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2006. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Il n’a rien, à le bien prendre, qui soit capable d’irriter ou de décourager ; c’est un des mille côtés de la loi universelle. […] Que si par hasard on les ouvre, on ne va presque jamais jusqu’à la fin, pas plus que pour l’Astrée ou pour Clélie ; la manière en est déjà trop loin de notre goût, et rebute par son développement, au lieu de prendre ; il n’y a que Manon Lescaut qui réussisse toujours dans son accorte négligence, et dont la fraîcheur sans fard soit immortelle. […] Tandis que, dans ses romans postérieurs, il se perd en des espaces de lieu considérables et se prend à des personnages d’outre-mer, qu’il affuble de caractères hybrides et dont la vraisemblance, contestable dès lors, ne supporte pas un coup d’œil aujourd’hui, dans ces Mémoires au contraire il nous retrace en perfection, et sans y songer, les manières et les sentiments de la bonne société vers la fin du règne de Louis XIV. […] Quant à ces fils d’Amulem, à ces neveux de M. de Renoncour, il se trouve que le plus charmant des deux est une nièce qu’on avait déguisée de la sorte pour la sûreté du voyage ; mais le marquis, si triste de la mort de sa Diana, n’a pas pris garde à ce piége innocent, et, à force d’aimer son jeune ami Mémiscès, il devient, sans le savoir, infidèle à la mémoire de ce qu’il a tant pleuré. […] Le Pour et Contre, « ouvrage périodique d’un goût nouveau, dans lequel on s’explique librement sur ce qui peut intéresser la curiosité du public en matière de sciences, d’arts, de livres, etc., etc., sans prendre aucun parti et sans offenser personne », demeura consciencieusement fidèle à son titre.

2007. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIIe entretien. Poésie sacrée. David, berger et roi » pp. 225-279

C’était par conséquent l’idiome le plus lyrique qu’un poète pût trouver tout préparé pour lui ; car tout homme inspiré était prophète, tout le peuple était chœur, et Jéhova lui-même prenait la parole à chaque instant, souverain poète qui parlait par le tonnerre et l’éclair dans les nuées. […] Mais s’il avait la langue toute faite par Isaïe, où allait-il prendre les inspirations et les sentiments ? […] Le roi prend ombrage de cette popularité naissante. […] Elle prend deux cents pains, deux outres de vin, cinq moutons cuits, cinq corbeilles d’orge, cent grappes de raisin, deux cents corbeilles de figues, et elle en charge ses ânes. […] Mais, indépendamment de ce talent de joueur de flûte, quand l’âge eut développé le génie poétique et la valeur héroïque du jeune berger, il paraît, par le langage subséquent de l’Écriture, que David, comme les autres prophètes de la Judée ou de l’Arabie, rejeta la flûte et prit la harpe, instrument plus viril, aux cordes graves, qui inspirait ou accompagnait toujours les vers en ces temps-là.

2008. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Il est impossible de prendre en bloc un tel homme. […] Quand le grand seigneur était un sot — cela arrivait même en ce siècle — et ne valait rien aux assauts d’esprit, il ne pardonnait pas à ce petit Arouet d’avoir pris sa noblesse pour plastron. […] Il était hardi de faire Mahomet, plus hardi de le dédier au pape, un fin compère qui prit la chose comme il faut. […] Aussi le premier dessein philosophique de Voltaire sera-t-il de prendre Pascal corps à corps, et de ruiner le raisonnement janséniste par la raison laïque. […] Au reste, l’activité scientifique de Voltaire ne fut qu’un court épisode dans sa vie ; et l’ascendant de Mme du Châtelet fut pour beaucoup dans la peine qu’il prit de vulgariser Newton.

2009. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

Mon ami avait raison de dire que, s’il me plaisait de mal parler de Hugo, je devais prendre son œuvre entière. […] Je crois que, à bien le prendre, Hugo n’a jamais eu qu’une manière. […] Après que la dernière a pris sa course, il lui en vient encore une douzaine à propos des bons camarades de Marat ; et il les lâche pour se soulager. […] Rose qui ne voudrait toucher qu’avec son gant Un honnête homme, prend la griffe d’un brigand Et la baise. […] direz-vous, que font au public ces partis pris de cénacles et de chapelles ?

