Rien de plus aimable et de plus intéressant que sa figure ; rien de plus tendre et de plus chaste que les sentiments qu’elle inspirait. […] L’épisode de la princesse Czartoryska, de cette intéressante femme dont il a dit : « Rien n’était perdu avec une âme si tendre, on ne pouvait être plus aimable à aimer » ; cet épisode serait touchant s’il était le dernier, et s’il couronnait une vie de légèreté et d’erreurs par un sentiment fidèle et sincère. […] Toutes les fois qu’il veut exprimer un sentiment un peu profond et vrai, il est puni, la passion et la poésie manquent à son langage. […] Personnellement, ceux qui ont connu M. de Biron ont toujours mêlé à leur jugement sur lui un sentiment de regret et un hommage pour ses qualités brillantes, faciles ou généreuses. […] On ajoute que, dans un sentiment plus élevé, il s’écria à l’instant de la mort : « J’ai été infidèle à mon Dieu, à mon Ordre et à mon Roi : je meurs plein de foi et de repentir39. » On aime à penser qu’en ce moment de suprême équité, un autre nom, une autre infidélité lui serait revenue encore en mémoire, et qu’il se serait dit quelque chose de plus à lui-même s’il avait pu prévoir que, quelques mois après, sa femme, cette modeste, charmante et vertueuse femme dont il a si indignement parlé, et dont tous, excepté lui, ont loué l’inaltérable douceur, la raison calme et soumise, et les manières toutes pleines de timidité et de pudeur, monterait à son tour sur l’échafaud.
Grimm avait le sentiment vif de la musique ; il prit parti avec feu pour la musique italienne contre la musique française ; il se montrait en cela homme de goût, et il le fut avec l’enthousiasme de son pays et de son âge. […] Il a un tour de plaisanterie qui lui est propre et qui ne sied qu’à lui… Il aime la solitude, et il est aisé de voir que le goût pour la société ne lui est point naturel : c’est un goût acquis par l’éducation et par l’habitude… Ce je ne sais quoi de solitaire et de renfermé, joint à beaucoup de paresse, rend quelquefois en public son opinion équivoque ; il ne prononce jamais contre son sentiment, mais il le laisse douteux. […] Meister, homme de sentiment et de nuance, qui a écrit sur lui longtemps après. […] Il dut à cette justesse d’esprit et à cette modération de rencontrer surtout des bienfaiteurs, et il se les attacha non moins par son mérite que par la mesure et la dignité de ses sentiments. À cette époque où nous le voyons et où il est aux dernières années de sa jeunesse, sa froideur apparente cachait mal un reste d’ardeur intérieure, et sa fermeté n’ôtait rien à la délicatesse de ses sentiments.
Necker en matière religieuse, c’est la sincérité parfaite, c’est l’onction, un sentiment profond et persuasif qui passe dans ses paroles, et qui remplace souvent la métaphysique par une morale touchante. […] Je recommande particulièrement celui de L’Union conjugale, qui est plein de sentiment et de beauté. […] Il obtint tout à l’Hôtel de Ville dans le premier moment, et il a exprimé les sentiments qui l’agitaient alors, en des termes qui honorent l’homme et qui montrent aussi sa facilité d’espérance : Je voudrais avoir assez d’espace, dit-il après nous avoir donné l’arrêté d’amnistie rédigé à l’Hôtel de Ville, pour transcrire ici les noms de tous ceux, en si grand nombre, qui participèrent à cet acte mémorable. […] Parlant des deux partis qui l’avaient tour à tour et à la fois blessé, du parti aristocratique surtout qui ne lui avait point épargné les sarcasmes amers, il disait, dans la supposition qu’il eût pu en regagner les plus indulgents : « Je ne veux aujourd’hui ni d’eux ni de personne ; c’est de mes souvenirs et de mes pensées que je cherche à vivre et mourir ; et, quand je fixe mon attention sur la pureté des sentiments qui m’ont guidé, je ne trouve nulle part une association qui me convienne. » C’est en ces termes que l’honnête homme blessé s’exaltait lui-même dans le premier soulèvement de sa douleur. […] Necker par lui-même nous montre encore quelques-unes de ces qualités, mais jointes à une personnalité excessive, non amère, plutôt naïve, surabondante dans l’expression de ses sentiments, et donnant jour, quand elle s’épanche, à toutes les sensibilités de l’homme privé, à toutes les faiblesses de l’homme public, Les infortunes des autres, celles surtout de son vertueux roi, vinrent un peu calmer les siennes, et, dans les années suivantes, il a retrouvé la mesure de sa pensée et la possession de sa plume quand il écrit.
