Fromentin ne s’y absorbe pas ; il pense aux maîtres, à l’art, à ce qui a été fait, à ce qui peut se faire encore ; même en voyant du nouveau et en faisant du neuf, il ne croit pas qu’il convienne de rompre en visière avec le passé ; il n’est nullement d’avis qu’il convienne de changer absolument de méthode selon les lieux et les temps ; qu’il faille désormais tout détailler, tout montrer. […] Il faut regarder ce peuple à la distance où il lui convient de se montrer : les hommes de près, les femmes de loin ; la chambre à coucher, la mosquée, jamais. […] Fromentin nous a montré dans un tableau exposé en 1859 une Rue à El-Aghouat : il est curieux de comparer cette rue peinte29 avec cette même rue décrite, « étroite, raboteuse, glissante, pavée de blanc et flamboyante à midi ».
Si la justice, à ce moment, était tout entière d’un seul côté, l’ardeur se montrait égale dans les deux camps. […] Catinat, lui aussi, était un peu comme cet officier et comme tous ceux dont il allait diriger l’ardeur ; muni de son premier commandement en chef, il redoutait une solution pacifique et de voir s’échapper l’occasion de montrer son savoir-faire. […] Il s’y montra des plus désintéressés et parfait gouverneur comme à Casal.
Pour qui se complaît à ces ingénieuses et tendres lectures ; pour qui a jeté quelquefois un coup d’œil de regret, comme le nocher vers le rivage, vers la société dès longtemps fabuleuse des La Fayette et des Sévigné ; pour qui a pardonné beaucoup à Mme de Maintenon, en tenant ses lettres attachantes, si sensées et si unies ; pour qui aurait volontiers partagé en idée avec Mlle de Montpensier cette retraite chimérique et divertissante dont elle propose le tableau à Mme de Motteville, et dans laquelle il y aurait eu toutes sortes de solitaires honnêtes et toutes sortes de conversations permises, des bergers, des moutons, point d’amour, un jeu de mail, et à portée du lieu, en quelque forêt voisine, un couvent de carmélites selon la réforme de sainte Thérèse d’Avila ; pour qui, plus tard, accompagne d’un regard attendri Mlle de Launay, toute jeune fille et pauvre pensionnaire du couvent, au château antique et un peu triste de Silly, aimant le jeune comte, fils de la maison, et s’entretenant de ses dédains avec Mlle de Silly dans une allée du bois, le long d’une charmille, derrière laquelle il les entend ; pour qui s’est fait à la société plus grave de Mme de Lambert, et aux discours nourris de christianisme et d’antiquité qu’elle tient avec Sacy ; pour qui, tour à tour, a suivi Mlle Aïssé à Ablon, où elle sort dès le matin pour tirer aux oiseaux, puis Diderot chez d’Holbach au Granval, ou Jean-Jacques aux pieds de Mme d’Houdetot dans le bosquet ; pour quiconque enfin cherche contre le fracas et la pesanteur de nos jours un rafraîchissement, un refuge passager auprès de ces âmes aimantes et polies des anciennes générations dont le simple langage est déjà loin de nous, comme le genre de vie et de loisir ; pour celui-là, Mlle de Liron n’a qu’à se montrer ; elle est la bienvenue : on la comprendra, on l’aimera ; tout inattendu qu’est son caractère, tout irrégulières que sont ses démarches, tout provincial qu’est parfois son accent, et malgré l’impropriété de quelques locutions que la cour n’a pu polir (puisqu’il n’y a plus de cour), on sentira ce qu’elle vaut, on lui trouvera des sœurs. […] Au reste, je loue de grand cœur l’historien véridique de nous avoir montré Mlle de Liron un peu grasse, puisqu’elle l’était sans nul doute au commencement de cette aventure ; mais je voudrais qu’il se fût trompé en nous le rappelant vers la fin, et lors d’une saignée au pied qu’on lui pratique avec difficulté dans sa dernière maladie. […] … Ce livre que tu vois (et elle montrait l’Imitation de Jésus-Christ), j’en ai fait mes délices : je l’ai lu et relu nuit et jour.