2010. (1895) La musique et les lettres pp. 1-84

Très peu se sont dressé cette énigme, qui assombrit, ainsi que je le fais, sur le tard, pris par un brusque doute concernant ce dont je voudrais parler avec élan. […] Incontinent écarter cependant, sous un prétexte, le leurre, accuserait notre inconséquence, niant le plaisir que nous voulons prendre : car cet au-delà en est l’agent, et le moteur dirais-je si je ne répugnais à opérer, en public, le démontage impie de la fiction et conséquemment du mécanisme littéraire, pour étaler la pièce principale ou rien. […]   À bon escient, que prendre, pour notre distraction si ce n’est la comédie amusante jusqu’au quiproquo, des malentendus ? […]     Nulle — la tentative d’égayer un ton, plutôt sévère, que prit l’entretien et sa pointe de dogmatisme, par quelque badinage envers l’incohérence dont la rue assaille quiconque, à part le profit, thésaurise les richesses extrêmes, ne les gâche : est-ce miasme ou que, certains sujets touchés, en persiste la vibration grave ? […] Mon avis, comme public ; et, explorateur revenu d’aucuns sables, pas curieux à regarder, si je cédais à parader dans mon milieu, le soin s’imposerait de prendre, en route, chez un fourreur, un tapis de jaguar ou de lion, pour l’étranger, au début et ne me présenter qu’avec ce recul, dans un motif d’action, aux yeux de connaissance ou du monde.

2011. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre II : La Psychologie. »

Sir William Hamilton est probablement le premier des philosophes anglais qui ait pris parti pour l’affirmative, sans s’arrêter à ce prétexte spécieux qu’une action ou une passion inconsciente de l’esprit est inintelligible. […] Au contraire, la combinaison chimique de deux substances en produit une troisième dont les propriétés sont complètement différentes de chacune des deux autres, soit séparément, soit prises ensemble. […] Voyons maintenant la psychologie de l’association aux prises avec la notion de cause. […] La logique n’est donc, à tout prendre, qu’une petite partie de la psychologie. […] Prenez l’amour de l’argent.

2012. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1859 » pp. 265-300

Il vous prend de votre livre une indifférence, un ennui, presque un dégoût. […] — Un pantalon bien chaud et foncé… On lui prend mesure. […] Particularité étrange, rien ne nous a pris dans la vie comme ces choses : autrefois le dessin, aujourd’hui l’eau-forte. […] * * * — Nous avons pris, ces temps-ci, un maître d’armes, un vrai maître d’armes, comme George Sand en mettrait un dans ses romans. […] Ici il ne mange plus, — car nous dînions, — sa voix devient amoureuse, son œil, plus vif, prend de la fixité, et avec sa haute parole, il nous emporte comme dans un monde de rêves et d’idées, où il fait jaillir, sous des mots, des éclairs qui nous montrent des sommets.

2013. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1861 » pp. 361-395

Violent en paroles avec une grande faiblesse de caractère, avec des désespoirs enfantins à propos de rien, lui faisant monter les larmes aux yeux, traversé de caprices, de boutades, d’humeurs qui ont quelque chose de malaises physiques, — et souvent s’absorbant en des enfoncements qui lui viennent, m’a-t-il dit, d’un an de solitude passé à Rome, à l’âge de treize ans, époque où toute sa vivacité expansive d’enfant, est rentrée chez lui comme une gourme… Un garçon paraissant avoir toujours vécu seul, tant son corps est égoïste, et qui prend tout le trottoir s’il marche avec vous, et vous entre, en chemin de fer, les coudes dans les côtes. […] À le voir avec son front blanc, ses joues colorées, la carnation rose et poupine du bas de son visage, on le prendrait pour un bibliothécaire de province vivant dans l’ombre d’un cloître de livres, sous lequel il y aurait un cellier de généreux bourgogne. […] J’étais avec Hugo et Villemain. » Le Roi prit avec effusion les mains d’Hugo et le remercia très chaudement d’avoir rappelé, dans son discours, le jugement de Napoléon sur lui. […] ” » Là-dessus il nous parle de Sœur Philomène, disant que seules ont de la valeur, les œuvres venant de l’étude de la nature, qu’il a un goût très médiocre pour la fantaisie pure, qu’il prend peu de plaisir aux jolis contes d’Hamilton ; qu’au reste, cet idéal dont on parle tant, il n’est pas bien sûr que les anciens s’en soient préoccupés, qu’il croit au contraire que leurs œuvres étaient des œuvres de réalité, — que peut-être seulement ils travaillaient d’après une réalité plus belle que la nôtre. […] Les deux invités de l’Anglais prennent le parti de dîner à Belleville, et dînent ensemble sans se connaître.

