Il n’avait d’allemand que ses cheveux, ces célèbres cheveux blonds, et jusque dans son sentiment pour les femmes il était un Français encore, bien plus près de la galanterie et du libertinage que de l’amour. […] Nous n’avons pas ici que l’éloquence en flammes de l’amour, nous en avons l’analyse ensanglantée, faite par ce noble imbécile d’amoureux avec le perçant du génie, qui n’est pas, lui, aveuglé par tout ce sang et qui se discerne souffrir… Peu d’hommes maîtrisés par l’amour ont parlé avec une pureté plus ardente d’un sentiment qui entraîne dans toutes les sensations que ce Benjamin Constant, auquel il suffisait de la peau du bras de Madame Récamier quand elle ôtait son gant pour rouler dans tous les égarements et dans tous les délires !
Flourens et Fontenelle, un rapport qui saute aux yeux, malgré et à travers toutes les différences de philosophie, de sentiment et de destinée, qui existent entre le Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences du dix-huitième siècle et le Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences d’aujourd’hui, et ce rapport, c’est l’incomparable diaphanéité de leur Exposition à tous deux. […] Enfin il analysa expérimentalement les facultés, les fonctions, les forces, et donna la preuve sans réplique à ses adversaires (car c’était une preuve physiologique) de l’unité de l’intelligence, concluant que la physiologie répétait le témoignage du sentiment, et qu’elle le confirmait, en le répétant.
C’est ainsi, par exemple, qu’Ovide, qui fut un poète immense, est resté encore, pour nous chrétiens qui l’avons dépassé en sentiments et en idées, un poète, malgré l’erreur de ses mythologies. […] Elles n’ont rien de cette chose sans entrailles et sans horizon, de cette Chinoise d’éventail ou de paravent, aux petits détails microscopiques, à la description éternelle d’atomes, même dans la sphère du sentiment, et que nous avons vue se produire parmi nous depuis la mort du grand et idéal Lamartine.
Mais un poète, l’homme du pur sentiment, de l’idéal et du rêve ! […] III Mais Jules de Gères a plus qu’un petit écu en fait de sentiments et d’idées, et voilà pourquoi il est réservé à une destination supérieure à celle d’écrire des sonnets comme Oronte ou comme l’abbé Cotin.
Je sais, comme vous, que dans toute poésie, quelle qu’en soit la forme ou l’étendue, il y a une lutte secrète entre l’infini du sentiment qui circule et le fini de la langue dans laquelle cet infini se renferme sans se limiter, mais ici, cette lutte, qui est le caractère glorieux et infirme de toute poésie, a lieu sur un bien plus petit espace, ce qui augmente le danger et constitue un bien plus difficile idéal. […] Il a (regardez-y et même vous n’avez pas besoin d’y regarder pour en être frappé) la fécondité, la force, la profondeur, la grâce, la variété dans l’inspiration et cette unité dans le sentiment qui fait l’originalité d’un homme et qui lui crée son moi poétique, mais dans quelle proportion a-t-il tout cela, si ce n’est dans celle qui étouffe, en le restreignant, le génie, le génie à qui la place est nécessaire et qui ne peut jamais se passer d’horizons !
Mais nous avons changé tout cela… Est-ce par amour pur du changement, ce petit sentiment révolutionnaire ? […] Tous les deux, bien évidemment, pour ceux qui ont le sentiment des analogies sont de la même race que La Fontaine.
Malot, — et son roman doit être, à son titre, quelque chose comme une trilogie, quoiqu’il ait oublié de nous en avertir, ce qui n’est pas un oubli de préface, mais un oubli de composition : — il s’agit donc d’amour ; mais est-ce un côté inexploré de ce sentiment, qui est l’infini dans nos âmes, que M. […] La préoccupation de ce malheureux livre, où il y a de l’étude et parfois du style, mais rien de sincère, de franc et de naïvement emporté, la préoccupation se trouve partout, c’est la manie de faire de l’école hollandaise, de cette école hollandaise transportée dans la littérature, et qui les perdra tous, ces romanciers sans idée, qui veulent tout écrire et ne rien oublier, parce qu’il est plus aisé de peindre les bretelles tombant sur les hanches des hommes qui jouaient au bouchon (v. p. 68), que d’avoir un aperçu quelconque ou de trouver une nuance nouvelle dans un sentiment.
