En ce qui regarde la grandeur romaine, il semble que Montesquieu en ait mieux vu les causes politiques, Bossuet les causes morales. […] Dans l’explication des causes de la décadence, il semble que l’avantage soit au premier. […] Il y a plus d’un exemple, dans les Considérations, de questions historiques auxquelles Montesquieu semble se dérober. […] Il semble par moments que les mêmes mains tiennent encore la plume. […] On en a fait des volumes, sans compter ce commentaire où Voltaire semble par moments s’impatienter plutôt contre la gloire de Montesquieu que contre ses erreurs.
Mes amis m’ennuient, et me semblent s’entretenir d’eux-mêmes plus qu’à l’ordinaire. […] Ils ne me semblent plus écrire, mais couler. […] Quand la feuille est venue, que nos personnages paraissent vivants, que notre dialogue nous semble une voix, nous sortons de ce papier, échappé de nos entrailles et que nous corrigeons avant de nous coucher, — nous sortons avec une vraie fièvre qui nous retourne deux ou trois heures, sans sommeil, dans notre lit. […] Il a un visage, moitié singe, moitié voyou de Londres, et une petite tête et un petit corps, où semblent germer tous les mauvais instincts d’un cocher de remise, d’une bonne de fille, d’un enfant de pauvre, enfin le type complet de l’emploi. […] Théophile Gautier, torpide à la façon d’un sphinx et d’un poussah, semble résigné à tout ce qui va se passer.
Il est bien vrai qu’on peut l’être à divers degrés, et que les vérités progressives semblent se succéder, comme dit Pascal, du pour au contre1. […] Le public lui-même semble ne devoir pas moins profiter que l’homme de lettres de cette organisation industrielle de la littérature. […] Il nous semble que ce qui empêche le plus de réussir, c’est la passion exagérée de réussir. […] Le beau, le juste, le vrai sont les aspects différents d’une seule et même chose, les faces diverses d’une même pyramide ; elles semblent éloignées à la base, elles se réunissent au sommet. […] Le ministère de la pensée me semblerait à la fois plus noble et plus indépendant, si celui qui l’exerce n’en attendait pas le salaire.
Voilà, ce me semble, à peu près tout pour ce qui est des Grecs et des Latins. […] Cependant, La Fontaine admet, et semble admettre avec beaucoup de complaisance et de plaisir, la notion de la Providence. […] Et je serais bien étonné, bien scandalisé, semble-t-il dire, que l’on m’accusât de vouloir faire croire à une pareille chose. […] Eh bien, La Fontaine constatant, je vais commencer par là, et puis ensuite j’arriverai à La Fontaine qui semble donner un conseil, qui semble donner un précepte, et qui le donne en effet. […] Ce n’est pas seulement ici la médiocrité, c’est même la pauvreté, la pauvreté hardie et fière, la pauvreté indépendante et farouche, que semble, pour une fois, recommander La Fontaine.
Qu’elle est aérienne et légère cette voûte grâcieuse, et pourtant auguste et vénérable comme celle, de la nef consacrée qui retentit de pieux cantiques ; tandis qu’au-dessous la terre tachetée de lueurs changeantes semble mobile comme une onde ridée par le vent ! […] Coup sur coup résonne le fléau régulier qui semble se balancer incertain, et qui pourtant tombe en plein sur l’épi destiné. […] Tes paroles indistinctes semblent comme un langage murmuré dans un rêve ; pourtant elles me charment, quel qu’en soit le sens, ma Marie ! […] Il lui semblait, au milieu de toutes ses méditations et de ses soliloques spirituels, entendre toujours une voix fondamentale et profonde, qui lui criait : « C’en est fait de toi, tu es perdu ! […] Il me semble qu’en cet endroit Cowper a pensé à la profession de fei du vicaire savoyard et qu’il en touche l’endroit faible et défectueux, qui est aussi celui de tous les éloquents continuateurs de Rousseau : il y manque la toute petite parole qui change les cœurs.
