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1342. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Je sais qu’on regarde cette puissance comme un attribut de la divinité… Si cela est, apprenez, monsieur, à me respecter dorénavant comme une divinité… Car, moi qui vous parle, moi qu’on ne peut pas même placer dans la classe des gens médiocres, eh bien ! je l’ai, cette puissance de me suffire à moi-même. » Était-il de retour en France, et à Paris, quand il lisait cette lettre ? […] Si les puissances comprenaient cela, elles sauveraient aux peuples d’effroyables calamités et elles se sauveraient elles-mêmes. […] Lorsqu’il lui a semblé que, bien loin de soutenir l’Église et la religion, l’alliance des puissances, — qu’il fallait qu’on payât, et souvent de quel prix ! […] Non certainement, Francis Nayrac n’aurait pas cru, sans en avoir éprouvé lui-même la mystérieuse puissance, à cette « révélation de son sang », et comme à cette invasion brusque du sentiment de la paternité.

1343. (1905) Propos littéraires. Troisième série

Bien n’est au-delà de leurs désirs et ils remplissent tous leurs désirs avec une puissance de volonté qui est inépuisable comme l’art d’un magicien. […] L’amour du fait et le culte de la science, culte sans foi, sans la moindre croyance à l’infaillibilité de la science et à la puissance qu’elle aurait de régénérer et de diviniser l’homme, c’était toute la conscience intellectuelle d’Hippolyte Taine. […] Dès lors, selon le degré de puissance de cette absorption, voyez toutes les conséquences. […] La scène, un peu truquée, peut-être, ne laisse pas d’avoir de la grandeur, et je ne sais quelle puissance sauvage. […] Il était devenu optimiste autant que Renan écrivant L’Avenir de la science ; il croyait au progrès, aux puissances de l’humanité pour devenir meilleure ou plus heureuse. 1848 renaissait en lui et Flaubert n’eût pas reconnu le Zola qu’il avait pratiqué.

1344. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

La lecture des romans avait au plus haut point excité chez elles la puissance de l’imagination et développé dans leur cœur des passions sans objet précis. […] Pendant longtemps l’amour, ses émotions, ses joies, sa puissance, n’avaient-ils pas défrayé la prose et la poésie ? […] Il attaquait toutes les puissances de l’âme, la pensée, la volonté, l’amour, la foi. […] Lamartine eut seul la puissance de remuer profondément ce public rebelle, et bientôt après la France et l’Europe entière. […] En même temps, une nouvelle puissance entrait dans ce qu’on pouvait appeler la confédération européenne de la mélancolie.

1345. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

Sa mémoire, puissance qu’on multiplie en la chargeant, le servait avec fidélité, mais aussi avec cette liberté qu’elle doit laisser à l’improvisation, tout en rappelant l’orateur à son but et à son texte ; sa diction, sans être théâtrale, était modulée. […] Qu’y a-t-il de plus admirable que de voir un seul homme, ou du moins quelques hommes, se faire une puissance particulière d’une faculté naturelle à tous ! […] Car enfin ce n’est pas le hasard, ce n’est pas une cause aveugle qui nous a créés : mais nous devons l’être certainement à quelque puissance, qui veille sur le genre humain.

1346. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la société des visiteurs des pauvres. » pp. 230-304

Rien, j’imagine, n’égale en puissance ces mystérieuses raisons. […] Une « comédie de l’argent » est, naturellement, une comédie qui en fait voir la funeste puissance, et les lâchetés et les vilenies auxquelles l’argent plie les âmes. […] La donnée est donc fort simple, mais elle est développée avec une rare puissance verbale et une outrance étonnamment soutenue.

1347. (1879) À propos de « l’Assommoir »

On se contenta, ne pouvant faire plus, de lui jeter à la face toute la boue dans laquelle marchaient ses personnages ; on aurait voulu l’ensevelir dans l’ignominie, confondre sa personnalité avec celle des scélérats qu’il dépeint, lui prêter les vices qu’il décrit  sans vouloir remarquer la puissance d’indignation qui perce à chaque ligne. […] On y trouve en germes la plupart des traits caractéristiques de son talent : c’est déjà la description minutieuse des hommes et des objets, la tyrannie des choses qui se fait sentir dans toute sa puissance, une intrigue toute simple, mais se développant par elle-même, aboutissant à la catastrophe par une sorte de fatalité. Ces deux livres renferment des pages superbes, et ont une puissance dramatique qu’on ne retrouve pas au même degré dans ceux qui les ont suivis.

