Le comte de Loss, envoyé de Saxe à Paris, à qui ces bonnes idées vinrent coup sur coup, ne perdit pas un instant pour les produire, et à peine l’agrément obtenu de sa Cour, il en parla au marquis d’Argenson, notre ministre des Affaires étrangères. […] Dans une histoire sommaire des grandes guerres, venu entre le prince Eugène et le grand Frédéric, il est un peu perdu, il n’est pas à leur niveau ; au plus sera-t-il nommé et mentionné comme un jalon intermédiaire18. […] En un mot, le comte Vitzthum ne laisse rien perdre de l’influence manifeste ou secrète du maréchal de Saxe ; mais certainement il exagère, au moins dans l’expression, lorsqu’il semble donner à entendre que Maurice, dans ces circonstances et dans les mois qui suivirent, parla en maître, que la paix et la guerre dépendaient de lui, qu’il gouvernait à cette heure la France, qu’il fit son coup d’État (les mots y sont). […] Soit dit entre nous, cette patente l’a satisfait et a réparé sa réputation qu’il croyait perdue.
Il avait à peine dix-huit ans, et il courait risque, ainsi livré à lui-même dans les hasards de Paris, de se dissiper et de tourner aux habitudes légères, si son oncle l’oratorien, qui ne le perdait pas de vue, n’avait trouvé le moyen de le dépayser brusquement en le faisant attacher au comte de Merle, nommé depuis quelques années ambassadeur en Portugal et qui partait seulement alors (janvier 1759) pour sa destination. […] Il vit comment se perdent les batailles et le revers des défaites comme des victoires. […] Le morose abbé de Mably, qui voyait tout en noir et ne pouvait surtout rien approuver dans un ministre, ne voulut jamais croire à l’heureuse solution de cette affaire qui avait eu, à l’origine, le caractère d’une machination, et il disait de son ton bourru à Malouet : « Monsieur, je me connais un peu mieux que vous en hommes et en ministres, attendu que je vous ai précédé dans le monde d’une quarantaine d’années ; je vous annonce donc nettement qu’avant deux ans vous êtes un homme perdu. » Malouet, loin de se perdre, sortit de là apprécié et prisé à sa vraie valeur.
Nous ne le perdons pourtant point de vue encore ; mais, à travers cette vue, il est simple que le souvenir du passé tienne une grande place. […] Du Fossé, voulant peindre dans le grand Arnauld cette colère de lion pour la vérité qui s’unissait en son cœur avec la douceur de l’agneau, nous dit naïvement : « L’exemple seul de Moïse, que Dieu appelle le plus doux de tous les hommes, quoiqu’il eût tué un Égyptien pour défendre un de ses frères, brisé par une juste colère les Tables de la Loi, et fait passer au fil de l’épée vingt-trois mille hommes pour punir l’idolâtrie de son peuple, fait bien voir qu’on peut allier ensemble la douceur d’une charité sincère envers le prochain avec un zèle plein d’ardeur pour les intérêts de Dieu. » En ne prenant les vingt-trois mille hommes et l’Égyptien tués qu’en manière de figure, comme il convient dans ce qui est de l’ancienne Loi, et en rapportant à l’abbé de La Mennais cette phrase de Du Fossé sur le grand Arnauld, je me rappelais bien que lui-même avait condamné ce dernier, et qu’il avait écrit de lui en le comparant à Tertullien : « Et Tertullien aussi avait des vertus ; il se perdit néanmoins parce qu’il manqua de la plus nécessaire de toutes, d’humilité. […] Le talent, ce don, cet instrument un peu particulier et qui ne suit pas nécessairement la loi de la vérité intérieure, a gagné chez M. de La Mennais en souplesse, en variété, en grâce et en coloris, sans perdre en force, à mesure que sa rigueur de foi a été davantage ébranlée. […] On prendrait, d’après notre sèche discussion, une idée bien inexacte du dernier livre de M. de La Mennais, si l’on ne s’attendait pas cependant à y trouver un vrai charme de récit, et, sauf le deuil de la foi perdue, auquel peu de lecteurs seront sensibles, bien des richesses d’une grande âme restée naïve, La gaieté elle-même n’en est pas absente : je n’en veux pour preuve que cette page légère où se jouent toutes les grâces d’ironie d’une plume laïque et mondaine.
C’est ainsi qu’au sein de chaque sujet, de chaque situation donnée, il a opéré avec une sorte de détermination certaine et suivie, qui ne perdait aucun de ses coups. […] La pointe hardie de Télésinus sur Rome, sa victoire tout d’un coup arrachée, Sylla qui se croit perdu et qui est vainqueur par l’aile opposée, ces jeux sanglants, bizarres, du courage et du destin, fournissent un chapitre d’une haute beauté. […] On sent qu’à moins de quelque intervention qui rompe le charme, le voilà enlacé, tôt ou tard perdu ; il a le pied dans le cercle de l’enchanteur. […] Elle se compare dans sa plainte au rossignol qui a perdu ses petits ; elle s’écrie à qui la veut consoler : « Insensé qui peut oublier ses parents morts de la male mort !
