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1074. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Guizot »

Il voulait impérieusement ses quatre grands hommes chrétiens, comme il dit, et n’en voyant pas chez lui, pour la contredanse historique qu’il rêvait, il est venu les prendre chez nous, non pas de nuit, mais en plein jour d’histoire. […] Fidèle aux habitudes de toute sa vie, Guizot prend encore cette forte et majestueuse position, mais il se contente de la prendre. […] Prenez-les tous et regardez ! […] Elles y sont si nombreuses et elles y prennent si pleinement tant de place, que le livre n’a plus que la valeur d’un plagiat dont le plagiaire n’a pas eu honte de se nommer.

1075. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « La Fontaine »

I Alphonse Lemerre, l’heureux et brave éditeur qui, chaque jour, prend une place plus large dans la publicité et dans la préoccupation de ceux qui, par ce temps industriel et maudit, pensent encore à la littérature, achève de publier, en ce moment, une édition des Œuvres de La Fontaine. […] Walckenaer a publié un livre exact, ramassé partout où il y avait un renseignement à prendre, et dans lequel il a répété, en digne érudit, c’est-à-dire en cultivateur exclusif de la faculté de la mémoire, toutes les formules de l’admiration classique sur La Fontaine, sans une phrase nouvelle ni un aperçu nouveau. […] L’homme du matérialisme positiviste n’existait pas encore en lui, — et du système physiologique à l’aide duquel il explique tout dans le talent des hommes, il n’avait, à ce moment, pris que ce qu’il en faut pour que ce soit une idée juste. […] Ce qu’il prenait à l’Antiquité, car il lui a pris souvent des inspirations, il le faisait gaulois en le touchant.

1076. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Malot et M. Erckmann-Chatrian » pp. 253-266

Dans une époque comme la nôtre, sans force de principe et sans force de volonté, je sais bien que ce misérable type d’homme ou de femme à deux amours, indésouillable du premier, ayant pris corps avec cette fange, est le type commun et presque universel ; que c’est le cri du sang, de ce sang que nous avons gâté, et que de son temps tout romancier, qui en porte le joug comme un autre homme, peut jeter ce cri à son tour ! […] et pourquoi Autren, nu jusqu’à la ceinture sur son écueil, fait-il surgir dans l’imagination, qui a le souvenir autant que le rêve, la nette image de ce matelot, nu aussi jusqu’à la ceinture, et qui, debout sur le pont du navire, demandait à genoux à Virginie l’honneur de la prendre dans ses bras et de la sauver ? […] Prenez la mort et l’enterrement de la mère de Maurice Berthaud, et le mariage et la procession au pardon de Saint-Guin, vous avez la relation sèche et la nomenclature d’une gazette. […] Chatrian, en voulant imiter Hoffmann, ne lui a pas pris sa sobriété de détail et son moyen si fantastique de faire de l’effet avec un rien, une corde à violon qui casse ou une main qui prend un flacon derrière une fenêtre.

1077. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

La seule raison d’en douter, c’est qu’en bien des choses ces deux livres se ressemblent, et qu’il est assez rare que l’imagination se prenne deux fois au même miroir. […] Charles Bataille et qui leur donnent cette ressemblance à laquelle tout le monde, au premier abord, a été pris. […] Charles Bataille, n’est que la notion du satyriasis, revêtue d’une expression pourprée, pléthorique, qui veut être lyrique à toute force, et qui, sous son lyrisme artificiel, ne cache pas pour nous la honte de la chose, car l’auteur, lui, ne la connaît pas, et, quand il rougit, ce n’est pas de cela… Un tel livre, que l’expression et le bouillonnement empêchent d’être un livre à la de Sade, aurait un succès fou chez les singes, si ces messieurs lisaient des romans ; mais ce n’est pas là une raison décisive pour en avoir un parmi nous… III J’ai dit que je prendrais mes précautions pour raconter le livre de MM. Bataille et Basetti ; je les prendrai et je le raconterai en quelques mots… Il faut bien que les pauvres gens qui ne demandent qu’à lire sachent de quoi il s’agit dans un livre dont on leur parlera certainement, parce qu’il est sur un sujet scabreux et scandaleux. […] Il ne l’a point été et il l’a sacrifiée à sa jeune sœur Rosette, belle nature de femme entretenue, la mademoiselle Bovary du livre, pour laquelle le docteur Quérard se prend d’un amour qu’il faut bien appeler incestueux.

