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345. (1874) Premiers lundis. Tome I « J. Fiévée : Causes et conséquences des événements du mois de Juillet 1830 »

Ni rois condamnés par leur âge et leurs préjugés à l’isolement, ni minorité ; le pouvoir est maintenant au sein de la société ; c’est là que doivent toujours se trouver ceux qui sont destinés à lui donner le mouvement. […] Des trois pouvoirs qui composent le gouvernement, le pouvoir qui dispose de l’armée déclarait la guerre à la société ; les deux autres pouvoirs étaient nuls par des causes que j’expliquerai ; et l’administration publique, depuis longtemps organisée pour nous priver de tout mouvement, restait partout menaçante. […] Il faut au contraire la concevoir dans toute son étendue, et se dire avec franchise : « Tout mouvement qui affermit l’ordre social par ses propres forces met à découvert la faiblesse des pouvoirs.

346. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

La rapide succession des événements, les émotions qu’elle faisait naître, causaient une sorte d’ivresse produite par le mouvement, qui hâtait le temps, et ne laissait plus sentir le vide, ni l’inquiétude de l’existence. […] Les qualités naturelles, développées par les principes, par les sentiments de la moralité, sont de beaucoup supérieures aux vertus de la dévotion ; celui qui n’a jamais besoin de consulter ses devoirs, parce qu’il peut se fier à tous ses mouvements, celui qu’on pourrait trouver, pour ainsi dire, une créature moins rationnelle, tant il paraît agir involontairement et comme forcé par sa nature ; celui qui exerce toutes les vertus véritables, sans se les être nommées à l’avance, et se prise d’autant moins, que ne faisant jamais d’effort, il n’a pas l’idée d’un triomphe, celui-là est l’homme vraiment vertueux. […] Enfin, les affections du cœur qui sont inséparables du vrai, sont nécessairement dénaturées par les erreurs, de quelque genre qu’elles soient ; l’esprit ne se fausse pas seul, et quoiqu’il reste de bons mouvements qu’il ne peut pas détruire, ce qui dans le sentiment appartient à la réflexion est absolument égaré par toutes les exagérations, et plus particulièrement encore par celle de la dévotion ; elle isole en soi-même, et soumet jusqu’à la bonté à de certains principes qui en restreignent beaucoup l’application.

347. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre V. Des personnages dans les récits et dans les dialogues : invention et développement des caractères »

La Bruyère peint les caractères dans leur dernière profondeur par l’indication minutieuse du vêtement, du geste, de la démarche, des mouvements accoutumés. […] Vous vous estimerez heureux de commencer par imiter les naïfs imagiers qui, désespérant de rendre par l’attitude des corps les mouvements des âmes, faisaient sortir de la bouche de leurs personnages une bandelette où ils inscrivaient ce qu’ils se sentaient impuissants à exprimer. […] S’il vous est arrivé jamais de concevoir l’idée d’un enfantillage, d’une équipée, d’une folie, pure fantaisie de l’esprit inquiet et désœuvré, et de passer à l’exécution sans autre raison que l’idée conçue, sans entraînement, sans plaisir, mais fatalement, sans pouvoir résister ; — si vous avez repoussé parfois de toutes les forces de votre volonté une tentation vive, si vous en avez triomphé, et si vous avez succombé à l’instant précis où la tentation semblait s’évanouir de l’âme, où l’apaisement des désirs tumultueux se faisait, où la volonté, sans ennemi, désarmait ; — si vous avez cru, après une émotion vive, ou un acte important, être transformé, régénéré, naître à une vie nouvelle, et si vous vous êtes attristé bientôt de vous sentir le même et de continuer l’ancienne vie ; — si par un mouvement de générosité spontanée ou d’affection vous avez pardonné une offense, et si vous avez par orgueil persisté dans le pardon en vous efforçant de l’exercer comme une vengeance ; — si vous avez pu remarquer que les bonnes actions dont on vous louait n’avaient pas toujours de très louables motifs, que la médiocrité continue dans le bien est moins aisée que la perfection d’un moment, et qu’un grand sacrifice s’accomplit mieux par orgueil qu’un petit devoir par conscience, qu’il coûte moins de donner que de rendre, qu’on aime mieux ses obligés que ses bienfaiteurs, et ses protégés que ses protecteurs ; — si vous avez trouvé que dans toute amitié il y a celle qui aime et celle qui est aimée, et que la réciprocité parfaite est rare, que beaucoup d’amitiés ont de tout autres causes que l’amitié, et sont des ligues d’intérêts, de vanité, d’antipathie, de coquetterie ; que les ressemblances d’humeur facilitent la camaraderie, et les différences l’intimité ; — si vous avez senti qu’un grand désir n’est guère satisfait sans désenchantement, et que le plaisir possédé n’atteint jamais le plaisir rêvé ; — si vous avez parfois, dans les plus vives émotions, au milieu des plus sincères douleurs, senti le plaisir d’être un personnage et de soutenir tous les regards du public ; — si vous avez parfois brouillé votre existence pour la conformer à un rêve, si vous avez souffert d’avoir voulu jouer dans la réalité le personnage que vous désiriez être, si vous avez voulu dramatiser vos affections, et mettre dans la paisible égalité de votre cœur les agitations des livres, si vous avez agrandi votre geste, mouillé votre voix, concerté vos attitudes, débité des phrases livresques, faussé votre sentiment, votre volonté, vos actes par l’imitation d’un idéal étranger et déraisonnable ; — si enfin vous avez pu noter que vous étiez parfois content de vous, indulgent aux autres, affectueux, gai, ou rude, sévère, jaloux, colère, mélancolique, sans savoir pourquoi, sans autre cause que l’état du temps et la hauteur du baromètre ; — si tout cela, et que d’autres choses encore !

348. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1824 »

Chacun d’eux a créé pour sa sphère sociale un monde d’idées et de sentiments approprié au mouvement et à l’étendue de cette sphère. […] Il faut en convenir, un mouvement vaste et profond travaille intérieurement la littérature de ce siècle. […] Rousseau envoyant (dans son Ode au comte de Luc, dont le mouvement lyrique est fort remarquable) un prophète fidèle jusque chez les dieux interroger le Sort ; et en trouvant fort ridicules les Néréides dont Camoëns obsède les compagnons de Gama, on désirerait, dans le célèbre Passage du Rhin de Boileau, voir autre chose que des naïades craintives fuir devant Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, accompagné de ses maréchaux-des-camps-et-armées.

349. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Émile Augier, Louis Bouilhet, Reboul »

Pour ne parler donc que des procédés d’une poésie toute en procédés, — par le mètre, par le mouvement, par la crudité des tons, par la hardiesse dans la nudité du détail, — Louis Bouilhet nous donne les bas-côtés du talent de Musset assez réussis. […] IV Cette imitation des deux à trois grands poètes du siècle, qui résume, en ces derniers temps, le stérile mouvement des imaginations poétiques, Reboul, plus que personne peut-être, était né pour y échapper. […] Les Traditionnelles, publiées à la date de 1857, sont un recueil de vers souvent pleins de largeur, d’élévation, de sentiment chrétien qui est une poésie, — mais auquel l’auteur n’en ajoute pas une autre, — de mouvement lyrique accentué, mais dans une sphère d’idées déjà parcourue.

350. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Henri Murger. Œuvres complètes. »

Mais la verve, qui est le mouvement de l’esprit, et qui donne chaud comme tout mouvement, est une qualité, sans doute, mais la dernière qualité du talent. […] N’est-ce pas le même mouvement que : Et qui n’a pas le temps de nouer sa ceinture Entre l’amant du jour et celui de la nuit ?

351. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Le but principal de cet écrit, tout de circonstance, était de donner des notes exactes et de rapporter de fraîches informations sur ces mouvements politiques auxquels l’opinion prenait alors tant d’intérêt. […] Ce mouvement d’absorption se renouvela plusieurs fois, et, à chaque reprise, le brouillard, en retombant, se trouvait abaissé, et une nouvelle zone était découverte. […] Mais ce qu’il est impossible de rendre, c’est ce mouvement si varié des oiseaux de toute espèce, des troupeaux qui avançaient lentement d’une haie à l’autre, de ces nombreux chevaux qui bondissaient dans les pâturages ou au bord des eaux : ce sont surtout ces bruits confus des sonnettes des troupeaux, des aboiements des chiens, du cours des eaux et du vent, bruits mêlés, adoucis par la distance et qui, joignant leur effet à celui de tous ces mouvements, exprimaient une vie si étendue, si variée et si calme. […] Sans prétendre diminuer le rôle de personne, je résumerai le sien en peu de mots quant au sens et au mouvement, sinon pour les paroles mêmes : « — Eh bien ! […] Il fait couler les idées des faits, il met du mouvement et de la vie à tout ; chaque étude s’anime, se dresse devant lui et se prolonge en perspectives à la fois très-précises et pourtant embellies.

352. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Je répondrai : Pourquoi vous réduire à ne voir que la poussière vile soulevée par un noble mouvement ? […] Serait-ce que, seule, la poésie, dans l’immense mouvement commun des idées et des êtres, demeure condamnée à l’immobilité ? […] Je comparerai ce perpétuel mouvement ascendant et descendant de l’esprit humain vers la beauté aux oscillations d’un pendule. […] C’est que l’évolution de la société ne s’opère pas toujours d’ensemble, par un grand mouvement général et évident. […] Et telle est la vraie cause du grand mouvement actuel dans les arts, mouvement idéaliste ou mystique, tel qu’il nous plaira de le nommer.

353. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

Catinat, il faut le dire, ne vit dans cette guerre si mauvaise qu’il allait faire à de pauvres montagnards pour leur religion, et dans la part principale qu’il y devait prendre, qu’une marque nouvelle de la confiance du roi et une occasion d’avancement : il était militaire avant tout, et chargé en chef, pour la première fois, d’une expédition difficile, il eut un mouvement de joie ; il ne raisonna point sur la légitimité de l’entreprise, il ne s’occupa que de prendre ses mesures pour la conduire le mieux possible et le plus vivement. Il écrivait à Louvois, le 5 mars (1686), dans le premier mouvement de sa reconnaissance : « Je ne saurais rien dire, Monseigneur, que vous exprimer mes sentiments sur l’honneur que vous m’avez procuré d’un si beau commandement. […] Il faut savoir de plus que l’armée de Catinat était désolée par les maladies et que tous ses mouvements s’en ressentaient. […] On ne désire dans ce livre ni plus de travail, ni plus de recherches, ni plus de mouvement, ni plus d’intérêt : on y voudrait seulement un peu plus de critique à l’égard des adversaires. […] Je ne suis pas très-content de Bayle sur l’article des Vaudois ; il a parlé d’eux en plus d’un endroit, et dans son Avis aux Réfugiés, et dans sa Réponse aux questions d’un Provincial ; au milieu des raisonnements qu’il fait et des choses justes qu’il ne peut manquer de dire, on y désirerait un mouvement d’humanité et un cri d’indignation qui n’y est pas.

354. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Œuvres de Barnave, publiées par M. Bérenger (de la Drôme). (4 volumes.) » pp. 22-43

Fier, ardent, impatient de l’injustice, profondément animé du sentiment de la dignité humaine, on le voit de bonne heure réagir sur lui-même, s’imposer des règles de conduite et d’étude, s’analyser, joindre la réflexion et la méthode aux premiers mouvements. […] Après avoir regretté cette expression irréfléchie, il ajoute dans des pages sincères : Mais voici, avec la même vérité, le mouvement qui se passa en moi, et comment elle me fut arrachée. […] J’avoue que mes muscles étaient crispés… On voit, ce me semble, la situation, l’attitude et le geste des deux parts : d’un côté, M. de Lally, celui qu’on a appelé le plus gras, le plus gai, le plus gourmand des hommes sensibles, ce personnage spirituel et démonstratif, à qui un moment d’éloquence généreuse et de pathétique dans sa jeunesse permit d’être déclamateur toute sa vie, ayant le beau rôle des larmes et se le donnant ici comme toujours ; de l’autre côté, un homme jeune, ardent, un peu amer, irrité de voir un mouvement d’humanité devenir une machine oratoire et un coup de tactique ; qu’on se représente les deux hommes en présence, et tout s’expliquera. […] Sur ce roi à demi déchu et si humilié, il essaie de jeter le manteau protecteur de la théorie et de la loi, et il le fit avec une largeur, une dignité, une chaleur de mouvement qui arracha des applaudissements presque unanimes. […] Ce qu’il dit du parti modéré, du parti constitutionnel d’alors, de cette majorité saine de la nation, de cette bourgeoisie dont il était l’honneur et qu’il connaissait si bien, est digne de remarque : Le parti modéré, qui, soit par le nombre, soit par la composition, pourrait être regardé comme la nation même, est presque nul pour l’influence ; il se jette, à la vérité, pour faire poids, du côté qui cherche à ralentir le mouvement, mais à peine ose-t-il expliquer publiquement son vœu.

355. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

Et, en effet, si participante que soit l’Allemagne au mouvement de civilisation qui emporte le monde moderne, il y a pourtant dans ce pays des faits singuliers sur la nature desquels on peut se méprendre quand on ne les regarde pas avec une froide attention. […] Pourquoi cette espèce d’appui donné à des ambitions intolérables pour qui comprend le mouvement nécessaire de la société ? […] Eh bien, malgré cela, où en est le mouvement religieux en Allemagne ? […] Après Innocent, le mouvement d’indépendance qu’on avait voulu comprimer se produisait toujours, et en 1222 les bulles d’Honorius III ne faisaient déjà plus naître de croisés contre l’Albigeois. […] Son livre atteste des lectures immenses, une grande placidité de pensée, le sentiment de la dignité humaine ; mais des vues, du mouvement, nous en avons vainement cherché.

356. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (2e partie) » pp. 161-239

Les mouvements de cet intéressant oiseau sont vifs et décidés. […] Il se plaît surtout à côtoyer les murailles, parmi les fragments de rochers, au milieu des touffes d’ajoncs et le long des haies où il attire l’attention par la gentillesse de ses mouvements et la bruyante gaieté de son ramage. […] Le vol de ce gobe-mouche est une succession de courtes saccades interrompues cependant par quelques mouvements plus soutenus. […] Je ne cessai point de surveiller les mouvements de mes hirondelles. […] Le mouvement précipité de ses deux ailes suffit à peine à soutenir la masse de son corps ; et ses pattes, qui se reploient sous sa queue, disparaissent à l’œil.

357. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Il semble que le romancier soit au centre et à la suite des lentes ondes de mouvement qui font se durcir et s’effriter les roches, pousser et se flétrir tes plantes, s’affermir et vieillir les animaux, qui poussent les enfants à l’adolescence, les jeunes gens enthousiastes et mobiles à l’âge des décisions égoïstement rassises, qui fanent les femmes et les hommes, les talent ou les raidissent peu à peu en une vieillesse radoteuse ou rageuse et les portent ainsi de la naissance à la mort par d’insensibles gains et d’irréparables pertes. […] Que ce soit une rougeur fébrile de Natacha, une parole douteuse d’Anna Karénine, une mine de dédain du prince André, ou le prince Nicolas frémissant et attendant l’occasion de lancer un régiment à la charge, le lecteur attiré, contraint et pénétrant se sent devenir peu à peu ces êtres et il est devant les mouvements de leurs esprits, comme face à face avec lui-même en ces instants où dans un sourire on sent et on découvre soudain tout le détail de sa nature, et comme elle est familière, unique, connue, surprenante et retorse. […] Il s’acquitte de sa tâche, sans plaisir et sans ardeur, avec de lents mouvements de ses puissantes et débiles mains, il assemble les matériaux de son œuvre, où la foule grise de ses âmes, dispose la terre où elles vivent, entrelace le cours des événements, et cette tâche de géant imparfaitement, lentement achevée, mais imposante de grandeur et de vérité, il s’assied et la contemple avec des yeux distraits, distants et songeurs, comme absent de ce monde et de l’image qu’il est parvenu à en donner, comme détaché déjà de tous deux et entrevoyant quelque réalité dernière plus auguste et plus vénérée. […] Le grand mouvement d’âme qui donne la tranquille assurance de l’héroïsme aux bataillons silencieux des défenseurs de Borodino, les larmes de Koutouzoff en apprenant le premier mouvement de retraite de Napoléon, l’exode instructif de toute la population de Moscou, sont des tableaux grandioses et graves qui remémorent aux âmes même les plus affranchies l’amour du sol natal. […] Par une vertu particulière de la race slave, ou par un penchant de l’écrivain, les hommes de Tolstoï sont naturellement bons, portés d’un premier mouvement affectueux vers leurs semblables, disposés d’instinct à la confiance, à la compassion, aptes à sentir, en dépit des hiérarchies et des préjugés sociaux, les penchants secrets de fraternité qui forcent finalement les hommes à agir humainement l’un à l’égard de l’autre.

358. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Les Chants modernes, par M. Maxime du Camp. Paris, Michel Lévy, in-8°, avec cette épigraphe. « Ni regret du passé, ni peur de l’avenir. » » pp. 3-19

. — Tout cela encore est bien vague, bien peu défini ; Déroulant devant nous le mouvement scientifique et le mouvement industriel de notre temps, l’auteur essaie de préciser ce rôle qu’il assigne au littérateur, au poète, et qui est, selon lui, d’expliquer la science, de la revêtir de charme et de lumière : « Il se passe parfois, dit-il, de planète à planète, de fer à aimant, de mercure à mercure, de chlore à hydrogène, des romans extraordinaires qu’on dissimule pudiquement derrière des chiffres et des A+B. » L’auteur voudrait que le poète expliquât et rendît sensibles à chacun de nous ces mystères. […] Les mêmes mouvements s’y retrouvent. […] Poète, il a du mouvement, de l’ardeur, de l’âme ; je lui voudrais un souffle plus léger ; paysagiste, il lui manque les crépuscules, les fuites, les fonds vaporeux ; il lui manque en tout une certaine douceur qui sied si bien, même aux natures énergiques, et que je ne puis mieux exprimer qu’en traduisant un délicieux sonnet de Wordsworth.

359. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — III » pp. 174-189

On était au soir, la délibération durait toujours ; on voyait des fenêtres du casin les mouvements de l’ennemi et ses préparatifs pour une bataille. […] Enfin, sur le soir, il parut décidé à la retraite ; il dit à ses généraux qu’ils pouvaient se rendre près de leurs troupes, et que d’ici à une heure ou deux il leur expédierait les ordres pour commencer le mouvement : mais ceux-ci avaient été trop longtemps témoins de cette funeste hésitation pour se persuader que le général en chef persisterait dans le parti qu’il semblait décidé à prendre ; ils se rendirent près de leurs troupes et s’occupèrent plus de dispositions de défense que de retraite. […] Aux premiers coups de fusil, Saint-Cyr envoie prévenir Joubert, qui a peine à quitter son illusion et veut s’assurer de la réalité de l’attaque : « Je vais à la gauche, dit-il, je compte ici sur vous. » Il n’était pas arrivé à son extrême gauche qu’il put voir aux mouvements de l’ennemi que c’était une bataille sérieuse. « Il réalisa aussitôt ce que quelques mots qui lui étaient échappés la veille devaient faire prévoir ; il dit aux aides de camp dont il était entouré : Jetons-nous parmi les tirailleurs ! […] Ce qu’il y eut de brave, d’intrépide, d’honnête, d’individuel en lui, a dès longtemps pâli dans l’éloignement et serait déjà effacé par la distance : son caractère plus distinct, sa marque fatale et comme sacrée est dans ce qui le rattache au grand mouvement irrésistible qui se préparait, à l’ère de rénovation vers laquelle aspirait la société tout entière.

360. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

Et ici il y a à distinguer : le premier mouvement de M.  […] Mais il revenait quelquefois, il réagissait contre son goût et son humeur, et son second mouvement était alors de profiter, à son tour, de ces documents nouveaux pour pousser plus avant lui-même l’étude des savants illustres. […] Une fois pourtant, et dans un cas tout pareil, son premier mouvement l’emporta : le professeur Uylenbroek, de Leyde, ayant publié deux volumes inédits de la Correspondance de Huyghens avec Leibniz et avec le marquis de L’Hôpital (1833), M.  […] Biot, dans son impartialité froide et calculée, affecte trop de plaider les circonstances atténuantes, de la persécution : il n’a pas un moment d’indignation pour tant de bêtise, sinon de cruauté ; il n’a pas un mouvement à la Pascal !

361. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. »

L’accélération des travaux des places fortes, l’observation des mouvements de troupes russes, furent dès lors constamment recommandées à mes soins. […] M. et Mme de Senfft, en effet, « — cette dernière toujours portée par l’impulsion de son cœur du côté de la moins bonne fortune d’où tant d’autres sont tentés de se retirer, — se rapprochèrent davantage alors du prince de Talleyrand à qui ce mouvement n’échappa point, et avec lequel leurs relations n’ont plus jamais varié dans les retours de faveur et de disgrâce qu’il a éprouves dans la suite. […] Sur ces entrefaites, une révolution de Cabinet ayant eu lieu à Dresde dans le sens français, et le ministre des Affaires étrangères, premier patron et protecteur de M. de Senfft, le comte de Loss, ayant été forcé de donner sa démission, son premier mouvement, à lui, fut de donner aussi la sienne et de se retirer d’un poste où il aurait, dorénavant, à servir un système opposé à celui qu’il avait, jusque-là, professé par conviction. […] Il avait des connaissances et de l’aptitude au travail ; mais il manquait quelquefois de ce calme d’une tète froide qui ne se laisse point accabler sous le poids des affaires, et son âme n’était pas de la trempe qu’il aurait fallu pour soutenir toujours les mouvements nobles et justes de son cœur contre les volontés absolues de son maître.

362. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. (Suite et fin.) »

L’opinion prit alors ce caractère énergique qui la rend maîtresse des événements ; et c’est ainsi que le grand mouvement qui a abattu la puissance gigantesque créée par la Révolution, loin de démentir l’esprit primitif de celle-ci et le génie du siècle, n’a fait que déployer le principe fondamental de l’une et de l’autre, sous de plus nobles auspices et dans une direction plus heureuse. » Quand il écrivait ainsi, M. de Senfft était encore libéral, et il avait foi encore en l’avenir des peuples. — Mêlant des idées mystiques et des pensées de l’ordre providentiel à ses observations d’homme politique, il voyait, l’année suivante (1812) et lors de la gigantesque expédition entreprise pour refouler la Russie, il voyait, disait-il, dans « cette réunion monstrueuse » de toutes les puissances de l’Europe entraînées malgré elles dans une sphère d’attraction irrésistible et marchant en contradiction avec leurs propres intérêts à une guerre où elles n’avaient rien tant à redouter que le triomphe, « un caractère d’immoralité et de superbe, qui semblait appeler cette puissance vengeresse nommée par les Grecs du nom de Némésis » et dont le spectre apparaît, par intervalles, dans l’histoire comme le ministre des « jugements divins. » Il lisait après l’événement, dans l’excès même des instruments et des forces déployées, une cause finale providentielle en vue d’un résultat désiré et prévu : car telle grandeur d’élévation, telle profondeur de ruine. […] Cet abbé, bizarrement célèbre, et qui s’était intitulé lui-même dans un de ses accès de flagornerie « l’aumônier du dieu Mars », avait été chargé, sous le titre d’ambassadeur, de prendre en main le mouvement de la nation polonaise au moment où la guerre contre la Russie se décida. […] Il s’agissait de pousser en Pologne, et dans le duché et dans toutes les anciennes provinces devenues russes, au soulèvement national universel, d’organiser « une Vendée polonaise », de s’associer, en le dirigeant habilement, à ce mouvement résurrectionnel d’une race si naturellement électrisée. […] La main de l’ambassadeur ne devait pas se laisser apercevoir dans ce mouvement national, « mais il devait tout voir, tout savoir, tout diriger, tout animer. » Un archevêque, un haut dignitaire de l’Église avait paru plus fait qu’un autre pour assister et pousser à cette œuvre militante dans un pays catholique, et comme devant aussi, par son caractère, moins prêter qu’un autre à tout conflit.

363. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite.) »

Le roi ne partit que dans les derniers jours de mai : tout juin se passa à des mouvements de troupes, à des fourrages, à des escarmouches. […] Dans les mouvements de troupe qui la préparèrent, le comte de Clermont eut un rôle principal. […] Un beau mouvement toutefois, et digne de Voltaire quand il est éloquent, y salue ces nobles blessés, le comte de Lautrec, le marquis de Ségur, mutilé d’un bras : Anges des cieux, Puissances immortelles Qui présidez à nos jours passagers, Sauvez Lautrec au milieu des dangers ; Mettez Ségur à l’ombre de vos ailes. […] A un endroit on est tout surpris de voir qu’un général, commandant un corps d’armée en mouvement, traîne avec lui toute une ménagerie d’animaux : c’est bien du prince qui, à l’âge de quatorze ans, avait ce singe favori qu’il faisait magnifiquement enterrer.

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