Et l’auteur lui-même ne perd pas son temps à s’attendrir ; ou, quand il le fait, cela sonne un peu faux. […] Il est le seul qui, depuis Lamartine et Hugo, ait composé des odes dignes de ce nom et qui n’ait pas perdu haleine avant la fin ; et en même temps ce rhétoricien a su écrire de merveilleuses chansons assonancées et qui ressemblent, à force d’art, à des chansons populaires. […] Or il arrive souvent que l’écrivain y gagne ; mais il y perd aussi quelquefois. […] Richepin y perd.
De murmurer contre elle et de perdre patience, il est mal à propos, et les orthodoxes sont vraiment plaisants dans leurs colères contre les libres penseurs, comme s’il avait dépendu d’eux de se développer autrement, comme si l’on était maître de croire ce que l’on veut. […] Laissons les âmes vulgaires crier avec Mika, ayant perdu ses idoles : « J’ai perdu mes dieux ! J’ai perdu mes dieux !
Pline ne perdait pas un instant : levé avant le jour, il trouvait du temps la nuit pour ses travaux de prédilection ; c’est là ce qu’il appelait ses moments de loisir. […] Votre interruption nous a fait perdre dix lignes. » Il regardait comme perdu tout le temps qui n’était pas donné à l’étude. […] Il faut voir comme il parle de ses affranchis, des gens de sa maison, comme il les soigne en père de famille quand ils sont malades, comme il les pleure quand il les perd !
Fils unique, il avait, bien jeune, perdu sa mère : son père lui en tint lieu, surveilla son enfance et suivit ses études avec une sollicitude éclairée. […] Droz contribuent à séculariser le christianisme, et, en ce sens, leur action n’est pas perdue, leur influence se fait sentir à la longue. […] Droz s’accuse plus fermement ici qu’elle n’avait accoutumé de faire jusqu’alors ; elle atteint parfois à l’énergie : « On croyait, dit-il de Mme de Pompadour, que cette femme, en perdant ses charmes, perdrait aussi la puissance ; mais Mme de Pompadour vieillie était encore nécessaire à Louis XV : elle le dispensait de régner. » Le chancelier Maupeou est peint dans un portrait vigoureux et spirituel. […] [NdA] La Décade avait perdu son titre à cette date et s’intitulait La Revue philosophique, littéraire et politique.
C’est ce groupe qui triompha en 1814 lorsque Louis XVIII donna la Charte, et qui ne perdit point espérance tant que le monarque put et sut s’y maintenir. […] Il suffit que le soldat se trouve en présence d’armées royalistes à combattre, pour qu’il perde toute velléité d’être royaliste lui-même. […] On perdra des milliards à se faire battre, mais pas un écu pour se sauver. […] Il y dressa aussitôt sa batterie de guerre, son Mercure britannique, publication destinée à combattre avec suite, et par des tableaux mêlés de discussions, la politique du Directoire : « L’expérience est perdue, disait Mallet, si on ne la grave pas au moment même par des écrits qui en fixent l’impression. » La passion déclarée et le parti pris de l’attaque n’empêchent point dans ce Mercure la sagacité et, jusqu’à un certain point, l’impartialité des jugements.
» Le malheur voulut que Patru, à son retour, dix-huit mois après environ, trouvât d’Urfé mort, et la clef de toutes ces belles aventures romanesques fut à jamais perdue pour nous. […] Exprimant la douleur de l’Académie, qui, au moment où il lui est donné de contempler cette divine princesse, sent qu’elle va perdre, et peut-être pour jamais, son adorable présence : « Cependant, madame, ajoute en finissant l’orateur, votre tableau nous consolera si rien nous peut consoler dans notre infortune. […] Patru se leva, et fit cet apologue : Messieurs, dit-il, un ancien Grec avait une lyre admirable ; il s’y rompit une corde ; au lieu d’en remettre une de boyau, il en voulut une d’argent, et la lyre, avec sa corde d’argent, perdit son harmonie. […] Je m’en suis ouvert au Rapin et au Bouhours, qui s’y jettent à corps perdu.