2014. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre III. L’histoire réelle — Chacun remis à sa place »

On eût dit qu’ils voulaient prendre possession de l’infini. […] Il est temps que les hommes de l’action prennent leur place derrière et les hommes de l’idée devant. […] De certaines prises corps à corps exigent de la ressemblance entre les deux combattants ; à la sauvagerie il faut quelquefois la barbarie. […] Le sens moral inné en l’homme saura où se prendre. […] Voulez-vous un exemple, prenez Moïse.

2015. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

… » Comme c’est vrai, et comme on voit bien La Fontaine enseignant que de toute chose il ne faut prendre que la fleur et, de toute fleur, que le parfum. […] « … Pour ce qui me touche, je prends un plaisir extrême à vous voir en peine ; d’autant plus que votre imagination ne se forge guère de monstres, j’entends d’images de ma personne, qui ne soient très agréables. […] Le Soleil avait pris son char le plus éclatant, et ses habits les plus magnifiques. […] Les contes proprement dits, c’est-à-dire des récits galants, tels qu’ils sont dans Boccace, Machiavel, Arioste, etc., comment La Fontaine les a-t-il pris ? […] — Non, reprit-il ; plût au Ciel vous avoir Servi mon cœur, et qu’il eût pris la place De ce faucon !

2016. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VI. De la politique poétique » pp. 186-220

Ainsi prirent naissance les souverainetés civiles, soumises à Dieu seul. […] Prenons pour exemple le royaume de France, dont les provinces furent alors autant de souverainetés appartenant aux seigneurs qui relevaient du roi. […] Plutarque, dans sa Vie de Thésée, dit que les héros tenaient à grand honneur le nom de brigand, de même qu’au moyen âge, où reparut la barbarie antique, l’italien corsale était pris pour un titre de seigneurie. […] Lorsque les philosophes ou les historiens parlent des premiers temps, ils prennent le mot peuple dans un sens moderne, parce qu’ils n’ont pu imaginer les sévères aristocraties des âges antiques ; de là deux erreurs dans l’acception des mots rois et liberté. […] On prend ordinairement dans ce passage le mot hostis dans le sens de l’adverse partie ; mais Cicéron observe précisément à ce sujet que hostis était pris par les anciens latins dans le sens du peregrinus.

2017. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Quand il vit le scandale que ses deux chapitres avaient causé, surtout en Angleterre, chez les pieux, les timides, les prudents (comme il voulait les appeler), il en eut quelque regret, et il convient que, si ç’avait été à recommencer, il y aurait pris garde davantage ; car Gibbon, s’il n’est point du tout un homme religieux, est encore moins un sectateur et un fauteur d’incrédulité. […] Il lisait durant ce temps un peu au hasard tous les livres qui lui tombaient sous la main, et où se prenait sa curiosité déjà excitée ; elle l’était de préférence toujours dans le sens des connaissances historiques, et un instinct de critique aussi le dirigeait plutôt vers les sources. […] Le père de Gibbon prit un prompt parti, il résolut de dépayser son fils, et l’envoya pour quelques années sur le continent, à Lausanne, dans la maison d’un honnête ministre du pays, le pasteur Pavilliard. […] Un des morceaux enfin dont on se souvient, et qu’on a souvent cité, est celui où Gibbon, venant de terminer à Lausanne dans son jardin les dernières lignes de sa grande Histoire, pose la plume, fait quelques tours dans son berceau d’acacias, se prend à regarder le ciel, la lune alors resplendissante, le beau lac où elle se réfléchit, et à dire un adieu mélancolique à l’ouvrage qui lui a été, durant tant d’années, un si bon et si agréable compagnon. […] Durant ce séjour à Buriton, il prend possession de la bibliothèque de son père, qui était d’abord bien inégalement composée ; il l’accroît, il l’enrichit avec soin, et en forme par degrés une collection à la fois considérable et choisie, « base et fondement de ses futurs ouvrages, et qui deviendra désormais la plus sûre jouissance de sa vie, soit dans sa patrie, soit à l’étranger ».

