/ 3738
704. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803 » pp. 2-15

Son organe habituel, M. de Pontmartin, en prit occasion de se livrer à d’élégantes jérémiades dans le Correspondant, et toute la province vendéenne et bien pensante fit écho. M. de Loménie, affilié à la coterie, poussa aussi son soupir qu’il appuya de toutes sortes de réfutations et de raisonnements : essayant de m’opposer moi-même à moi-même, il ne daigna pas admettre qu’en pareille matière de jugements contemporains il vient une heure et un moment où, quand on n’est lié par rien de particulier, la vérité reparaît de plein droit et prend le pas sur la politesse. […] Or, M. de Chateaubriand ayant été envoyé à Rome, en 1803, à titre de secrétaire d’ambassade attaché au cardinal Fesch, il ne sut point s’y conduire d’abord avec la prudence et la circonspection que commandait sa qualité nouvelle ; il entra dans une sorte de lutte avec son ambassadeur ; il vint de celui-ci des plaintes à Paris, lesquelles, exagérées sans doute encore en passant de bouche en bouche et en se redisant à l’oreille, avaient pris créance parmi les amis mêmes ; M. de Fontanes, M.  […] J’ai une grande confiance en vos jugements ; elle est, naturellement indulgente, et vous naturellement, un peu austère (comme il est beau, comme il est bon, comme il est nécessaire et même indispensable de l’être à votre âge, ne fût-ce que pour s’accoutumera ne pas se faire bon marché à soi-même de sa propre approbation) ; mais vous êtes tous deux justes, et vous n’allez jamais chercher dans votre humeur les règles qu’il faut prendre dans sa raison. […] Et il me prend, à cette occasion, l’idée d’exposer une fois pour toutes quelques-uns des principes, quelques-unes des habitudes de méthode qui me dirigent dans cette étude, déjà si ancienne, que je fais des personnages littéraires.

705. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres publiées par M. J. Sabbatier. Tome Ier, 1845. » pp. 154-168

Ginguené se prend aussitôt pour le jeune homme d’une tendresse fondée sur l’estime, il l’appelle son fils, il l’adopte en quelque sorte ; et c’est là en effet la vraie place de Victorin, à la suite et à côté de ces écrivains estimables qui espéraient en lui un rejeton. […] Victorin Fabre lui-même manqua essentiellement de l’exquis en littérature ; après ses premiers essais, qui ont du ton, du nombre, du mouvement, des passages d’éclat, de nobles pensées, mais qui ne sont que d’un disciple encore, on put croire un moment qu’il allait se dégager et prendre son essor avec aisance ; l’Éloge de La Bruyère donnait lieu de l’espérer ; mais l’Éloge de Montaigne, remarquable pourtant, ne tint pas cette promesse ; l’auteur, en cet heureux sujet, n’eut rien de libre ni de léger ; en voulant approfondir, il s’aheurta, il fut rocailleux, il commençait à se montrer pesant. […] La grande illusion de Victorin fut de prendre trop à la lettre le cadre et le cirque académique, de s’y consacrer, de s’y enfermer de toute son âme, comme l’athlète d’autrefois faisait pour les Jeux olympiques. […] Auger et de Feletz, aient essayé, à certain jour, d’effleurer de leur plume un écrivain qui ne leur paraissait ni aussi neuf ni aussi pur qu’à d’autres ; le biographe en prend occasion de s’exprimer sur le compte de ces deux critiques, l’un strictement judicieux et l’autre agréable, d’une façon qui ne se ressent en rien assurément du goût ni de l’aménité littéraire. […] En politique, plus de parti national ; d’un côté, les hommes de l’émigration, etc., etc… ; de l’autre, les familiers d’un prince du sang, qui ne combattaient les premiers que pour prendre leur place… ; en d’autres termes, deux entreprises rivales qui se disputaient la France à abrutir et à ruiner… Entre ces deux partis, Victorin ne pouvait pas hésiter ; il devait dire et il dit à l’instant : Ni l’un ni l’autre ! 

706. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre III. Les dieux »

Il suit une règle, mais il ne prend point sa règle dans la volonté ou l’intérêt national. […] Ils sont devenus moins graves, plus amusants, à demi gaulois ; il faut bien prendre les façons du pays où l’on se réfugie. […] Il y prend ses comparaisons comme nous prenons les nôtres autour de nous. […] Jupiter choquerait dans un autre poëme ; on ne pourrait à la fois prendre les hommes au sérieux et les dieux en plaisanterie. […] Un vrai comédien copie involontairement les personnages qu’il rencontre ; sa voix monte et baisse avec leur ton, son corps prend leurs attitudes, son visage se grime selon leurs physionomies, leur être passe en lui et transforme le sien.

