Parmi les joyaux destinés à faire briller ces enchères, et qui en formaient (pour ainsi dire) le bouquet, figurait, — les amateurs ne l’ont pas oublié, — un Vauquelin de la Fresnaie, ce livre, ce rare avis de la bibliophilie, sans lequel il n’y aurait pas de vraie vente à sensation, et dont on dit toujours, à chaque nouvel exemplaire qui en reparaît, qu’on n’en connaît que trois ou quatre au monde.
Je suis persuadé que son ouvrage rencontrera le succès auquel il a droit : les spécialistes, comme je l’indiquais à l’instant, y trouveront matière à compléter leurs connaissances et sans doute à découvrir des aperçus nouveaux ; la masse du public, elle aussi, voudra lire ce livre et ceux qui le suivront, car, aujourd’hui comme au temps de La Fontaine, nous aimons tous et toujours à nous faire conter l’histoire de Peau d’Ane ; notre plaisir se double même d’une piquante sensation de curiosité lorsque c’est un nègre qui nous la conte, pourvu que ce nègre ait trouvé un interprète aussi averti que l’est M.
» dit tout à coup la femme, dont l’émotion se traduit par cette originale sensation. […] La sensation amoureuse de l’orgue au lit, est une sensation que nous avons éprouvée à l’hôtel de Flandres, à Bruxelles.
Dans le désarroi universel des énergies, on ignore le but poursuivi, on redoute l’émotion pour rechercher la sensation et, depuis qu’on ne cesse de nous répéter qu’il faut aller vers la Vie, qu’il faut vivre, la quantité des œuvres artificielles n’a cessé d’augmenter. […] Ils ne veulent pas chanter l’homme en ses symboles, ils veulent l’exprimer en ses pensées, en ses sensations, en ses sentiments. […] Que l’inquiétude de la pensée ne nous empêche pas de nous réjouir si Mme de Noailles exprime mieux que d’autres la violence de sa sensation.
Dans le monde qui n’est qu’une immense étreinte, où chaque atome de chaque vivant reçoit et déverse mille sensations variées, profondes ou fugitives, de douleur et de joie, où chaque impondérable molécule de chair est, à chaque seconde, baignée par les flots continus, en marche éternelle, d’êtres innombrables qui subissent eux-mêmes la même toute puissante fécondation, où les floraisons humbles ou géantes de l’action, s’épanouissent et meurent, nourrissant de leurs parfums et réchauffant de leur éclat la mouvante foule autour d’eux, dans ce monde où la grandeur naît de l’enlacement des forces, le solitaire amoureux de lui-même, refermant sur son être, d’un geste de farouche et pudique fierté, le triple voile de son dédain, de sa mélancolie et de son art, se dresse devant le monde stupéfait comme la victime de l’exil dans un monde de douleur insondable. […] Je crois au contraire que toutes les œuvres où éclatent la couleur, la nouveauté, la richesse et la variété, — toutes qualités du génie — ont eu pour auteurs des êtres vivant et sentant, en intime et sensuel contact avec le monde, dépourvus de la crainte de s’y mêler largement et d’y renouveler sans cesse leur vitalité par des sensations intégralement et réellement vécues. […] Quand l’excitation ne s’épanouit pas en possession, elle aboutit fatalement à une sensation de douleur ou plutôt de malaise, née du désir non satisfait.
Peu à peu, à mesure que s’ébauche le système nerveux, l’excitation mécanique devient sensation et, à la longue, il se forme des combinaisons de sensation. […] A une mauvaise nouvelle on peut éprouver des sensations de constriction, d’étouffement, d’étourdissement. […] La sensation élémentaire de la vie, la simple conscience d’exister, ne devrait-elle pas être la base de tout plaisir ? […] Une suite de sensations ? Qu’est-ce qu’une sensation ?
De longues promenades aux environs de Paris renouvellent ses sensations et ses idées sur la nature. […] Dans la page qui suit, l’oreille éprouve la sensation de ce passage. […] Chez des artistes bien instruits et très conscients, comme Fromentin, Gautier, Flaubert, Gide, le style n’est pas seulement sensation, il est aussi, et beaucoup, interprétation. […] Il s’agit ici de donner à la fois la sensation, le sentiment, l’idée de la terre vue sous un aspect d’évanescence, comme de l’être diminué qui reflue vers le néant. […] Son amour à sa naissance se confond avec ses sensations, et cette nature fait partie de leur indiscernable ensemble.
