Il y a à l’origine de chaque peuple une période légendaire : en Grèce, à Rome, chez tous les peuples germaniques et slaves, les souvenirs les plus anciens du peuple forment une couche de légendes. […] Il faut se résigner à traiter la légende comme le produit de l’imagination d’un peuple ; on peut y chercher les conceptions du peuple, non les faits extérieurs auxquels il a assisté. […] — 2° A-t-il été très étendu, de façon que beaucoup de gens l’aient vu (une bataille, une guerre, l’usage de tout un peuple) ? […] Mais d’avance et pour tous les cas on prévoit que le peuple aura eu une langue et un gouvernement. […] Puis on cherche une proposition générale : La langue d’un nom de ville est la langue du peuple qui a créé la ville.
On déclare volontiers, dans certains milieux, que les peuples d’avenir sont les peuples sages, endormis dans la tradition d’un ordre politique, d’un ordre religieux, d’un ordre moral : ces peuples sont au contraire des peuples en déchéance. […] Les peuples sans imagination sont très peu sensibles, et, en conséquence, ils sont très cruels. […] Ainsi ont toujours pensé les peuples primitifs. […] , le peuple, en ses désirs, est mu par un sentiment unique : le sentiment de Futilité. […] Il ne faut pas dire : le peuple y contribua ; il faut dire : elle fut l’œuvre même du peuple.
Il y a un accent de mâle éloquence dans cette apostrophe aux rois qui accablent leurs sujets d’impôts, et qui boivent le sang du peuple dans des vases dorés : Mauvais pasteurs du peuple, écorchez vos troupeaux, Pour changer en draps d’or leurs misérables peaux. […] Il fallait rendre la poésie populaire, appeler le plus grand nombre aux pures délices et aux sévères enseignements de l’art ; trouver, pour un pays encore partagé en classes, une langue qui ne fût ni au-dessous de la délicatesse des classes élevées, ni au-dessus de l’intelligence de la foule, une langue commune à la cour, à la ville et au peuple. […] Où est, en effet, la bonne langue française, si ce n’est au centre de la France, à Paris ; et, puisque la cour a pu être tour à tour italienne, gasconne ou espagnole, dans le peuple même de Paris, qui ne change pas, et qui est ce qu’il y a de plus français en France ? La langue du peuple n’est pas sujette aux variations de la mode ; elle est dans tous les temps la langue naturelle des passions. […] Il semble que ce grand homme avait fait assez en délivrant la poésie française de la superstition de l’antiquité et de l’imitation étrangère, des fictions, de la subtilité et du pédantisme, en lui montrant son idéal dans l’esprit français, formé par l’antiquité et parlant la langue du peuple de Paris ; surtout en joignant, comme il en eut la gloire, l’exemple au précepte.
Or, en cherchant ce qui était national pour les peuples allemands, on trouva les vieux chants germaniques, les légendes populaires, et plusieurs critiques finirent par se persuader que la source merveilleuse où devait puiser l’Allemagne n’était autre que le moyen âge. […] Ils avaient vu de trop près les autres peuples pour n’en pas subir les influences diverses. […] Vous avez lu au quatrième livre d’Hérodote la description des peuples de la Libye ; la reconnaissez-vous lorsque l’auteur de Salammbô met en scène « les Voraces qui emportent de la neige dans des sacs de toile », ou bien « les hideux Auséens qui mangent des sauterelles, les Achyrmachides qui mangent des poux, et les Gysantes, peints de vermillon, qui mangent des singes » ? […] L’historien, marquant d’un mot les différences des peuples, éclaire d’avance comme d’une lueur incendiaire l’issue de leur gigantesque lutte. […] Mâtho, pris d’un coup de filet comme une bête fauve et amené vivant dans Carthage, est livré au peuple, affamé de vengeance.
Peut-être n’eut-elle jamais de race originale : on accusait le peuple romain de n’être qu’un « ramassis » de races122. […] Topinard 127, les peuples seuls sont des réalités. Pour l’anthropologiste, « les peuples sont des dépôts d’alluvions, de provenance et de nature diverses, mêlés et brassés par le flux et par le reflux des événements ». […] « L’habitude chaque jour plus générale de prendre exemple autour de soi, dans le présent, au lieu de prendre exemple exclusivement derrière soi, dans le passé… produit l’uniformité vaste des idées et des goûts, des usages et des besoins qui rend possible, puis nécessaire, non seulement la fusion des peuples assimilés, mais encore l’égalité des droits et des conditions, c’est-à-dire la similitude juridique entre les citoyens de chaque peuple devenus semblables sous tant d’autres rapports140. » Le triomphe de la mode serait donc l’avant-coureur de l’égalitarisme. […] Monod, dans l’introduction à L’Histoire du peuple anglais, de Green, p.