Un sentiment de bonne foi consciencieuse vient me prendre fort mal à propos, et puis le doute, et même un misérable instinct d’humour que je tourne contre moi. […] L’atrophie fonctionnelle de la volonté nous est présentée avec tous ses symptômes habituels, la surabondance d’idées et de sentiments abstraits, la disposition que donne cette perpétuelle agitation à l’analyse intérieure et à l’ironie envers soi-même, l’incapacité finale de formuler un jugement arrêté ou de ressentir une émotion entraînante et la scission de l’âme en deux courants d’idées contraires, cette division intestine conduisant à la perception de deux moi irréconciliables, puis causant la mort de l’organisme qu’elle affecte. Que l’on considère que ces études de pathologie mentale sont écrites par un auteur qui s’entend merveilleusement à décomposer les mouvements d’âme, à manier les sentiments, à percevoir la forme particulière qu’ils revêtent dans l’individu qu’il analyse, à faire entrevoir par le clair-obscur d’un style réticent, par l’indécis des incidents contradictoires, tout le complexe de l’être qu’ils affectent, qui connaît les infinies sinuosités, les étranges mélanges de clarté et d’ombre que présente tout esprit humain, on mesurera ce que les romans de Tourguénef ont de concluant et de propre. […] Sipiaguine, le fonctionnaire pseudo-libéral de Terres vierges, a parfois avec sa femme des sentiments honnêtes et bons. […] Il fut l’artiste de ses perceptions délicates et de ses sentiments compatissants, l’élégiaque du réalisme.
C’est le sentiment du P. […] C’est le sentiment de M. […] Il fait consister l’éloquence uniquement dans le talent de faire sur l’ame des autres, par l’usage de la parole, l’impression de sentiment que nous éprouvons. […] Elle trouve plus aisément l’art d’intéresser le sentiment, l’art d’étonner l’imagination ; elle présente de plus grands moyens à celui qui parle ; elle étale de plus grands objets à ceux qui écoutent. […] Le sentiment de M. de Fénélon étoit celui du Pere de la Rue, comme on le voit par la préface de ses Sermons.
Mais ici toute prétention exclusive est vaine ; la poésie lyrique est née partout, avec les premiers et les plus vifs sentiments de l’âme. […] les sentiments subtils, les raffinements du langage précédèrent, dans la poésie nouvelle, l’accent de la passion et les élans de l’âme. […] Je ne crois pas que, dans le langage des sentiments privés, il y ait rien de plus touchant que la prière du poëte à la Mort, pendant la maladie de Béatrix. La douleur d’Horace sur la perte d’un ami, son effort pour consoler dans un autre une affliction non moins grande que la sienne, attendrit et charme par la pureté des sentiments et la tristesse mélodieuse des paroles. […] beaucoup moins qu’un seul sentiment de l’âme élevée jusqu’à Dieu.
Tels paraissent avoir été les sentiments de M. de Chateaubriand, seul, sur la route de Rome. […] J’allais pensant à vous dans ces campagnes désertes ; elles lisaient dans mes sentiments l’avenir et le passé, car autrefois je faisais aussi les mêmes promenades. » Tibulle reparaît sous l’ambassadeur quelques pages plus loin. […] Cette maturité du cœur est très sensible dans M. de Chateaubriand ; sa poésie en mûrissant devint sentiment. […] « L’amitié a ses cajoleries comme un sentiment plus tendre, et plus elle est vieille, plus elle est flatteuse, précisément tout l’opposé de l’autre sentiment. […] Cette confiance il la méritait par ses sentiments, mais il ne la justifia pas assez par sa discrétion au retour de ces ambassades d’intimité aux foyers errants de Charles X.
Il compléta ce cercle par un mari qui recherche la personne de Julie, tout en sachant que son cœur est à Saint-Preux, et qui sait être athée avec tous les sentiments d’un chrétien. […] Cependant l’utopie de la Nouvelle Héloïse est bien plus dans les sentiments que dans les caractères. La diversité des caractères est telle qu’à peine doit-on dire qu’il y en a d’impossibles ; mais on ne passe pas, même au romancier, l’invraisemblance des sentiments. […] L’expression de leurs sentiments pourra différer, mais le fond en sera le même ; et ce fond, invariable parmi les diversités infinies des caractères et des situations, c’est le cœur humain. […] Le but moral de la Nouvelle Héloïse n’est pas moins chimérique que les sentiments.