1078. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

Et qui, dans l’Académie, prend donc la défense de Delille ? […] Bref, Delille entrait vivant dans la gloire incontestée, et prenait rang parmi ceux qui règnent. […] Tout ce qui pouvait passer en vers lui semblait bon à prendre. […] Il en prit un certain nombre à Segrais, à Martin, pour ses Géorgiques, et Clément en a fait le relevé. […] Et qui, dans l’Académie, prend donc la défense de Delille ?

1079. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Mais nous ne les mettrons plus aux prises, et leur bonne intelligence sera peut-être le prélude d’une amitié solide entre Shakespeare, Aristophane et Molière. […] Prenons le Tartuffe. […] Mais croit-on que, si l’on prenait cette peine, on rendît un grand service à la critique ? […] Elle se laisse prendre aux choses avec candeur et bonne foi. […] Corneille appelle la Poétique un divin traité (Préface du Cid) et il en dit tant qu’on est tenté de prendre cette expression à la lettre.

1080. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

—  Va à lui ; c’est ton devoir ; embrasse-le ; prends sa main dans la tienne. […] Ce vilain mot de collége et de Faculté ne rappelle chez nous que des bâtiments étriqués et sales, qu’on prendrait pour des casernes où des hôtels garnis. […] Avec un art admirable, Tennyson en a renouvelé les sentiments et le langage ; cette âme flexible prend tous les tons pour se donner tous les plaisirs. […] Elle dit à ses frères : « Chers frères, vous aviez coutume, quand j’étais une petite fille, de me prendre avec vous dans le bateau du batelier, et de remonter avec la marée la grande rivière. […] Il n’a pris que la fleur dans leurs beautés.

1081. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (2e partie) » pp. 1-80

A-t-il pris spontanément ce parti, comme il l’affirme, pour prévenir la sentence pontificale ? […] « Sur ces entrefaites, mon amie était partie de Bologne et avait pris, au mois d’avril, la route de Paris. […] « Je pris donc toutes mes mesures pour vivre sans tache, libre et respecté, ou, s’il le fallait, pour mourir, mais en me vengeant. […] Chaque nuit on pouvait venir me chercher ; mais j’avais pris toutes mes mesures pour ne me laisser ni surprendre ni maltraiter. […] On lui fit prendre de l’opium, qui calma les douleurs et lui fit passer une nuit assez tranquille.

1082. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Le miel prend de la consistance en se mûrissant, si l’on peut parler ainsi. […] « Les chasseurs prennent les biches en chantant ou en jouant de la flûte ; elles se laissent charmer par le plaisir de les entendre. […] Il suffira d’en prendre quelques-uns, Platon, Aristote et Kant. […] Toutes celles qu’il expose, il les lui a prises, en les transformant. […] Il l’a confondue avec le corps, auquel elle est jointe, et dont elle n’est selon lui que l’achèvement, ou, pour prendre son langage, l’Entéléchie.

1083. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

Personne ne demandant immédiatement la parole, Balzac la prit avec la physionomie d’une timidité honnête et résolue qui impressionna tout le monde. […] Il prit sous eux le goût des livres. […] Prends-le dans la bibliothèque, il ne doit pas être loin du Tacite, et apprends-le par cœur ; mais à quoi bon ? […] Moi, je dis : Que le Tacite soit pris ! […] Il croyait fermement que Mercadet, pris dans la passion industrielle de la bourgeoisie, serait le Figaro du siècle.