2018. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Peu de jours avant de mourir, il prêchait encore à une solennité de vêture d’une religieuse ; ce fut là qu’il prit le mal qui l’emporta. […] S’emparant de cette poussière du jour des Cendres, il va démontrer que la pensée présente et actuelle de la mort, qu’elle tend à donner à chacun, est le meilleur remède, l’application la plus efficace et dans les crises de passion qui nous entraînent, et dans les conseils ou résolutions qu’on veut prendre, et dans le cours ordinaire des devoirs à accomplir et des exercices de la vie : Vos passions vous emportent, et souvent il vous semble que vous n’êtes pas maître de votre ambition et de votre cupidité : Memento. […] Souvenez-vous, et pensez quelle résolution il convient de prendre à un homme qui doit mourir. — Les exercices de la religion vous fatiguent et vous lassent, et vous vous acquittez négligemment de vos devoirs : Memento. […] On aurait beau nous faire là-dessus de longs discours ; on aurait beau nous redire tout ce qu’en ont dit les philosophes ; on aurait beau y procéder par voie de raisonnement et de démonstration, nous prendrions tout cela pour des subtilités encore plus vaines que la vanité même dont il s’agirait de nous persuader. […] Ce fut le 10 décembre 1683, dans la maison professe des Jésuites, que Bourdaloue prononça cette première oraison funèbre : il y parlait de l’hérésie, contre laquelle on n’avait pas pris encore les dernières mesures violentes, avec modération et avec une charité réelle : À Dieu ne plaise que j’aie la pensée de faire ici aucun reproche à ceux que l’erreur ni le schisme ne m’empêchent point de regarder comme mes frères, et pour le salut desquels je voudrais, au sens de saint Paul, être moi-même anathème !

2019. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Daru lorsque sa charge fut complète et après que l’Empereur eut pris en lui toute confiance, il suffit de remarquer qu’il cumulait une triple administration : 1º l’intendance générale de la maison de l’Empereur et des domaines privés de la Couronne ; 2º l’intendance générale de ses armées qui prirent à dater de 1805 un développement de plus en plus considérable, croissant comme les projets mêmes et les plans du maître, tellement que partant de l’effectif d’Austerlitz, qui était de cent à cent vingt mille hommes, les armées en vinrent à s’élever en 1812 au chiffre de six cent mille ; 3º à cette double administration M.  […] On se rappelle une page de Fontenelle récemment citée98, où, faisant l’éloge de M. d’Argenson, l’habile académicien a si parfaitement défini la multitude et la variété des soins que devait prendre à cette époque un bon lieutenant de police dans une ville telle que Paris : Cuvier, en esquissant aussi à grands traits en quoi consiste l’administration d’une armée en campagne, la multitude des soins, leur précision impérieuse, les difficultés qui se rencontrent dans les choses et dans les hommes, et en nommant à la fin M.  […] Et cela seul ne fait-il pas honneur au souverain qui l’avait choisi, et qui apprécia de bonne heure l’utilité dont il pouvait être, d’avoir pris goût à cette nature parfaitement droite, sincère, qui, dès qu’on la questionnait, disait vrai et répondait juste, et n’eût pu s’empêcher de le faire ? […] Sa modestie n’en prit point le rôle, mais l’amitié et la confiance de tous le lui eussent volontiers déféré.