J’y planai, dans cet éther, pendant je ne sais combien de temps, avec les ailes libres de mon âme, sans avoir le sentiment du monde d’en bas qui m’environnait, mais que je ne voyais plus de si haut. […] Ces amitiés ou ces inimitiés d’hommes obscurs sont parfaitement indifférentes à la postérité ; elle aime mieux un beau vers, une belle image, un beau sentiment, que toute cette chronique rimée de la place du Vieux-Palais à Florence. […] Encore une fois, ce n’est pas l’expression qu’il faut traduire, c’est le sentiment. Pour transvaser ce sentiment, cette poésie, cette harmonie, cette image, d’un dialecte dans un autre, vous n’avez pas trop de toute la liberté, de toute la souplesse, de toute la richesse de votre langue. […] Si l’homme, d’après les philosophes, est un abrégé de l’univers, il ne se montre jamais si puissant que lorsqu’il maîtrise cet univers intérieur, ce tumulte orageux de sentiments et de pensées qu’il porte en lui.
Cette tristesse qui n’est que le sentiment douloureux du vide pousse les uns au suicide, les autres à la religion ; entre quelques rares éclats de gaieté on entend dans sa poésie je ne sais quels longs soupirs qui trahissent une salutaire souffrance sous ce masque de rieur. […] Les morts dorment en paix dans le sein de la terre ; Ainsi doivent dormir nos sentiments éteints. […] Est-ce qu’Ovide, Anacréon, Tibulle, Properce, Bertin, Parny, ont de telles profondeurs dans le sentiment ? […] J’étendis mes bras en croix sur le gazon, pleurant, appelant, rêvant, priant, invoquant, dans le sentiment d’une union surnaturelle qui ne laissait plus à mon âme la crainte de la séparation ou la douleur de l’absence. […] Tu t’es laissé prendre par les yeux aux apparences séduisantes du plaisir, au lieu de rechercher les saintes fidélités du sentiment ; qui est-ce qui en a souffert, si ce n’est ton cœur ?
Je ne lus ces vers qu’à mes deux amis, Aymon de V… et Louis de V… Ils se récrièrent sur mon prétendu talent ; ils copièrent mon chef-d’œuvre pour le montrer à leurs parents ; mais nous nous gardâmes bien de le laisser voir à nos maîtres, car on nous interdisait avec raison de composer des vers français avant d’avoir des idées ou des sentiments à exprimer dans cette langue. […] La poésie se compose de trois choses : sentiment, peinture, musique. […] Il fit un prodige d’imagination, il éblouit et il enchanta le monde avec son livre, il fut le génie des Ruines, tout paré de fleurs sépulcrales, de souvenirs, de traditions, de mystères, de sentiment, opposant le cœur à l’esprit, et reconstruisant le vieux temple avec ses débris ; il fut l’Esdras du christianisme après la captivité de Babylone. […] Écoutez avec attention les pages que je vais vous lire ; recueillez bien vos impressions et vos jugements ; je vous interrogerai ensuite sur vos propres sentiments, et je vous donnerai pour sujet de composition demain l’analyse raisonnée de ces pages. […] Je n’ai jamais eu une pensée dont je ne retrouve la racine dans un sentiment ; tout vient du cœur : nascuntur poetæ .
Il fait tenir une idée dans chaque épithète et un sentiment dans chaque métaphore. […] De tous les sentiments, il n’y en a pas pour qui nous ayons plus de sympathie. […] Nous ne trouvons plus en nous que des sentiments délicats, demi-formés, suspendus au moment où ils allaient nous toucher d’une atteinte trop forte. […] Enfin les poëtes et les artistes paraissent et avec eux le sentiment du beau, c’est-à-dire la sensation de l’ensemble. […] Le sentiment de la beauté fait place au besoin de la vérité.
Que ne s’est-il souvenu des beaux vers de Malherbe, dont la noble lyre s’accorda si bien aux sentiments de nos pères sur Jeanne d’Arc ? […] C’est ce beau sentiment qui le passionne pour son auteur : c’est cette qualité rare qui le distingue éminemment à ses yeux parmi les autres poètes. […] Il ne commente l’œuvre que par les propres sentiments de l’auteur, et l’on reconnaît qu’il en éprouve la noble sympathie. […] La diction sera donc sublime dans les mouvements de l’orgueil, tempérée dans les sentiments paisibles et doux, humble dans la douleur. […] Alaric, héros du poème de ce descendant du père Lemoine, exprime ainsi son admiration et ses sentiments à la belle Amalasonte : « Dieu !