Ce qui est bien certain, du moins, c’est que la reine Marguerite n’y avait rien perdu des délicatesses de son esprit, puisque c’est là qu’elle entreprit d’écrire, en quelques après-dînées, ses mémoires pour venir en aide au récit de Brantôme, et le rectifier en quelques points. […] Quand elle avait commencé de lire un livre, si long qu’il fût, elle ne laissait ni ne s’arrêtait jamais jusqu’à ce qu’elle en eût vu la fin ; « et bien souvent en perdait le manger et le dormir ». […] » ce sont là les expressions les plus communes et les plus terre-à-terre ; le reste monte et s’élève à proportion, et se perd au plus haut de l’Empyrée. […] Quand la raison d’État eut déterminé Henri IV à se démarier, à rompre une union qui n’avait pas été seulement scandaleuse, mais stérile, Marguerite s’y prêta sans résistance, et en paraissant toutefois sentir ce qu’elle perdait.
Il n’a jamais perdu ce contact ; d’où l’étincelle et le feu du tragique. […] (Le lecteur se souvient que j’ai renoncé à doser ce que le diable perd, ou ne perd pas, dans cette affaire.) […] Perd-il sa vie ? […] Quand on perd la faveur, il ne faut pas essayer de la mériter : peine inutile ! […] Et comme je vous ferais racheter le temps perdu !
On ne doit pas conclure de cet exemple, que jamais (…) ait signifié en latin perdre, ni later tems ou peine. […] la tête lui a tourné, c’est-à-dire, qu’il a perdu le bon sens, la présence d’esprit. […] Si nous vous perdions, dit Virgile, etc. ? […] Où est ce scélérat qui m’a perdu ? […] On doit éviter les jeux de mots qui sont vides de sens : mais quand le sens subsiste indépendament du jeu de mots, ils ne perdent rien de leur mérite.
Ils y perdraient ; ils payeraient plus d’impôts. » Cela, c’est leur affaire ; ce serait à eux de juger si le contentement de faire librement partie d’une plus grande communauté fraternelle ne compenserait pas quelque accroissement d’obligations et de charges. — On dit enfin : « Cette solution serait grosse de dangers. […] » Cela est fort douteux, car j’imagine que ces provinces-là sont heureuses : mais, en tout cas, qu’aurions-nous à y perdre ?
Deux sortes de peintures : l’une qui plaçant l’œil tout aussi près du tableau qu’il est possible sans le priver de sa faculté de voir distinctement, rend les objets dans tous les détails qu’il aperçoit à cette distance, et rend ces détails avec autant de scrupule que les formes principales, en sorte qu’à mesure que le spectateur s’éloigne du tableau, à mesure il perd de ces détails, jusqu’à ce qu’enfin il arrive à une distance où tout disparaisse ; en sorte qu’en s’approchant de cette distance où tout est confondu, les formes commencent peu à peu à se faire discerner et successivement les détails à se recouvrer, jusqu’à ce que l’œil replacé en son premier et moindre éloignement, il voit dans les objets du tableau les variétés les plus légères et les plus minutieuses. […] Outre ce que le peintre perdrait du côté de la variété des formes et des lumières qui naissent des plis et du chiffonnage des vieux habits, il y a encore une raison qui agit en nous sans que nous nous en apercevions, c’est qu’un habit n’est neuf que pendant quelques jours et qu’il est vieux pendant longtemps, et qu’il faut prendre les choses dans l’état qu’elles ont d’une manière la plus durable.
On sçait l’avanture des habitans d’Abdere qui furent tellement frappez par les images tragiques de l’Andromede d’Euripide, que l’imitation fit sur eux une impression serieuse et de même nature que l’impression que la chose imitée auroit faite elle-même : ils en perdirent le sens pour un tems, comme il pourroit arriver de le perdre à la vûë d’évenemens tragiques à l’excès.