1084. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Toutefois ne vous étonnez pas que, mis en regard avec les autres disciples de Quintilien, on le force à rendre compte des engagements qu’il avait pris. […] Dérangeons les mots, et prenons-les au propre. […] Les mœurs des divinités agrestes, et des bergers fabuleux, prendraient une grâce parfaite sous une plume délicate. […] Le drame ne saurait se confondre, ni par les sujets qu’il expose, ni par le ton qu’il doit prendre, avec les éléments dont se compose la tragédie. […] Négligerons-nous de prendre les mêmes soutiens et les mêmes précautions ?

1085. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

Alzire épouse par faiblesse un homme qu’elle n’aime pas ; elle viole ensuite ses serments par l’intérêt qu’elle prend au plus mortel ennemi de son mari. […] La scène où Mahomet prend lui-même la peine de séduire un enfant, n’est qu’une scène de fourberie honteuse qui dégrade ce célèbre imposteur. […] Madame de Pompadour avait pris la pièce sous sa protection, l’avait prônée à la cour, et avait poussé la générosité jusqu’à vouloir habiller tous les acteurs. […] Rousseau prit depuis l’habit d’Arménien pour se faire montrer au doigt par les petits enfants. […] Elle prend surtout un ton très imposant, quoique sans affectation, lorsque le jeune homme qui jouait auprès d’elle le rôle d’amant veut faire d’un badinage une affaire sérieuse.

1086. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gabrielle d’Estrées. Portraits des personnages français les plus illustres du XVIe siècle, recueil publié avec notices par M. Niel. » pp. 394-412

En attendant, ce sont des faits et des témoins qui prennent leur rang, des personnages qui passent sous nos yeux et s’animent. […] Charles IX, âgé de douze ans, et ensuite de dix-huit à vingt, y est vivant et pris sur nature. […] Mais lorsque Henri eut fait son entrée à Paris et fut devenu le roi de tous, les détails de sa conduite prirent plus d’importance, et Mme de Liancourt occupa les Parisiens. […] Mais, cette nécessité des héritiers admise et le divorce avec la reine Marguerite étant aussi chose convenue et déjà ménagée en secret auprès du pape, quelle femme prendre et de qui faire choix ? […] Il s’habilla de noir, et la Cour prit le deuil à son exemple.

1087. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Quand on lui demandait plus tard où il avait pris cette connaissance approfondie du monde et des diverses passions, il avait le droit de répondre : « Dans mon propre cœur. » Pendant qu’il professait la théologie à Vienne, il fut ordonné prêtre en 1692 ; il s’y essayait dans la chaire ; il y prononça l’Oraison funèbre de Henri de Villars, archevêque du diocèse ; il alla prononcer à Lyon celle de l’archevêque M. de Villeroi, mort en 1693. […] C’est là que Massillon commença à prendre tout à fait son rang par ses conférences, le plus solide ou du moins le plus sévère de ses ouvrages. […] Il s’applique à montrer qu’il n’y a point de fautes légères, que celui qui méprise les petites choses tombera peu à peu dans les grandes ; il s’adresse alors à son auditeur, il le prend à partie ; il rappelle chacun directement à ses propres souvenirs : « Souvenez-vous d’où vous êtes tombé… » Et ici vient un de ces développements dont j’ai parlé et où se révèle tout l’art de Massillon. […] L’Oraison funèbre qu’il prononça de Louis XIV, et dont j’ai cité l’admirable début, a de beaux détails, mais pèche également par l’ensemble : Massillon, en louant, ne sait point prendre de ces grands partis comme Bossuet ; il mêle des vérités et des restrictions qui font nuance, là où il faudrait une couleur éclatante, une touche large et soutenue. Il a des contradictions où sa sincérité et son commencement de philosophie, aux prises avec l’obligation de la louange, ne savent trop comment se démêler ; ainsi, lorsqu’il loue pleinement Louis XIV de sa révocation de l’édit de Nantes, et qu’il veut à la fois flétrir la Saint-Barthélemy et maintenir jusqu’à un certain point l’idée de tolérance : en cet endroit, Massillon essaye de concilier deux idées impossibles, et il y échoue ; il ne produit qu’un effet combattu et incertain.