Le Leone Leoni de madame Sand n’est pas long, et par là l’artiste a épargné à son lecteur, tout en l’émouvant, la sensation du dégoût qui n’eût pas manqué d’arriver si on eût prolongé la scabreuse situation, nécessaire au développement du sentiment qu’on a voulu peindre. […] Restent donc les faits, les événements, les aventures, toute cette danse macabre des faits qui sont la vie même du roman-feuilleton… Eh bien, ces faits, — la seule ressource qui restât à Feydeau dans sa pénurie d’idées, de sentiment, de conception quelconque !
Son amour pour la gloire était plutôt une coquetterie inquiète, qui tenait à l’esprit, qu’un de ces sentiments profonds qui subjuguent l’âme et la remplissent : aussi obtint-elle plus de célébrité que de gloire. […] Il y aura, pour ainsi dire, un frottement et un choc continuel entre le sentiment et le signe, entre l’expression et l’idée.
J’ai en moi un singulier sentiment d’allègement. […] Et tout éveillé, l’on marche avec le sentiment d’un dormeur en proie à un mauvais rêve, et qui sent qu’il rêve. […] Je constate que l’amour de la patrie est un sentiment démodé. […] En tout ce bas monde, un sentiment irraisonné rend Versailles responsable de tout le mal qu’a fait le Comité, — un sentiment très difficile à détruire, et qui fait regarder les Versaillais comme des Prussiens. […] Un sentiment de lâcheté, que je ne me suis jamais senti, du temps des Prussiens.
Il n’y a pas encore de mots pour les nuances, ce qui paraît moins tenir à la simplicité relative des esprits en ce temps-là, qu’à une répugnance d’instinct pour tout ce qui n’est pas l’expression précise et générale, soit d’un fait, soit d’un sentiment. […] Quelques jours après il se confessa, ceignit l’écharpe et le bourdon de pèlerin, fit un pèlerinage pieds nus aux églises voisines et quand il fallut repasser devant le château de Joinville où il laissait sa femme et ses enfants, « Je ne vox (voulus), dit-il, onques retourner mes yex vers Joinville, pourceque le cuer ne me attendrist dubiau chastel que je lessoie, et de mes deux enfants. » Cette tendresse paternelle, ce regret pour le biau chastel, sont plus d’un homme pacifique que d’un guerrier ; voilà des sentiments délicats qu’il ne faut pas chercher dans les mémoires ni sous l’armure de fer, qui recouvrait le cœur de Villehardouin. […] Je ne regrette pas non plus de trouver Joinville touché, au départ, d’un autre sentiment que la joie simple et profonde du maréchal de Champagne, à la vue de cette belle flotte, qui semblait destinée à conquérir le monde. […] Il n’en a que plus de mérite à avoir relevé la pensée poétique d’Horace, par un sentiment chrétien, bien supérieur au développement descriptif du poète. […] On ne s’attend guère à rencontrer, à cette date, un sentiment si vrai et si profond, exprimé avec la grâce du style de Montaigne.
Quant à Parsifal, la conception d’une nature parfaitement simple et pure, s’élevant par le sentiment de la compassion aux plus hautes vérités religieuses, n’a rien que de noble et beau. […] Ce fragile Saint-GraaI, toujours menacé de destruction ; cette théologie matérielle du sang où manque le sentiment de la haute spiritualité ; ce rédempteur paralysé par la faute de ses représentants terrestres nous laisse sous une impression morbide mal dissimulée par la pompe du spectacle. […] Quand Lohengrin, avant de faire ses adieux à Elsa, révèle son origine devant le peuple entier et parle de Montsalvat, nous ne voyons ni église, ni cortège, ni vase magique, et cependant nous croyons mieux au Saint-Graal et à toutes ses merveilles à travers son messager lumineux que devant le brillant symbolisme de cette religion matérialisée. — C’est qu’il y a dans Lohengrin ce qui manque dans Parsifal : le sentiment de l’au-delà, de l’infini. […] L’œuvre réalise ainsi cet aphorisme de l’esthétique spencérienne « que le plus élevé des sentiments esthétiques est celui qui répond à l’exercice complet mais non excessif de la faculté émotionnelle la plus complexe ». […] Mais, ce que le drame peut encore enseigner chez Wagner, c’est la force et la puissance de la langue, telle qu’elle jaillit dans sa pureté native, hors des profondeurs du sentiment, également éloignée de la banalité journalière et des enflements rhétoriques.