1348. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

L’habitude de la concentration, c’est-à-dire de l’attention exclusivement portée sur la pensée et son expression intérieure, se prend dans le jeune âge, et d’autant mieux que l’âme est naturellement plus calme, plus intellectuelle, moins fréquemment détournée du but qu’elle s’est fixé par l’éveil subit de la passion ou de l’imagination, puissances de caprice et de distraction. […] Si donc c’est l’imagination qui exalte la parole intérieure ou suscite à sa place la parole extérieure, il n’y a d’étrange dans ces phénomènes que l’éveil de l’imagination à une heure et dans des circonstances où, chez la plupart des hommes, cette faculté se repose ; si c’est la passion qui produit les mêmes effets, on constate simplement sa puissance, on ne peut la justifier225. […] Vivre sous ta puissance, / C’eût été démentir mon nom et ma naissance, / Et ne point écouter le sang de mes parents, / Qui ne crie en mon cœur que la mort des tyrans. » 31.

1349. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

Mais, d’autre part, la conscience constate une irréductible différence de forme entre cet accroissement d’intensité et celui qui tient à une plus haute puissance de l’excitation extérieure : il semble en effet venir du dedans, et témoigner d’une certaine attitude adoptée par l’intelligence. […] Entendre la parole, en effet, c’est d’abord en reconnaître le son, c’est ensuite en retrouver le sens, c’est enfin en pousser plus ou moins loin l’interprétation : bref, c’est passer par tous les degrés de l’attention et exercer plusieurs puissances successives de la mémoire. […] Les ébranlements des centres dits sensoriels, ébranlements qui précèdent d’ordinaire des mouvements accomplis ou esquissés par le corps et qui ont même pour rôle normal de les préparer en les commençant, sont donc moins la cause réelle de la sensation que la marque de sa puissance et la condition de son efficacité.

1350. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

« Dann geht die Seelenkraft dir auf « Wie spricht ein Geist zum andern Geist. » « Alors se développe en toi la puissance de l’âme et tu entends l’esprit parler à ton esprit », dit Goethe. […] Bergson, « vise à nous faire éprouver ce qu’il ne saurait nous faire comprendre », car l’objet de l’art « est d’endormir les puissances actives ou plutôt résistantes de notre personnalité, et de nous amener ainsi à un état de docilité parfaite où nous réalisons l’idée qu’on nous suggère, où nous sympathisons avec le sentiment exprimé. […] Maniée par un alchimiste de génie, elle devait, suivant lui, renfermer, dans son petit volume, à l’état d’of meat, la puissance du roman dont elle supprimait les longueurs analytiques et les superfétations descriptives.

1351. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre II. Les Normands. » pp. 72-164

Ce plaisir ne ressemble en rien à la joie physique qui est méprisable parce qu’elle est grossière ; au contraire, il aiguise l’intelligence, et fait découvrir mainte idée fine pu scabreuse ; les fabliaux sont remplis de vérités sur l’homme et encore plus sur la femme, sur les basses conditions et encore plus sur les hautes ; c’est une manière de philosopher à la dérobée et hardiment, en dépit des conventions et contre les puissances. […] Voyez cette peinture du vaisseau qui amène en Angleterre la mère du roi Richard : « Le gouvernail était d’or pur ; — le mât était d’ivoire ; — les cordes de vraie soie,  — aussi blanches que le lait,  — la voile était en velours. —  Ce noble vaisseau était, en dehors, tout tendu de draperies d’or… —  Il y avait dans ce vaisseau — des chevaliers et des dames de grande puissance ; — et dedans était une dame — brillante comme le soleil à travers le verre128. » En pareils sujets ils ne tarissent jamais. […] Elles ont obtenu ou arraché des chartes ; les bourgeois se sont rachetés des tributs arbitraires qu’on levait sur eux, ils ont acquis le sol de leurs maisons, ils sont unis sous des maires et des aldermen ; chaque ville maintenant, sous les liens du grand rets féodal, est une puissance ; Leicester, révolté contre le roi, appelle au Parlement141, pour s’autoriser et se soutenir, deux bourgeois de chacune d’elles. […] Les fabliaux, les malins tours du renard, l’art de duper le seigneur Ysengrin, de lui prendre sa femme, de lui escroquer son dîner, de le faire rosser sans danger pour soi et par autrui, bref le triomphe de la pauvreté jointe à l’esprit sur la puissance jointe à la sottise ; le héros populaire est déjà le plébéien rusé, gouailleur et gai, qui s’achèvera plus tard dans Panurge et Figaro, assez peu disposé à résister en face, trop fin pour aimer les grosses victoires et les façons de lutteur, enclin, par agilité d’esprit, à tourner autour des obstacles, et n’ayant qu’à toucher les gens du bout du doigt pour les faire tomber dans le panneau.