Le mépris de la vie s’élevait-il sur les ruines du sentiment de l’humanité ? […] élèveront-ils à ces sentiments magnanimes ? […] Les animaux ont-ils le sentiment de leur état ? […] … « C’est que la colère ne naît que dans les êtres susceptibles de raison… » Dites de mémoire et de sentiment. […] Qui est-ce qui a placé un sentiment aussi héroïque dans l’âme de celui-là ?
Le sentiment de la solitude s’adoucit aussi par le travail. […] J’éprouve un désir inexplicable et le sentiment confus d’une félicité immense dont je pourrais jouir et qui m’est refusée. […] Je vis un nuage se répandre sur ma vue, et pendant quelque temps je perdis à la fois le souvenir de mes maux et le sentiment de mon existence. […] À mesure que mes idées s’éclaircissaient, j’éprouvais un sentiment de paix indéfinissable. […] quand serai-je assez indépendant pour chasser de ma bibliothèque tous ces rhétoriciens dont on nous ennuie au collège, pour n’y donner place qu’aux hommes qui n’ont de rhétorique que le sentiment !
C’est principalement sur l’Acropole que ces sentiments m’assiégeaient. […] Aucune race n’a le sentiment religieux plus indépendant. […] Mon père partageait les mêmes sentiments. […] L’orgueil sacerdotal, peut-être le sentiment du devoir, inspira au prêtre une étrange conduite. […] Ma mère ne sut jamais si, dans le sentiment qui lui resta de ce jour, le froissement ou l’admiration l’emportèrent.
Les wagnériens sont du reste un peu cause de ce déchaînement de sentiments illogiques ; c’est sur un malentendu qu’on discute, et cela dès le premier jour où le nom de Wagner a été prononcé. […] Veuillez agréer mes meilleurs sentiments L. […] Ce qui pourrait encore nous arriver de plus malheureux, ce serait la guerre civile sur la place Favart entre deux fractions également intéressantes de la population parisienne, puisque l’une s’arme d’un principe de patriotisme pour vous attaquer et que l’autre agit dans le sentiment chevaleresque de défendre une œuvre d’art. […] Plus tard, quand l’Opéra avait donné le Tannhaeuser, nous devons reconnaître qu’au lieu d’écouter impartialement son œuvre, comme on l’aurait dû, avec ce sentiment de curiosité déférente qui est de simple bienséance envers les artistes célèbres, on l’avait brutalement égorgée sans miséricorde. […] Reyer : … Il nous sera bien permis de dire qu’il y a dans cette question et dans les incidents auxquels elle a donné lieu, à côté d’un sentiment très respectable si l’on veut, quoique chose de puéril et de parfaitement ridicule.
On les a nommées par dérision des Comédies larmoyantes ; on auroit dû les appeller des piéces de sentiment. […] Aucun auteur n’a plus de précision que lui, & jamais cette précision ne diminue le sentiment. […] Il est tems que les Poëtes abjurent ces maximes corruptrices, qu’on masque du voile de la délicatesse & du sentiment. […] Il joint toujours l’esprit au sentiment, sans que l’un affoiblisse l’autre. […] Un ton de sentiment très-bien soutenu, de la douceur & du naturel, de la naïveté même, & cet air de facilité qui convient au genre, forment le caractère de ses fables.
Nous avons vu dans Joinville un sentiment pareil lors du départ de la flotte de saint Louis à Marseille, et lors du second départ, à l’île de Chypre : mais l’enthousiasme de Villehardouin a un caractère plus haut et plus sévère que l’épanouissement et l’enfance d’allégresse de l’aimable Joinville. […] Sentiment du départ, naturel à l’homme, que chaque génération mêlée à une belle entreprise éprouve à son tour, et que chaque historien s’essaye à rendre ! sentiment qu’on a au départ de Corfou pour Byzance, comme à celui de Toulon ou de Malte pour l’Égypte, comme à celui de Toulon encore, en 1830, pour Alger ! sentiment du départ guerrier, cher à tous les hommes jeunes et vaillants, et à notre nation en particulier, Villehardouin est le premier qui a eu l’honneur de l’exprimer chez nous, il y a plus de six cents ans, dans sa prose simple, nue et grave.