2020. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

C’est une association consacrée que celle de Chapelle et de Bachaumont ; c’est une bagatelle qui a pris rang après les chefs-d’œuvre, et qui est réputée classique en son genre, que leur joli Voyage. […] J’ai appris dès l’Indoustan, par les dernières lettres de mes amis, que c’est à présent tout de bon, et qu’on vous va voir prendre l’essor avec Démocrite et Épicure, bien loin au-delà de leurs flamboyantes murailles du monde, dans leurs espaces infinis, pour voir et nous rapporter, victorieux, ce qui se peut et ne se peut pas :                                                  Et extra Processit longe flammantia moenia mundi. […] Or, Bernier, homme de sens, qui a beaucoup vu, et qui, en vertu même d’un sage scepticisme, est devenu plus ouvert à des doctrines supérieures, croit devoir avertir son ami et camarade, qui, en passant par le cabaret, est resté plus qu’il ne croit dans l’école ; le voyant prêt à vouloir s’enfoncer dans une philosophie abstruse et prétendre à expliquer physiquement la nature des choses et celle même de l’âme, il lui rappelle que c’est là une présomption et une vanité d’esprit fort ; mais si cette explication directe est impossible, et si connaître en cette manière son propre principe n’est pas accordé à l’homme dans cet état mortel, néanmoins, ajoute-t-il en terminant, nous devons prendre une plus haute idée de nous-mêmes et ne faire pas notre âme de si basse étoffe que ces grands philosophes, trop corporels en ce point ; nous devons croire pour certain que nous sommes infiniment plus nobles et plus parfaits qu’ils ne veulent, et soutenir hardiment que, si bien nous ne pouvons pas savoir au vrai ce que nous sommes, du moins savons-nous très bien et très assurément ce que nous ne sommes pas ; que nous ne sommes pas ainsi entièrement de la boue et de la fange, comme ils prétendent. — Adieu. […] Ils ont tous cela de commun, de ne pas prendre la nature au sérieux, et de ne la regarder en sortant du cabaret ou du salon que pour y mettre une grimace et de l’enluminure. […] Routiers, voyageant en Suisse (1761), est déjà un disciple de Rousseau ; il cache son nom, il déguise sa condition, c’est un peintre de portraits, et qui fait semblant de chercher des pratiques pour vivre ; les honnêtes gens qui le prennent au mot se donnent de la peine pour lui en procurer ; en un mot, il joue à l’Émile de Jean-Jacques, et avec cela il imite à sa manière Chapelle et Bachaumont.

2021. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

Chez lui rien d’essayé, rien de livré au hasard de la jeunesse : il est entré tout armé ; il a pris place avec une netteté, une vigueur d’expression, une concentration et un absolu de pensée qu’il a appliqués tour à tour aux sujets les plus divers, et dans tous il s’est retrouvé un et lui-même. […] Combien de fois ont-ils dû prendre en dédain les discussions écourtées et superficielles, les bévues tranchantes des prétendus Aristarques en crédit ! […] Ici tout prend la régularité d’une science positive, d’une analyse exacte et rigoureuse, dominée et couronnée par une logique inexorable ; si l’on observe et si l’on recueille les détails, ce n’est que pour y démêler des lois. […] Taine prend plaisir à rassembler dans les analyses qui suivent, y passant en revue les différentes classes de la société du xviie  siècle telles qu’elles nous reviennent par le miroir du fabuliste. […] Il avait dit ailleurs, en parlant de l’action dans les fables du poète, de cette action qui semble si éparse et qui se rattache toute à une idée, à un but : « Poésie et système sont des mots qui semblent s’exclure, et qui ont le même sens. » — Oui assurément, si l’on entend par système un tout vivant, animé, coloré ; oui, si ce mot de système a le même sens que cosmos et que monde ; mais chez nous (et cela tient peut-être à notre peu de goût pour la chose), le mot de système se prend dans une acception moins entière et moins belle ; il implique la dissection, l’abstraction.

