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781. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

C’est le plus ardu et le moins captivant de l’histoire que Montesquieu présente d’emblée : l’explication scientifique des faits, la philosophie. […] Elle ne passera dans l’Esprit des Lois que mutilée, rétrécie, presque faussée : car Montesquieu, supprimant à peu près les intermédiaires réels et vivants, l’homme, son âme, son corps, relie les lois humaines aux causes naturelles par un rapport direct et en quelque sorte artificiel ; il ne s’attache qu’à présenter abstraitement le tableau des dépendances réciproques et des variations simultanées qu’il a constatées entre les climats et les institutions. […] Il eût mieux fait de présenter chaque observation dans sa particularité, et de n’affirmer ce qu’il voyait en Turquie que de la Turquie, ce qu’il remarquait à Rome que de Rome.

782. (1890) L’avenir de la science « XIII »

Présentez ces histoires à chacun des hommes spéciaux dans une des parties dont elles se composent, je mets en fait que chacun d’eux trouvera sa partie détestablement traitée. […] Je présentai un jour à mon savant ami le Dr Daremberg l’Histoire de la philologie de Grœfenhan, pour qu’il en examinât la partie médicale. […] quand la vie est si courte et qu’il s’y présente tant de choses sérieuses, ne vaudrait-il pas mieux prêter l’oreille aux mille voix du cœur et de l’imagination et goûter les délices du sentiment religieux, que de gaspiller ainsi une vie qui ne repasse plus et qui, si on l’a perdue, est perdue pour l’éternité ?

783. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

Elle s’enhardit malgré tout ; elle se présente à sa porte, au Temple, où le prince de Conti lui donnait asile. […] Six ans après (avril 1772), comme Jean-Jacques était revenu à Paris, elle se présenta un matin chez lui, rue Plâtrière, sous prétexte de lui faire copier de la musique. […] Son amour était celui de l’idéale beauté, du fantôme auquel lui-même prêtait, vie et flamme : c’était ce fantôme seul, tiré de son sein, et formé d’un ardent nuage, qu’il aimait, qu’il embrassait sans cesse, à qui il donnait chaque matin ses baisers de feu, sur qui il plaçait, en les rassemblant, ses rares souvenirs de bonheur ; et quand il se présenta une femme réelle qui eut l’orgueil de lui montrer l’objet terrestre de son idéal et de lui dire : Je suis Julie, il ne daigna point la reconnaître ; il lui en voulut presque d’avoir espéré se substituer à l’objet du divin songe.

784. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

Il a un ami qui n’a point d’autre fonction sur la terre que de le promettre longtemps à un certain monde, et de le présenter enfin dans les maisons comme homme rare et d’une exquise conversation : et là, ainsi que le musicien chante et que le joueur de luth touche son luth devant les personnes à qui il a été promis, Cydias, après avoir toussé, relevé sa manchette, étendu la main et ouvert les doigts, débite gravement ses pensées quintessenciées et ses raisonnements sophistiqués. […] Flourens a présenté en toute lucidité ce second et dernier Fontenelle ; il l’a dépouillé non pas de ses particularités, mais de ses petitesses, et nous l’a fait voir au seuil du sanctuaire, investi de la dignité des sciences, leur juste interprète aux yeux de tous, sans solennité aucune, et ne les rabaissant pourtant jamais que moyennant une familiarité noble et décente. […] Sur Fontenelle, ma conclusion sera précise : c’est que par sa tenue, par sa longévité, par sa multiplicité d’aptitudes et d’emplois, avec ce composé de qualités rares et de défauts qui ont fini par assaisonner ses qualités, il n’a point son pareil, qu’il demeure hors ligne, au-dessous des génies, dans la classe des esprits infiniment distingués, et qu’il se présente, dans l’histoire naturelle littéraire, à titre d’individu singulier et unique de son espèce.

785. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Il imagine un homme tout neuf et sans notions aucunes, dans une campagne où les animaux, les oiseaux, les poissons, les plantes, les pierres se présentent successivement à ses yeux. […] Il y reprenait les anciennes idées de son premier volume sur la théorie de la terre, et les présentait dans un jour plus complet et avec des combinaisons, je n’ose dire avec des vraisemblances nouvelles. […] Buffon n’y présente point son hypothèse comme réelle, mais comme un simple moyen de concevoir ce qui a dû se passer d’une manière plus ou moins analogue, et de fixer les idées sur les plus grands objets de la philosophie naturelle.

786. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

L’inconsistance, l’inconséquence des mesures, toute cette série de légèretés et de témérités, de coups d’État impuissants, qui amenèrent la convocation des États généraux, est vivement présentée par Mallet : Point de combinaison sur les moyens de faire réussir l’opération, dit-il à propos du lit de justice qui suspendit les parlements (8 mai 1788) ; rien qu’un espoir trompé de diviser, de corrompre et d’obtenir la Grand’Chambre, le Châtelet, etc. […] Tous mes soins se portaient donc à présenter la vérité, mais sans la rendre effrayante ; de ce qui n’avait été qu’un tumulte, j’en faisais un tableau ; je cherchais et je saisissais, dans la confusion de ces bouleversements du sanctuaire des lois, les traits qui avaient un caractère et un intérêt pour l’imagination. […] Cet art est subordonné aux changements qui arrivent chez un peuple et à la situation dans laquelle il se trouve. » Je n’ai qu’un désir, c’est de présenter aux esprits qui me font l’honneur de me suivre quelques idées sérieuses qui ne soient pas étrangères à nos temps.

787. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Elle se tient d’ordinaire dans le cabinet, c’est-à-dire dans la chambre royale ; elle en fait son centre et s’étend le plus volontiers sur les scènes qui s’y sont présentées à son observation. […] La femme de chambre (car ici Mme de Motteville l’est bien un peu) nous montre avec admiration et avec amour sa royale maîtresse depuis l’instant où elle s’éveille, depuis celui où elle se lève et où on lui présente la chemise, jusqu’à son souper et à son coucher : Après avoir mis son corps de jupe avec un peignoir, elle entendait la messe fort dévotement ; et, cette sainte action finie, elle venait à sa toilette. […] Présente ou absente d’ailleurs, sa fidélité ne se démentit jamais.

788. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

Car de ce qu’un homme de mérite se présente aux suffrages d’une compagnie savante et n’est point reçu une première fois, est-ce une raison à lui de saisir aussitôt la plume, d’écrire contre cette académie, contre les membres qui en font partie et dont quelques-uns, comme les Silvestre de Sacy et les Quatremère de Quincy, sont illustres ? […] J’en conclus seulement que Courier n’évitait pas les vers quand ils se présentaient dans sa prose, et qu’il les recherchait plutôt ; cela lui rendait le style plus alerte et plus sautant : Il aimait mieux, en écrivant, le pas des tirailleurs de Vincennes, que la marche plus uniforme et plus suivie de la ligne, — de la phrase française ordinaire. […] Selon lui, l’Antiquité jusqu’ici nous a toujours été présentée plus ou moins masquée ; une copie de l’antique, en quelque genre que ce soit, est encore à faire ; la langue de cour, la langue d’académie s’est mêlée à tout et a tout gâté.

789. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

On n’a pas trouvé non plus assez de justesse dans plusieurs de ses idées, comme dans celle qu’il donne de la délicatesse, qu’il fait consister dans le mystère qu’une pensée présente à l’esprit, & que l’esprit se plaît à développer. […] Les préceptes sur les figures de Rhétorique lui paroissent encore plus inutiles ; parce que ces figures sont, selon lui, des tours si naturels à tous les discours humains, que l’art ne fait qu’y prêter des noms, pour faire souvenir que leur variété sert à en mettre dans les discours, ce qui se présente, ajoute-t’il, comme de soi-même à tout homme qui n’a pas une imagination froide. […] Elle trouve plus aisément l’art d’intéresser le sentiment, l’art d’étonner l’imagination ; elle présente de plus grands moyens à celui qui parle ; elle étale de plus grands objets à ceux qui écoutent.

790. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre I. La demi-relativité »

D’abord, pour simplifier les choses, je supposerai que mes axes O′ X, O′ Y′, O′ Z′ coïncidaient avec les tiens avant la dissociation des deux mondes S et S′ (qu’il vaudra mieux, pour la clarté de la présente démonstration, faire cette fois tout différents l’un de l’autre), et je supposerai aussi que OX, et par conséquent O′ X′, marquent la direction même du mouvement de S′. […] Nous nous bornons à ce qui intéresse notre recherche présente. […] Plus général encore sera le sens du mot dans l’ensemble de la présente étude.

791. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française, par M. D. Nisard. Tome iv. » pp. 207-218

Ayant à écrire de la littérature française et à la suivre dans son développement à travers les siècles, il s’est demandé tout d’abord au début ce que c’est que l’esprit français ; il s’en est fait préalablement une idée, il s’en est formé comme un exemplaire d’après les maîtres les plus admirés, d’après les classiques le plus en honneur et en crédit ; il a présenté aux lecteurs français un portrait tout à fait satisfaisant de l’esprit français vu par ses beaux côtés et en ses meilleurs jours. […] « Mais, s’écrieraient-ils, vous présentez la vérité sous forme bien paradoxale ; votre style, à vous-même, est trop pensé ; vous frappez à tout coup ; vous parlez Quintilien, mais en traits à la Sénèque. » Et moi je l’en louerai et je lui dirai : « Vous nous réveillez sur ces vieilles questions ; vous avez trouvé moyen de nous promener dans la terre de la patrie par des chemins imprévus.

792. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

Delzons m’ont écrit et se sont présentés comme témoins à la décharge de l’Université. […] Adert, je lui marquais que cette Grammaire de Dübner ne me paraissait en rien présentée de la façon qui la pouvait faire agréer du public français.

793. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres publiées par M. J. Sabbatier. Tome Ier, 1845. » pp. 154-168

Après de premières études, qu’il doit presque tout entières à lui-même, Victorin Fabre nous est présenté, vers la fin de 1799 (il avait quatorze ou quinze ans), comme un esprit dont le coup d’œil politique était dès lors aussi juste qu’étendu : « La manière dont s’était opérée la révolution du 18 brumaire, et surtout quelques dispositions captieuses placées dans la Constitution de l’an viii comme pierres d’attente, avaient excité son mécontentement, éveillé ses soupçons. » Voilà un Solon bien précoce qui nous arrive ; en conséquence de ses prévisions, Victorin Fabre, qui avait un moment songé, nous dit-on, à prendre la carrière des armes, s’en détourne et ne songe plus qu’aux lettres et à la philosophie ; nous concevons cette préférence ; qu’on nous permette seulement de croire, sans faire injure à tout ce puritanisme, que cela ne l’eût aucunement compromis de se trouver à Marengo. […] Sabbatier ne soient que celles de l’auteur même, traduites par un disciple et plutôt grossies que dénaturées, il n’est pas moins à regretter que le biographe se soit donné ainsi pleine carrière, et que sa misanthropie, en s’ajoutant aux humeurs noires d’Auguste Fabre et de Victorin, vienne aujourd’hui compromettre, sous une teinte aussi fâcheuse et trois fois morose, une publication qui, présentée sous un meilleur jour et ne réclamant que d’équitables éloges, eût mérité de tous indulgence et sympathie.

794. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Victor Vousin. Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. »

La publication présente a des portions considérables qui satisfont à un de nos vœux les plus anciens et les plus chers : le talent littéraire de M.  […] Aucun de ces mots, aucune de ces formes si aisément habituelles de nos jours, ne se présente sous leur plume ; il semble vraiment qu’ils auraient, pour les trouver, à faire autant d’efforts que d’autres en devraient mettre à les éviter.

795. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil. — I »

Galatin, également seul, luttait dans la Chambre des représentants ; si, avec l’autorité de son nom, de ses services passés, de sa parole exacte et judicieuse, il n’avait pas hâté le désabusement public et présenté une tête honorée aux suffrages des républicains longtemps épars, il est douteux que la volonté du peuple se fût dégagée et se fût fait jour : cette noble constitution, qui est comme l’honneur du monde, aurait succombé peut-être à l’incurable corruption qui s’y infiltrait dès sa naissance. […] Le spectacle, que les États-Unis présentent en ce moment au monde dans le conflit élevé entre le Congrès et la Caroline du Sud, est, ce nous semble, un sujet d’admiration encore plus que de crainte.

796. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Les volontaires irlandais ne se disposent pas non plus à se dissoudre : le bill pour la réforme de l’église d’Irlande qu’a présenté lord Altorp, à la Chambre des communes, avait fait naître des espérances de conciliation que le bill de répression, présenté par lord Grey à la Chambre des lords, a promptement dissipées.

797. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre premier. Pour faire des Tragédies qui puissent intéresser le public en 1823, faut-il suivre les errements de Racine ou ceux de Shakspeare ? » pp. 9-27

Supposons que Talma se présente sur la scène, et joue Manlius avec les cheveux poudrés à blanc et arrangés en ailes de pigeon, nous ne ferons que rire tout le temps du spectacle. […] Or, Lekain eût produit exactement le même effet en 1760, s’il se fût présenté sans poudre pour jouer ce même rôle de Manlius.

798. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre II. Définition. — Énumération. — Description »

Voici une description de Buffon : Qu’on se figure un pays sans verdure et sans qu’au, un soleil brûlant, un ciel toujours sec, des plaines sablonneuses, des montagnes encore plus arides, sur lesquelles l’œil s’étend et le regard se perd sans pouvoir s’arrêter sur aucun objet vivant ; une terre morte et, pour ainsi dire, écorchée par les vents, laquelle ne présente que des ossements, des cailloux jonchés, des rochers debout ou renversés, un désert entièrement découvert, où le voyageur n’a jamais inspiré sous l’ombrage, où rien ne l’accompagne, rien ne lui rappelle la nature vivante : solitude absolue, mille fois plus affreuse que celle des forêts ; car les arbres sont encore des êtres pour l’homme qui se voit seul ; plus isolé, plus dénué, plus perdu dans ces lieux vides et sans bornes, il voit partout l’espace comme son tombeau : la lumière du jour, plus triste que l’ombre de la nuit, ne renaît que pour éclairer sa nudité, son impuissance, et pour lui présenter l’horreur de sa situation, en reculant à ses yeux les barrières du vide, en étendant autour de lui l’abîme de l’immensité qui le sépare de la terre habitée : immensité qu’il tenterait en vain de parcourir ; car la faim, la soif et la chaleur brûlante pressent tous les instants qui lui restent entre le désespoir et la mort.

799. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre III. Association des mots entre eux et des mots avec les idées »

L’idée à laquelle le mot correspond exactement, a des affinités naturelles ou habituelles avec d’autres idées : chaque fois qu’elle est présente, elle tend à les rendre présents ; elle les évoque et les suscite. […] C’est qu’ils se groupent selon leurs habitudes antérieures : on ne fait que les enregistrer machinalement quand ils se présentent : ce n’est plus nous qui pensons, ce sont les mots qui nous imposent par leur banale combinaison ce que tout le monde leur a le plus souvent fait dire.

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