Le reste du temps il eût semblé aussi peiné que peigné, et laborieusement prétentieux. […] Il n’a été donné à personne en son temps d’imiter Voiture ; le seul que la nature semble avoir créé alors pour être son second tome, un peu moindre, mais faisant suite sans effort, c’est Sarazin. […] Et qui lui a dit que Balzac n’usera point du pouvoir que Costar lui donne de changer, de rayer ce qu’il lui plaira de cet ouvrage, et de supprimer même l’ouvrage, si bon lui semble ? […] Costar qui en est l’auteur, il me sembla qu’en pareille matière je n’avais rien vu de si bien écrit, de si judicieux, de si élégant, ni de si fleuri. […] En présence d’une dissertation écrite dans cette mesure et sur ce ton, il n’y avait pas, ce semble, de quoi si fort se courroucer, et Costar ne put d’abord prendre l’affaire en main que d’un air souriant et sur le pied d’une aimable controverse.
Preuss, que le roi n’ait pas eu avec Maupertuis de correspondance véritablement amicale, familière ou littéraire. » Les 176 lettres recueillies par La Beaumelle semblaient donc venir à point pour remplir cette lacune, et je l’ai crue assez bien comblée jusqu’au moment où l’obligeance de M. […] Il lui semble que le stoïcisme tout pur, quand on ne le tempère point par de l’épicuréisme, est une substance trop forte qui agit comme un poison ; et il continue en ces termes : Malheureusement pour ces espèces d’animaux qui se disent raisonnables, il semble que l’erreur soit leur partage. […] Au reste, il me semble de voir des aveugles qui errent dans l’obscurité ; quelques-uns s’entre-heurtent, d’autres, en voulant s’éviter, se frappent et se font choir ; personne ne devient plus sage, et tous rient du malheur de leurs concitoyens. […] Mais je suis bien fol moi-même de faire un long sermon de morale à un homme à qui je devrais adresser un épithalame… Je mets en regard ce qu’est devenu ce passage sous la plume fertile de La Beaumelle : Malheureusement pour ces espèces d’animaux qui se disent raisonnables, il semble que l’erreur soit leur partage. […] Il me semble qu’il doit avoir quitté ce monde avec moins de regrets, et que cette idée doit entrer pour beaucoup dans ce corps de raisons consolatoires que votre philosophie doit vous fournir.
C’en est assez, ce me semble, pour créer de nous à lui un premier intérêt. […] Les champs élevés en terrasse les uns au-dessus des autres semblent enfermés dans des corbeilles de vignes. […] L’impression de ce songe lui demeura ; il lui semblait que sa conscience eût parlé. […] Il me semble que l’amie d’Alfieri, celle qui consacre désormais sa vie à rendre un culte à la mémoire de ce grand homme, sera prévenue en faveur d’un ouvrage d’un de ses plus zélés admirateurs, d’un ouvrage où elle retrouvera plusieurs des pensées et des sentiments qu’Alfieri a développés avec tant d’âme et d’éloquence… » Mme de Staël fait souvent les frais de la correspondance. […] Je crois même que la remarque qui vous a frappée était faite à l’avantage du comte Alfieri8… Mais Schlegel a une manière si âpre et si dédaigneuse en même temps de parler et d’écrire, que bien souvent il blesse alors même qu’il voudrait louer. » Schlegel n’avait pourtant pas tort, quand il parlait de la tragédie d’Alfieri ; il peut sembler plus rigoureux dans ses sévérités pour celle de Racine.
L’action ne semblait être pour lui qu’une occasion à mieux voir et à tout comprendre. […] Ici pourtant il semblait qu’un plus grand zèle, et plus soutenu, était nécessaire, et qu’en devenant le premier magistrat de sa cité, il prenait, comme nous dirions aujourd’hui, une responsabilité plus grande qu’il ne l’avait jamais fait jusqu’alors. […] Il la remplit donc étant âgé de 48 à 52 ans (1581-1585) : « C’est une charge qui doit sembler d’autant plus belle, dit-il, qu’elle n’a ni loyer ni gain autre que l’honneur de son exécution. […] Il semble vraiment que, comme Alexandre fit pour la bourgeoisie de Corinthe, il n’ait accepté lui-même la mairie de Bordeaux que quand il connut que des maréchaux de France ne l’avaient pas dédaignée. […] Il semble n’avoir pas pensé qu’il en fût besoin.