Élevée à Maubuisson, placée ensuite à l’Abbaye-aux-Bois où elle s’ennuyait, Mlle de Châteaubriant, dès ses premiers pas dans le monde de Chantilly, y sentit se développer des instincts de dissipation, de bel esprit et de coquetterie qui désolèrent Lassay avant même qu’il en fût victime : On est trop heureux, lui disait-il, de trouver une seule personne sur qui l’on puisse compter, et vous l’avez trouvée ; vous devez du moins en faire cas par la rareté ; il me semble pourtant que vos lettres commencent à être bien courtes, et qu’elles ressemblent à celles que vous m’écrivez quand vous êtes désaccoutumée de moi ; vous avez un défaut effroyable, c’est que, dès qu’on vous perd de vue, vous oubliez comme une épingle un pauvre homme qui tout le jour n’est occupé que de vous. […] Il lui représentait avec force et douceur les inconvénients de cette versatilité, et il faisait tout pour l’en guérir : « Une honnête personne qui a tant fait que d’aimer et de le dire, ne doit pas imaginer qu’elle puisse jamais cesser d’aimer ; vous ne m’aimez point assez, et, à mesure que mon goût augmente pour vous, il me semble que le vôtre diminue. » Mlle de Châteaubriant paraît avoir été une personne romanesque qui voyait avant tout dans la passion la difficulté à vaincre, et dont la pensée était toujours ailleurs, en avant : Présentement que cet obstacle est levé, lui disait Lassay, vous en imaginerez d’autres… Vous n’aimez qu’à penser et à imaginer… Notre plus grand ennemi est votre esprit… — Il y a, lui disait-il encore en lui faisant voir son caractère à elle comme dans un miroir, il y a une bizarrerie dans votre humeur, à laquelle il est impossible de résister ; je comptais de passer des jours heureux avec une personne qui m’aimait, et que j’aimais plus que ma vie : vous me forcez à perdre cette espérance ; je ne sais plus comme vous êtes faite, mais je sais bien que vous trouvez moyen de faire que c’est un malheur d’aimer et d’être aimé de la personne du monde la plus aimable ; il y a bien de l’art à cela. […] Il l’y montre avec toutes ses grâces dans l’esprit et dans la personne, avec sa douceur charmante dans l’humeur et son soin continuel de plaire, en un mot, le plus aimable des hommes, et tel qu’on voit le Conti de Saint-Simon ; puis il ajoute d’une manière neuve et très judicieusement, au moins selon toute vraisemblance : Mais je suis persuadé qu’il est à la place du monde qui lui convient le mieux, et, s’il en occupe quelque jour une plus considérable, il perdra de sa réputation et diminuera l’opinion qu’on a de lui ; car il est bien éloigné d’avoir les qualités nécessaires pour commander une armée ou pour gouverner un État : il ne connaît ni les hommes ni les affaires, et n’en juge jamais par lui-même ; il n’a point d’opinion qui lui soit propre… ; il ne saisit point la vérité52 ; on lui ôte ses sentiments et ses pensées, et souvent il n’a que celles qu’on lui a données, qu’il s’approprie si bien et qu’il explique avec tant de grâce et de netteté qu’il n’y a que les gens qui ont de bons yeux et qui l’approfondissent avec soin qui n’y soient pas trompés : on peut même dire qu’il les embellit. […] Après des années d’un fidèle attachement, il eut encore la douleur de la perdre, et, à soixante-douze ans, il put se dire une dernière fois avec amertume : Je n’ai plus personne qui m’aime par préférence à tout ce qu’il y a dans le monde et que j’aime de même, à qui je puisse dire tout ce que je pense et les jugements que je fais des personnes et des choses qui se présentent à mes yeux et à mon esprit ; je perds une amie avec qui je passais ma vie.
C’est là tout ce qu’il importe de ne point laisser perdre, ce qu’il faut ne point souffrir qu’on altère, — sans avertir du moins et sans s’alarmer comme dans un péril commun. […] J’y ai bien souvent rêvé, messieurs, et je me suis demandé, sous toutes les formes et en prenant quantité d’exemples particuliers, en me mettant à tous les points de vue ce qu’il en aurait été de la destinée moderne littéraire (pour n’envisager que celle-là), si la bataille de Marathon avait été perdue et la Grèce assujettie, asservie, écrasée avant le siècle de Périclès, lors même qu'elle aurait gardé dans son lointain la large et incomparable beauté de ses premiers grands poètes de l’Ionie, — mais sans le foyer réflecteur d’Athènes. […] l’humanité elle-même tout entière aurait pu dire, comme une famille quand elle a perdu celle qui faisait sa joie et son honneur : « La couronne de notre tête est tombée ! […] Il a écrit Werther, mais c’est Werther écrit par quelqu’un qui emporte aux champs son Homère, et qui le retrouvera, même quand son héros l’aura perdu. […] Goethe, sans son goût pour la Grèce qui corrige et fixe son indifférence ou, si l’on aime mieux, sa curiosité universelle, pouvait se perdre dans l’infini, dans l’indéterminé ; de tant de sommets qui lui sont familiers, si l’Olympe n’était encore son sommet de prédilection, où irait-il, — où n’irait-il pas, lui, le plus ouvert des hommes et le plus avancé du côté de l’Orient ?
Il flotte dans une anxiété tragique entre la nécessité de servir les prêtres qui l’ont fait roi et la crainte de perdre sa couronne avec la victoire. […] Saül enfin succombe avec Jonathas, après une bataille perdue contre les ennemis d’Israël, et il se perce de son épée. […] La souveraineté l’enivre, le sang l’allèche, l’amour le corrompt ; mais il ne perd point son génie poétique avec sa vertu ; il est à lui-même son propre barde. […] L’homme le plus capable de le comprendre par l’intuition littéraire et de le transvaser d’une langue dans une autre sans laisser perdre une goutte de cette poésie, c’est parmi nous M. […] Il donne ainsi à sa puissante imagination des coups d’aile qui le font perdre de vue dans l’éther, et qui le transportent d’un sujet à l’autre et d’une image à une autre avec la rapidité et l’éblouissement de l’éclair.