Il est piquant de lire, à la fin du volume d’Élégies de Ramond, l’approbation délivrée par le magistrat suisse d’Yverdon, et qui est dans ces termes laconiques, à demi tudesques : « Permis d’imprimer les Élégies ci-devant. » Singulier passeport pour Paris ! […] Ramond s’est permis d’ajouter aux descriptions du voyageur anglais forme plus d’un tiers de l’ouvrage, et n’en est sûrement pas la partie la moins intéressante. » Coxe avait voyagé en homme riche et qui s’arrête a mi-côte ; Ramond, svelte, allègre et dispos, en piéton et en homme dont ces sortes de fatigues font le bonheur. […] En parlant de la célèbre abbaye de Notre-Dame-des-Ermites ou d’Einsielden, dans le canton de Schwitz, William Coxe, ministre et chapelain anglican, s’était permis bien des ironies sur les pèlerins et leur dévotion qu’il appelait superstitieuse : ici Ramond prend à son tour la liberté d’abréger, dans sa traduction, ces sarcasmes trop faciles, et il exprime pour son compte un tout autre sentiment : Je l’avoue, dit-il, l’aspect de ce monastère m’a ému ; sa situation au milieu d’une vallée sauvage a quelque chose de frappant ; son architecture est belle, et son plan est exécuté sur de grandes proportions ; rien de plus majestueux que les degrés qui s’élèvent à la plate-forme de l’édifice et qui la préparent de loin par une montée insensible… Il est impossible d’entrer dans cette chapelle dont le pavé est jonché de pécheurs prosternés, méditant dans un respectueux silence et pénétrés du bonheur d’être enfin parvenus à ce terme de leurs désirs, à ce but de leur voyage, sans éprouver un sentiment de respect et de terreur.
Tandis qu’un peintre comme Saint-Simon commande l’opinion du lecteur par ses tableaux et ne laisse pas toujours de liberté au jugement, un narrateur plat, mais véridique et sans projet comme Dangeau, permet à cette impression du lecteur de naître, de se fortifier et de parler quelquefois aussi énergiquement toute seule qu’elle le ferait à la suite d’un plus éloquent. […] Quoique la maison que le marquis de Dangeau avait établie fût originairement et particulièrement destinée à des élèves chevaliers, il avait permis qu’on y admît d’autres enfants dont les parents payaient la pension, ne fût-ce que pour exciter l’émulation commune. […] Et d’ailleurs, dans ce genre de statistique et de chronique, si l’auteur se permet de choisir et d’élaguer une fois à son gré, il n’y a plus de garantie.
C’est ainsi que dans une peinture large et libre où on lui permettrait bien des tons, il trouve moyen d’en assembler d’impossibles à concilier et qui se heurtent. « Il a du génie, mais point de jugement », disait de lui Tallemant des Réaux, singulièrement d’accord en ceci avec Boileau. […] C’est tout ce que l’on peut permettre à une personne malade, de conter son mal : on la soulage en l’écoutant avec un peu d’attention ; mais cette complaisance que l’on a pour son infirmité n’est pas une excuse pour elle, principalement si elle fait un trop grand détail. […] Il obtint de sa libéralité titre de gentilhomme et pension (pension d’ailleurs assez inexactement payée), il l’alla visiter en Pologne, en un mot il s’était donné à elle, selon l’expression d’alors, et autant que le lui permettaient les autres prodigalités qu’il faisait de sa personne.
Rousseau, dans le récit qui nous occupe, s’est attaché à montrer, durant une belle nuit d’été, le premier homme qui s’avisa de philosopher et de réfléchir, et il a prêté à cette philosophie naissante tout le charme, au contraire, de l’admiration et de la foi, toute l’ivresse d’un premier ravissement : Ce fut durant une belle nuit d’été que le premier homme qui tenta de philosopher, livré à une profonde et délicieuse rêverie et guidé par cet enthousiasme involontaire qui transporte quelquefois l’âme hors de sa demeure et lui fait, pour ainsi dire, embrasser tout l’univers, osa élever ses réflexions jusqu’au sanctuaire de la nature et pénétrer, par la pensée, aussi loin qu’il est permis à la sagesse humaine d’atteindre. […] Pour lui, il ne demande au petit nombre d’amis qu’il conserve encore que de l’éclairer sur son état, de lui dire ce qu’il lui est permis ou prescrit de faire : Puis-je me choisir une demeure au loin dans le royaume ? […] Streckeisen-Moultou, qui nous promet de tirer de ses papiers de famille d’autres pièces intéressantes encore concernant Rousseau, a droit à nos remerciments ; qu’il me permette cependant une critique que je ne puis passer sous silence, et qui peut être utile pour l’avenir.