Le mot de Voltaire, Ne disons pas de mal de Nicolas, cela porte malheur, fit fortune et passa en proverbe ; les idées positives du xviiie siècle et la philosophie condillacienne, en triomphant, semblèrent marquer d’un sceau plus durable la renommée du plus sensé, du plus logique et du plus correct des poëtes. […] A part cet attachement, qu’on a même révoqué en doute, il ne semble pas que la jeunesse de Despréaux ait été fort passionnée, et lui-même convient qu’il est très-peu voluptueux. […] Dans une lettre, datée de 1695 et adressée à M. de Maucroix au sujet de la mort de La Fontaine, on lit ce passage, le seul touchant peut-être que présente la correspondance de Boileau : « Il me semble, monsieur, que voilà une longue lettre. […] On doit maintenant, ce nous semble, comprendre notre opinion sur Boileau. […] « C’est à vous à en juger. » Nous estimons ces vers fort bons sans doute, mais non pas si merveilleux que Boileau semble le croire.
» L’argument leur semblait décisif ; rien ne put les en faire démordre Il se forge ainsi dans les bas-fonds de la société, à propos du pacte de famine, de la Bastille, des dépenses et des plaisirs de la cour, un roman immonde et horrible, où Louis XVI, la reine Marie-Antoinette, le comte d’Artois, Mme de Lamballe, les Polignac, les traitants, les seigneurs, les grandes dames, sont des vampires et des goules. […] Six jours plus tard, au-delà du Puy, et malgré son passe-port, la garde bourgeoise vient à onze heures du soir le saisir au lit ; on lui déclare « qu’il est sûrement de la conspiration tramée par la reine, le comte d’Artois et le comte d’Entragues, grand propriétaire du pays ; qu’ils l’ont envoyé comme arpenteur pour mesurer les champs, afin de doubler les taxes » Ici nous saisissons sur le fait le travail involontaire et redoutable de l’imagination populaire : sur un indice, sur un mot, elle construit en l’air ses châteaux ou ses cachots fantastiques, et sa vision lui semble aussi solide que la réalité. […] Clergé et noblesse sont détestés, leur suprématie semble un joug. « Au mois de juillet dernier, dit-il, on eût reçu les (anciens) États avec transport, et leur formation n’eût trouvé que peu d’obstacles. […] Toutes les institutions semblent d’accord pour multiplier ou tolérer les fauteurs de désordre, et pour préparer, hors de l’enceinte sociale, les hommes d’exécution qui viendront la forcer. […] « À Paris, dit Mercier778, il est mou, pâle, petit, rabougri, maltraité, et semble un corps séparé des autres ordres de l’État.
Barnave, dès qu’il y vit jour, fit donc serment « de relever la caste à laquelle il appartenait (c’est son expression) de l’état d’humiliation auquel elle semblait condamnée ». […] Selon lui, « Mounier et ses partisans semblaient ne s’être point aperçus qu’il y eût une révolution ; ils voulaient construire l’édifice avec des matériaux qui venaient d’être brisés ». […] En présence de ces grandes et touchantes infortunes, Pétion ne semble occupé que d’une chose, du respect de sa propre vertu, du dessein qu’il suppose à tout le monde de la surprendre et de la corrompre, du soin qu’il a de la préserver et de la faire valoir. Il y a des portions niaises, et d’autres qui pourraient sembler pires encore. […] Le récit de Mme Campan, bien qu’inexact sur plusieurs points, et trahissant dans son ensemble une légère teinte romanesque qui sied peu à Barnave, ne semble point permettre de doute là-dessus.
La destinée de Jeanne d’Arc, même après sa mort, a de quoi sembler des plus singulières, et sa renommée a subi toutes les transformations et toutes les vicissitudes. […] Il y a, ce me semble, deux Jeanne d’Arc qu’on a trop confondues, et desquelles il est peut-être bien difficile aujourd’hui de restituer la première : la publication de M. […] Ils semblent pour la plupart préoccupés, non seulement de venger, mais d’embellir la mémoire de Jeanne, de la représenter en tout par le beau côté (c’est tout simple), mais aussi par le côté adouci, de faire d’elle l’enfant le plus sage, le plus exemplaire, le plus rangé ; il est à croire qu’ils ont supprimé bien des saillies de caractère. […] Tous les narrateurs et témoins du temps en sont là quand ils parlent d’elle, et les moindres circonstances, les incidents les plus naturels leur semblent miracles. […] L’Église hiérarchique et officielle, l’Église, telle qu’elle était organisée alors, lui semblait respectable sans doute, mais ne lui semblait venir qu’après ses voix.