Ce sont, en effet… les deux couleurs dont la sensation dans l’amblyopie hystérique se conserve le plus longtemps. […] Or, comme à la dynamogénie ou production de force est toujours attaché un sentiment de plaisir, chaque être vivant éprouve le besoin de chercher des sensations dynamogènes et d’éviter les sensations inhibitives et dépressives. […] La sensation de volupté est un exemple de ces phénomènes accompagnateurs de désagrégations extraordinaires dans la cellule nerveuse. […] La circonstance que la seule sensation organique normale à nous connue, qui soit semblable aux sensations de l’extase, est la sensation de la volupté, explique que les extatiques relient par l’association d’idées des représentations érotiques à leurs aperceptions extatiques ; ils interprètent l’extase elle-même comme une espèce d’acte d’amour supra-terrestre, comme une union d’espèce indiciblement élevée et pure avec Dieu ou la Sainte Vierge. […] Chez beaucoup de personnes, les sons éveillent censément des sensations de couleur.
Il est enfin une sensation que Victor Hugo excelle à nous donner : celle du mystère, de l’infini, de l’au-delà. […] Il a, mais à un degré extraordinaire, la sensation de tout cet inconnu qui nous entoure, et il en a l’effroi. […] Tandis que nous distinguons soigneusement l’idée des sensations à propos desquelles nous l’avons conçue, et les sensations elles-mêmes de l’objet qui les a provoquées en nous, pour Victor Hugo, l’idée, la sensation, l’objet ne font qu’un. […] Telle est la simplicité de ce mécanisme qui, sans presque de transition, change l’idée en image, l’image en sensation, la sensation en acte. […] Impressions, émotions, sensations sont-elles nobles ou honteuses ?
Bref, une poésie sans pensée, à la fois primitive et subtile, qui n’exprime point des suites d’idées liées entre elles (comme fait la poésie classique), ni le monde physique dans la rigueur de ses contours (comme fait la poésie parnassienne), mais des états d’esprit où nous ne nous distinguons pas bien des choses, où les sensations sont si étroitement unies aux sentiments, où ceux-ci naissent si rapidement et si naturellement de celles-là qu’il nous suffît de noter nos sensations au hasard et comme elles se présentent pour exprimer par là même les émotions qu’elles éveillent successivement dans notre âme… Comprenez-vous Moi non plus. […] En réalité, il note sans dessein, sans nul souci de ce qui les lie, les sensations et les sentiments qui surgissent obscurément en lui, un soir, en regardant le ciel rouge encore du soleil éteint. «… Crépuscule ; souvenir… Il rougeoie ; espérance… Il fleurit ; dahlia, lis, tulipe, renoncule ; treillis de serre ; parfums chauds… On pâme, on s’endort… ; souvenir ; crépuscule… » Ni le rapport entre les images et les idées, ni le rapport des images entre elles n’est énoncé. […] On pourrait presque dire qu’il est le seul poète qui n’ait jamais exprimé que des sentiments et des sensations et qui les ait traduits uniquement pour lui ; ce qui le dispense d’en montrer le lien, car lui le connaît.
C’est un de ces matérialistes raffinés et ambitieux qui ne conçoivent guère qu’une perfection, — la perfection matérielle, — et qui savent parfois la réaliser ; mais par l’inspiration il est bien plus profond que son école, et il est descendu si avant dans la sensation, dont cette école ne sort jamais, qu’il a fini par s’y trouver seul, comme un lion d’originalité. Sensualiste, mais le plus profond des sensualistes, et enragé de n’être que cela, l’auteur des Fleurs du mal va dans la sensation jusqu’à l’extrême limite, jusqu’à cette mystérieuse porte de l’Infini à laquelle il se heurte, mais qu’il ne sait pas ouvrir, et de rage il se replie sur la langue et passe ses fureurs sur elle. […] Au point de vue de l’Art et de la sensation esthétique, elles perdraient donc beaucoup à n’être pas lues dans l’ordre où le poète, qui sait bien ce qu’il fait, les a rangées. […] La pièce vingt et unième (Parfum exotique) est remarquable par cette faculté d’arrêter l’insaisissable et de donner une réalité pittoresque aux sensations les plus subtiles et les plus fugaces.