1352. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Ses vêtements ne la cachent pas sans mouler sur elle leurs contours ; elle est visible et claire dans les expressions qu’elle s’est données et dont elle est le lien, la cause, la raison d’être ; comme un monarque asiatique, la pensée reste invisible ; elle agit par des représentants qui ont reçu d’elle mandat et puissance et dont l’accord révèle sa réalité. […] La notion de signe enveloppe une remarquable illusion : le lien qui rattache le signe à ses concomitants ne paraît pas le même que celui qui les rattache au signe ; le signe semble un moteur actif, la chose signifiée un mobile inerte auquel le signe donne, non pas l’être, mais la vie ; il semble que les idées soient, en quelque sorte, remorquées par les mots, et que ceux-ci, comme doués d’une puissance propre, arrachent les idées aux torpeurs de l’inconscience. — Cette illusion s’explique comme la précédente, avec laquelle, au fond, elle ne fait qu’un ; l’intensité plus grande donne à certains états, en même temps qu’une apparente antériorité, un semblant de causalité ; les états faibles paraissent subordonnés aux états forts, non seulement comme des conséquents à des antécédents, mais comme des effets à leurs causes. […] Et ce qui prouve bien que les éléments de l’idée dégagés par la puissance évocatrice de l’attention ne sont pas reconnus, c’est que, en opérant l’analyse de l’idée, nous ne saurions distinguer la part du souvenir et celle de l’imagination, les éléments anciens qui ont servi à la construire, mais que l’habitude a effacés, et les éléments nouveaux, inventés au moment même, seulement vraisemblables, qui n’ont avec elle qu’un rapport logique et non psychologique. […] Pour séparer dans l’apport du sens commun l’or et le sable, confirmer le bon sens par une adhésion motivée, ébranler et déraciner les préjugés, il faut posséder une grande force de réflexion, une rare puissance d’analyse et de comparaison, une personnalité intellectuelle énergique et infatigable.

1353. (1898) XIII Idylles diaboliques pp. 1-243

Les trésors des avares se changent en cailloux… Bréchet, Poufiat, Marciot, Janicot et Judas les tiennent en leur puissance et les fouaillent. — En avant ! […] La solitude me vaut une puissance de méditation qui me fait pénétrer bien des arcanes et qui féconde mes rêves pour de belles réalisations. […] Si je laisse parfois reposer en moi la puissance lyrique, c’est pour m’instruire par l’étude des maîtres. […] Vous l’entendez, puissances célestes ! […] Enfin, la confiance en moi-même que je te dois, c’est le thyrse où s’enrouleront toutes les puissances de mon être.