2022. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance inédite de Mme du Deffand, précédée d’une notice, par M. le marquis de Sainte-Aulaire. » pp. 218-237

Gaie, modeste, pleine d’attentions, avec la plus heureuse propriété d’expression, et la plus grande vivacité de raison et de jugement, vous la prendriez pour la reine d’une allégorie. […] Mme de Choiseul, passionnément éprise de son mari, a été le martyr de cette union : elle a fini par se soumettre de bonne grâce ; elle a gagné un peu de crédit sur lui et passe pour l’idolâtrer toujours. — Mais j’en doute, ajoute Walpole, elle prend trop de peine pour le faire croire. […] On a beau dire et faire pour la rassurer, pour la calmer ; Mme de Choiseul a beau lui insinuer ses excellents préceptes de sagesse pratique : « En fait de bonheur, il ne faut pas chercher le pourquoi ni regarder au comment ; le meilleur et le plus sûr est de le prendre comme il vient. […] Vous entretenir de tel et telle, quelle part y pouvez-vous prendre ? […] Ce n’est pas nous qui prendrons plaisir à ajouter notre commentaire au sien et à l’écraser du voisinage de Mme de Sévigné : oui, Mme de Sévigné avait proprement reçu d’une fée en naissant l’imagination, ce don magique, cette corne d’or et d’abondance ; mais, de plus, elle avait su ménager sa vie et sa sensibilité.

2023. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — II » pp. 18-34

Les derniers jours que passa Guérin à La Chênaie eurent de la douceur, mais une douceur souvent troublée ; il sentait en effet que cette vie de retraite allait cesser et que l’époque des vacances amènerait pour lui la nécessité d’un parti à prendre. […] L’entrée de la baie est comme défendue par une chaîne d’îlots de granit : il fallait voir les lames courir à l’assaut et se lancer follement contre ces masses avec des clameurs effroyables ; il fallait les voir prendre leur course et faire à qui franchirait le mieux la tête noire des écueils. […] Paul Quemper) avait pris à tâche de lui aplanir les premières difficultés et y réussit. […] Il supposa le dernier des centaures interrogé au haut d’un mont, au bord de son antre, et racontant dans sa mélancolique vieillesse les plaisirs de ses jeunes ans à un mortel curieux, à ce diminutif de centaure qu’on appelle homme ; car l’homme, à le prendre dans cette perspective fabuleuse, grandiose, ne serait qu’un centaure dégradé et mis à pied. […] Heureux d’un mariage tout récent avec une jeune et jolie créole, assuré désormais du foyer et du loisir, il fut pris d’un mal réel qui n’éclaira que trop les sources de ses habituelles faiblesses.

2024. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Les frères Le Nain, peintres sous Louis XIII, par M. Champfleury »

Il est de petite ou moyenne dimension : on est devant la forge dont le foyer ardent éclaire le fond du tableau et se réfléchit sur les visages groupés alentour ; le maréchal tient son fer au feu, il n’attend que l’instant de prendre son marteau dont le manche est à portée de sa main, et de battre l’enclume que rase un reflet de flamme. […] On croit saisir une de ces chansons au vol, on la prend par le bout de l’aile, et l’on se trouve n’avoir ramené qu’un oiseau envolé de Paris, ou encore le couplet d’un bel esprit de l’endroit. […] C’est un herboriste du métier dans cette espèce de botanique qui consiste à ne prendre dans nos terres si cultivées que de vrais simples et des fleurs des champs. […] Un de ses amis habitant Nevers, Dalègre, petit homme assez jeune, vif, souriant, sociable, à l’oreille rouge, au teint frais, du tempérament le plus opposé à celui de son ami, est un jour prié par lui de rechercher dans sa ville et dans les environs les débris épars d’une ancienne fabrique célèbre, qui doivent encore s’y trouver ; niais, en cherchant d’abord indifféremment, puis peu à peu avec plus de zèle, pour le compte d’autrui, Dalègre, un matin, se sent mordu lui-même ; il prend la maladie, et, pour son début, il est plus âpre, plus enragé encore que Gardilanne. […] Après une maladie de quelques mois, il se réveille guéri, complètement guéri, aussi pur et net de cerveau que s’il avait pris de l'ellébore et de plus entouré de deux bonnes et aimables cousines qui le soignent ; il épouse l’une d’elles, et il trouve désormais dans les affections vraies de famille la meilleure garantie contre les manies.

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