. — Ce travail étant fait, l’autorité passe du monarque au peuple ; autre étape vers la liberté ; la démocratie est à la fois un achèvement de la nationalité, par un acte de volonté et par la participation de chaque citoyen, et déjà une préparation à une unité plus grande, par la solidarité sociale, conséquence directe de la démocratie. […] Plus large : il y a des artistes dont la forme n’est pas cataloguée, ni facile à cataloguer, et dont l’activité n’en contribue pas moins à l’éducation esthétique d’un peuple. […] Nous arrivons ainsi à un problème essentiel qu’on résume généralement sous cette forme pratique : le créateur doit-il s’isoler, ou au contraire se mêler à son peuple, à son temps ? […] Tout s’y fond en une synthèse, fût-ce même à l’insu du créateur : le passé lointain, l’âme d’un peuple, les amours charnelles, les angoisses divines. Ces œuvres sont les étapes de notre conscience et la source d’une grande espérance : les haines des peuples, les tyrannies sociales, tous les instincts brutaux et toutes les servitudes sont des ténèbres dont nous verrons la fin, puisque d’une étape à l’autre la route monte.
Les libertins J’ai montré Saint-Evremond, cet esprit curieux et indépendant qui ne subit de servitude que celle des bienséances mondaines ; ce douteur paradoxal en qui il y a du Montaigne, et du Voltaire aussi, parfois du Montesquieu, quand il juge le peuple romain et ses historiens ; ce franc matérialiste, qui, dans sa vieillesse, forcé de renoncer à tous les plaisirs, éloigna toute espérance indémontrable, et se consola par deux réalités : l’activité de son esprit, et la solidité de son estomac. […] Il fallait aussi, pour mettre de la suite dans l’attaque, et pour gagner l’esprit du peuple, un amour scientifique du vrai, un enthousiaste dévouement à la raison, qui faisait défaut à ces mondains blasés. […] Il estimait que la masse des esprits, peuple ou grands, n’est pas apte à recevoir la vérité, qu’elle est faite pour un petit nombre d’intelligences, où elle ne se déforme pas, et ne porte pas de mauvais fruits.
De tous les Vers qu'il a donnés au Public [& dont on ne se doute pas que le nombre soit aussi grand], on ne se souvient guere que de son Ode sur le Temps, & de son Epître au Peuple. […] Dans l'Eloge du Chancelier Daguesseau, après avoir dit, en parlant des Loix qui furent faites pour le Peuple, lorsque nos Rois l'eurent délivré de la tyrannie des Nobles, que cette nouvelle partie de la législation choquoit les principes ou les abus de la législation féodale, qui, à son tour, réagissoit contre elle, que les nouveaux droits des Peuples se heurtoient contre les droits usurpés par les Nobles, que les Loix n'offroient qu'un édifice informe & monstrueux que l'on prendroit pour un amas de ruines entassées au hasard ; il poursuit en ajoutant, que cet immortel Chancelier crut qu'au lieu de renverser tout à coup ce grand corps, il valoit mieux l'ébranler peu à peu ou le réparer insensiblement sur un plan uniforme & combiné dans toutes ses parties.
c’est-à-dire l’histoire de ce qu’il y a de plus profond, de plus fin, de plus ondoyant et de plus nuancé dans la vie et le passé d’un peuple ! […] De leur main dépouillée de ce gant jaune qui leur sied, ils ont, dandys de l’anecdote amusante, voulu toucher à tout ce qui entre comme un élément de sa vie dans ce tissu d’âme et de chair qui constitue l’être d’un peuple. Les mœurs nouvelles et les passions de ce peuple qui renversait ses coutumes, les engoûments, les soulèvements, les déchirements et les résistances de l’opinion, à cette époque de bouleversement suprême, ils ont pensé, avec raison, que toutes ces choses sombres et terribles entraient dans le programme de leur histoire.