Par de telles pages claires et irréfragables, une nouvelle science est constituée qu’il n’est plus permis à l’historien ni à l’homme d’étude de négliger et de méconnaître. […] Qu’on veuille songer à ce qu’on doit de reconnaissance à celui qui, dans une publication continue de vingt années, nous a initiés à ce degré, tous tant que nous sommes, à l’esprit et au détail politique, administratif, militaire, de la plus grande époque et la plus invoquée dans les entretiens de chaque jour ; qui, sans que nous soyons hommes d’État ni politiques de métier, nous a fait assister, par le dépouillement des pièces les plus secrètes et les plus sûres, aux conseils et aux débats diplomatiques d’où sont sorties les destinées de l’Europe et de la France pendant l’ère la plus mémorable ; qui, sans que nous soyons financiers, nous permet, avec un peu d’attention, de nous rendre compte des belles et simples créations modernes en ce genre ; sans que nous soyons administrateurs, nous montre par le dedans ce que c’est que le mécanisme et les rouages de tout cet ordre civil et social où nous vivons ; sans que nous soyons militaires, nous fait comprendre la série des mouvements les mieux combinés, et par où ils ont réussi, et par où ils ont échoué en venant se briser à des causes morales et générales plus fortes. […] Et si l’on en vient au style tant discuté, tant contesté, qu’on me permette d’y revenir encore moi-même dans un dernier mot.
La stabilité et la tradition permettaient à ces utiles existences, dénuées d’avancement, de se continuer et de se transmettre, en quelque sorte, dans la même famille : on tenait le fil, on avait le secret des affaires et le chiffre ; on se le passait de la main à la main. […] Une autre catégorie moins obscure, moins confinée, et qui mériterait aussi son esquisse, à côté et tout près du ministre plénipotentiaire, c’est le secrétaire d’ambassade : à celui-ci l’ambition est permise, la porte des hauts emplois est entr’ouverte, il est sur le seuil : mais que de précautions encore ! […] Il est vrai qu’une fois maître et arbitre de la situation en Allemagne, le vainqueur d’Austerlitz ne dut pas être fâché d’une infraction qui lui permettait de faire vaquer un trône en Italie.
Quinet, mais à toute une classe d’esprits élevés que je m’adresse), est-il donc permis de s’écrier : « à Napoléon la démocratie ; Napoléon, c’est le peuple ! […] Le désordre des assonances dans l’ode de Malherbe convient au trouble réel de la poésie lyrique ; mais le vers épique doit avoir une tout autre constitution ; il doit pouvoir atteindre à tous les effets du dithyrambe sans se permettre aucun trouble apparent ; il faut qu’il ressemble à ces héros qui ne portent jamais sur leurs visages la marque des combats intérieurs. » La distinction est bien ingénieusement exprimée ; mais il m’est impossible de voir dans l’ode de Malherbe autre chose qu’un ordre majestueux et harmonieux, un concours d’avance réglé de justes consonnances. […] Il est permis de douter de cette assertion si absolue ; mais assurément elle peut s’appliquer au Napoléon de M.
Comment peut-elle se donner toute l’importance qui lui est permise et que plusieurs lui contestent ? […] Il y avait jouissance de société, il y avait caractère public et sérieux hommage : un prélat mort, un homme d’État considérable qui le remplaçait, et qu’on nous permette d’ajouter, un homme aimable. […] Ce tact, cette justesse délicate qu’il n’a cessé de garder sur des scènes plus passionnées, ne pouvait lui manquer au sein de l’Académie, où il est permis d’en faire preuve à loisir.
