Il a l’honneur d’être un moderne comme nous. […] Contre le merveilleux et l’incompréhensible de son histoire, à lui qui vivait il y a les trois jours de trois siècles, à lui le moderne qui touchait à Luther et à qui nous touchons, on ne pouvait opposer l’éloignement des temps et leur poésie ; la légende des religions naissantes, et l’imagination de peuples qui avaient l’imprimerie et qui étaient assez vieux pour tout discuter. […] Grand esprit positif, comme disent les esprits vagues avec idolâtrie, M. de Humboldt est l’Aristote des temps modernes, moins la philosophie.
II Certes, quand on parcourt toutes ces histoires où la Ligue est en jeu, on a le droit de s’étonner de l’éternel oubli qui devrait pourtant être impossible, de l’organisation populaire telle que le catholicisme l’avait créée, de cette gloire du Moyen Âge à laquelle le monde moderne, qui l’insulte, n’a rien encore à opposer, des confréries dans les églises, des spécialités d’états, des corporations des arts et métiers et de leurs luttes, dès les premiers jours du Protestantisme, contre l’industrie protestante. […] Au point de vue de la politique, l’Église et le peuple sont identiques, car, en dehors de l’Église, il n’y a pour les multitudes que l’esclavage antique et ses hontes ou le morcellement moderne et ses fanges. […] Le peuple, menacé au xvie siècle dans tout ce qui était sa vie, sentait absolument cette identité que les historiens devraient montrer davantage pour expliquer une action qui ne fut point une révolte dans le sens que les révolutions modernes ont donné à ce terrible mot, et pour l’expliquer aux penseurs politiques de nos jours qui ont rayé, il est vrai, les questions de foi de leurs programmes, c’est-à-dire toute l’économie de la vie morale, mais qui, en présence des intérêts matériels, comprendront peut-être que la Ligue, c’est-à-dire la société même, courût aux armes pour se sauver !
Invention moderne, mais qui n’est pas que moderne. […] La parole, sur laquelle vivent les conférenciers modernes et qui ajoute à sa radicale infériorité l’odieuse et vaniteuse prétention d’être improvisée, glisse sur les grands sujets et ne saurait les poinçonner.
Et les plus grands inventeurs eux-mêmes qui aient vécu dans les temps modernes, c’est-à-dire à l’époque de la Critique par excellence : Goethe, Walter Scott, Chateaubriand, Balzac, n’ont pas dédaigné d’être des critiques ; et ils savaient qu’ils doublaient leur gloire en l’étant au même degré qu’ils avaient été des inventeurs ! […] Monsieur de Cupidon — comme dit la vieille petite nudité de ce nom — est, on s’en doute bien, cet Amour que le xviiie siècle avait conçu et réalisé, dont la monographie est depuis longtemps trop connue pour que nous la recommencions, et qui, revenu après sa mort sous la forme d’un dandy moderne, traverse le monde et retrouve tous les personnages de sa vie antérieure, affublés comme lui de formes nouvelles : Voici monsieur Dubois plaisamment fagoté ! […] Telle est la donnée que Monselet a cru faire accepter à l’Imagination moderne, cette grande dégoûtée, mais, au demeurant, la meilleure fille du monde ; tel est le pivot sur lequel il s’amuse à faire tourner, et quelquefois avec beaucoup de souplesse de grâce, les divers épisodes d’une composition qui est au roman ce que la comédie à tiroirs est à la comédie de caractère.
Noriac, le côté dramatique et réel, qui est tout moderne. […] Mais ce ne m’est pas un motif suffisant de nier que nos hommes de théâtre charpentent à ravir, et que la charpente soit « une conquête toute moderne ». […] Que le Gautier de l’Art moderne est loin de nous ! […] Il restait moderne et de son pays quand même. […] Nous sommes tous égaux devant l’artiste moderne.
Mais ces enfants, même en étudiant avec soin ce qu’on leur apprend, ignorent une quantité de choses de la société et de la vie, et du monde moderne, qu’on apprend d’ordinaire par l’air, dans l’atmosphère générale et par les relations de tous les jours : ils arrivent au sacerdoce, bons prêtres peut-être quant à la piété et à la connaissance théologique et liturgique spéciale, mais ignorants d’ailleurs, grossiers de manières et incapables d’agir dans une sphère un peu élevée. […] Littérairement, il a réagi depuis dix ans avec une grande vivacité et persistance contre le lyrisme et surtout contre le drame moderne.
Les temps modernes, qui forment la cinquième et dernière période, à partir de Bacon et Descartes, et qui constituent pour un grand nombre d’enseignements le principal de l’histoire de la philosophie, n’obtiennent pas ici tout le développement qui conviendrait peut-être ; mais c’est la partie la plus abordable, celle à laquelle les discussions habituelles du dehors initieront assez tôt les jeunes esprits, et il était plus utile de leur faire apprécier tous ces immenses travaux précédents qu’on a trop de hâte d’oublier dans la plupart des débats modernes.
