/ 3191
533. (1863) Cours familier de littérature. XV « XCe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (3e partie) » pp. 385-448

j’ai cette confiance, que tes sentiments religieux me donnent, que la miséricorde de Dieu m’inspire. […] Il est des sentiments qui dépassent toute expression. […] Ceci n’est pas une exagération, mais bien pris dans toute la raison et le sentiment de la foi. — Érembert, Marie qui arrivent !  […] C’est l’amour qui grave les sentiments par les plus menus détails. […] Son sentiment innomé pour M. d’Aurevilly est un reflet prolongé de son sentiment pour son frère, une aurore boréale de l’amitié fraternelle qui se confond avec l’aurore d’un second amour.

534. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Il y a de tout dans le roman de Senancour ; mais la traditionnelle observation de psychologie s’y produit sous le sentiment et la métaphysique. […] Aussi, selon ses lectures, ses fréquentations et ses états de sentiment, distingue-t-on dans son œuvre trois courants, ou trois sources d’inspiration, qui y caractérisent trois périodes successives. […] L’art est analogue à l’observation : un art flou, souple, insinuant, enveloppant surtout, où l’expression à chaque instant diffuse ou entortillée finit par donner le sentiment des plus fines nuances. […] La méthode qu’il emploie, est l’analyse : il décompose l’action de ses personnages en idées et en sentiments, et chaque état de conscience est résolu en ses éléments par une opération délicate et précise. […] Il fouille les motifs d’un acte, détaille les nuances d’un sentiment avec une exactitude minutieuse.

535. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

La grâce survit par l’habitude au sentiment vivant qu’on en a eu. […] De là un sentiment où se mêlent la confiance, la pitié, le regret, la reconnaissance. […] Elle y peut jouir beaucoup, elle risque de s’y abandonner à des sentiments qui ne sont pas sans danger ; mais ce que de tels sentiments ont toujours d’un peu mystique est inconciliable avec l’horreur d’un sacrilège. […] L’amour est chez eux un sentiment tendre, profond, affectueux, bien plus qu’une passion. […] Elle avait un sentiment exquis de l’église.

536. (1892) Portraits d’écrivains. Première série pp. -328

Il a su décrire ces sentiments, qui sans doute sont des sentiments faux, au sens de la nature, mais qui, dans un certain cadre social, sont les sentiments réels. — Pour toutes ces raisons, les personnages de Feuillet sont bien du « monde ». […] Il se mêle au sentiment religieux, et s’appelle alors le mysticisme. […] Ils ont un très vif sentiment des choses d’art. […] Il est curieux des caractères et des sentiments. […] Les trouvailles de sentiment ne sont pas rares dans l’œuvre de M. 

537. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Dans un juste sentiment de son pouvoir intellectuel et de son ascendant sur les esprits, Dante s’adresse aux princes, aux tyrans, aux peuples. […] Et ce n’est pas là un des moindres attraits de cette mystérieuse Comédie, où nous voyons en conflit la loi acceptée et le sentiment révolté contre la loi. […] Nous avons quelque peine à comprendre de tels sentiments. […] Et ce premier ébranlement du sentiment national préparait, sans qu’on pût encore la pressentir, une révolution complète des idées allemandes. […] Avec son sang coule dans ses veines l’ambition, l’instinct impérieux des destinées latines, le sentiment de l’État, l’idéal de l’unité, de la force et du droit.

538. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, romans (1832) »

Quant au sentiment du récit, on le trouvera assurément exagéré : l’amitié exaltée du capitaine pour Bug, ce désespoir violent qu’il éprouve en repassant sur la fatale circonstance, cette douleur durable, mystérieuse, qui depuis ce temps enveloppe sa vie, n’ont pas de quoi se justifier suffisamment aux yeux du lecteur déjà mûr, et qui sait comment les affections se coordonnent, comment les douleurs se cicatrisent. […] Quelques mois plus tard, cette statue de l’antique Pylade était déjà détrônée chez lui par l’amour : le sentiment qui avait inspiré au poëte sa nouvelle dut lui sembler arriéré, et par trop adolescent ; il ne jugea pas à propos d’accorder à celle-ci une publicité à part. […] Puis, lorsque plus tard encore il vit sans doute qu’illusions pour illusions il ne fallait pas être trop dédaigneux des premières, il revint à Bug, le remania, conserva le cadre, mais le redora en mille manières, enrichit le paysage de ces couleurs où la Muse lui avait récemment appris à puiser, compliqua les événements, introduisit entre ses personnages le seul sentiment qui ait un attrait souverain pour la jeunesse, et d’où sortent les rivalités, les perfidies, les sacrifices, les incurables blessures ; il mit l’amour, il montra la douce Marie. […] Il est quelque chose comme le raisonnement opposé au sentiment, ainsi que le Docteur noir de M. […] La disposition satirique s’accorde encore avec le personnage de Phœbus, avec celui des jeunes filles si gracieuses et si naïvement coquettes de l’hôtel Gondelaurier ; mais quand le poëte aborde ses caractères vraiment passionnés, le prêtre, Quasimodo, la Esméralda, la recluse, en même temps que l’ironie disparaît dans l’ardeur exaltée des sentiments, c’est la fatalité seule qui la remplace, une fatalité forcenée, visionnaire, à la main de plomb, sans pitié.

539. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « JULES LEFÈVRE. Confidences, poésies, 1833. » pp. 249-261

Quel que soit le jugement définitif qu’on porte à ce propos, il faut rendre hommage à tant de conscience et d’étude dans un homme qui est, du reste, évidemment poëte, qui a un sentiment profond des choses, l’amour de la gloire, et le foyer des fortes passions. […] Lefèvre est, sous ce point de vue du style, un des plus instructifs exemples à consulter ; les défauts, les taches continuelles, qui s’y allient sans remède a une inspiration toujours réelle et sincère, font bien nettement comprendre le mérite du facile et du simple les beaux vers purs, qui se détachent çà et là isolés, entretiennent ce sentiment de regret. […] Avant d’arriver, en effet, à l’expression directe du sentiment qui l’émeut, le poëte érudit fait volontiers le grand tour ; il se souvient de tout ce qu’il a lu en diverses langues de plus ou moins analogue à ce qu’il sent ; il traverse laborieusement cette infinité de réminiscences ; il y réfracte mainte et mainte fois sa pensée primitive, et elle ne nous parvient, quand il l’exprime, que déjà détournée de sa route et dépouillée de son rayon. […] Théocrite, Pétrarque ou André Chénier ont toujours figuré leurs sentiments par des tableaux. Mais lorsque le poëte, s’enfonçant fatalement dans une passion qui lui devient un supplice et une colère, ne se borne plus à reproduire par son procédé métaphysique des sentiments assez éprouvés de tous, lorsqu’il en vient aux invectives et à ce qu’il intitule ses agonies, alors, au lieu d’un simple regret et d’une fatigue, le lecteur qui persiste se soumet à la violence la plus pénible ; ce n’est pas une douleur enveloppée de chants, ce n’est pas même une blessure vivement entr’ouverte qu’il a devant lui ; c’est une plaie toute livide, un râle d’agonisant, quelque chose qui ressemble aux symptômes d’un empoisonnement physique.

540. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Des questions sociales, si nous passons aux politiques, à proprement parler, lesquelles ne sont pas tant à dédaigner que certains esprits soi-disant avancés se le figurent ; ces derniers jours ont produit une manifestation des sentiments publics bien imposante et qui doit donner à réfléchir. […] Le lendemain, aux bureaux du National, la foule qui circula et s’inscrivit fut immense ; on y remarqua nombre d’ouvriers, Il y avait, sans doute, dans cette démonstration profonde, intérêt amical pour l’homme même, pour l’individu atteint ; il y avait hommage à un talent énergique, infatigable ; quelque chose de ce respect qu’on porte en France à toute belle intelligence que la valeur accompagne, à tout noble front où l’éclair de la pensée s’est rencontré volontiers avec l’éclair d’une épée ; mais il y avait aussi un sentiment dominant de solidarité, d’adhésion à des principes communs, de reconnaissance pour des services rendus, de confiance placée sur une tête forte et rare. […] L’attente était grande, bruyante, mais non orageuse ; des sentiments divers planaient en rameur sur cette multitude passionnée ; on demandait le Chant du Départ, on chantait la Marseillaise ; puis la toile, se levant avec lenteur, découvrit une vue merveilleuse de Venise que saluèrent mille applaudissements : « Admirable jeunesse, me disais-je, qui trouves place en toi pour toutes les émotions, qui aspires et t’enflammes à tous les prestiges ; va, tu seras grande dans le siècle, si tu sais ne pas trop t’égarer, si tu réalises bientôt le quart seulement de ce que tu sens, de ce que tu exhales à cette heure !  […] Voilà des questions que personne ne peut s’empêcher de s’adresser à soi-même, avec un sentiment intime de respect pour le poëte de génie qui les suscite. […] Un homme de cœur et de savoir, informé d’une supercherie infâme, qu’un Corps savant couronne par la main d’un prétendu géographe, se récrie dans une indignation généreuse ; mû d’un sentiment désintéressé, patriotique, il ose dire ce qu’il a vu, ce qu’il a connu ; il compromet son repos, il s’expose à un assassinat, et par là-dessus il encourt le blâme de ces honnêtes compilateurs, copistes sans critique et sans coup-d’œil, qui jugent avant tout qu’il a été un peu loin.

541. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Préface de la seconde édition » pp. 3-24

Subdivisez les phrases de ce style autant que vous le voudrez, les mots qui les composent se rejoindront d’eux-mêmes, accoutumés qu’ils sont à se trouver ensemble ; mais jamais un écrivain n’exprima le sentiment qu’il éprouvait, jamais il ne développa les pensées qui lui appartenaient réellement, sans porter dans son style ce caractère d’originalité qui seul attache et captive l’intérêt et l’imagination des lecteurs. […] Mais ce livre, c’est le temps qui le fera ; et la postérité ne partagera pas plus la petite fureur qu’excitent aujourd’hui les idées philosophiques, que les atroces sentiments que la terreur avait développés : Les fils sont plus grands que leurs pères, Et leurs cœurs n’en sont pas jaloux. […] Ne voient-ils pas de tous côtés les sentiments les plus vils, l’avidité la plus basse s’emparer chaque jour d’un caractère de plus, dégrader chaque jour quelques hommes sur lesquels on avait reposé son estime ? […] » Je pourrais récuser une objection tirée de Virgile, puisque je l’ai cité comme le poète le plus sensible ; mais en acceptant même cette objection, je dirai que, lorsque Racine a voulu mettre Andromaque sur la scène, il a cru que la délicatesse des sentiments exigeait qu’il lui attribuât la résolution de se tuer, si elle se voyait contrainte à épouser Pirrhus ; et Virgile donne à son Andromaque deux maris depuis la mort d’Hector, Pirrhus et Hélénus, sans penser que cette circonstance puisse nuire en rien à l’intérêt qu’elle doit inspirer. […] Je conçois qu’on puisse se plaire dans ces plaisanteries, quoiqu’elles soient un peu usées ; mais je ne comprends pas comment il serait possible que mon caractère ou mes écrits inspirassent des sentiments amers.

542. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Ernest Renan, le Prêtre de Némi. »

Renan lui-même, ou du moins qu’il est le porte-voix des sentiments dont M.  […] Et pourtant les deux sentiments sont au fond identiques. […] S’il ne le dit pas, c’est scrupule de Breton héroïque, à qui nul sacrifice ne paraît assez entier, ou, si vous voulez, illusion d’une conscience infiniment délicate qui veut nous surfaire la vertu  S’il garde parfois dans l’expression des sentiments les plus éloignés du christianisme, l’onction chrétienne et le ton du mysticisme chrétien, nous croyons ces combinaisons préméditées et nous y goûtons comme le ragoût d’un très élégant sacrilège. […] Ce grain de sel, il est toujours facile de voir où il l’a mis  Si la femme le préoccupe, s’il parle d’elle avec un mélange de dédain et d’adoration qui n’est qu’à lui, ces deux sentiments s’expliquent par son passé ecclésiastique et par la longue austérité de sa jeunesse : voudriez-vous qu’il abordât la femme avec la belle tranquillité de M.  […] Relisez quelques contes de Voltaire ou de Diderot ; puis relisez Caliban, la Fontaine de Jouvence et le Prêtre de Némi : vous pourrez mesurer de combien de notions et de sentiments s’est enrichie, en cent ans, l’âme humaine ; et vous déborderez de reconnaissance et d’amour pour le plus suggestif et le plus ensorcelant de nos grands écrivains.

543. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VII. Développement des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Il regagna la Galilée 338, sa vraie patrie, mûri par une importante expérience et ayant puisé dans le contact avec un grand homme, fort différent de lui, le sentiment de sa propre originalité. […] Beaucoup de vague restait sans doute dans sa pensée, et un noble sentiment, bien plus qu’un dessein arrêté, le poussait à l’œuvre sublime qui s’est réalisée par lui, bien que d’une manière fort différente de celle qu’il imaginait. […] Le christianisme, en ce sens, a beaucoup contribué à affaiblir le sentiment des devoirs du citoyen et à livrer le monde au pouvoir absolu des faits accomplis. […] Le sentiment qui a fait de « mondain » l’antithèse de « chrétien » a, dans les pensées du maître, sa pleine justification 366. […] Voir surtout le chapitre XVII de saint Jean, exprimant, sinon un discours réel tenu par Jésus, du moins un sentiment qui était très profond chez ses disciples et qui sûrement venait de lui.

544. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre V. Chanteuses de salons et de cafés-concerts »

Cette dissonance de forme est peut-être l’expression nécessaire d’une pensée étrangement subtile, ou de je ne sais quel sentiment bizarrement pervers, ou encore de quelque imagination funambulesque, de quelque fantaisie extraordinaire. […] Et encore la pitié est un sentiment pénible contre lequel, instinctivement, la petite femme se défend. […] « Je m’y suis toujours senti un intrus pour les initiés et un fourvoyé pour les autres. » On ne tiendra nul compte de ses protestations tardives, et ici ce n’est pas le sentiment public qui aura tort. […] Il affirme avec raison : « Je m’en tins à l’expression de mes sentiments intimes, de mes pensées, même des idées abstraites, ce qui a été, je l’avoue, mon écueil. » Qu’y a-t-il là de contraire aux tendances parnassiennes ? […] Sully-Prudhomme admet trois sources principales d’inspiration : les sentiments les plus intimes du poète, les conquêtes de la science, les questions sociales ; et cette division correspond aux tentatives de Sully-Prudhomme.

545. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VIII. Quelques étrangères »

Mais, parodiste des sentiments romantiques, Flaubert écrit une langue romantique, de sorte que l’avenir ne trouvera rien de plus comique chez lui que sa propre grandiloquence. […] Voici comment elle nous définit Lucie Altimare, « l’aventureuse », la plus significative de ses héroïnes : « Au fond, un cœur froid et aride, sans une palpitation d’enthousiasme ; au-dehors une imagination trompeuse qui grandissait toute sensation, qui augmentait toute impression… Au fond, un manque absolu de sentiment ; au-dehors, des rêveries sur les nobles utopies humanitaires, des aspirations flottantes vers un idéal incertain. » Et on nous fait connaître longuement « l’artifice de sa personne, un artifice si naturel, si absolu, si complet, qu’il la trompait elle-même, en lui donnant une fausse sincérité ; en devenant son véritable caractère, son tempérament, son sang, ses nerfs ; en la persuadant de sa propre bonté, de sa propre vertu, de sa propre supériorité ». […] Elle éprouvait elle-même un sentiment mal défini, où l’amour tient moins de place que le caprice de dominer et la fantaisie de faire souffrir. […] Le plus souvent par la bouche de Suzanne, quelquefois par celle des autres personnages, et aussi en son propre nom, Thomas Hardy fait une critique victorieuse de ce « contrat permanent basé sur un sentiment éphémère », de cet « abominable contrat qui m’engage à sentir d’une manière particulière dans une chose dont l’essence même est la spontanéité ». […] Pour conter rapidement en restant intelligible, mon analyse a dû supprimer tout ce qui est le plus incohérent dans les événements, dans les sentiments, dans les pensées et, malgré moi, elle a simplifié et organisé le reste.

546. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

Point de loi, point de doctrine, l’instinct est le seul juge ; le sentiment et le goût individuel, les seules autorités ; mon plaisir est la loi suprême. […] En un sens, la théorie classique, comme on l’appelle, convient par un côté à notre philosophie, car elle proclame l’idéal comme loi suprême de l’art, de même que nous considérons l’absolu et le divin comme cause suprême de la nature ; elle préfère, comme nous-mêmes, l’âme au corps et la raison aux sens ; elle place le beau dans l’expression de la vérité et du sentiment, non dans l’imitation colorée et violente des formes matérielles : par ces différentes raisons, la critique classique que représente M.  […] Les vérités littéraires sont nécessairement humaines ; elles ont rapport à la vie, aux sentiments, aux besoins de l’homme. […] Nisard : les unes qu’il appelle simples ou philosophiques, par exemple la peinture des mœurs, des sentiments et des passions ; les autres qu’il appelle morales, et qui sont des vérités de commandement. […] Et cependant n’y avait-il pas là une source nouvelle de sagesse, une source de vie, un flot d’idées, de sentiments et de vertus incompréhensibles à l’antiquité, et qui devait l’engloutir, au moins pour un temps ?

547. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VIII. Des romans. » pp. 244-264

Les mœurs du monde lui étoient moins connues que les passions du cœur humain ; & il réussit aussi mal à plaisanter ou à peindre des choses ridicules, qu’il excelle à exprimer le sentiment. […] Ce roman épistolaire est plein d’esprit, de feu, d’éloquence, d’ame, de sentiment & de raison, si l’on ne considére que le style. […] Il y a aussi quelques détails qui ont paru minutieux ; mais ils peignent le sentiment & la nature, & ce n’est pas un petit mérite. […] Les Romans de celle-ci sont recommandables par la légéreté, le feu, le style de sentiment, & par l’invention qui est le premier mérite. […] On a reproché à ce célébre auteur de donner dans les longs détails, d’épuiser le sentiment à force de l’étendre ; mais on est dédommagé de ce défaut par des morceaux très-bien écrits.

548. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

Cependant l’arche d’alliance marche toujours devant le peuple : c’est le sentiment religieux, immortel comme nous ; c’est la certitude que Dieu ne cesse de veiller sur les destinées du genre humain. […] Ce n’était point sans un profond sentiment de tristesse que je parcourais cette Rome déserte, et comme exilée du monde où elle régna si longtemps. […] Mais y aurait-il quelque inconvénient à garder dans le fond de sa pensée la certitude intime où nous devons être, que sans les libertés qui ont précédé 1789, jamais la France n’aurait pu parvenir à l’émancipation, car le propre de l’esclavage est de ne donner que des sentiments d’esclaves ? […] La société doit être mise de nouveau sous la protection des sentiments religieux, qui heureusement ont survécu, et qui doivent servir à rallier tous les sentiments sociaux.

549. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ernest Hello » pp. 389-403

quand à cet arcane du génie se joint l’arcane d’un sentiment religieux qui fut autrefois une chose vivante, même lorsqu’elle était haïe, mais qui est devenue une chose méprisée, indifférente, presque détruite et de plus en plus incompréhensible, on reste incompréhensible comme elle. […] Et en le lisant, ce chapitre, on comprendra enfin que ce qui semblait un vulgaire sentiment humain, traînant encore dans une grande âme dévorée de Christianisme, était, au contraire, tout ce qu’il y avait au monde de plus chrétien, puisque c’était le sentiment exaspéré d’un apostolat impossible ! […] Hello) d’un livre qui va nous promener parmi les hommes et les choses du monde contemporain, et nous donner sur eux et sur elles ridée qu’il faut en avoir et le sentiment qu’ils doivent inspirer. […] Ils ont aussi, eux sinon la faim et la soif, au moins le sentiment de la Justice, car on ne juge que pour faire justice, et tout moraliste est un juge ; mais pour la plupart, si ce n’est pour tous, l’arrêt une fois prononcé, le vice flétri, le faux démontré, la sottise livrée au ridicule, — son bourreau, — le moraliste, dans la mesure de son talent, a fait son œuvre.

550. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « André Chénier »

Seulement, de faits prouvant absolument qu’il ne l’était pas, il n’y en a pas d’autres que les sentiments exprimés dans ses œuvres. […] Les sentiments religieux d’André s’attestent assez éloquemment dans ses Iambes pour faire taire tous les siffleurs de calomnie. […] André Chénier, qui, toute sa vie, s’était englouti dans le monde et les choses de l’Antiquité, André Chénier, ce patient et laborieux mosaïste, qui incrustait le détail antique avec un art si profond et si subtil dans l’expression des sentiments et des choses modernes, remonta par l’horreur vers le Dieu auquel il n’avait peut-être jamais pensé, et il jeta cette clameur des Iambes, le cri de la foi passionnée, la plus magnifique torsion d’âme et de main désespérées autour d’un autel invisible, la plus intense prière, enfin, que l’imagination d’un poète révoltée des abominations de la terre ait jamais élancée vers Dieu ! III Ce sont ces Iambes, d’ailleurs, — précisément parce que le plus grand sentiment de l’âme humaine (le sentiment religieux) y vibre d’une étrange puissance, — que je regarde comme la plus belle partie des œuvres poétiques de Chénier.

551. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

Notre rire ne se trouve pas en désaccord formel avec ce qui compose notre sentiment. […] Et ici ce sont bien les sentiments par lesquels passe Athalie qu’il faut nous faire comprendre et partager. […] Il exprime alors les sentiments divers qui doivent passer dans notre âme et nous agiter comme lui-même. […] Les sentiments qu’il exprime et qui l’agitent sont ceux-là mêmes qui doivent pénétrer dans notre âme. […] Dans le vaudeville, la musique est donc un multiplicateur du sentiment qu’éprouvent ou qu’expriment les personnages.

/ 3191