1354. (1930) Le roman français pp. 1-197

« Vous peindrez sans doute, ajoutait-il — ce « sans doute » était de courtoisie — la classe cultivée, la haute bourgeoisie… À mon sens, la civilisation est une puissance. » Il y a du vrai dans, la critique de Taine. […] On ne voyait dans l’Allemagne qu’un ennemi possible dont la puissance industrielle et militaire grandissait chaque jour, chaque jour plus dangereuse ; et, dans les Allemands, qu’une race brutale, vulgaire, sans grâce, sans véritable civilisation. […] Voici que Rolland nous montrait un Allemand, sinon insoucieux de sa patrie, du moins de l’idéal politique, matérialiste, de la « volonté de puissance » chez cette patrie, parce que, musicien, il était internationaliste et tenait que tout pays où il y a de la musique est le sien ! […] Lisez surtout un beau roman sur les juifs de l’Est européen, À l’ombre de la croix, mosaïque encore peut-être — les Dreamers of the Ghetto, de Zangwill, avaient déjà révélé la singulière activité, la volonté de puissance qui se cache, larvée, dans la misère de ces juifs de Pologne, de Galicie, de Hongrie. […] Il y voit, non sans respect, « une construction lourde percée de rares fenêtres laissant entrer peu de jour, montrant le même manque d’envolée, mais aussi la même puissance massive et aveuglée que l’architecture romane, qui enferme toute l’histoire, l’emmure et la renfrogne ».

1355. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LONGUEVILLE » pp. 322-357

MADAME DE LONGUEVILLE Les noms de Mme de La Fayette et de M. de La Rochefoucauld, auxquels on s’est précédemment arrêté, semblent en appeler un autre, lié naturellement au leur par toutes sortes de relations attrayantes, de convenances et de réverbérations plus ou moins mystérieuses : Mme de Longueville, dans sa délicate puissance, est encore à peindre. […] Cousin, un si illustre maître, de les raviver par sa puissance.

1356. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la liberté de l’enseignement »

Et il en sera toujours ainsi ; toujours il en arrivera de même à tout nouvel assaut de l’intolérance : elle a pour effet immanquable de créer et d’accroître des popularités qui deviennent des puissances. […] Une singulière disposition de la haute société française est venue prêter à ce parti un surcroît de puissance ou de hardiesse : je veux parler de la connivence qui s’est établie, au vu et au su de tous, entre les moins croyants, les moins pieux et les moins édifiants des hommes et ceux qui poussent avec une ferveur plus convaincue au triomphe et à la suprématie prédominante de l’intérêt religieux.

1357. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre II. Le public en France. »

Ainsi, quoique ce fussent nos privilèges, les débris de notre ancienne puissance que l’on minait sous nos pas, cette petite guerre nous plaisait. […] « La plupart des étrangers ont peine à se faire une idée de l’autorité qu’exerce en France aujourd’hui l’opinion publique, ils comprennent difficilement ce que c’est que cette puissance invisible qui commande jusque dans le palais du roi.

1358. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIIe entretien. Revue littéraire de l’année 1861 en France. M. de Marcellus (1re partie) » pp. 333-411

La fédération des puissances italiques, avec des institutions représentatives, était le mot vrai de la situation dans la Péninsule ; il n’a pas été prononcé à temps. […] Canning, pour ne pas perdre toute influence en Europe, en Russie, en Prusse, en Autriche, n’osait pas rompre ouvertement avec ces puissances alliées de l’Angleterre, mais il voulait ajourner, embarrasser, compliquer, et enfin faire avorter le congrès, pour empêcher la France de prendre la responsabilité de venger la monarchie de famille en Espagne.

1359. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (3e partie) » pp. 81-152

Elle a consenti à se taire, à attendre, à souffrir pour retourner au milieu de tout ce qui lui est cher ; mais elle a refusé toute action, toute parole qui fût un hommage à la puissance. […] Le sénat assemblé à Paris sous les yeux des armées étrangères déposera l’empereur, il proclamera le roi, avec ou sans conditions, il acceptera au nom de la France la paix qu’on voudra bien lui donner, il attendra de la générosité des puissances coalisées qu’elles retirent leurs armées, ce qui pourrait bien n’être pas si prompt ; mais en attendant il sera obéi par les armées françaises et par toute la France.

1360. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVIe Entretien. Marie Stuart (reine d’Écosse) »

Il était dans le voisinage, dans l’ambition et dans la puissance de l’Angleterre. […] Or, toutes ces puissances, l’Italie, l’Espagne, la France, la maison d’Autriche, la maison de Lorraine avaient adopté avec fanatisme la cause du catholicisme contre les nouveautés.

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