Mais un empire, douze fois grand comme la France actuelle, ne saurait former un État dans l’acception moderne. […] La nation moderne est donc un résultat historique amené par une série de faits convergeant dans le même sens.
Et qu’est ce livre de la Conformité du langage français avec le grec, sinon, sous la forme la plus innocente, car elle est la plus superficielle, la preuve, essayée vainement par un érudit, de cette origine et de cette descendance que les païens de la Renaissance ont toujours cherché à établir entre le monde moderne et l’antiquité ? […] Extrait du tome XVI de l’Encyclopédie moderne, dont Didot est l’âme et la main et dont nous parlerons un jour quand il s’agira de la juger dans son ensemble, cet Essai sur la Typographie, qui forme un volume de près de quatre cents pages sur deux colonnes, est un livre spécial qui embrasse sous toutes ses faces l’art dont il traite.
Taine, ne trouvant pas autour d’eux l’Anglo-Saxon individualiste, l’Oriental noble et rêveur, l’artiste débauché et génial qui contenteraient leur conception de la vie, déclarent que la France est perdue, que les temps modernes sont honteux. […] Nos grands écrivains littéraires, quand ils dépeignent la société moderne, et à quelque parti d’ailleurs qu’ils se figurent appartenir, emploient toujours des couleurs au moins aussi injurieuses que celles qu’on trouve dans ces Carnets de voyage de Taine.
L’auteur de ces éloges est ce même Charles Perrault, qui, quelque temps auparavant, avait élevé la fameuse dispute des anciens et des modernes. […] Les noms d’Apelle et de Phidias étaient peut-être aussi chers à la Grèce que celui de Thémistocle ; et de tous les généraux de l’Italie moderne, quel est celui dont le nom est mis à côté de Raphaël ?
Le fait capital des temps modernes est l’avènement de la démocratie. […] Et de là vient, en grande partie, le dogmatisme de la philosophie moderne. […] Les modernes se placent, il est vrai, à un tout autre point de vue. […] Mais la vérité est que ni la science des modernes ne présente cette simplicité unilinéaire, ni la métaphysique des modernes ces oppositions irréductibles. La science moderne n’est ni une ni simple.
XII Si maintenant on nous interroge sur cette forme de la poésie qu’on appelle le vers, nous répondrons franchement que cette forme du vers, du rythme, de la mesure, de la cadence, de la rime ou de la consonance de certains sons pareils à la fin de la ligne cadencée, nous semble très-indifférente à la poésie, à l’époque avancée et véritablement intellectuelle des peuples modernes. […] Ainsi, l’époque primitive, L’époque gréco-latine, L’époque intermédiaire (ou l’interrègne des lettres), L’époque moderne, Voilà nos jalons. […] La poésie moderne la plus éthérée et la plus mystique, celle de Dante lui-même, n’a pas une scène aussi émouvante, aussi dramatique et aussi sainte à la fois dans sa simplicité. […] Dante, le poète épique et mystique de nos temps modernes, a-t-il aucune scène ou aucune conception, dans ses trois poèmes, supérieure à cette scène, et à cette conception de la littérature indienne ? […] Un des dieux, témoins de son mariage avec Damayanti, le poursuit de sa jalousie : ce dieu trouble sa raison, il le possède, suivant l’expression moderne ; il lui inspire la passion du jeu jusqu’à la frénésie.
Or, tout avait concouru aussi, dans les mœurs et dans les règnes, à enrichir la langue française d’alluvions d’idiomes ou antiques ou modernes, qui la rendaient propre à devenir à son tour monumentale. […] Ainsi, au moment dont nous vous entretenons, la monarchie s’était faite homme dans Louis XIV, la Bible s’était faite homme dans Bossuet, l’Évangile s’était fait homme dans Fénelon, la comédie s’était faite homme dans Molière, la langue poétique moderne s’était faite homme dans Racine. […] L’originalité littéraire de l’Europe moderne, c’est la Bible et le christianisme. […] Ce genre était admirablement approprié à la scène moitié royale, moitié monastique, sur laquelle Esther était destinée à être représentée, et aux jeunes actrices qui devaient la représenter devant le moderne Assuérus. […] Nous allons vous faire assister à ce chef-d’œuvre comme on doit assister à un tel drame, non pas dans une froide lecture, mais dans une sublime et unique représentation sur la première scène du monde, à Paris, et par la voix du premier des tragédiens modernes, Talma !
Et il examine l’application de cet idéal grec à la pensée moderne. […] Cet unique moderne, c’était Pascal. […] À quelques égards, il est très moderne. […] La séparation des deux grands domaines de l’esprit humain est un abus moderne et désastreux. […] Parmi les modernes, il goûtait surtout Hugo, Lamartine et son ami Renan.