Je ne trouverai à reprendre dans son livre que quelques développements un peu trop complaisants, et quelques longueurs : en cela encore, il semble qu’il ait voulu tenir d’Amyot62. […] Il semble qu’à travers ses traductions on lise dans sa physionomie, et qu’on l’aime comme s’il nous avait donné ses propres pensées. […] Quand de telles pages s’écrivent dans une langue et que cela dure pendant toute la teneur d’une traduction de si longue haleine, elle n’a plus rien à désirer, ce semble, dans sa prose. […] On a dit de son style qu’il semblait alors étrangement pesant et traînassier. […] J’ai parlé de Rollin, et ce nom revient à propos ici ; car il me semble que cet homme de bien, que Montesquieu a appelé « l’abeille de la France », appartenait aussi à cette classe d’esprits modérés, humbles, je dirais presque un peu bas quand ils étaient livrés à eux-mêmes, et qui, pour avoir toute leur valeur, avaient besoin d’être doublés et soutenus de l’Antiquité.
Mais au début, et dans les sept ou huit premières années de sa jeunesse, il me semble que Louis XIV échappe à ce reproche. […] Il tend à élever le cœur de son fils, et non à l’enfler, dit-il : « Si je puis vous expliquer ma pensée, il me semble que nous devons être en même temps humbles pour nous-mêmes, et fiers pour la place que nous occupons. » Quelques-unes de ces pages premières annoncent des dispositions d’esprit plus étendues et plus variées qu’il n’a su les tenir55. […] En lisant ce passage, il semble que Louis XIV ait pressenti l’écueil où son orgueil, plus tard, ira échouer. […] Ce jeune roi a ainsi de ces préceptes d’une lenteur préméditée et plus sûre, qui semblent appartenir à Philippe de Commynes et qui sont bien de l’élève de Mazarin. […] La pensée religieuse qui s’y joint dans son esprit ajoute plutôt qu’elle n’ôte à ce que cette maxime royale a de politiquement remarquable ; et c’est en ces parties qu’on reconnaît chez lui le véritable homme de talent dans cet art difficile de régner : La sagesse, dit-il, veut qu’en certaines rencontres on donne beaucoup au hasard ; la raison elle-même conseille alors de suivre je ne sais quels mouvements ou instincts aveugles, au-dessus de la raison, et qui semblent venir du ciel, connus à tous les hommes, et plus dignes de considération en ceux qu’il a lui-même placés aux premiers rangs.
Il me semble que jusqu’à ce qu’un homme ait lu tous les livres anciens, il n’a aucune raison de leur préférer les nouveaux. » C’est Usbek ou plutôt c’est Montesquieu qui dit cela dans les Lettres persanes, et il est juste de le lui appliquer. […] Né sans ambition de fortune, il se trouva placé à un rang qui pouvait sembler médiocre entre les rangs élevés, mais qui n’en était que plus propre à son rôle d’observateur politique. […] Il rendra ailleurs plus de justice aux observations quand il en dira « qu’elles sont l’histoire de la physique, et que les systèmes en sont la fable ». — Ainsi Montesquieu, à ses débuts, s’occupait de sciences comme le fera Buffon, comme Goethe le fera plus tard ; il fournissait les fonds d’un prix d’anatomie, et semblait ne viser qu’à des succès tout sérieux, d’accord avec la gravité de son état. […] Ici, il me semble voir dans Montesquieu un de ces dieux bienfaiteurs de l’humanité, mais qui n’en partagent point la tendresse. C’est ainsi que dans l’Hippolyte d’Euripide, Diane, au moment où le jeune héros va mourir, s’éloigne, quoiqu’il semble qu’elle l’ait aimé : mais, si amie que soit des mortels une divinité ancienne, les larmes sont interdites à ses yeux. — L’Homme-Dieu n’était point venu.