Il s’agit, au contraire, d’une poignée d’hommes, d’un peuple organisé d’hier, et qui n’en est encore qu’à la première marge de son progrès. […] Évidemment, si nous en croyons son histoire : L’Empereur Soulouque et son Empire 21, il y a, dans l’extravagance cruelle de cette caricature d’empereur et la faculté de tout souffrir de cette caricature de peuple, des choses qui rappellent à leur façon les folies et les furies des vieux monstres connus, solennels et sérieux, et la patience ou l’enthousiasme plus incompréhensible encore, du monde qui les acclama. […] Quand on ne croit pas au hasard, aussi bête que les couleuvres africaines adorées par Soulouque et dont d’Alaux se moque avec juste raison, lorsqu’on a le bon sens d’admettre la variété providentielle des fonctions pour tous les peuples, les nègres, qui probablement ont leurs origines comme les autres races, semblent avoir été mis particulièrement dans le monde pour montrer combien est pesant aux créatures humaines le fardeau de la liberté.
La peinture qu’il fait du duc de Bourgogne fera éternellement désirer aux peuples d’avoir un maître qui lui ressemble. […] Cet orateur, si connu par son éloquence, tantôt persuasive et douce, tantôt forte et imposante, qui développait si bien les faiblesses de l’homme et les devoirs des rois, et qui, à la cour d’un jeune prince, parlant au nom des peuples comme au nom de Dieu, fut digne également de servir à tous d’interprète ; cet orateur, qui sut peindre les vertus avec tant de charmes, et traça de la manière la plus touchante le code de la bienfaisance et de l’humanité pour les grands, n’a pas, à beaucoup près, le même caractère dans ses éloges funèbres. […] Au reste, ce défaut tient peut-être à un mérite de l’ouvrage, mérite d’autant plus estimable, qu’il ne se trouve dans aucune oraison funèbre, ni avant, ni après Massillon, et qu’il s’agissait d’un roi et de Louis XIV ; c’est que l’orateur y parle assez ouvertement des faiblesses et des vices de celui qu’il est chargé de louer ; et ne dissimule point que ce règne si brillant pour le prince a été souvent malheureux pour le peuple.
Lorsqu’il n’y avait plus de peuple héroïque, il se forma encore par la réflexion et la science des âmes invincibles à la douleur et au plaisir. […] Mais il est beau de voir, même sous la conquête macédonienne, ce qui restait de dignité morale à la philosophie, et quel langage elle savait prendre, entre la servitude du peuple civilisé et les apothéoses que se décernaient les généraux grecs conquérants des barbares. […] Après quelques années d’une soumission assez douce et d’un loisir encore illustré par les arts, sous la domination de Démétrius de Phalère, ce Périclès dégénéré comme le peuple qu’il gouvernait, Athènes, en se croyant délivrée, tomba dans les dernières bassesses de la servitude.
Puis, le livre paru, le critique montait en chaire et expliquait au peuple l’évangile nouveau. […] Or, partout où il est resté catholique, le peuple est resté païen. […] Il n’y a pas pour le peuple le grand philosophe, le grand savant, il y a le grand homme. […] Les récréations mises à la portée du peuple sont nulles, coûteuses ou dangereuses. […] A l’inverse le peuple dit une omnibus, parce que le mot a une terminaison féminine.
Thiers, celui de Louis Blanc, et les rapports mêmes à la Convention, soit de Jean-Bon, soit de Barère, mais surtout une pièce qui est plus simple, moins officielle et dès lors plus probante, le Journal sommaire de la croisière de la flotte de la République commandée par le contre-amiral Villaret, tenu jour par jour par le représentant du peuple Jean-Bon Saint-André, embarqué sur le vaisseau la Montagne . […] Ainsi notre combat est une victoire, et la plus belle que nous puissions remporter, puisqu’elle assure la subsistance du peuple… » Ce n’était une victoire que dans ce sens-là : autrement la défaite, bien que des plus disputées, était trop réelle ; mais il s’agissait de maintenir le moral de la nation à la hauteur nécessaire. — Dans la Réponse qu’il fit à la dénonciation venue de Brest en mai 1795, et où on l’accusait d’en avoir imposé à la France dans son Rapport sur le combat du 13 prairial, Jean-Bon n’opposait sur ce point que deux mots dignes et nets qui sentent l’homme vrai, sûr de lui-même ; on ne devrait pas omettre non plus cette partie de la Réponse dans les pièces du procès. — Le petit recueil que nous réclamons, avec un résumé sensé et simple, sans exagération ni faveur, aurait pour avantage, toutes dépositions entendues, de clore le débat sur une question déjà bien avancée ; le fait de la glorieuse bataille du 1er juin et de la part honorable qu’y prit Jean-Bon se présenterait désormais aussi entouré d’explications et aussi appuyé de témoignages qu’un fait de guerre peut l’être32. […] Nous traversâmes toute la ville de Smyrne au milieu d’une foule immense de peuple, qui ne se permit aucune espèce d’injures ni d’apostrophes contre nous. […] L’aga du lieu s’en mêle et les pressure ouvertement ; à son exemple, les insultes du peuple, les outrages et les menaces recommencent. […] L’exécution de ces grands travaux est aussi nécessaire à l’intérêt de mes peuples qu’à ma propre satisfaction… Les fonds ne manquent pas ; mais il me semble que tout cela marche lentement, et cependant les années se passent.
