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642. (1772) Éloge de Racine pp. -

Racine n’avait pris Andromaque à personne ; et quand il étala sur la scène des peintures si savantes et si expressives de cette inépuisable passion de l’amour, il ouvrit une source nouvelle et abondante pour la tragédie française. […] Quelle effrayante vérité dans la peinture de ce monstre naissant ! […] Les ames douces et tendres (et c’est le plus grand nombre, car la faiblesse est l’attribut le plus général de l’humanité) préféreront les peintures de l’amour.

643. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — II. (Fin.) » pp. 281-300

Bourdaloue, qui songe sans doute, en décrivant cette forme subtile d’une dévotion orgueilleuse, à diminuer une des victoires et des conquêtes du parti contraire, se tient pourtant selon le point de vue convenable dans une peinture plus large, tout à fait permise et non moins ressemblante. […] Je dis sévère : car il ne faut pas croire que Bourdaloue, en exposant à son auditoire ces portraits fidèlesl, y mêlât de ces nuances, de ces inflexions marquées de débit et d’accent qui en eussent fait des peintures trop agréables et de trop fines satires : il restait lui-même, c’est-à-dire grave, uni en parlant, sérieusement digne ; il n’avait pas de ces tons familiers, insinuants, touchants, que lui demandait Fénelon ; il maintenait le caractère d’enseignement et de précepte, même dans ses censures ; enfin, il lui suffisait d’être frappant, utile et instructif, il n’était pas enchanteur.

644. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — II » pp. 18-34

Les peintures qu’il a retracées de ces jours d’automne et d’hiver, passés au bord de l’océan dans la maison de l’hospitalité, dans cette thébaïde des grèves comme l’appelait un peu ambitieusement La Morvonnais, sont de belles pages qui se placent d’elles-mêmes à côté des meilleures, en ce genre, que nous connaissons. […] Guérin, sans tant y songer, ressemblait mieux aux lakistes en ne visant nullement à les imiter : il n’est point chez eux de sonnet pastoral plus limpide, il n’est point dans les poétiques promenades de Cowper de plus transparent tableau, que la page qu’on vient de lire, dans sa peinture si réelle à la fois et si tendre, si distincte et si émue.

645. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet »

Horace avait des dispositions autres encore que pour la peinture : il aimait d’un amour presque égal le métier de soldat. […] Il était le premier, en d’autres moments, à en convenir : « On me loue de ma facilité, disait-il, mais on ne sait pas que j’ai été douze et quinze nuits sans dormir et en ne pensant à autre chose qu’à ce que je vais faire ; quand je me mets en face de ma toile blanche, mon tableau est achevé ; je le vois. » Et Charlet disait également d’Horace, avec ce tour narquois qui était le sien : « On se figure qu’il est toujours à faire de l’escrime d’une main, de la peinture de l’autre ; on donne du cor par ici, on joue de la savate par là.

646. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Œuvres complètes de Molière »

Il nous montre, dans la vie des comédiens de campagne décrite par Scarron en son fameux Roman, la peinture fidèle de ce que devait être la destinée et la fortune de cette troupe ambulante de Molière ; il se demande s’il n’y a même pas de rapport, de reflet plus direct de l’un de ces groupes comiques à l’autre, et si Scarron, du temps qu’il était au Mans, n’a pas eu l’occasion d’y voir cette troupe de passage des Béjart avec son illustre capitaine. […] Aimer La Fontaine, c’est presque la même chose qu’aimer Molière ; c’est aimer la nature, toute la nature, la peinture naïve de l’humanité, une représentation de la grande comédie « aux cent actes divers », se déroulant, se découpant à nos yeux en mille petites scènes avec des grâces et des nonchalances qui vont si bien au bonhomme, avec des faiblesses aussi et des laisser aller qui ne se rencontrent jamais dans le simple et mâle génie, le maître des maîtres.

647. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

Les peintures de Mme de Gasparin abondent en ces sortes d’expressions vierges49 ; toutes ne paraissent pas également heureuses. […] Lorsque les lèvres de la religieuse s’entrouvrent, elles laissent passer un mot court, une sorte de note monotone, comme le bruit d’une goutte d’eau qui tomberait à intervalles réguliers des parois de quelque grotte humide dans cette flaque qui n’a jamais réfléchi la lumière. » Je ne sais si l’habitude que nous autres catholiques avons des couvents m’abuse, mais il me semble qu’il y a dans cette peinture minutieuse, étonnée et un peu effrayée, de l’émerveillement naïf et un peu d’exagération.

648. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

M. de Chateaubriand, dans ses Mémoires inédits, après une vive peinture de cette même période d’émigration en Angleterre, et des diverses personnes qu’il y rencontra, ajoute : « Mais très-certainement à cette époque Mme la duchesse de Duras, récemment mariée, était à Londres ; je ne devais la connaître que dix ans plus tard. […] Les romans d’Ourika et d’Édouard ne sont donc, selon nous, que l’expression délicate et discrète, une peinture détournée et adoucie pour le monde, de ce je ne sais quoi de plus profond qui fermentait au sein de Mme de Duras.

649. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

Plus de raideur ni de sécheresse : c’est une scène vivante de cabaret picard, une grasse peinture, réjouissante et « canaille ». […] Mais ce sujet s’encadre dans une peinture de mœurs villageoises : déjà les pastourelles artésiennes dans leur forme lyrique y inclinaient.

650. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Henry Rabusson »

Les personnes du monde qui était autrefois le vrai monde sont portées à croire que les peintures qu’on nous fait des mœurs mondaines ne ressemblent pas. […] Il arrive d’ailleurs presque toujours que celui qui nous fait des peintures du monde s’y complaît trop visiblement, se sait bon gré d’être si bien au courant des élégances, prodigue les détails qui nous les révèlent.

651. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Pensées, essais, maximes, et correspondance de M. Joubert. (2 vol.) » pp. 159-178

Sur Pigalle et la statuaire moderne opposée à l’antique, sur la peinture, on aurait, de lui, à citer des pensées du même ordre, des pages entières qui marquent à la fois très nettement en quoi il procède de Diderot et en quoi il s’en sépare. […] Ces portions que j’appelle vraiment belles et inexpugnables, ce sera René, quelques scènes d’Atala, le récit d’Eudore, la peinture de la campagne romaine, de beaux tableaux dans l’Itinéraire ; des pages politiques et surtout polémiques s’y joindront.

652. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

Les deux natures, celle de René et celle de Rousseau, ont un coin malade, trop d’ardeur mêlée à l’inaction et au désœuvrement, une prédominance de l’imagination et de la sensibilité qui se replient sur elles-mêmes et se dévorent ; mais, des deux, Rousseau est le plus vraiment sensible, celui qui est le plus original et le plus sincère dans ses élans chimériques, dans ses regrets, dans ses peintures d’un idéal de félicité permise et perdue. […] Je n’ai pu indiquer qu’en courant dans l’auteur des Confessions les grands côtés par lesquels il demeure un maître, que saluer cette fois le créateur de la rêverie, celui qui nous a inoculé le sentiment de la nature et le sens de la réalité, le père de la littérature intime et de la peinture d’intérieur.

653. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — II. (Fin.) » pp. 246-265

Richelieu reproche à Luynes d’avoir voulu appliquer à la France la politique étroite et tyrannique qui n’est praticable que dans les petites provinces d’Italie, où tous les sujets sont sous la main de celui qu’ils doivent craindre : « Mais il n’en est pas de même de la France, grand et vague pays, séparé de diverses rivières, où il y a des provinces si éloignées du siège du prince. » Dans toute cette peinture, Richelieu nous livre indirectement ses propres pensées, et, en nous représentant ainsi le favori odieux, il est évident qu’il sent combien lui-même il s’en sépare et il en diffère. […] Dans ses peintures morales, et dans l’examen des conditions qu’il exige des hommes appelés à être des conseillers politiques, il avait certainement en vue tel ou tel de ceux qu’il avait connus ; mais ses observations sont si justes et si fortes que, rien qu’à les transcrire ici, il semble encore aujourd’hui qu’on puisse mettre des noms propres au bas des qualités et des défauts : Les plus grands esprits, dit Richelieu, sont plus dangereux qu’utiles au maniement des affaires ; s’ils n’ont beaucoup plus de plomb que de vif-argent, ils ne valent rien pour l’État.

654. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1880 » pp. 100-128

Il se rendait à Rome, où il vendait un tableau 25 francs, gagnait Florence, où il n’était sensible qu’à la peinture des Primitifs, attrapait Milan, où sur les 650 francs qui lui restaient, il était volé de 500 francs, dans son auberge, par des voleurs qu’il qualifie de véritables artistes. […] Puis quand elles sont blondes, les juives, il y a au fond de leur blondeur, comme de l’or de la peinture de la maîtresse du Titien.

655. (1897) Préface sur le vers libre (Premiers poèmes) pp. 3-38

Au cas présent, et pour expliquer combien notre oreille est dissemblable de celle de nos plus proches aînés, notons que la plupart des romantiques et des parnassiens fréquentaient surtout comme art voisin, la peinture ; et la peinture où l’impressionnisme naissait à peine (Turner leur était inconnu) les gardait accoutumés aux contours stricts, et délimités, découpés, presque sculptés.

656. (1767) Salon de 1767 « Adressé à mon ami Mr Grimm » pp. 52-65

Supposez-moi de retour d’un voyage d’Italie, et l’imagination pleine des chefs-d’œuvre que la peinture ancienne a produits dans cette contrée. […] Tel particulier va promener au sallon, son désœuvrement et son ennui qui y prend ou reconnoit en lui le goût de la peinture.

657. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

Aussi sa peinture n’est-elle vraie qu’à la manière des exceptions, et les exceptions ne sont pas sympathiques, parce qu’elles ne sont pas humaines. — Si Lousteau est un vaurien méprisable, et d’Arthez un travailleur que nous respectons infiniment, nous ne sommes pas plus attirés par l’un que par l’autre. […] Je n’ai jamais compris pourquoi on séparait l’expression en littérature de la forme en peinture, en musique, en statuaire.

658. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édelestand du Méril »

J’ai parlé de l’enlevante et amusante peinture de la société et des mœurs chinoises, au premier volume de cette histoire, mais je crois supérieure encore la peinture de la société athénienne après la mort de Socrate, lors de l’invasion chez les Grecs de la Comédie nouvelle, dont Ménandre fut le poète comique, Ménandre, si compromis par les éloges des grammairiens.

659. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

Songeons, pour être justes, en dépit des grossières peintures échappées au chantre délicat du Moineau de Lesbie, que du même foyer est sorti le grand lyrique de Rome, demeuré tel pour le monde moderne. […] Quelques siècles auparavant, Pindare avait dit de Pélée : « Il a vu le cercle magnifique180 où s’étaient assis les rois du ciel et de la mer, faisant apparaître les dons et la puissance qu’ils destinaient à sa race. » Depuis lors, cette image des noces de Thétis et de Pélée avait souvent occupé la peinture comme la poésie : c’était un des thèmes favoris de l’art grec, aussi familier que le voyage des Argonautes, la vengeance de Médée, ou l’abandon d’Ariane.

660. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « SUR ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 497-504

Mais, dans les premières années du règne de Louis XVI, à l’aurore des améliorations lentes tentées par Malesherbes et Turgot, le jeune ami des Trudaine avait conçu un rôle littéraire plus calme, plus recueilli, plus d’accord avec un loisir d’ailleurs assez voluptueux, une régénération de la poésie énervée du xviiie  siècle par l’étude approfondie de l’antique, un embellissement ferme et gracieux de la langue, et une peinture naïve des passions et des faiblesses du cœur dans des cadres nouveaux.

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