Cette émancipation de son intelligence semble n’avoir souffert aucune gêne ni aucun retard. […] Moitié souvenir, moitié invention, il essayait ensuite de traiter à sa manière quelques-uns des mêmes sujets ; puis, en comparant avec l’original, il corrigeait ses fautes, et il lui semblait même quelquefois que, sur des points de détail, il n’était pas toujours battu. […] Il avait beaucoup réfléchi sur la manière de prendre les hommes dans leur propre intérêt, et il avait reconnu qu’il ne faut pas pour cela sembler trop certain et trop assuré de son opinion ; les hommes agréent plus aisément et consentent mieux à recevoir de vous ce qu’ils peuvent croire avoir trouvé en partie eux-mêmes. […] Ce gouverneur, qui semble le prendre en gré, lui fait de belles promesses et de grandes offres sous main pour l’engager à s’établir à son compte. […] Le dévouement d’un chevalier d’Assas, la passion d’un chevalier Des Grieux, la poésie de Parisina ou d’Ariel, tout cela se tient dans la pensée, et il nous semble, au moins dans la jeunesse, que c’est manquer d’ailes et d’essor que de ne point passer à volonté d’un de ces mondes à l’autre.
Il a pour M. de Suhm une haute estime mêlée de sympathie et de tendresse, et, pour l’exprimer, il semble emprunter quelque chose aux dialogues des anciens : Vous savez, sans que j’aie besoin de vous le répéter, que la connaissance des perfections est le premier mobile de notre plaisir dans l’amour et dans l’amitié qui est fondée sur l’estime. […] Je cours après le temps que j’ai perdu si inconsidérément dans ma jeunesse, et j’amasse, autant que je le puis, une provision de connaissances et de vérités. » Plus tard, bientôt, au lendemain de son avènement au trône, la passion le saisira ; l’amour de la gloire, l’idée de frapper un grand coup au début et de marquer sa place dans le monde le fera, coûte que coûte, guerrier et conquérant ; il semblera oublier ses vœux et ses serments philosophiques de la veille ; il oubliera qu’il vient justement de réfuter Machiavel, il distinguera entre la morale qui oblige les particuliers et celle qui doit diriger le souverain. […] Il rappelle plus d’une fois son généreux et plus confiant ami, M. de Suhm, à la réalité et à l’expérience : les Descartes, les Newton, les Leibniz peuvent venir et se succéder, sans qu’il y ait danger pour les passions humaines de perdre du terrain et de disparaître : « Selon toutes les apparences, on raisonnera toujours mieux dans le monde, mais la pratique n’en vaudra pas mieux pour cela. » Dans sa douce et studieuse retraite de Remusberg, regrettant l’ami absent : Il me semble, lui écrit-il (16 novembre 1736), il me semble que je vous revois au coin de mon feu, que je vous entends m’entretenir agréablement sur des sujets que nous ne comprenons pas trop tous deux, et qui cependant prennent un air de vraisemblance dans votre bouche. […] Nous vivons trop peu pour devenir fort habiles ; de plus, nous n’avons pas assez de capacité pour approfondir les matières, et d’ailleurs il y a des objets qu’il semble que le Créateur ait reculés afin que nous ne puissions les connaître que faiblement. […] N’en doutons pas : nous le verrons pleurer bientôt à la mort d’autres amis, et il semble que, de tous, M. de Suhm lui ait été le plus cher.
Inversement, la sympathie que nous éprouvons pour un personnage dominé par nos propres sentiments ou par ceux qui nous semblent le plus désirables à éprouver, peut lui donner à nos propres yeux une vie qu’il ne possède réellement pas dans l’œuvre d’art et exciter notre admiration alors même que l’artiste n’aurait pas bien su rendre la vie. Ainsi s’explique la vogue de certains personnages et de certains romans qui, après avoir paru de purs chefs-d’œuvre aux contemporains, — dont ils représentaient, en les outrant peutêtre, les tendances, qualités ou défauts, — semblent par la suite froids, faux même et dépourvus de vie. […] Il faut donc que l’œuvre d’art offre l’apparence de la spontanéité, que le génie semble aussi tout spontané, enfin que les êtres qu’il crée et anime de sa vie aient eux-mêmes cette spontanéité, cette sincérité d’expression, dans le mal comme dans le bien, qui fait que l’antipathique même redevient en partie sympathique en devenant une vérité vivante, qui semble nous dire : Je suis ce que je suis, et, telle je suis, telle j’apparais. La vie, par cela même, c’est l’individualité : on ne sympathise qu’avec ce qui est ou semble individuel ; de là, pour l’art, l’absolue nécessité, en même temps que la difficulté de donner à ses créations la marque de l’individuation. […] L’existence, au règne de Louis XIV, avait pris quelque chose de général, de régulier et de froid, qui fait que l’art de cette époque, comme l’a fait voir Taine, représentait encore des modèles vivants au moment même où il semble nous montrer des marionnettes.