Sa poésie sera donc une peinture réaliste des choses extérieures qui sont situées dans le cercle de son expérience : les sensations qu’il rendra seront celles d’un bourgeois de Paris, à qui Paris est familier dès l’enfance, avec ses rues, son Palais, ses Eglises, ses bruits, son peuple, ses modes, toutes les particularités de sa physionomie et de sa vie. […] Boileau n’en doute pas, et n’estime pas que certaines formes littéraires soient liées à certains états de civilisation, ni que l’idéal poétique puisse être relatif et variable selon le génie des peuples. […] Le consentement universel est signe pour lui de vérité : si trente siècles et dix peuples ont adoré Homère, c’est que ces siècles, ces peuples ont reconnu la nature dans Homère ; et il y a chance qu’elle y soit, si tant d’individus si différents de mœurs et de goût l’y ont vue. […] Il n’a pas vu que la source vive, inépuisable, où s’alimente la comédie, toute la comédie, même la plus haute, c’était la farce populaire, et non la plaisanterie moderne : de là sa rigueur contre Molière, qu’il trouve trop peuple, entendez trop chaud, trop franc, trop grossièrement vivant.
Si la chose est extremement particuliere, il se nomme talent ; s’il a plus de rapport à un certain plaisir délicat des gens du monde, il se nomme goût ; si la chose particuliere est unique chez un peuple, le talent se nomme esprit, comme l’art de la guerre & l’Agriculture chez les Romains, la Chasse chez les sauvages, &c. […] Enfin il nous fait voir le grand caractere d’Annibal, la situation de l’univers, & toute la grandeur du peuple romain, lorsqu’il dit : « Annibal fugitif cherchoit au peuple romain un ennemi par tout l’univers » ; qui profugus ex Africâ, hostem populo romano toto orbe quaerebat. […] Et par les mêmes paroles qui marquent la destruction de ce peuple, il fait voir la grandeur de son courage & de son opiniâtreté. […] Le bas est le sublime du peuple, qui aime à voir une chose faite pour lui & qui est à sa portée.
On pourrait diviser les chansons de Béranger en quatre ou cinq branches : 1º L’ancienne chanson, telle qu’on la trouve avant lui chez les Collé, les Panard, les Désaugiers, la chanson gaie, bachique, épicurienne, le genre grivois, gaillard, égrillard, Le Roi d’Yvetot, La Gaudriole, Frétillon, Madame Grégoire : ce fut par où il débuta. 2º La chanson sentimentale, la romance, Le Bon Vieillard, Le Voyageur, surtout Les Hirondelles ; il a cette veine très fine et très pure par moments. 3º La chanson libérale et patriotique, qui fut et restera sa grande innovation, cette espèce de petite ode dans laquelle il eut l’art de combiner un filet de sa veine sensible avec les sentiments publics dont il se faisait l’organe ; ce genre, qui constitue la pleine originalité de Béranger et comme le milieu de son talent, renferme Le Dieu des bonnes gens, Mon âme, La Bonne Vieille, où l’inspiration sensible donne le ton ; Le Vieux Sergent, Le Vieux Drapeau, La Sainte-Alliance des peuples, etc., où c’est l’accent libéral qui domine. 4º Il y faudrait joindre une branche purement satirique, dans laquelle la veine de sensibilité n’a plus de part, et où il attaque sans réserve, avec malice, avec âcreté et amertume, ses adversaires d’alors, les ministériels, les ventrus, la race de Loyola, le pape en personne et le Vatican ; cette branche comprendrait depuis Le Ventru jusqu’aux Clefs du paradis. 5º Enfin une branche supérieure que Béranger n’a produite que dans les dernières années, et qui a été un dernier effort et comme une dernière greffe de ce talent savant, délicat et laborieux, c’est la chanson-ballade, purement poétique et philosophique, comme Les Bohémiens, ou ayant déjà une légère teinte de socialisme, comme Les Contrebandiers, Le Vieux Vagabond. […] J’y verrais le texte de tout un commentaire moral à l’adresse de ceux qui se font une idole de la popularité, et qui s’en montrent les grands prêtres obéissants, fussent-ils d’ailleurs les plus honnêtes gens du monde, et s’appelassent-ils Béranger ou La Fayette : « Ainsi, leur dirait-on, vous poussez sans cesse à ce dont vous ne voulez pas en définitive, ou à ce que vous ne voulez que très peu. » « Le peuple, c’est ma muse », a dit Béranger. Mais il a pris trop souvent, ce me semble, le mot peuple dans un sens étroit, il l’a pris dans un sens qui est celui de l’opposition et du combat des classes ; il s’est vanté d’être du peuple quand il suffisait de ne pas se vanter du contraire. […] Il dira de son ami Manuel, dans un vers compact et un peu dur : Bras, tête et cœur, tout était peuple en lui.