Elle retrace enfin avec des souvenirs bien personnels et vécus — l’expression est acceptée aujourd’hui — des sentiments qui ont le mérite de représenter rigoureusement, à la scène, les sentiments humains et contradictoires de deux hommes d’âge différent, confondus et mêlés dans une même existence. […] L’art théâtral, cet art malade, cet art fini, ne peut trouver un allongement de son existence que par la transfusion, dans son vieil organisme, d’éléments neufs, et j’ai beau chercher, je ne vois ces éléments que dans une langue littéraire parlée et dans le rendu d’après nature des sentiments, — toute l’extrême réalité, selon moi, dont on peut doter le théâtre. […] Voici la route de Bellevue, et, sur cette route, nous rencontrons tenant par la main un joli enfant, la jeune fille, jeune femme aujourd’hui, que l’un de nous a eu, au moins pendant huit jours, la très sérieuse pensée d’épouser… et qui nous rappelle du vieux passé… Il y a des années qu’on ne s’est vu… On s’apprend les morts et les mariages… et l’on nous gronde doucement d’avoir oublié d’anciens amis… Puis nous voilà dans la maison de santé du docteur Fleuri, causant avec Banville, et croisant dans notre promenade, le vieux dieu du drame, le vieux Frédérick Lemaître… « … Dans tout cela, par tous ces chemins, en toutes ces rencontres, au milieu de toute notre vie morte que le hasard ramène autour de nous et qui semble nous mener à une vie nouvelle, nous roulons, les oreilles et les yeux aux bruits et aux choses comme à des présages bons ou mauvais, et prêtant à la nature le sentiment de notre fièvre… En rentrant : rien. » Une semaine après, nous apprenions que notre pièce n’était ni reçue ni refusée, que Beaufort voyait un danger dans la mise à la scène de la petite presse… qu’il attendait. […] Qu’on ne me prête pas du dépit, de la mauvaise humeur, le sentiment bas et rancunier d’un homme qui ne veut pas que les autres réussissent là où il a échoué.
V Tel est ce drame : on y aperçoit déjà un raffinement de style qui touche de près à la corruption du goût chez les peuples vieux ; mais la candeur, la douceur, l’innocence des sentiments et des mœurs qui forment le fond de la religion et de la civilisation des Indes primitives, y édifient partout le lecteur ou le spectateur. […] C’est Dieu justifié devant le sentiment des spectateurs. […] VIII Cette littérature a eu ses époques d’enfance robuste et inculte comme les nôtres ; puis de perfection, où la simplicité s’unit au goût, à la richesse et à la force ; puis de décadence, où l’ornement et la manière efféminent le sentiment ou l’idée. […] Le sentiment ne m’a été donné que pour la douleur ; vainement je résiste, elle s’attache à moi avec acharnement. […] » On voit, à ces pittoresques descriptions de la nature opulente et majestueuse de l’Inde, des arbres, des ondes, des animaux, que le sentiment du paysage dans la poésie, et de la mélancolie dans l’âme, ne sont point, comme on le dit, des inventions récentes de notre poésie, mais que la plus haute antiquité sentait et exprimait avec la même force l’œuvre de Dieu et le cœur de l’homme.
Jules Lemaître devient menaçant pour toute passion tragique et tout sentiment profond. […] Mais ce sentiment si fin révèle bien la qualité des poèmes idylliques de M. de Pomairols. […] Une fraîcheur ingénue de sentiment prête à ses vers un charme extrême. […] C’est un sentiment de poète qu’exprime M. […] Romain Rolland est un merveilleux peintre de sentiments, un véritable poète du cœur.
Au fond, il appartient beaucoup plus, par les habitudes littéraires et la tendresse du sentiment, à son pays natal qu’à sa terre d’adoption.
La profondeur des pensées, la force du raisonnement, la noblesse & la pureté du langage, y vont toujours de pair avec la chaleur de l’imagination, la vivacité du sentiment, & l’énergie de l’expression.
C'est sur-tout en cela qu'on peut le regarder comme un des meilleurs modeles de Poésie pastorale, quoique la chaleur du sentiment n'anime pas toujours ses Interlocuteurs.
C’est que son premier sentiment, en faveur de la Princesse de Clèves, n’avait été qu’un feu de paille. […] Cependant Ulysse, sans les écouter, désirait voir le Cyclope et connaître ses sentiments. […] J’ai prié Dieu pour vous, et il me semble qu’il vous enverra si ce n’est la joie, du moins un peu de sérénité, et le sentiment qui fait qu’on tient à ses amis et qu’on ne songe pas à s’en séparer — le sentiment qui fait qu’on pardonne au lieu de s’aigrir, le sentiment qui rapproche les cœurs et fonde les solides amitiés de la fin de la vie… » Sa vie à elle touchait à sa fin. […] Maintenant, il peut arriver que l’acteur ait réellement du sentiment et ne paraisse pourtant pas en avoir. […] Car nous ne pouvons juger du sentiment chez un acteur que par des manifestations extérieures.