1088. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — I. » pp. 80-97

Il fut le contemporain des règnes de Jean le Bon et de Charles V, et d’une grande partie de celui de Charles VI, époque agitée, souvent malheureuse, et dans laquelle il trouva moyen de ne prendre que son plaisir. […] Pris d’une passion très vive pour une personne qu’il a chantée et qu’il ne pouvait obtenir, il quitta son pays pour se distraire et passa en Angleterre à la cour de la reine Philippe de Hainaut, femme d’Édouard III. […] Il prenait à toute chose ; rien ne lui était bagatelle. […] Pour prendre idée du zèle et du sentiment que Froissart apportait à la confection de son œuvre, il faut lire les diverses préfaces et les passages où il s’en exprime avec effusion. […] Et pour vous informer de la vérité, je commençai jeune dès l’âge de vingt ans ; je suis venu au monde avec les faits et les événements, et y ai toujours pris grand’plaisance plus qu’à autre chose ; et Dieu m’a fait la grâce d’avoir toujours été de toutes les cours et hôtels des rois, et spécialement de l’hôtel du roi Édouard d’Angleterre et de la noble reine sa femme, Madame Philippe de Hainaut, de laquelle en ma jeunesse je fus clerc et secrétaire.

1089. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — I. » pp. 162-179

M. de Lorraine parla à ses parents de ses intentions, et la chose alla si loin qu’il y eut un contrat de mariage fait dans toutes les formes ; que les bans furent publiés, et le jour pris pour faire le mariage. […] Elle répondit que son parti était pris, et qu’elle n’avait que faire d’y penser davantage ; et puis elle rentra dans la chambre où était la compagnie pour prendre congé de M. de Lorraine qui, ayant appris de quoi il était question, se mil dans des transports de colère effroyables ; après l’avoir calmé autant qu’elle put, elle donna la main à M.  […] Il prit un grand parti : il rompit à peu près avec la Cour et avec la ville ; l’enseigne des gendarmes du roi quitta le service et renonça à sa charge tout en se réservant de faire les campagnes comme volontaire. […] Il prit son parti et résolut de se remettre dans le train ordinaire par quelque coup d’éclat, qui rompît avec le passé. […] Il passait alors pour un homme léger, qui, avec de l’esprit, n’avait fait que des folies, qui avait obéi à des fantaisies et à des fougues, qui avait pris de grands partis sans les tenir : Impie, dévot, jaloux amant, Courtisan, héros de province, disait ou allait dire de lui la chanson ; on l’appelait le Don Quichotte moderne ; des gens qui valaient moins que lui par l’esprit et par le cœur le raillaient, et il n’y était pas insensible.

1090. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

Aussi son amour et sa douleur, dans les élégies qu’il composa d’abord, prennent-ils un caractère de regret, de résignation et de sacrifice auquel nos bons aïeux ne nous ont pas accoutumés, et qui ne sera guère dans l’habitude de Maucroix lui-même. […] Il a été plus de quatre ans à s’en consoler, et il n’y a eu qu’une nouvelle amour qui l’ait pu guérir… La preuve n’est pas la plus forte qu’on puisse alléguer en fait de fidélité, mais il faut prendre ces natures naïves et de la famille de La Fontaine comme elles sont. […] Il faudra encore une fois prendre des résolutions contre la mort. […] Nous irons faire la révérence à Sa Majesté et lui dire tout ci tout ça ; qu’il est un grand prince, qu’il a pris une belle ville… Ne sait-il pas tout cela aussi bien que nous ? […] Hier, comme j’en revenais, il me prit au milieu de la rue du Chantre une si grande faiblesse, que je crus véritablement mourir.