Ceux qui sentent profondément ce charme aimeront ces bijoux poétiques où un goût raffiné, une grâce moderne peut mêler aux complications sauvages de la forme. […] Paris enfin et ses Champs-Élysées offrent, certains soirs, des spectacles glorieux, et la vie moderne et les « hétaïres » ne sont point dépourvues d’élégance. […] Sully-Prudhomme a plus de candeur : incomparables tous deux dans l’expression de la plus fière et de la plus aristocratique sagesse où l’homme moderne ait su atteindre. […] Traiter des questions toutes modernes avec la phrase de Descartes et le vocabulaire de Bossuet, voilà le problème qu’a souvent résolu M. […] Mais cela même ajoute à l’air d’épopée ; car il arrive, par le mensonge de cette réduction, à rendre à des figures modernes une simplicité de types primitifs.
Moi, j’ai voulu fixer un mirage en appliquant à l’Antiquité les procédés du roman moderne, et j’ai tâché d’être simple. […] car ni moi, ni vous, ni personne, aucun ancien et aucun moderne, ne peut connaître la femme orientale, par la raison qu’il est impossible de la fréquenter. […] Au lieu de rester à votre point de vue personnel, votre point de vue de lettré, de moderne, de Parisien, pourquoi n’êtes-vous pas venu de mon côté ? […] Toutes les fois, en effet, que j’avais à parler de poésie, soit des poëtes modernes, soit de ceux de l’Angleterre que M. […] Il savait à merveille la littérature moderne la plus contemporaine ; ses impressions légères me rajeunissaient, et lorsque, ayant à peindre la marquise de Pompadour, nous allions ensemble regarder au Musée le beau pastel de Latour que je voulais décrire, il me suggérait de ces traits fins et gracieux qu’une fraîche imagination trouve d’elle-même en face de l’élégance et de la beauté.
Toute pièce ancienne ou moderne où quelque allusion s’entrevoit, est exposée à rester bannie du théâtre. […] Il n’est resté de tant d’artifices grecs, que ces écouteurs inactifs dont le nom seul trahit l’inconvenance : encore Chénier et d’autres modernes ont-ils supprimé ces froids personnages dont nos romantiques voisins, qui nous les reprochent, ne savent pas toujours se passer. […] Les passions politiques que l’histoire nous montre si énergiques chez les anciens, si dégradées et si perfides au moyen âge, si actives et si profondes dans les temps modernes, sont le principal ressort de plusieurs pièces romantiques. […] Aristote), à tout ce que nous savons de réel touchant la nature physique et morale , c’est à elle aussi que nous devons, dans tous les genres d’écrire et dans tous les arts, les chefs-d’œuvre anciens et modernes que nous appelons classiques. […] Nous entendons bien ce que veut dire le mot romanesque ; il s’applique à des histoires fabuleuses du genre de celles qu’on écrivait, au moyen âge, dans les jargons appelés Romans, ou romains rustiques, grossières altérations de la langue latine, informes ébauches des langues modernes.
Voici donc la promenade et la distraction de ces deux débris du monde antique dans la société moderne : l’athlète et la matrulle. […] À côté, voici l’argenterie et les seaux de Champagne, que certes ni Meissonier ni Germain n’ont ciselés, trois nécessaires de voyage, quelques livres en misérable habit, en demi-reliure, des diamants ; un reliquaire de bijoux dessiné sur les étrusques du Vatican et du Museo Borbonico, une parure zingare aux pierres sans valeur, montée par quelque Gilles l’Égaré du royaume de Thunes, un odieux service de dessert en porcelaine peinte et des tasses de Sèvres moderne. […] Diderot a inauguré le roman moderne, le drame et la critique d’art. […] Saint-Victor arrive, ébouriffé, non peigné, non bichonné, en déshabillé de tout l’être, et charmant garçon ainsi et beau comme un éphèbe de la Renaissance dans son rayonnant désordre, car il n’est pas fait pour l’habillement moderne qui le vulgarise et le perruquifie… * * * — Un ouvrier ébéniste, d’un de ces mots de peuple, a devant moi défini le style de ce temps sans style, le style du xixe siècle. […] Le monde de l’art, au contraire, contient les nobles âmes, les âmes mélancoliques, les âmes désespérées, les âmes fières et gouailleuses, comme Watteau qui échappe aux amitiés des grands, et parle de l’hôpital ainsi que d’un refuge ; comme Lemoyne qui se suicide, comme Gabriel de Saint-Aubin qui boude l’officiel, les académies, et suit son génie dans la rue, comme Le Bas qui met son honneur d’artiste sous la garde de la blague moderne.