La nation française prenait ses propres souffrances pour l’objet de ses plaisanteries, couvrait de ridicule par son esprit ce qu’elle encensait par ses formes, affectait de se montrer étrangère à ses intérêts les plus importants, et consentait à tolérer le despotisme, pourvu qu’elle pût se moquer d’elle-même comme l’ayant supporté. […] On aimait jadis à peindre la grâce de certains défauts, la niaiserie des qualités estimables ; mais ce qui est désirable aujourd’hui, c’est de consacrer l’esprit à tout rétablir dans le sens vrai de la nature, à montrer réunis ensemble le vice et la stupidité, le génie et la vertu. […] La confiance que peuvent avoir les femmes dans les sentiments qu’elles inspirent, peut être, avec raison, l’objet de la raillerie ; mais le talent se montrerait plus fort, le sujet serait pris de plus haut, si c’était au trompeur que s’attachât le ridicule, si l’on savait le faire porter sur l’oppresseur, et non sur la victime.
Ecrire avec des termes généraux et des périphrases, c’est donner la définition de la chose au lieu de la montrer, et l’exprimer en savant ou en faiseur d’énigmes, non en poëte. […] Il n’ose être sincère, montrer la chose toute nue, parler sans apprêt, en bonhomme, retomber du haut du style passionné dans les petites idées communes qui viennent ensuite. […] « Il dit qu’il portait pour nous seuls les fruits les plus pesants du labeur des années ; parcourant sans s’arrêter de long cercle de peines qui ramène dans nos champs, en revenant sur soi, ce que Cérès nous donne et ce qu’elle vend aux animaux ; que cette suite de fatigues avait, de tous tant que nous sommes, pour récompense force coups, peu de gré ; puis que, quand il était vieux, on croyait l’honorer toutes les fois que les hommes achetaient l’indulgence des cieux au prix de son sang. » Il fallait faire ainsi « le peseur de syllabes et le regratteur » de consonnes, et se hasarder jusqu’à la critique de Batteux et de Denys d’Halicarnasse, pour montrer que l’instinct d’un poète, même bonhomme, est aussi savant que la réflexion d’un philosophe.
J’ai essayé de montrer, à l’occasion de Stendhal, de Tourguéniev et d’Amiel, quelques-unes des fatales conséquences de la vie cosmopolite. […] Leconte de Lisle et Taine m’ont permis de montrer quelques exemplaires des effets produits par la science sur des imaginations et des sensibilités diverses. […] En vérité, je ne crois pas qu’aucun écrivain, non pas même Stendhal, ait montré une pénétration supérieure dans l’étude des « passions de l’amour ».
L’énonciation précise et immédiate d’un concept métaphysique ne va pas sans une sécheresse qui répugne au rythme, et ses lignes abstraites ne peuvent se montrer sous les formes harmonieuses et les couleurs de l’œuvre d’art. […] Le Poète est celui qui saisit les rapports idéaux des Formes entre elles, et le symbole est créé par la cohésion soudaine de celles-ci, lorsqu’elles se montrent désormais nécessairement liées et expriment implicitement leur unité idéale. […] Je me souviens de quelques vers où je montrais des cavaliers en un furieux galop ; mais j’indiquais bien vite qu’ils représentaient « les désirs » et j’obtenais des chants vraiment peu lyriques, tels que ceux-ci : Désirs, guerriers de fer à l’assaut du Bonheur et, plus loin : Lourds Désirs chevauchant l’Espoir vers la Douleur.
Bien qu’il ne soit pas malaisé de montrer, dans les drames religieux de l’Inde ancienne, l’image d’une vie tout intérieure mais que des cultes pieux faisaient sociale ; dans les tragi-comédies du moyen âge espagnol, la double expression du mélange trouble, d’un obscurantisme fanatique et d’une nature lumineuse ; dans les licencieuses fantaisies du théâtre italien plus moderne, la mise en scène d’une société brillante et dissolue ; — mieux vaut rappeler, pour convaincre par des exemples tout à fait décisifs, les deux peuples dont la vie sociale fut le plus harmonieuse, et la vie théâtrale le plus artistique, la Grèce et la France. […] Ce fut un théâtre national que celui où des artistes comme Eschyle, Sophocle, Aristophane, montraient, suivant le tour pathétique ou ironique de leur sensibilité, les hauts faits des spectateurs et de leurs ancêtres, aussi les faiblesses d’une démocratie trop vite enthousiaste. […] La Folle Journée et la folle soirée de son succès montrent la dernière œuvre dramatique comme le dernier public de l’ancien régime : c’était la ruine prochaine que la pièce présageait et que la société acclamait.