1091. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — II » pp. 18-35

Il est bon de se proposer quelques points de vue, et de se tracer quelques perspectives déterminées, dans ce Journal de Dangeau qui offre au premier aspect l’apparence d’une foule mouvante et confuse : c’est le moyen de s’y reconnaître et d’y prendre de l’intérêt. […] Le mardi 20 mars, à Versailles, ou lit dans le même journal : « Mme la Dauphine fit dire dans son cabinet à Racine la harangue qu’il fit à la réception de Corneille et de Bergeret. » Ce moment est celui de Racine et de Despréaux tout à fait établis en Cour et sur le pied d’historiographes : Le 31 décembre, veille du jour de l’an 1685, Mme de Montespan fit présent au roi, le soir après souper, d’un livre relié d’or et plein de tableaux de miniature, qui sont toutes les villes de Hollande que le roi prit en 1672. […] Il a pris soixante places en une seule campagne… » Ici il ne s’agissait que de consciences, et ces autres places fortes cédaient au même ascendant de Louis le Grand. […] Quelques-unes, plus rarement, prennent un caractère odieux : « Vendredi, 13 septembre 1686, à Versailles. — Le roi a donné à Lostange la confiscation des biens de son frère, qui est en fuite pour la religion5. » Puis, tout à côté, chez Dangeau, et sans qu’il y insiste, on a aussi l’idée des pertes que fait le royaume, et des résistances qu’on trouve en plus d’une âme : « Jeudi, 24 janvier 1686, à Versailles. — On eut nouvelles que du Bordage avait été arrêté auprès de Trelon, entre Sambre et Meuse : il voulait sortir du royaume avec sa famille. […] La guerre s’ouvre avec vigueur ; le fils du roi, Monseigneur, est mis à la tête de l’armée du Rhin : « Le roi et Monseigneur se sont fort attendris en se séparant (25 septembre 1688). » Louis XIV dit à son fils une belle parole : « En vous envoyant commander mon armée, je vous donne des occasions de faire connaître votre mérite ; allez le montrer à toute l’Europe, afin que quand je viendrai à mourir, on ne s’aperçoive pas que le roi soit mort. » Monseigneur se conduit bien et vaillamment ; il a un éclair d’ardeur : cela même lui donne une étincelle d’esprit ; il écrit à son père devant Philisbourg : « Nous sommes fort bien, Vauban et moi, parce que je fais tout ce qu’il veut. » — « Mais Vauban pourtant, ajoute Dangeau qui s’anime et s’aiguillonne à son tour, n’est pas si content de Monseigneur, qui va trop à la tranchée et y demeure trop longtemps. » On prend Philisbourg, on prend Manheim et Frankendal : après quoi Monseigneur revient.

1092. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

Et là-dessus il commence à prendre les avis. […] Jusqu’ici Montluc n’a pris les choses que de son côté, militairement ; il arrive pourtant à toucher à la question politique : « À ce que j’ai entendu, Sire, tout ce qui émeut messieurs qui ont opiné devant Votre Majesté est la crainte d’une perte ; ils ne disent autre chose, si ce n’est : Si nous perdons, si nous perdons ! […] Voyant leur refus, pour les convier par mon exemple, je pris ma compagnie, celle de mon frère M. de Lieux et celles des capitaines Lebron, mon beau-frère, et Labil, mon cousin germain ; car ceux-là ne m’eussent osé refuser. […] Malade de nouveau et pris de dyssenterie, Montluc convoqua cependant la seigneurie de Sienne au palais et harangua en italien. […] Transporté dans une place voisine, à Montalsin, et sachant Montluc presque à l’extrémité, il dépêcha à Rome pour faire venir un autre gouverneur, M. de Lansac ; mais celui-ci ne sut point s’y prendre et se laissa tomber aux mains des ennemis en essayant d’arriver à Sienne : « S’il fût venu, dit naïvement Montluc, je crois que je fusse mort, car je n’eusse eu rien à faire ; j’avais l’esprit tant occupé à ce qui me faisait besoin, que je n’avais loisir de songer à mon mal. » Après avoir été trois jours regardé comme mort, et avoir reçu la visite de Strozzi guéri plus tôt que lui, Montluc revint peu à peu à une santé suffisante pour vaquer à ses devoirs.

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