Après avoir dégagé la question des ambiguïtés et des arguties dont quelques orateurs l’avaient enveloppée, il arrivait au fond, il entrait dans le vif, et, acceptant le défi dans toute son étendue, il opposait doctrine à doctrine ; à celle de la Sainte-Alliance, qui met le droit tout entier du côté de la royauté, il opposa celle qui le met du côté de la justice toujours, et souvent du côté des peuples : Hé quoi ! […] le pouvoir de donner aux peuples des institutions politiques, de les détruire ou de les refuser, réside exclusivement et perpétuellement dans les rois ! […] — Le roi d’Espagne, rentrant dans ses États après cinq ans d’exil, s’empare du pouvoir absolu et soumet au joug le plus humiliant le peuple qui a délivré l’Europe ; il fait bien ; nulle voix, parmi les souverains, ne s’élève pour le contredire ; il reçoit même, de toutes parts, des félicitations et des éloges ! […] Autant qu’un autre, je sais que, surtout à l’issue des grandes commotions politiques, la prudence conseille de n’en pas frapper incessamment l’oreille des peuples, et de le laisser enseveli sous un voile que la nécessité seule ait le droit de soulever. […] Les plus beaux souvenirs de la race humaine se rattachent à ces époques glorieuses où les peuples qui ont civilisé le monde, et qui n’ont point consenti de passer sur cette terre en s’ignorant eux-mêmes, et comme des instruments inertes entre les mains de la Providence, ont brisé leurs fers, attesté leur grandeur morale, et laissé à la postérité de magnifiques exemples de liberté et de vertu.
Mademoiselle eut de grandes satisfactions d’amour-propre durant ce séjour : « Le peuple de Paris, dit-elle, m’a toujours beaucoup aimée, parce que j’y suis née et que j’y ai été nourrie : cela leur a donné un respect pour moi et une inclination plus grande que celle qu’ils ont ordinairement pour les personnes de ma qualité. » Il résultait de cette exception des Parisiens en sa faveur qu’on laissa partir ses équipages pour Saint-Germain, et que, tandis que la reine et le roi manquaient de tout, elle avait tout ce qui lui plaisait, et qu’elle ne manquait de rien. […] Impatiente des pourparlers qui se prolongeaient, Mademoiselle se promenait devant les remparts, excitant les gens du dedans par ses gestes et ses paroles ; puis, voyant qu’il fallait plus compter sur le menu peuple que sur les gros bourgeois, elle se jeta dans une barque que des bateliers lui offraient, fit rompre une porte mal gardée qui donnait sur le quai, et par laquelle on ne l’attendait pas : quand il y eut deux planches rompues, on la passa par le trou, et la voilà introduite, de loin suivie par ses dames qui prirent le même chemin, portée en triomphe par le peuple, et en un clin d’œil maîtresse de la place : Car, lorsque des personnes de ma qualité sont dans un lieu, dit-elle au gouverneur et à l’échevinage un peu étonnés, elles y sont les maîtresses, et avec assez de justice : je la dois être en celui-ci, puisqu’il est à Monsieur. — Ils me firent leurs compliments, assez effrayés… Arrivée à mon logis, je reçus les harangues de tous les corps et les honneurs qui m’étaient dus, comme en un autre temps. […] Quand elle revint peu après à Paris, tout le peuple sortit à sa rencontre ; elle était l’héroïne du moment. […] Deux jours après (4 juillet), lors du massacre de l’Hôtel de ville, par lequel le prince de Condé paya si tristement sa bienvenue aux Parisiens, et que Gaston, selon son habitude, favorisa au moins par son inaction, Mademoiselle s’offrit à aller sauver ceux qu’on massacrait et à mettre le holà parmi le peuple.