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878. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

Il était de Castille et avait nom Rodrigue, — Rodrigue Diaz de Bivar ; on l’avait surnommé le Campéador ou l’homme des combats singuliers, celui qui sortait volontiers des rangs pour défier le plus brave des ennemis à se mesurer avec lui : il avait d’abord, et dès sa jeunesse, acquis ce surnom dans une guerre que don Sanche de Castille avait faite à son cousin don Sanche de Navarre. […] On l’appela aussi, mais plus tard, Mon Cid, Mio Cid, comme d’un nom courant ; ce mot mio était entré dans le nom et en était tellement inséparable qu’on lui fait dire à lui-même dans les chansons, quand il a à se nommer : « Je suis Mon Cid. […] Édélestand du Méril, que l’on rencontre dans toute recherche originale sur le Moyen-Age, est également frappé de l’incohérence et de l’amalgame des idées d’abord si disparates, si peu conformes à la réalité, qui se sont glissées sous le nom et sous le masque presque mythologique du Cid61. […] Les peuples, à défaut d’histoire précise, se font un fantôme d’un certain nom, et ils le brodent, ils l’habillent, ils l’embellissent : c’est un travail où chacun s’évertue et où l’on renchérit à l’envi l’un sur l’autre. […] » On sent, à tous ces noms et surnoms redoublés, tantôt terribles et tantôt caressants, dont on le salue, combien il est cher aux siens, à ces cœurs castillans dont il est l’orgueil.

879. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

A voir le prodigieux travail de ces deux hommes, plus considérables et plus illustres que leur œuvre, mes scrupules se renouvellent sur la rigueur de mon plan, qui me permet à peine une courte mention de deux des noms les plus retentissants du dix-huitième siècle. […] Les jugements sur les époques et sur les principaux noms ne provoquent ni assentiment vif ni contradiction. […] Si d’Alembert est plus considéré, le nom de Diderot est plus en faveur auprès des lettrés auxquels il appartient sans partage. […] Celui de Fénelon ne porterait que son nom. […] La littérature comparée s’était renfermée jusqu’alors dans les trois langues classiques ; il l’étendit aux langues modernes et, par-delà ces langues, aux idiomes primitifs de l’Orient et du Nord, et il forma un idéal nouveau de poésie de toutes les grandes œuvres et de tous les grands noms.

880. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de Pompadour. Mémoires de Mme Du Hausset, sa femme de chambre. (Collection Didot.) » pp. 486-511

Il ne faut pas craindre de nommer les choses et les époques par leur nom ; et le nom sous lequel le xviiie  siècle peut le plus justement se désigner à beaucoup d’égards, pour le goût, pour le genre universellement régnant alors dans les arts du dessin, dans les modes et les usages de la vie, dans la poésie même, n’est-il pas ce nom galant et pomponné qui semblait fait exprès pour la belle marquise et qui rimait si bien avec l’amour ? […] Il restera quelques autres choses encore, et la postérité, ou du moins les amateurs qui aujourd’hui la représentent, semblent accorder à l’influence de Mme de Pompadour, et ranger sous son nom plus d’objets dignes d’attention que Diderot lui-même n’en énumérait. […] Ces volumes sont encore recherchés, et les bibliophiles lui accordent à elle-même une place d’élite sur leur livre d’or, à côté des plus illustres connaisseurs dont les noms se sont conservés. […] » Elle envisagea la mort d’un œil ferme, et, comme le curé de la Madeleine était venu la visiter à Versailles et s’en retournait : « Attendez un moment, monsieur le curé, lui dit-elle, nous nous en irons ensemble. » Mme de Pompadour peut être considérée comme la dernière en date des maîtresses de roi, dignes de ce nom : après elle, il serait impossible de descendre et d’entrer décemment dans l’histoire de la Du Barry.

881. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Mme Thorin (c’était son nom) se joint au poème d’Organt, pour réfuter les historiens complaisants ou crédules qui ont voulu faire du jeune oracle de la Montagne une espèce d’Hippolyte, un modèle de chaste et farouche pudeur59. […] Mais le nom de Saint-Just, même quand il s’y joindrait plus de preuves dans ce genre, ne peut convenablement se rapprocher d’aucun des noms estimés qu’enregistre l’histoire ; il a trop décidément commencé par le crime. […] Biot demande au jeune homme de savoir le nom de celui à qui il a tant d’obligations. — Il lui fut répondu : Saint-Just, — avec l’adresse à un certain hôtel. — Après un mois et plus de maladie, lorsque le convalescent put aller à l’adresse indiquée, Saint-Just n’y était plus, et M.  […] I, p. 136) : Dans ce temps Saint-Just et Lebas, commissaires extraordinaires de la Convention, établirent au quartier général un tribunal qu’ils appelèrent révolutionnaire, mais qui était tel qu’aucun nom ne pourrait le caractériser. […] On envoyait des agents à tous les corps pour engager les soldats à dénoncer leurs chefs ; ces invitations ne produisant aucun effet, on promit des récompenses pécuniaires aux délateurs que l’on cherchait, avec l’assurance de tenir toujours leurs noms cachés.

882. (1913) La Fontaine « III. Éducation de son esprit. Sa philosophie  Sa morale. »

Son nom seul est un mur à l’Empire ottoman : C’est le roi polonais. […] A l’égard de nous autres, hommes, Je ferais notre lot infiniment plus fort ; Nous aurions un double trésor : L’un, cette âme pareille en tous, tant que nous sommes, Sages, fous, enfants, idiots, Hôtes de l’univers, sous le nom d’animaux ; L’autre, encore une autre âme, entre nous et les anges Commune en un certain degré ; Et ce trésor à part créé Suivrait, parmi les airs, les célestes phalanges, Entrerait dans un point sans en être pressé, Ne finirait jamais, quoique ayant commencé. […] Il y a trois grands noms à vous citer ; c’est le nom de Jean-Jacques Rousseau, le nom de Lamartine et le nom de Napoléon Ier.

883. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

Acanthe dit à Clymène : Laissez-moi mon amour, Madame, au nom des dieux. […] Je n’entrerai pas dans les discussions sur l’identification à faire de ces quatre noms. […] Donc on peut supposer Chapelle peut-être, ou plutôt on doit, et c’est ma conclusion très arrêtée, renoncer à donner aucun nom réel. […] Vous savez que cela a été imité ensuite dans un poème dont je ne veux pas dire le nom et que, par conséquent, vous reconnaîtrez tout de suite, dans un long poème de Voltaire. Tous les commencements des chants de ce poème sont des prologues, et quelquefois assez jolis, assez gracieux, prologues où Voltaire parle en son nom.

884. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IX. Eugénie de Guérin »

I En 1840, la Revue des Deux-Mondes publiait, dans un article signé d’un nom célèbre, des fragments littéraires laissés par un jeune homme né pour la gloire et mort obscur. […] Les journaux, tenus alors comme aujourd’hui par des médiocrités jalouses, et livrés aux prostitutions qui rapportent, ne dirent pas un mot de l’auteur du Centaure, et comme ces journaux, qui déshonorent la gloire en la faisant, sont, en définitive, les seuls moyens de publicité qu’ait le talent littéraire dans une époque qui ne lit plus, eux se taisant, le nom de Maurice de Guérin retomba naturellement dans l’oubli. […] « On la trouve établie en France au commencement du xixe  siècle, ou un Guérin, ou plutôt un Guarini (ce nom ainsi écrit jusqu’en 1553) était comte d’Auvergne. […] Illustrations religieuses et chevaleresques qui n’épuisèrent point, par l’action, la poésie naturelle à ces Guarini ; car, sous Louis le Jeune, florissait à la cour d’Adélaïde de Toulouse, un troubadour de ce nom, seigneur d’Apchier. […] Cette monotonie sublime dans les habitudes et les œuvres, qui dura trente ans de facultés vigoureuses et saines, et qui, avant la mort, ne s’interrompit qu’une seule fois, on pourra donc l’appeler, nous le savons bien, d’un nom qui la ravale.

885. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Toute littérature qui voudra mériter le beau nom de populaire, doit être inspirée par l’amour du peuple. […] Nous sommes à Waterloo ; nous voyons les campagnes plates avec les villages et les fermes aux noms fameux, les moulins, les fossés ; nous voyons l’armée de Napoléon au repos, l’armée de Wellington au repos, et puis les estafettes qui partent, le premier coup de canon, la mêlée, les charges, l’héroïque jeunesse qui tombe ou qui s’élance, la Vieille Garde qui donne, la vie et la mort qui s’affirment, l’une et l’autre, avec la plus effroyable énergie, dans l’espace le plus restreint et dans le temps le plus court, c’est-à-dire l’objet des plus fortes impressions et des plus durables souvenirs qui puissent se graver en nous. […] Le peuple, qui aime les figures, s’était plu à nommer de ce nom ce petit être pas plus gros qu’un oiseau, tremblant, effarouché et frissonnant, éveillé le premier chaque malin, dans la maison et dans le village, toujours dans la rue ou dans les champs avant l’aube. […] Ce que nous disons exister, certains le déclarent impossible et inexistant, au nom des principes. […] Le nom de celui qui l’émettait pourra faire sourire, car le spirituel fantaisiste qui eut ses premiers succès au Chat-Noir, avant de devenir l’un de nos hommes de théâtre les plus modernes et les plus mondains, ne passe pas encore pour un auteur avant tout préoccupé du problème social.

886. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — I » pp. 93-111

Le marquis d’Argenson est à bon droit un nom des plus estimés parmi ceux des politiques du dernier siècle et des hommes qui se sont occupés des matières d’intérêt public. […] J’ai dépêché des courriers… De telles paroles, à une pareille heure, voilà de quoi honorer à jamais un nom dans l’histoire. […] M. d’Argenson porta très peu d’idéal dans cette liaison ou intrigue amoureuse qui ne mérite pas le nom de passion, et qui dura une année ; tout en parlant convenablement de la dame devenue veuve après la rupture, et remariée depuis, il ajoute en terminant cet article : « Je lui souhaite longue vie et bonheur : pour moi, j’ai à présent de toutes façons bien mieux qu’elle. » — Dans ce genre de relations que j’abrège et qui revient en plus d’un endroit sous sa plume, M. d’Argenson n’est point fat, mais il est très peu chevaleresque ; on ne saurait même l’être moins, il est honnête homme en tout ; mais, comme les honnêtes gens parmi les Latins ou parmi les Gaulois, il ne craint pas de braver l’honnêteté dans les mots : ou plutôt il ne prend pas garde, et il ne paraît pas même soupçonner ce genre de scrupule. […] Vers 1725, il s’était formé à Paris, chez l’abbé Alary, de l’Académie française, une conférence politique qui se tenait tous les samedis ; et comme l’abbé demeurait à un entresol, place Vendôme, dans la maison du président Hénault, la société avait pris nom l’Entresol C’était à la fois un essai de club à l’anglaise et un berceau d’Académie des sciences morales et politiques. […] Le nom et la mémoire de son père lui servent beaucoup en tout lieu, et il le reconnaît.

887. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance inédite de Mme du Deffand, précédée d’une notice, par M. le marquis de Sainte-Aulaire. » pp. 218-237

Aujourd’hui c’est l’ensemble de sa correspondance avec les Choiseul qui nous est donné et dont on doit l’édition à M. le marquis de Sainte-Aulaire, héritier d’un nom qui depuis longtemps est devenu synonyme de politesse et d’urbanité. […] Quelle illusion dans cette gloire qu’on prétend éterniser, dans ce bâtiment de quarante mille écus élevé à l’une des extrémités de la pièce d’eau, vraie pagode où se lisaient gravés sur le marbre tous les noms des visiteurs en ces quatre années, avec cette inscription de la façon de l’abbé Barthélemy : « Étienne-François, duc de Choiseul, pénétré des témoignages d’amitié, de bonté, d’attention dont il fut honoré pendant son exil par un grand nombre de personnes empressées à se rendre en ces lieux, a fait élever ce monument pour éterniser sa reconnaissance. » Que cet obélisque ministériel, inauguré dix ans avant la Révolution française, à quelques pas du volcan qui va engloutir la monarchie, est petit, vu de loin, et qu’il manque son effet dans la perspective ! […] Mme de Choiseul a bien les honneurs de cette correspondance ; son nom doit s’ajouter désormais à la liste des femmes qui ont bien pensé et bien écrit. […] [NdA] Tout bas, je demanderai à l’éditeur de vouloir bien ajouter à ces deux excellents volumes deux choses, l’une utile, l’autre nécessaire : une table et un errata ; une table qui a été omise, et un errata indispensable pour réparer quelques erreurs typographiques de noms, qui se sont glissées surtout dans les notes : ainsi le nom de l’évêque de Lisieux, précédemment évêque de Gap et d’Auxerre, M. 

888. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Histoire du roman dans l’Antiquité »

Le roman, qui n’a été ainsi désigné qu’au Moyen-Âge et d’un nom qui sent la décadence ; que les Grecs avaient oublié de nommer, et qui ne faisait pas d’abord un genre bien à part, était partout chez eux. […] Mais il est en grec un recueil de dix-sept lettres supposées, mises sous le nom de Chion d’Héraclée, contemporain de Xénophon, et que je voudrais voir traduites. […] C’est sous le nom de Lucius, qui était celui d’un précédent narrateur, qu’Apulée commence son récit, et il confondra plus d’une fois, en avançant, son propre personnage avec l’original qu’il revêt. […] dès que j’eus entendu prononcer ce nom de magicienne qui m’avait toujours séduit, loin de songer à me précautionner contre Pamphile (l’hôtesse elle-même), je me sentis au contraire l’envie d’aller de ce pas la prier de m’initier à son art, quoi qu’il pût m’en coûter, et il me tardait de me jeter à corps perdu dans cet abîme. […] Elle ne rappelle nullement, d’ailleurs, le sens et l’intention métaphysique qu’on lui prête : c’est un joli nom de femme que Psyché, comme qui dirait mon cœur, mon âme, mon amour.

889. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Les quatre moments religieux au XIXe siècle, (suite et fin.) »

C’est de là qu’est sorti le parti clérical actuel, nommé d’un nom dont il se glorifie lui-même et qu’il me répugnerait sans cela d’employer. — Je parcourrai ces quatre moments si distincts, et je tâcherai de les caractériser avec toute l’impartialité dont je suis capable. […] Ce nom de M.  […] La Congrégation, qui a eu le triste honneur de donner son nom à cette sorte de maladie honteuse et de lèpre qui menaça de couvrir la France de 1821 à 1828, était, à l’origine, une simple association de piété et de bonnes œuvres : dès les premiers temps de la seconde Restauration, l’intrigue s’en empara pour la faire agir dans le sens d’une certaine politique, et, en y prêtant grande attention, on commence à trouver trace de son influence, à saisir le mouvement de ses sapes, encore très-sourdes, dans la Chambre de 1815. […] Un groupe de jeunes écrivains catholiques distingués, de doctrinaires du parti, qui, à l’envi du Globe, s’étaient essayés dans le Correspondant sur la fin de la Restauration, se joignirent, sans s’y confondre, avec le groupe des amis de M. de Lamennais : à côté du vigoureux et sombre Breton, du doux, aimable et savant abbé Gerbet, du brillant et valeureux Lacordaire, du jeune comte leur ami91, alors dans toute la fraîcheur acérée de son talent, on eut Edmond de Cazalès, riche esprit, cœur plus riche encore ; Louis de Carné, esprit sage, écrivain consciencieux, s’instruisant toujours, désireux d’acquérir et de combiner tout ce qui est bien, se nuisant par là peut-être à la longue ; on eut un Franz de Champagny, jouteur sincère, peintre studieux, sévère pour les Césars comme un élève de Tacite qui eût été chrétien ; plusieurs Kergorlay, au nom jadis hostile, mais tous d’une autre génération plus adoucie, tous réconciliés entièrement ou en partie avec le siècle. […] S’il faut qu’il y ait une mêlée, choisissons d’autres noms pour les frapper ; car, tous ceux-là, ils ont été vraiment contemporains au sens de Lamartine : ils se doivent quelque chose entre eux.

890. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. (suite) »

L’analyse, ce n’est pas Michel qui l’apporterait d’abord, il s’en passerait bien ; c’est la dame, la noble dame, désignée simplement sous le nom de Marie, qui va l’introduire à toute force et obliger Michel à cet exercice imprévu, à cette escrime où il se trouvera maître. La situation est celle-ci : deux inconnus qui ignorent réciproquement leur vrai nom, qui supposent ou soupçonnent seulement leur situation sociale exacte, et dont toute la liaison se passe dans le mystère, dans une sorte d’enchantement furtif et rapide qu’ils dérobent à leurs entours. […] Ainsi, derrière un ironique, il y a eu un croyant, un cœur confiant du moins, aimant, affectueux, et ce Michel, pour l’appeler d’un nom, cet amoureux d’autrefois, cet homme délicat et humain n’est jamais mort chez Gavarni : il a eu jusqu’à la fin des retours marqués dans son talent. On aura plus tard les propos du philosophe amer et morose sous le nom et le masque allégorique de Thomas Vireloque : on a vu ici la philosophie première, toute gaie et souriante, dans Michel. […] L’héroïne d’un roman à la mode : mettez-y le nom que vous voudrez.

891. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

Dans la préface de ses Nouvelles, supposant qu’un de ses amis aurait bien pu faire graver son portrait pour le placer en tête du livre, il donne de lui-même, et de ce portrait absent, la description suivante, quand il avait soixante-six ans (1613) : « Celui que vous voyez ici à la mine d’aigle, les cheveux châtains, le front uni et ouvert, les yeux gais, le nez courbé, quoique bien proportionné, la barbe d’argent (il n’y a pas vingt ans qu’elle était d’or), la moustache grande, la bouche petite, les dents pas plus qu’il n’en faut, puisqu’il n’en a que six, et celles-ci en mauvais état et encore plus mal placées, puisqu’elles ne correspondent pas les unes aux autres ; la taille entre les deux, ni grande ni petite, le teint vif, plutôt blanc que brun ; un peu haut des épaules sans en être plus léger des pieds ; celui-là, je dis que c’est l’auteur de la Galatée, de Don Quichotte de la Manche, le même qui a fait le Voyage du Parnasse et d’autres ouvrages qui courent le monde de çà de là, peut-être sans le nom de leur maître. […] En vérité, je ne croyais pas que ma bête eût sa pareille pour voyager. » Sur quoi répondit un de mes amis : « La faute en est au roussin du seigneur Miguel Cervantes, qui allonge le pas. » À peine l’étudiant eut-il entendu mon nom, qu’il sauta brusquement à bas de sa monture, jetant d’un côté son coussinet, de l’autre son porte-manteau, car il voyageait avec tout cet appareil. […] Le prenant donc par le cou pour l’embrasser, j’achevai d’arracher son rabat, et je lui dis : « Vous êtes dans l’erreur, monsieur, comme beaucoup d’autres honnêtes gens ; je suis bien Cervantes, mais non le consolateur des muses, et je ne mérite aucun des noms aimables que Votre Seigneurie veut bien me donner. […] On a souvent raconté l’anecdote suivante : on était en 1615 ; une ambassade française venait d’arriver à Madrid ; le cardinal-archevêque de Tolède rendait sa visite à l’ambassadeur ; dans la conversation qui s’engagea entre les gentilshommes français et les gens de la suite du Cardinal, il fut question des livres nouveaux, et le nom de Cervantes fut prononcé. […] Florian, dont on parle avec trop de mépris et qui a eu, comme Marmontel, le malheur de donner son nom à un genre faux, contribua du moins à remettre en circulation et en vogue Don Quichotte.

892. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire de la Grèce, par M. Grote »

Il a eu raison, selon moi, en se récusant de la sorte, et il a donné un exemple tardif par où tous les autres historiens dignes de ce nom auraient dû commencer. […] « Il n’y a rien dans l’Odyssée ni dans l’Iliade qui sente le moderne, en appliquant ce terme à l’âge de Pisistrate », et c’est à bon droit que le nom d’Homère reste attaché en propre à ce premier grand travail de composition épique. Une corporation de chantres, une confrérie tout entière, instituée dans l’île ionienne de Chio, fit de bonne heure de ce nom du grand aveugle le nom patronymique et sacré de la famille des Homérides : toute grande création, et même toute production moyenne12, issue de son sein et propagée par ses membres avec une piété filiale, se renfermait pour elle et venait se placer sous ce nom générique et à demi divin d’Homère : toute autre personnalité avait disparu.

893. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La comédie de J. de La Bruyère : par M. Édouard Fournier. »

Fournier, qui connaît les rues de Paris au temps de Louis XIV mieux que nous ne connaissons celles d’aujourd’hui ; qui sait le nom de chaque hôtel un peu considérable ; qui distingue les boutiques mêmes et leurs enseignes, cherche partout des noms propres, des adresses précises aux Portraits de La Bruyère. […] Fournier conteste ce jugement de Boileau et en prend occasion de dire au poëte-critique beaucoup de choses désagréables qu’il ne mérite pas : pédant, homme de collège, doctoral, bouffon, il lui inflige tour à tour tous ces noms et ces qualifications peu congrues : « Il se pourrait, dit-il, que La Bruyère ayant été trop agréable dans cette conversation, Boileau, qui avait la vanité volontiers envieuse des causeurs à succès, ne lui eût point pardonné ce petit triomphe remporté sur lui. » Une telle interprétation est souverainement injuste et me paraît insoutenable. […] Ce n’est pas lui qui aurait pris Thèognis pour un nom d’idylle. […] Il est le premier nom en tête de la liste des nouveaux venus, des plus modernes et des plus hardis, de ceux qui prétendent bouleverser les rangs et changer les choses.

894. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

On a comparé toute la construction un peu artificielle de l’édifice des quinze ans à une sorte de terrasse de Saint-Germain, au bas de laquelle passait sur la grande route le flot populaire, qui finit par la renverser : il y eut sur cette terrasse un coin, et ce ne fut pas le moins attrayant d’ombrage et de perspective, qui mérite de garder le nom de Mme de Duras : il a sa mention assurée dans l’histoire détaillée de ces temps. […] Si j’osais hasarder le contraste, je nommerais encore pour terme de ressemblance un autre nom, un nom girondin aussi, mais tout plébéien, celui de Mme Roland. […] Contrairement à ceux qui, n’approuvant plus une révolution et cessant de rien accepter d’une assemblée, s’abstiennent, se retirent plus ou moins, et émigrent à quelque degré, il y a ceux qui restent dedans, contestent à haute voix, disputent pied à pied, et meurent quand il le faut, mais en proférant des mots qui retentissent ; en regard du système de l’émigration, il y a le système qui se personnifie en Kersaint et qu’on pourrait appeler de son nom. […] Mme Roland juge sévèrement Kersaint dans ses Mémoires ; elle n’aimait pas en lui certaines habitudes de mœurs du gentilhomme ; mais nous, postérité, nous aimons à marier leurs noms généreux, consacrés dans la même cause.

895. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIIe entretien. Tacite (1re partie) » pp. 57-103

Cette parcimonie de la nature à créer les grands historiens s’explique d’elle-même, quand on y réfléchit, par le nombre, la diversité et la supériorité des dons naturels et des dons acquis nécessaires pour écrire une histoire digne de ce nom. […] Pison, son fils adoptif, veut opposer sa popularité d’estime à la popularité démagogique d’Othon ; il rassemble les troupes de garde au palais et les harangue : « Camarades, leur dit Pison, il n’y a pas encore six jours qu’ignorant ce que nous dérobe l’avenir, et ne sachant s’il fallait désirer ou redouter davantage ce nom d’héritier de Galba, j’ai été adjoint par lui à l’empire. […] Ne croyez pas, je vous le jure par le nom que je porte, ne croyez pas que je tremble ici pour moi-même (pour moi, qui, éprouvé déjà par la mauvaise fortune, sais qu’il y a autant à craindre de la prospérité) ; non ! […] « Si la république, le sénat, le peuple, ne sont plus aujourd’hui que de vains noms, votre honneur, à vous, camarades, est intéressé du moins à ce que les plus vils des hommes ne vous donnent pas des empereurs ! […] « Le nom de celui qui le frappa n’est pas suffisamment constaté.

896. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

Le nombre et les noms des personnages ont varié. […] Ce sont déjà les mystères du xve  siècle : il n’y manque que le nom. […] Le tavernier, son valet qui crie le vin à la porte, trois voleurs aux noms pittoresques, Pincedés, Cliquet et Rasoir, voilà les personnages du premier plan, que le poète fait dialoguer avec une certaine aisance : ces propos de buveurs, ces parties de dés, cette épaisse joie populaire s’étalent largement. […] Toujours est-il que ce Jeu de la Feuillée est autrement curieux, intéressant, que la gentille pastorale dont je viens de parler : c’est une œuvre unique, complexe, satirique et bouffonne, réaliste et féerique, une œuvre qui, malgré les sécheresses et les gaucheries de l’exécution, oblige d’évoquer les noms d’Aristophane et de Shakespeare : cela suffit à la classer. Imaginez-vous une sorte de revue où défilent sous leur nom, avec leur caractère, en propre personne ou par directe désignation, dix ou vingt bourgeois connus de la ville, où le poète, à côté de son père et de ses voisins, s’introduit, contant son mariage, comment il s’est défroqué pour épouser la belle qui l’a si délicieusement ravi et si vite lassé, comment il veut se démarier, et s’en aller à Paris étudier : écoutez ces propos salés et mordants de compères en belle humeur, qui en disent de dures sur les femmes, et voyez dans un brouhaha de « kermesse », selon le mot si juste de M. 

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