707. (1895) Histoire de la littérature française « Avant-propos »

Elle a cette excellence supérieure, qu’elle habitue à prendre plaisir aux idées. […] Je ne comprends donc pas qu’on étudie la littérature autrement que pour se cultiver, et pour une autre raison que parce qu’on y prend plaisir. […] Ce n’est que par là qu’une étude du genre de celle-ci peut être sincère et vivante ; et l’on ne peut espérer d’intéresser les autres aux choses dont on parle que par le goût qu’on marque soi-même y prendre. […] Je n’y ai donc pris que ce qui était indispensable à l’explication de la littérature française, aux endroits où il y a coïncidence, influence et liaison nécessaire. […] Si le public continue de bien accueillir ces études, il y aura lieu de faire, dans cinq ou six ans, un autre portrait qui prendra la place de celui de 1894.

708. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens I) MM. Albert Wolff et Émile Blavet »

Je prends un étrange chemin pour vous parler d’eux ; mais croyez que j’y arriverai d’autant plus vite que j’en suis plus loin… Lamartine est la poésie même. […] Quand ces morceaux de style ont quelques mois de date, ou quelques jours, l’insignifiance en est telle qu’ils sont absolument illisibles — à moins qu’on ne prenne un méchant et triste plaisir à constater cette insignifiance même. […] Et, plus souvent qu’on ne croirait, une fois mis en train, il leur arrive de se laisser prendre à ce travail forcé, de penser ce qu’ils écrivent et d’achever avec intérêt ce qu’ils avaient commencé avec ennui. […] Prenez sa dernière chronique. […] vous entendez dans quel sens vague, mystérieux et saugrenu le mot est pris ici.

709. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Oui, à la condition que nous y prenions notre bien propre, la vérité du cœur humain, oh il peut y avoir des découvreurs et des premiers occupants de toutes les nations. […] Bouhours, fort répandu dans les ruelles, représente ce tour d’esprit, qu’il contribuait de sa personne et de ses succès à faire prendre pour le bon. […] On s’attachera donc aux mots ; et pour prendre à Bouhours ses figures, on s’occupera plus des enjolivements que de l’édifice, de la taille que de la qualité du diamant. […] Mais Voltaire ne se laisse pas plus prendre que Boileau au piège de ses louanges, et les vers que chacun sait punissent Trublet d’avoir aimé d’inclination Fontenelle, et Voltaire par ambition14. […] En demandant aux écrivains du nouveau, on les invite à prendre le contre-pied des opinions reçues.

710. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XI. Le royaume de Dieu conçu comme l’événement des pauvres. »

Il en prit son parti avec une hardiesse extrême. […] Le roi alors prend un grand parti. […] Loin qu’il cherchât à adoucir les murmures que soulevait son dédain pour les susceptibilités sociales du temps, il semblait prendre plaisir à les exciter. […] Jésus, comme Savonarole, les faisait peut-être servir d’instruments à des missions pieuses ; il était bien aise de voir ces jeunes apôtres, qui ne le compromettaient pas, se lancer en avant et lui décerner des titres qu’il n’osait prendre lui-même. […] C’était l’enfance, en effet, dans sa divine spontanéité, dans ses naïfs éblouissements de joie, qui prenait possession de la terre.

711. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

Il prend pour lui les fonctions de prévoyance et de mémoire, les idées et les réactions à l’égard d’objets absents ; il ne laisse aux ganglions inférieurs que le soin de réagir à l’égard d’objets présents, sous l’aiguillon immédiat de la sensation actuelle. […] Dans le premier cas, si notre moi n’aperçoit point ce qui se passe en nous, c’est que la conscience devient trop faible et trop indistincte ; dans le second cas, c’est qu’une partie du cerveau ou de la moelle épinière prend pour elle la fonction mentale ; dans le troisième cas, c’est qu’un autre moi tend à s’organiser aux dépens du moi central, qui se désorganise. […] En réalité, le cerveau ou la moelle a senti quelque chose d’indistinct qui n’est pas parvenu à prendre la forme tactile, mais qui a fini par prendre la forme visuelle. […] Dès que le malade fait un effort intellectuel pour se rappeler ou pour raisonner ou pour deviner quelque chose, on voit sa main prendre l’attitude nécessaire pour écrire ; dès que le problème est résolu ou abandonné, « la main laisse tomber la plume et s’affaisse dans une attitude de résolution. » M.  […] C’est là une nouvelle loi que la psychologie n’a pas encore suffisamment étudiée et qui, croyons-nous, prendra par la suite une importance croissante.

712. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre troisième. De la sympathie et de la sociabilité dans la critique. »

On a pris le contre-pied de la précédente, mais rien de plus. […] Elle se laisse prendre naïvement, soit ; mais c’est le sentiment même de son irresponsabilité, de son impersonnalité, qui donne une certaine valeur à ses enthousiasmes : elle ignore les arrière-pensées, les arrière-fonds de mauvaise humeur et d’égoïsme intellectuel, les préjugés raisonnes, plus dangereux encore que les autres. […] » Et Voltaire répond : « Sans doute ; c’est-à-dire qu’il y a du plaisir à n’avoir point du plaisir. » Nous connaissons tous, critiques à nos heures, ce plaisir subtil qui consiste à dire hautement qu’on n’en a pas eu, qu’on n’a pas été « pris », qu’on a gardé intacte sa personnalité. […] Ouvrez au contraire le livre ami, celui avec qui vous avez pris l’habitude de causer comme avec une personne, vous y découvrirez entre toutes les pensées des rapports harmonieux, qui les feront se compléter l’une par l’autre ; le sens de chaque ligne s’élargira pour vous. […] Taine, nous avons fait d’effort pour comprendre les littératures étrangères, pour nous replacer dans le milieu où tel chef-d’œuvre a pris naissance, pour nous dépouiller de notre propre esprit et de nos préjugés personnels.

713. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVIII. Souvenirs d’une Cosaque »

Elle me répondrait superbement que la morale n’est qu’une hypocrisie, si elle n’est pas la liberté (je m’épargnerai cette vieille guitare) ; mais je lui dirai et je lui répéterai la chose qui devra le plus la toucher : c’est que précisément, dans le livre qu’elle vient de lancer, elle n’est point aussi Cosaque qu’elle se vante de l’être ; c’est que la tournure qu’elle se donne, en commençant son livre, n’est pas du tout la tournure qu’elle prend, en le publiant. […] la main sur la conscience, ce n’est pas parce qu’on s’est donnée à un homme ; parce qu’on s’est jetée à sa tête comme un projectile ; qu’on a pris la poste, du fond de la Russie, pour aller le prendre, lui, à Rome et qu’on l’y a pris, car le Don Juan ici, c’est Madame, — si on en croit Madame, — et Monsieur, c’est Mademoiselle Jocrisse, qui fait bien quelques petites façons, mais qui enfin y passe, comme disaient gaiement nos pères ! […] cet engoulevent de renommée a pris aujourd’hui le scandale, en attendant la gloire. […] Seulement elle prend du contre-poison immédiatement et se sauve !

714. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXV. Mme Clarisse Bader »

II Et si j’avais besoin d’une preuve et d’un exemple de plus, pour étayer cette opinion que les femmes trouvent probablement oppressive, je prendrais Mme Bader elle-même. […] Eh bien, nulle part elle n’a sacrifié aux préjugés haineux de ces vieux païens, qu’elle a pris pour juges de ses Œuvres ! […] On peut lui reprocher sur le compte de quelques Académiciens, pris individuellement, des opinions dans lesquelles il y a un peu trop d’encens. […] Il y prend, au contraire, et les marais les plus infects ont leur phosphore. Ainsi encore, la sentimentalité mouillée du père Gratry la charme, quand il beurre cette tartine de miel pour attirer et prendre les femmes, ces mouches !

715. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Odysse Barot »

Mais je ne leur permets pas les grands airs de l’histoire, et Barot les a pris. […] Elle n’entre pas dans les combinaisons de ceux qui la prennent pour un moyen d’action politique sur les hommes, ce qu’elle est parfois, mais ce à quoi elle ne pense jamais. […] Le moindre poète, le moindre philosophe, le moindre romancier qui se met, dans un coin de livre, en révolte contre la majestueuse société séculaire du passé que, dans les idées de Barot, le progrès est de détruire, prennent pour lui des proportions qu’en réalité ils n’ont pas. […] J’ai pris les choses de plus haut. […] J’ai pris seulement la pensée qui plane sur tout ce fouillis de noms et d’œuvres, et cette pensée, toute politique, invalide pour moi le livre entier… En résumé, l’histoire littéraire ne peut et ne doit être écrite que par des plumes exclusivement littéraires.

716. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Grèce antique »

L’autre, l’Histoire des Césars, du comte de Champagny, est un livre qui a dix ans de date, mais qui pourrait prendre dix ans encore sans vieillir. […] Mais, par là même, nous jugerons mieux la nôtre et nous prémunirons notre temps, qui en a souffert beaucoup déjà, contre d’insidieux exemples de liberté pris dans des sociétés qui ne ressemblent en rien à notre société actuelle. […] Cette différence ne prend-elle pas tout d’abord aux yeux l’esprit du lecteur ? […] Même Alexandre, le plus politique des Grecs, après son père Philippe, Alexandre, qui ajoute à sa gloire d’avoir été l’élève d’Aristote, le prit en suspicion et se détourna de ses conseils. […] Qui prendrait Saint-Simon, Fourier, Owen, Cabet, Blanc, et chercherait les parentés d’idées qui existent dans leurs systèmes avec les idées des anciens législateurs de la Grèce, s’émerveillerait de ce qu’il y trouverait d’analogue ou d’entièrement semblable.

717. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Jacques Cœur et Charles VII »

Les leveurs d’empreinte qui viendront après nous et qui voudront prendre le plâtre de cette grande Morte du xixe  siècle, de cette époque qui aura vécu dans la turbulence et dans l’inquiétude, trouveront sur son front deux caractères ineffaçables, à travers lesquels il sera toujours aisé de la reconnaître : — l’individualisme dans la vie morale, et, dans la vie intellectuelle, la fureur de généraliser. […] Pour cette raison, sans nul doute, la littérature anglaise, plus qu’aucune autre littérature, abonde en biographies, en vies historiques précises, tranchées, prises plus profond et plus fin que l’histoire même. […] Moins poétique, moins mystérieux, moins divin que la sainte « Pastoure », incompréhensible si le miracle n’était pas là pour l’expliquer, Jacques Cœur, qui fut, lui, tout positivement et tout bonnement un grand homme, donna à Charles VII pour continuer la guerre tout ce que celui-ci voulut prendre d’une colossale fortune, et il fut payé de son dévouement avec la même ingratitude qui avait soldé le sacrifice de la vierge de Domrémy. […] Ce prince, plus changeant que les femmes ses maîtresses, et plus envieux que les hommes ses favoris, s’était-il donc pris de quelque jalousie ignoble contre l’héroïne de son règne et contre le grand homme que son habileté avait fait plus riche qu’un roi ? […] Son cadavre n’était pas refroidi que Charles prit pour maîtresse sa nièce, qu’elle avait pour rivale.

718. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme et l’Enfant » pp. 11-26

En France, le matérialisme, vaincu dans la théorie, prend sa revanche dans l’application, et un Diderot économique comme Proudhon peut très bien y remplacer un Diderot philosophique impossible. […] Assurément, l’esprit qui a écrit un pareil ouvrage n’est point un mauvais esprit, à le prendre dans son essence première. […] Malgré les succès actuels d’une philosophie qui mutile l’homme pour le simplifier, les questions morales, en fin de compte, seront toujours les grandes questions, les questions premières ou dernières, et l’homme se prendra dans ses propres efforts comme dans un filet inextricable toutes les fois qu’il méconnaîtra son âme, et qu’il demandera à une autre cause que son âme l’explication et l’amélioration de sa destinée. […] En effet, nous le répétons, et même il est bon d’en prendre acte, dans l’état actuel des discussions nul ne saurait être écouté sur une question économique sans dire à quelle philosophie on rattache la solution qu’il propose, ou sans inventer une philosophie à l’appui de ses assertions, — ce qui, pour tous, est la chose importante, mais ce qui restera pour les économistes, bien plus riches en faits qu’en idées, une redoutable difficulté. […] Dès qu’il ne s’agissait plus de la rigueur d’une solution absolue, mais tout simplement d’un moyen à prendre pour arriver aux bénéfices de cette solution, c’est-à-dire, pour nous, en d’autres termes, à un accroissement relatif de la fortune publique, Jobez, qui sait les faits, ne pouvait se tromper.

719. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IV. M. Henri Martin. Histoire de France » pp. 97-110

qui sont organisés de manière à prendre le gros pour le grand, et où il y a masse, — et masse la plus épaisse, — à puérilement admirer ! […] Martin tranquille, la Critique n’aurait vraiment d’autre moyen, pour l’empêcher de le planter sur la tête de la foule, que de lui prendre et de lui retourner son bonnet ! […] Prendre à la religion chrétienne, qui nous a pétris dans le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ (qui nous a donné le sein, si nous ne sommes pas sortis de son flanc ; qui est notre nourrice, si elle n’est pas notre mère), prendre à la religion chrétienne la plus belle civilisation qui fut jamais, — la civilisation de la chevalerie, — pour la donner à une société morte, atroce et barbare ; opposer et substituer à cette monarchie faite par des évêques, comme disait Gibbon, une monarchie faite… par des druides, voilà de l’habileté profonde, car elle semble désintéressée et ne prétend être que scientifique ! […] Vous trouvez et vous tâtez bien l’impie sous le grotesque et vous lui prenez son secret. […] Elle les prend aux nerfs.

720. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. le vicomte de Meaux » pp. 117-133

L’auteur a pris une visée plus haute. […] Seulement, il fallait s’y prendre comme l’Église, et, au xvie  siècle, le Pouvoir politique était tombé dans les mains de princes exceptionnellement abominables, qui, n’ayant ni sa vue surnaturelle des choses, ni la fermeté de sa justice tempérée de miséricorde, ne pouvaient pas agir comme elle. […] Prenez-y bien garde ! […] Mais ce n’était pas l’Église qui contraignait : c’était une sûreté pour l’avenir que prenait Charlemagne entamé dans ses frontières ; c’était une condition de sa victoire. […] Quant aux Juifs, si détestés par tous les peuples du Moyen Âge en pleine jeunesse et en plein amour de Jésus-Christ, qu’ils avaient crucifié, l’Église, qui les savait des ennemis acharnés, prit contre eux toutes les précautions de la prudence, mais leur laissa pratiquer leur culte, « en considération du témoignage involontaire et providentiel rendu par la synagogue à l’Évangile ».

721. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Michelet » pp. 259-274

Seulement, les siens n’étaient pas les nôtres… Il transposait la sainteté… L’héroïsme et le dévouement guerrier à la patrie, cette première des vertus naturelles, avait pris à Michelet tout ce qu’il avait d’enthousiaste et de religieux dans l’âme et tout ce qu’il aurait donné à nos Saints s’il les avait connus, et si l’esprit de parti n’avait pas lamentablement diminué en lui l’historien. […] La pointe de la flèche trempée dans le miel de cette bonté attendrie, ne pénétra pas dans un cœur sur lequel il y avait l’obduration de la haine et le calus d’un succès qu’à son éclat, on pouvait prendre pour de la gloire. […] Où donc avait-il pris cette abnégation et cette humilité ? […] Ils lui prirent son noble cœur, l’enfermèrent dans une urne d’argent, et le portèrent au premier rang, où il marchait quand il vivait. […] Ne nous laissons pas prendre à cette poésie !

722. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « André Chénier »

Goethe, qui n’a pas beaucoup de grands mots à sa charge, en a un superbe, quand il dit qu’on ne sait pas plus comment les poètes s’y prennent pour faire de beaux vers qu’on ne sait comment les femmes s’y prennent pour faire de beaux enfants… Et il a raison, pour cette fois ! […] Auguste Barbier, bien évidemment, avait pris le feu sacré sur l’autel où André Chénier l’avait allumé. Il avait pris à Chénier, à ce Grec charmant et mélodieux, devenu, de Grec, tout à coup, Français, pathétique et méduséen, non seulement sa forme iambique, mais jusqu’à cette langue inouïe d’un cynisme ardent qui se purifie dans sa flamme ; et, le croira-t-on ? […] Cette flûte d’Alcibiade dont avait joué Chénier, qui, comme Alcibiade, ne l’avait par jetée aux fontaines, mais dans le sang qui noyait la France ; cette flûte, plus enchantée que celle de Mozart, avait tellement pris les oreilles et l’imagination charmées, que de ce ravissant Chénier on n’avait pas, tout d’abord, entendu autre chose… et que Barbier fut regardé par tous comme le seul Archiloque de la France, tandis qu’il y en avait deux, et qu’il n’était que le second. […] Il sentait bien que pour être Grec il ne fallait pas tant de petites choses grecques prises chez les Grecs !

/ 3738