ou ne rejeter rien pour la personne qui le dit, et regarder la chose en soi ; mais en même temps se demander pourquoi celui qui parle parle ainsi, à quel sentiment il cède, à quel intérêt, si un autre parlerait de même, si lui-même n’a jamais parlé, ne parlera jamais autrement.

946. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gregh, Fernand (1873-1960) »

Muhlfeld nommerait un élégiaque ; et, par Desbordes-Valmore et Sainte-Beuve, il se rattache aux minores classiques ; il excelle dans les pièces courtes où un sentiment léger peut laisser une image exacte et circonscrite. […] Telle tendresse, telle fragilité de sentiments, dont Verlaine, M. 

947. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 260-264

Ce nom est devenu, parmi nous, celui de l’Eloquence chrétienne, c’est-à-dire, de l’Eloquence de la raison & du sentiment. […] Le sentiment est son ressort favori, & l’on ne sauroit disconvenir qu’il est impossible d’en employer de meilleur, pour insinuer à ceux qui nous écoutent ou qui nous lisent, l’amour de la vérité & celui des devoirs.

948. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

Thiers, afin de rétablir, autant qu’il est en nous, les vrais principes de la raison moderne en matière de culte et les vrais sentiments du cœur humain en fait de mort politique. […] Dès lors, que peut-on souhaiter de mieux à une société civilisée qu’une religion nationale, fondée sur les vrais sentiments du cœur humain, conforme aux règles d’une morale pure, consacrée par le temps, et qui, sans intolérance et sans persécution, réunisse, sinon l’universalité, au moins la grande majorité des citoyens, au pied d’un autel antique et respecté ? […] L’œuvre du jeune écrivain, empreinte de ce sentiment profond, remuait fortement les esprits, et avait été accueillie avec une faveur marquée par l’homme qui alors dispensait toutes les gloires. […] À l’une comme à l’autre de ces prétendues faiblesses, il faut des signes extérieurs : il faut un culte au sentiment religieux ; il faut des distinctions visibles au noble sentiment de la gloire.” » Ici la vérité ne manque pas au tableau, mais la réflexion manque à l’historien. […] Notre admiration pour les belles parties de ce livre est la garantie de notre impartialité pour ses défaillances de style, de vertu et de sentiment ; mais le cœur souffre autant que la vérité en lisant ces pages.

949. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

La caractéristique de Sully-Prudhomme, c’est cette élévation constante des sentiments. […] Sous l’habituelle sérénité du poète se devine alors un sentiment pessimiste, qui, parfois, s’élève jusqu’à un commencement d’indignation devant les misères de ce monde, surtout devant les misères de l’homme. […] En même temps, ces vers donnent le sentiment de cette vaste irresponsabilité des êtres qui se retrouve dans leur cruauté même. […] Au reste, nous n’exigeons pas du poète l’originalité des idées philosophiques, mais nous lui demandons l’originalité du sentiment philosophique. […] Richepin, il n’y a de personnel et d’original que le degré de grossièreté auquel il a poussé le sentiment matérialiste252.

950. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

Edgar Poe, qui n’a pas, il est vrai, le coloris italien d’Hoffmann, a comme lui et comme tous les génies fantastiques, du reste, le sentiment de ces détails qui répondent, sans doute, au côté le moins connu, le moins éclairé de notre être. […] Edgar Poe, dans les huit Contes cités déjà, pas plus que dans les cinq qui restent : le Double assassinat dans la rue Morgue, la Lettre volée, le Scarabée d’or, le Manuscrit trouvé dans une bouteille, une Descente dans le Maelstrom, n’est le poète une seule fois d’un sentiment quelconque. […] Mais le silence de sa notice sur l’éducation morale, nécessaire même au Génie pour qu’il soit vraiment le Génie, genre d’éducation qui manqua sans doute à Edgar Poe ; et, d’un autre côté, le peu de place que tiennent le cœur humain et ses sentiments dans l’ensemble des œuvres de ce singulier poète et de ce singulier conteur, renseignent suffisamment — n’est-il pas vrai ?  […] dans ces Histoires extraordinaires qui le sont bien moins par le fond des choses que par le procédé d’art du conteur, sur lequel nous reviendrons, et qui est, à la vérité, extraordinaire, il n’y a rien de plus élevé, de plus profond et de plus beau, en sentiment humain, que la curiosité et la peur, — ces deux choses vulgaires ? […] Au lieu de s’abandonner, comme la fleur aux souffles du ciel, à l’inspiration qui lui dictait des vers comme les vers adorables : À Hélène, il l’interrompit pour parler et pour plaire à la curiosité, — ce sentiment bête de tout le monde, — et il fut à la fois le Sphinx et l’Œdipe d’énigmes qui ne pouvaient intéresser et passionner que des imaginations inférieures.

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