Bien qu’il ne soit pas malaisé de montrer, dans les drames religieux de l’Inde ancienne, l’image d’une vie tout intérieure, mais que des cultes pieux faisaient sociale ; dans les tragi-comédies du moyen âge espagnol, la double expression du mélange trouble, d’un obscurantisme fanatique et d’une nature lumineuse ; dans les licencieuses fantaisies du théâtre italien plus moderne, la mise en scène d’une société brillante et dissolue ; — mieux vaut rappeler, pour convaincre par des exemples tout à fait décisifs, les deux peuples dont la vie sociale fut le plus harmonieuse, et la vie théâtrale le plus artistique, la Grèce et la France. […] Ce fut un théâtre national que celui où des artistes comme Eschyle, Sophocle, Aristophane, montraient, suivant le tour pathétique ou ironique de leur sensibilité, les hauts faits des spectateurs et de leurs ancêtres, aussi les faiblesses d’une démocratie trop vite enthousiaste. […] La Folle Journée et la folle soirée de son succès montrent la dernière œuvre dramatique comme le dernier public de l’ancien régime : c’était la ruine prochaine que la société acclamait.
Son originalité est dans une figure qui, jusqu’ici, n’avait pas été montrée au théâtre : celle de la mère corrompant naïvement son fils et jouant auprès de lui le rôle de la malesuada fames, dont parle Virgile. […] Pourquoi toujours montrer le bon sens sous cette lourde enveloppe ? […] … Mais, d’une autre part, la comédie, en prenant pour terrain une situation trop en vue, aurait soulevé des allusions toutes vives, toutes flagrantes, des allusions qui auraient montré du doigt, peut-être, et dont le geste risquait de s’égarer.
Il nous montrait tout à l’heure le spectre vieilli du Concubinage, voici maintenant l’épouvantail de la Passion brutale et bornée. […] La pièce se ressent de sa triste influence ; elle se met au ton de ce dur railleur ; les sentiments tendres n’osent guère s’y montrer. […] Alexandre Dumas ne s’était montré si délicat et si ferme, si cordial et si chaleureux.
La sympathie de nos cœurs calmait le sien ; je lui montrais notre Du Gua (c’est le nom de son frère) plus heureux que nous, heureux, si nos cœurs lui étaient connus, de toutes les traces qu’il y a laissées. […] Voici maintenant le fait : Avant qu’on parlât dans l’Assemblée de cet événement, Desmeuniers me montra une lettre qui le lui annonçait. […] C’est alors que, voulant montrer tout le danger qu’il y avait pour la liberté même à rendre la personne du monarque responsable à ce degré soit en mal, soit en bien, il s’écria : « À ceux qui s’exhalent avec une telle fureur contre l’individu qui a péché, je dirai : Vous seriez donc à ses pieds si vous étiez contents de lui !
Pour montrer le degré de rigueur et d’absolu de la vérité qui se mesure à l’étendue même des lumières et de la certitude, il a pu écrire : « L’homme le plus éclairé sera l’homme le moins indifférent ou le moins tolérant ; et l’Être souverainement intelligent doit être, par une nécessité de sa nature, souverainement intolérant des opinions 56. » Voilà Dieu compromis, dans la bouche d’un homme pieux, par une expression malheureuse. […] Bossuet, l’Évangile même, dit-il, n’ont sur les chrétiens que l’autorité que leur donne l’Église. » Par condescendance pourtant, et afin de montrer que la vérité accepta toutes les armes, M. de Bonald prend des mains du xviiie siècle les divers problèmes, tels que ce siècle les a posés. […] Ses lettres à Joseph de Maistre, récemment publiées, nous le montrent simple en effet, suivant de tout point ses idées et les pratiquant, très occupé des détails, et revenant souvent d’une manière naturelle, mais cependant marquée, à ses soucis de famille et d’intérêts domestiques.
Il se montra tel le 13 Vendémiaire, et tel encore dans les mois qui précédèrent le 18 Fructidor, « un factieux de sang-froid et en toute connaissance de cause ». […] Arrivé en province, à Moulins, il s’aperçoit aisément que la proscription ne l’y atteindra pas : il aurait même pu se montrer sans danger et reparaître, s’il n’y avait pas vu une espèce de bravade, et par conséquent un défaut de convenance : « Mais, ajoute-t-il, il faut être poli, même avec les révolutions. » On doit déjà saisir le ton de cet esprit fin, ironique, épigrammatique, et légèrement impertinent jusque dans les choses sérieuses : son mérite est de renfermer bien du bon sens et des vues justes sous cette forme-là. […] Fiévée, se montra avec lui « simple, spirituel, coquet et confiant », comme il savait l’être quand il voulait séduire, et, pour conclusion, il l’envoya en Angleterre, avec ordre d’observer ce pays, avec qui on était nouvellement en trêve, et de lui en écrire.