Toujours prosateur, mais pour cela n’éteignant pas en lui la poésie, Alphonse Daudet a publié en volume les Lettres de mon moulin, qui nous donnèrent une sensation si neuve quand nous les lûmes dans Le Figaro. […] Ce ne sont pas les paysages éclatants, ce ne sont pas les sensations joyeuses et poétiques de toute cette nature de Provence, peinte dans sa lumière avec de la lumière ; ce ne sont même pas les deux ou trois contes gais qui rient dans cet azur, comme Le Curé de Cucugnan et L’Élixir du Père Gaucher. […] Daudet y a trempé souvent la sienne, et il l’a trempée aussi dans l’arc-en-ciel de ses sensations de poète, aussi brillant que l’autre arc-en-ciel ! […] Seulement, le drame qu’il a noué et dénoué autour de son type est un drame que l’on joue depuis trop longtemps pour beaucoup passionner les esprits difficiles qui veulent que le talent leur apporte de nouvelles sensations.
L’expérience de Chénier se fond dans son érudition ; et dans ses « vers antiques », ce qu’il met, ce sont, non pas toujours « des pensers nouveaux », du moins des sensations personnelles et de la nature observée. […] L’homme, en effet, ne change pas quand on passe des Elégies aux Églogues : mais ici l’épicurien mondain du xviiie siècle enveloppe sa conception matérialiste de la vie des sensations fines d’un artiste grec : il traduit en païen son amour de la nature, de la jeunesse, de la vie riante et facile, des beaux corps gracieux et fermes.
Ces pièces de vers, d’une saveur si exquisément étrange, renfermés dans des flacons si bien ciselés, ne lui coûtaient pas plus qu’à d’autres un lieu commun mal rimé… Avec ces idées, on pense bien que Baudelaire était pour l’autonomie absolue de l’art et qu’il n’admettait pas que la poésie eût d’autre but qu’elle-même et d’autre mission à remplir que d’exciter dans l’âme du lecteur la sensation du beau, dans le sens absolu du terme. À cette sensation, il jugeait nécessaire, à nos époques peu naïves, d’ajouter un certain effet de surprise, d’étonnement et de rareté.
Comme rythme général, deux grandes demi-périodes, l’une largement ouverte et comme à pleines ailes, montrant l’aigle évoluant dans le ciel, puis fondant sur sa proie ; l’autre plus courte, plus pressée et plus pressante, donnant cette sensation que non seulement aussi vite et aussi foudroyant, mais plus vite et plus foudroyant encore était le vol du prince de Condé. […] Ouvrez La Fontaine n’importe où ; aussi bien c’est ce que je viens de faire ; et lisez à demi-voix : Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé, Et de tous les côtés au soleil exposé… sons lourds, sourds, durs, rudes, compacts, sans air ; car il n’y a pas de muets ; sensation d’accablement.
Je me suis replongé dans les premières sensations intellectuelles et les premières admirations de ma vie ; mais ces sensations retrouvées, je ne les ai pas dues à celle de qui j’en attendais de plus vives et de plus complètes.
Quelques-uns de ces esprits qui sentent le style se récrièrent, dans le premier mouvement d’une sensation très vive, mais ce fut tout. […] Par le relief et par le mouvement, par la sensation du pittoresque et la flamme de l’imagination, teinte de guerre depuis la jeunesse, le capitaine d’Arpentigny serait un magnifique historien militaire, et nous le croirions dans un milieu plus vrai que celui qu’il s’est choisi s’il nous écrivait quelque grand épisode de l’histoire de cet Empire pour lequel il est si dur et si injuste.
. — La physique vient d’ailleurs compléter l’œuvre de la psychologie sur ce point : elle montre que si l’on veut prévoir les phénomènes, on doit faire table rase de l’impression qu’ils produisent sur la conscience et traiter les sensations comme des signes de la réalité non comme la réalité même. […] Par là même ils sont responsables des exagérations de la psychophysique ; car dès que l’on reconnaît à la sensation autrement que par métaphore, la faculté de grandir, on nous invite à chercher de combien elle grandit.
Pauvres et austères, leur genre de vie leur interdisait cette foule de sensations variées et délicates, qui, en frappant légèrement les sens, passent dans l’âme, et de là dans les langues qu’elles enrichissent. […] Les poètes parcourent dans la nature tout ce qui donne des impressions ou agréables, ou fortes, et transportent ensuite ces beautés ou ces impressions dans le langage ; ils attachent par une sensation un corps à chaque idée, donnent aux signes immobiles et lents la légèreté, la vitesse ; aux signes abstraits et sans couleur, l’éclat des images ; aux êtres qui ne sont vus et sentis que par la pensée, des rapports avec tous les sens.