Le nombre des actions permises s’est restreint comme le nombre des mots autorisés. […] Nombre d’actions et des plus nécessaires, toutes celles qui sont brusques, fortes et crues, sont contraires aux égards qu’un homme bien élevé doit aux autres, ou du moins aux égards qu’il se doit à lui-même Ils ne se les permettent pas ; ils ne songent pas à se les permettre, et, plus ils sont haut placés, plus ils sont bridés par leur rang.
nous ne possédons pas l’organe intellectuel, nous n’avons même pas apparemment le rudiment de cet organe, qui nous permettrait de passer par le raisonnement d’un phénomène à l’autre. […] Si notre intelligence et nos sens étaient assez perfectionnés, assez vigoureux, assez illuminés, pour nous permettre de voir et de sentir les molécules mêmes du cerveau ; si nous pouvions suivre tous les mouvements, tous les groupements, toutes les décharges, électriques, si elles existent, de ces molécules ; si nous connaissions parfaitement les états moléculaires qui correspondent à tel ou tel état de pensée ou de sentiment, nous serions encore aussi loin que jamais de la solution de ce problème : Quel est le lien entre cet état physique et les faits de la conscience ? […] Un examen plus approfondi a permis de reconnaître que cette conception de différents agents spécifiques hétérogènes n’a au fond qu’une seule et unique raison : c’est que la perception de ces divers ordres de phénomènes s’opère en général par des organes différents, et qu’en s’adressant plus particulièrement à chacun de nos sens ils excitent nécessairement des sensations spéciales.
Ainsi, l’ambition des petites choses, qui nous est seule permise, nous aide à comprendre, par une courte réflexion, l’ambition des grandes. […] « Ce que contiennent les Maximes, dit-il, n’est autre chose que l’abrégé d’une morale conforme aux pensées de plusieurs Pères de l’Église, et l’auteur a pensé qu’il lui était permis de parler de l’homme comme les Pères en ont parlé. » Et il ajoute : « L’auteur de ces réflexions n’a considéré les hommes que dans cet état déplorable de la nature corrompue par le péché. » Il n’y a pas, en effet, dans les Maximes, un soupçon ni une insinuation contre la nature humaine qu’on ne trouve non seulement dans les Pères, mais dans les grands prédicateurs du temps. […] A ne regarder que les circonstances principales, une noblesse abattue par Richelieu, et qui se relève à la faveur d’une régence ; un premier prince du sang qui veut régner comme Richelieu, ne comprenant pas que ce qui est possible à un évêque, séparé du trône par un abîme, ne l’est pas à un prince du sang, qui peut être tenté d’y monter ; des grandes dames excitant la guerre civile pour éloigner leurs maris ; de jeunes seigneurs qui s’y jettent par galanterie, et qui prennent pour drapeau l’écharpe d’une maîtresse ; un Parlement étourdi de sa puissance, et défendant l’ordre par la sédition ; des princes de l’Eglise organisant l’émeute armée, comme la dernière sorte de guerre que leur permettent les mœurs ; à ne regarder, dis-je, la Fronde que par ce côté extérieur et local, cette longue échauffourée n’est qu’un événement particulier.
Avant même de considérer quel est le sujet de ce roman, qu’il me soit permis de féliciter l’auteur de cette pensée honorable, qui lui a fait demander tout d’abord au travail et à l’étude une consolation. […] Je dirai, avant tout, qu’autant je trouverais inconvenant et irréfléchi qu’un romancier mît le pied dans Port-Royal, ce lieu de vérité et de sérieuse grandeur, autant il lui est permis peut-être de se glisser dans la maison de Toulouse qui s’intitulait la congrégation des Filles de l’Enfance, et qui n’offre pas les mêmes caractères de vertu et d’austérité. […] Arnauld bénisse à Utrecht le mariage de Mlle de Prohenques, cette fille de l’Enfance qui s’était enfuie par escalade, quand je lis dans un écrit d’Arnauld lui-même qu’il ne parle d’elle que comme d’une fille apostate, et de l’homme qu’elle épouse que comme d’un grand débauché : On voit assez, dit le sévère docteur, que Dieu, qui tire le bien du mal, n’a permis qu’elle soit tombée dans des désordres si scandaleux et dans des contradictions si manifestes, que pour découvrir de plus en plus l’innocence des Filles de l’Enfance, et la malice de leurs adversaires, qui se sont servis du témoignage de cette apostate pour surprendre la religion du roi.
Il est un point de vue pourtant, si un tel mot est permis en présence d’une figure si simple et si vraie, et la plus étrangère à toute attitude solennelle, il est un point de vue qui sera particulièrement le nôtre. […] Elle oublia aussi de lui transmettre ce que les femmes ont si aisément, le désir de plaire et le naissant éveil d’une coquetterie même la plus innocente, ce semble, et la plus permise. […] Elle pensait que quand le roi voulait décidément quelque chose, il n’était pas permis d’y résister, si bon royaliste qu’on fût d’ailleurs.