Il voulut montrer à toute la terre, et c’est lui qui le dit, qu’il y en avait encore un au monde. […] Si judicieux et sensé que fût en général Louis XIV, si disposé qu’il se montrât à tout prévoir et à tout raisonner, il sentait qu’il y a des moments où, comme roi, il faut absolument risquer et inventer un peu à l’aventure, sous peine de manquer à la sagesse même. […] Je montrais l’autre jour, j’énumérais les gens de lettres qui se groupaient autour du surintendant Fouquet, et qui florissaient à l’envi sous ses auspices.
Le Casuiste veut montrer qu’un homme de son état est nécessaire à certaines gens, qui, sans viser à la perfection, tiennent à faire leur salut : « Comme ils n’ont point d’ambition, dit-il, ils ne se soucient pas des premières places ; aussi entrent-ils en paradis le plus juste qu’ils peuvent. Pourvu qu’ils y soient, cela leur suffit. » Ailleurs, parlant de ces gens dont la conversation n’est qu’un miroir où ils montrent sans cesse leur impertinente figure : « Oh ! […] Au milieu des hardiesses et des irrévérences des Lettres persanes, un esprit de prudence se laisse entrevoir par la plume d’Usbek ; en agitant si bien les questions et en les perçant quelquefois à jour, Usbek (et c’est une contradiction peut-être à laquelle n’a pas échappé Montesquieu) veut continuer de rester fidèle aux lois de son pays, de sa religion : « Il est vrai, dit-il, que, par une bizarrerie qui vient plutôt de la nature que de l’esprit des hommes, il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois : mais le cas est rare ; et, lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante. » Rica lui-même, l’homme badin et léger, remarquant que dans les tribunaux de justice, pour rendre la sentence, on prend les voix à la majeure (à la majorité), ajoute par manière d’épigramme : « Mais on dit qu’on a reconnu par expérience qu’il vaudrait mieux les recueillir à la mineure : et cela est assez naturel, car il y a très peu d’esprits justes, et tout le monde convient qu’il y en a une infinité de faux. » C’est assez pour montrer que cet esprit qui a dicté les Lettres persanes ne poussera jamais les choses à l’extrémité du côté des réformes et des révolutions populaires.
Il a très bien montré comment, du côté de la France, l’écho répétait et doublait en quelque sorte des paroles familières dites à huis clos à Berlin ou à Potsdam, et que l’Allemagne, en son temps, n’entendait pas. […] Aujourd’hui, en m’occupant de la Correspondance de Frédéric selon l’ordre où elle se déroule à nous dans les Œuvres complètes, je m’attacherai surtout à montrer en lui les sentiments du cœur et de l’âme, tels qu’il les avait dans la jeunesse et qu’il les garda jusque sur le trône, au moins tant que ses premiers amis vécurent. […] Vous que je compte au nombre de ces derniers, vous voudrez bien vous persuader de plus en plus que vous trouverez en moi tout ce qu’Oreste trouva jamais dans Pylade… Par ces derniers mots, et à la veille de l’exécution, Frédéric se montrait fidèle à ce qu’il disait à son ami dès l’origine de leur liaison, et à ce qu’il n’avait cessé de lui répéter : Si jamais je puis être le moteur de vos destinées, je vous garantis que je n’aurai d’autre soin que celui de vous rendre la vie aussi agréable qu’il me sera possible.
Un tel art aurait au plus haut point le défaut inhérent à tous les arts, qui est de se montrer infiniment plus étroit que la nature. […] Le charme des récits populaires vient peut-être de ce que les humbles nous y sont montrés simples et presque inconscients dans leur héroïsme ou dans leur dévouement, comme dans leur vie de chaque jour, spontanés en un mot, et sincères. […] L’existence, au règne de Louis XIV, avait pris quelque chose de général, de régulier et de froid, qui fait que l’art de cette époque, comme l’a fait voir Taine, représentait encore des modèles vivants au moment même où il semble nous montrer des marionnettes.
Les phrases, leur suite et leurs combinaisons, sont destinées à montrer un spectacle complexe, celui de gens agissant dans des lieux. […] Par contre, il faudra modifier les procédés que nous avons précédemment décrits, pour toutes les œuvres servant à exposer des idées et non à montrer des spectacles, c’est-à-dire pour le poème didactique, les discours, la critique littéraire, la philosophie et la science. […] Guyau néglige de montrer : a).