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733. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Recueillements poétiques (1839) »

Et puis, quels que soient l’avenir et le prix, est-ce qu’en art comme en morale il ne faut pas faire de son mieux ? Ce n’est pas même une comparaison que j’établis là, c’est une identité que j’exprime : l’art, pour l’artiste, fait partie de sa conscience et de sa morale. […] Mais c’est trop douter ; la conscience aussi, en pareil cas, dit non et se soulève ; je reviens à la règle sûre, déjà posée : l’art, comme la morale, comme tous les genres de vérités, existe indépendamment du succès même. 

734. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre I. Composition de l’esprit révolutionnaire, premier élément, l’acquis scientifique. »

En histoire, en psychologie, en morale, en politique, les penseurs du siècle précédent, Pascal, Bossuet, Descartes, Fénelon, Malebranche, La Bruyère, partaient encore du dogme ; pour quiconque sait les lire, il est clair que d’avance leur siège était fait. […] Sans doute encore, si ces conditions ne sont qu’à demi remplies, l’opération ne donne que des produits incomplets ou d’aloi douteux, des ébauches de sciences, les rudiments de la pédagogie avec Rousseau, de l’économie politique avec Quesnay, Smith et Turgot, de la linguistique avec le président de Brosses, de l’arithmétique morale et de la législation pénale avec Bentham. […] Le rapport que les choses ont avec nous n’influant point du tout sur leur origine, la convenance morale ne peut jamais être une raison physique. » — Voltaire, Candide : « Quand Sa Hautesse envoie un vaisseau en Égypte, s’embarrasse-t-elle si les souris qui sont dans le vaisseau sont à leur aise ou non ? 

735. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VI, « Le Mariage de Figaro » »

Surtout quand il raconte ses confrontations avec Mme Goëzman, une jolie petite sotte, étourdie, impudente, menteuse, frivole au point de ne pas se douter de l’importance morale de l’escroquerie qu’elle s’est permise, se fâchant dès que son adversaire lui rive son clou ou la force à se couper, soudain radoucie par un madrigal dont elle ne sent pas la secrète impertinence : ces scènes sont charmantes, et d’une irrésistible drôlerie. […] Leur couple, autant que le peut faire l’auteur, est chargé des intérêts de la morale, pour la honte de la noblesse et pour la gloire du Tiers État. […] Cependant la légèreté morale, l’illusion puissante des spectateurs les firent complices de l’auteur, et transfigurèrent Figaro : le public se vit en lui, et ce coquin fit vibrer tous les plus généreux sentiments, échauffa toutes les plus ardentes espérances qui remplissaient alors les âmes.

736. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

Il n’y a plus d’éloquence religieuse après Massillon, du moins dans l’église catholique : car lorsque Rousseau parle sur la Providence et la conscience, sur la religion et sur la morale, nous avons reconnu dans sa parole une inspiration protestante ; notre grand orateur philosophique est un prêcheur de Genève. […] Déjà dans une de ses précédentes prisons il avait fait un Essai sur le despotisme : à Vincennes, il écrivit d’éloquentes réflexions sur les prisons d’État et les lettres de cachet ; il écrivit surtout ses fameuses lettres à Sophie, incroyable mélange de déclamations sincères et de renseignements exacts, où l’amour déborde parmi la philosophie, la politique, la morale, où tout Mirabeau se découvre, avec la grandeur et les bassesses de sa nature, avec sa violence de tempérament et son immoralité foncière, mais aussi avec ses généreuses aspirations, son information encyclopédique, et l’éclat de sa forme oratoire : c’est du Rousseau, si l’on veut, du Rousseau plus trouble, plus débraillé, plus tumultueux, et toutefois aussi plus raisonnable, plus avisé, plus pratique. […] Et alors la paix que je ferai sera digne de mon peuple, de vous et de moi. » Le fond est ce qu’il faut qu’il soit : des idées nettes, simples, immédiatement accessibles, des sentiments communs, réels, immédiatement évocables ; l’honneur, la gloire, l’intérêt ; de vigoureux résumés des succès et des résultats obtenus, de rapides indications des résultats et des succès à poursuivre, des communications parfois qui semblent associer l’armée à la pensée du général et la flattent du sentiment d’être traitée en instrument intelligent : toutes les paroles qui peuvent toucher les ressorts de l’énergie morale, sont là, et sont seules là.

737. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Pierre Loti »

A vingt-sept ans, Pierre Loti, qui a rêvé sur tous les océans et visité tous les lieux de joie de l’univers, écrit tranquillement, entre autres jolies choses, à son ami William Brown : … Croyez-moi, mon pauvre ami, le temps et la débauche sont deux grands remèdes… Il n’y a pas de Dieu ; il n’y a pas de morale ; rien n’existe de tout ce qu’on nous a enseigné à respecter ; il y a une vie qui passe, à laquelle il est logique de demander le plus de jouissances possible en attendant l’épouvante finale qui est la mort… Je vais vous ouvrir mon cœur, vous faire ma profession de foi : j’ai pour règle de conduite de faire toujours ce qui me plaît, en dépit de toute moralité, de toute convention sociale. […] Il recommence, tout seul, pour son compte, l’évolution morale de son siècle. […] On y est engourdi par la béatitude de vivre, et l’abondance et la continuité des sensations agréables vous y berce dans un rêve sans fin… Mais en même temps le vieux monde fait des apparitions brusques et bizarres dans cette île enfantine où ses navires s’arrêtent en passant : et le vieux monde, c’est sans doute le péché, mais c’est l’effort ; c’est la douleur morale, mais c’est la dignité ; c’est le labeur, mais c’est l’intelligence.

738. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jean Richepin »

C’est un rhétoricien révolté contre les lois et la morale et contre la modestie du goût classique, mais classique lui-même, et jusqu’aux moelles, dans son insurrection. […] Pas de Dieu, pas de loi morale, pas même de lois physiques : ce qu’on appelle ainsi, ce sont les habitudes des choses (ce qui revient d’ailleurs au même) : tout est gouverné par le hasard ; la Raison même, la Nature et le Progrès sont des idoles qu’il faut renverser comme les autres. […] Je ne parle ici au nom d’aucune morale ni d’aucune religion ; je ne m’occupe pas de la vérité : je ne m’occupe que de la beauté de la vie.

739. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Des lectures publiques du soir, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pourraient être. » pp. 275-293

C’est sur ce public, dont les huit neuvièmes se composaient d’ouvriers, que le lecteur a eu à exercer son action insensible, morale, affectueuse, et il y a complètement réussi. […] Je continue de donner les simples notes qui suggèrent, chemin faisant, plus d’une réflexion littéraire : Fables de La Fontaine. — Elles amusent ; mais la morale qu’elles expriment déroute parfois les ouvriers ; ils cherchent où est la leçon. […] Il y a là une disposition morale digne d’estime et presque de respect, et qu’on serait coupable de ne pas favoriser et servir, quand elle vient s’offrir d’elle-même.

740. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Pline le Naturaliste. Histoire naturelle, traduite par M. E. Littré. » pp. 44-62

aux divinités païennes, mythologiques ; et quant aux divinités héroïques et aux apothéoses : « C’est être Dieu pour l’homme, dit-il, que de venir en aide à l’homme, et telle est la voie qui mène à l’éternelle gloire. » Mais, à part cette interprétation morale, le dieu Auguste et le dieu César ne lui imposent pas autrement. […] Tout ceci n’est et ne peut être de ma part qu’une impression littéraire et morale ; c’est la seule que j’aie le droit d’apporter en ces doctes sujets ; mais je la donne telle qu’elle résulterait pour moi, rien que de la lecture du livre sur l’Homme. […] Il y a telle lettre de lui où il semblerait à demi chrétien par la morale.

741. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Étienne, ou une émeute littéraire sous l’Empire. » pp. 474-493

Gaugiran-Nanteuil, on distinguait une intention morale, un effort vers un genre plus vrai, vers la peinture de mœurs réelles ; il y a dans plus d’une scène comme un premier tracé de bonne comédie. « Le fond est bon, disait Geoffroy de cette Petite École des pères ; il était même susceptible d’être plus étendu ; la morale de la pièce est en action et non pas en sentences ; on y trouve de l’instruction et point de sermons. » Une heure de mariage (1804) est une spirituelle et gaie folie, un peu gâtée par les couplets ; mais il y a d’heureuses scènes, un jeu de partie carrée qui est mené très habilement. La Jeune Femme colère (1804), assez généralement louée, me plaît peu : la leçon morale qui consiste, de la part du jeune mari, à vouloir corriger le défaut de sa femme en l’imitant lui-même et en le lui présentant comme dans un miroir grossissant, me paraît brusque, outrée et peu vraisemblable.

742. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

Les Contes lui seraient aisément venus dans ce lieu-là, non pas les Fables ; les belles fables de La Fontaine, très probablement, ne seraient jamais écloses dans les jardins de Vaux et au milieu de ces molles délices : il fallut, pour qu’elles pussent naître avec toute leur morale agréable et forte, que le bonhomme eût senti élever son génie dans la compagnie de Boileau, de Racine, de Molière, et que, sans se laisser éblouir par Louis XIV, il eût pourtant subi insensiblement l’ascendant glorieux de cette grandeur. […] Mais je ferai remarquer que Bernardin de Saint-Pierre, en adoptant ainsi la morale du fabuliste, n’est point, autant qu’on pourrait croire, en contradiction avec lui-même ; car, si Bernardin est optimiste, c’est pour les hommes tels qu’il les rêve, et nullement pour ceux qu’il a rencontrés et connus ; il juge ces derniers avec sévérité bien plus qu’avec indulgence. […] Je ne le crois pas, et l’on peut déjà s’en apercevoir : la poésie des Méditations est noble, volontiers sublime, éthérée et harmonieuse, mais vague ; quand les sentiments généraux et flottants auxquels elle s’adressait dans les générations auront fait place à un autre souffle et à d’autres courants, quand la maladie morale qu’elle exprimait à la fois et qu’elle charmait, qu’elle caressait avec complaisance, aura complètement cessé, cette poésie sera moins sentie et moins comprise, car elle n’a pas pris soin de s’encadrer et de se personnifier sous des images réelles et visibles, telles que les aime la race française, peu idéale et peu mystique de sa nature.

743. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

La faute en fut aux institutions religieuses, qui n’étaient pas assez conservatrices de la morale. […] Le christianisme était venu réconcilier les mœurs et les opinions, parce que le christianisme est éminemment fondé sur la morale. […] Les classes qui n’ont pas compté dans cette évaluation morale doivent arriver à y être comprises ; et les femmes, dans ces classes, obéiront à leur tour à cette impulsion progressive.

744. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Michelet »

Il fut, d’ailleurs, professeur de morale et d’histoire, et les Josses de la philosophie, les orfèvres comme Saisset et Cousin, répètent assez haut que désormais les prêtres de l’avenir ne peuvent être que les philosophes. […] Tous ceux qui gagnent jusqu’ici aux amusements des Écoles se croient menacés d’une révolution morale qui, sans faute, les ruinera. » (Intr., page 28.) […] Puis, ce furent aussi de petits livres de fausse morale, comme la Femme et l’Amour, alternant avec d’autres livres d’histoire naturelle, comme l’Oiseau et l’Insecte, — et aujourd’hui la Mer !

745. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » p. 554

PRÉMONTVAL, [André-Pierre le Guai de] de l’Académie des Sciences de Berlin, né à Charenton en 1716, mort à Berlin en 1767, a écrit sur les Mathématiques, la Métaphysique, la Morale, la Critique, la Religion.

746. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » p. 301

Ses Ouvrages de Morale annoncent un homme qui connoît assez le cœur humain, mais dont les idées, en général, ne sont ni neuves, ni bien exprimées ; ses Ouvrages de Littérature annoncent un homme d'esprit, mais qui manque de goût, & souvent même de jugement.

747. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Si cette religion est impuissante à organiser l’essentiel et à nous donner le pain quotidien, comment aurait-elle la moindre influence sérieuse sur l’art, qui est un luxe relativement à la morale ? […] Simple affaire de mesure, comme dans tout l’ordre si délicat de la vérité morale. […] » Cette vertu morale, la religion chrétienne, tout affaiblie qu’elle est, toute dégénérée, continue si bien à la posséder seule qu’elle semble devoir la garder indéfiniment. […] Dieu me garde de méconnaître la supériorité morale d’une activité littéraire qui relèverait toute d’un principe absolument désintéressé et généreux ! […] Une belle légende n’est-elle pas pour un peuple une vérité morale infiniment plus précieuse que la vérité d’ordre inférieur qui la détruit ?

748. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — O — Olivier, Juste (1806-1876) »

Après avoir chanté dans sa jeunesse des refrains qu’ont répétés les échos de l’Helvétie, il a pris, en vieillissant, une vocation de plus en plus prononcée pour la poésie intérieure et morale.

749. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

Après avoir appliqué si longtemps la littérature au vice, il serait bien temps de l’appliquer à la morale. La morale pour le peuple n’est que dans le sentiment ; le plus populaire des véhicules pour le sentiment c’est un beau poème. […] La nature, qui a ses saisons de fécondité morale comme la terre a ses saisons de sève et de fertilité matérielles, semblait avoir enfanté en peu d’années une race de géants pour l’Allemagne. […] L’irrésistible attrait qui attacha pour jamais le prince et le poète ressembla à un de ces coups foudroyants de sympathie dont Goethe fit plus tard une théorie physiologique et morale dans son roman des Affinités électives. […] La beauté morale du jeune favori transperçait à cette époque à travers la beauté matérielle de ses traits.

750. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

L’auteur a senti que les religions bien entendues sont, comme étant à la fois divines dans leur objet, humaines dans leurs ministres, pleines de controverses, d’incrédulités et de crédulités populaires dans leurs dogmes, mais qu’en masse les religions sont des vases célestes transmis de générations en générations aux peuples, et dans lesquels les philosophes de tous les âges ont versé tour à tour, en les clarifiant, la plus pure morale, les plus saintes règles de vie, les plus admirables pratiques de charité et de fraternité qui aient honoré les siècles ; en sorte que, sans disputer sur leur nature révélée par la raison, lumière de Dieu, ou par Dieu lui-même, quand une religion se brise, toute la morale se répand, et le peuple risque de mourir de soif. […] La nature physique assimile les deux victimes, oui ; la nature morale, non. […] quelle morale et quel progrès ! […] Les misères humaines sont si vastes, si incurables, si diversifiées, si inhérentes à notre nature physique et morale, qu’il n’est aucun écrivain sympathique et réfléchi qui n’ait été tenté, depuis Job jusqu’à Hugo, d’écrire une des pages de ce livre de nos misères.

751. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

Il reste bien encore quelques petites difficultés sur l’origine des choses et le but de notre existence, mais on a bien simplifié la question, et la raison conseille de supprimer en nous-mêmes tous les désirs et toutes les espérances que le génie, l’amour et la religion font concevoir ; car l’homme ne serait alors qu’une mécanique de plus dans le grand mécanisme de l’univers : ses facultés ne seraient que des rouages, sa morale un calcul, et son culte le succès. […] Une seule voix sans parole, non pas sans harmonie, sans force, mais irrésistible, proclame un Dieu au fond de notre cœur : tout ce qui est vraiment beau dans l’homme naît de ce qu’il éprouve intérieurement et spontanément : toute action héroïque est inspirée par la liberté morale ; l’acte de se dévouer à la volonté divine, cet acte que toutes les sensations combattent et que l’enthousiasme seul inspire, est si noble et si pur, que les anges eux-mêmes, vertueux par nature et sans obstacle, pourraient l’envier à l’homme. […] « Ce n’est pas sans motif cependant qu’on met tant d’importance à fonder la morale sur l’intérêt personnel : on a l’air de ne soutenir qu’une théorie, et c’est en résultat une combinaison très-ingénieuse pour établir le joug de tous les genres d’autorité. Nul homme, quelque dépravé qu’il soit, ne dira qu’il ne faut pas de morale ; car, celui même qui serait le plus décidé à en manquer, voudrait encore avoir à faire à des dupes qui la conservassent. Mais quelle adresse d’avoir donné pour base à la morale la prudence !

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