Celle de Bacon me paraît considérable, et un peu trop réduite ici par notre savant physiologiste : qu’il nous soit donc permis de dire en quelques pages, ou plutôt de répéter après M. de Rémusat22, tout ce qui peut être allégué en faveur de l’illustre auteur de l’Instauratio magna. […] Reid avait dit : « Que l’on nous cite une seule découverte dans la nature qui ait été faite par cette méthode. » Dugald Stewart n’a pas de peine à répondre à ce défi : il cite le système de Copernic, et même celui de Newton, qui ne fut d’abord qu’une hypothèse jusqu’au moment où le calcul lui permit d’en faire une théorie rigoureuse et démontrée. […] Quoi qu’il en soit, on peut se demander jusqu’où doit aller cette justification des hypothèses, et comment on distinguera, en cette matière délicate, ce qui est permis et ce qui est défendu.
Le peintre n’a qu’un instant, et il ne lui est pas plus permis d’embrasser deux instants que deux actions. […] Je permettrai bien à un Persan de porter la main à son front et de s’incliner ; mais voyez le caractère de cet homme incliné ; voyez son respect, son adoration ; voyez la grandeur de sa draperie et de son mouvement. […] Mais si nous avons permis à l’artiste de dépouiller ses figures, n’ayons pas la barbarie de l’asservir à un costume ridicule et gothique.
J’avoue toutefois que s’il fut jamais permis à la peinture d’employer l’allégorie, c’est dans un triomphe de la justice, personnage allégorique, à moins qu’on ne poussât la sévérité jusqu’à proscrire ces sortes de sujets, sévérité qui achèverait de restreindre les bornes de l’art, qui ne sont déjà que trop étroites, de nous priver d’une infinité de belles compositions à faire, et d’écarter nos yeux d’une multitude d’autres qui sont sorties de la main des plus grands maîtres. […] Voilà-t-il pas que je me rappelle ce portrait de Bridan ; il y a une extrême vérité et des détails qui ne permettent pas de douter de la ressemblance ; mais j’oserai demander si c’est là de la chair ; et pour vous montrer combien je suis de bonne foi, c’est que si l’on me soutient qu’il y a de la finesse dans la tête de la dormeuse, et que la tête du vieillard est d’un beau faire, d’un bon caractère, barbe légère et mieux coloriée qu’il ne lui appartient, je ne disputerai pas. […] Si cette esquisse m’appartenait, je ne permettrais jamais à l’artiste de l’achever.
L’expérience avait pourtant prouvé tous les dangers de cette méthode qui, en permettant de construire arbitrairement les systèmes que l’on discute, permet aussi d’en triompher sans peine. […] Il n’en reste pas moins que le champ des variations permises est limité.
Zola, mais à quelques-uns aussi de ses disciples, les vaudevillistes qu’ils étaient, on me permettra de ne revenir ici ni sur le choix de leurs sujets ordinaires, qui appartiennent plutôt au répertoire du Palais-Royal, ni sur leur façon de les traiter, qui ressemble à celle d’un Paul de Kock lugubre et pédant, ni sur leur goût à tous pour la caricature et surtout pour l’équivoque. […] Le tonnerre de Dieu d’un charretier, — si l’on me permet de donner un exemple, — est à peu près l’équivalent du sacrebleu d’un petit bourgeois ; et devers Belleville ou Montmartre, on dit d’un ami qu’il est f… avec le même sentiment de commisération que l’on dit en un autre endroit « qu’il n’en échappera pas. » Et c’est bien plus qu’une distinction de rhétorique, c’est une nuance de psychologie, si l’on considère, après le pouvoir propre, la valeur relative des mots. […] Mais quiconque en ce temps-là se permettait d’y voir et d’y reprendre cette même grossièreté de langage, ou cette même insuffisance et banalité de l’observation, ou ce même manque enfin de sens moral, dont il semble que tout le monde s’aperçoive aujourd’hui, celui-là se faisait, en moins de vingt-quatre heures, une solide réputation d’étroitesse et de timidité d’esprit.
Il est permis, à l’heure qu’il est, de dire son avis sur tout, franchement, vertement, d’inscrire ses restrictions incisives au piédestal de certaines idoles, de siffler des vers fescennins autour de chaque petit ou grand triomphateur ; cela est permis sans soulever contre soi dans la haute compagnie intellectuelle des amas de scandale et d’anathèmes.