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2212. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XX. Mme Gustave Haller »

Y a-t-il mis de la malice ? […] Elle est une perfection, cette jeune personne que le roman s’est bien gardé de faire jolie, pour mieux mettre en relief l’influence, toute seule, de la vertu. […] Je ne crois pas que Mme Gustave Haller soit Anglaise cependant : mais elle a dû aller et séjourner en Angleterre et elle s’y est faite Anglaise, avec la facilité et la souplesse alcibiadesques qu’ont les femmes à prendre une individualité et à la mettre à la place de celle qu’elles n’ont pas… La vertu même de sa Vertu est une vertu anglaise.

2213. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Chine »

Elle est donc toujours un mystère… non pas un simple mystère à ténèbres dans lesquelles l’œil cherche sans voir, mais un mystère à éblouissements qui brise la lumière sous les feux luttants des contradictions… Avec un pareil peuple, qui semble échapper au jugement même, avec ce sphinx retors qui a remplacé l’énigme par le mensonge et auprès de qui tous les sphinx de l’Egypte sont des niais à la lèvre pendante, n’y a-t-il pas toujours moyen, si on ne met pas la main sur le flambeau de la vérité, de faire partir, en frottant son esprit contre tant de récits, les allumettes du paradoxe, et d’agir ainsi, fût-ce en la déconcertant, sur l’Imagination prévenue, qui s’attend à tout, excepté à l’ennui, quand on lui parle de la Chine et des Chinois ? […] Après les grands travaux du Père Du Halde, du Père Grosier, du Père Amyot, du Père Gaubil, et de tant d’autres Pères jésuites, qui firent, pendant un moment, de la Chine une province de leur ordre ; après les livres des voyageurs anglais sur cette Chine logogriphique, aussi difficile à déchiffrer que son écriture ; en présence surtout de ces Pères de la foi, notre Compagnie des Indes de la rue du Bac (comme les appelait un grand écrivain), et dont les observations sont le meilleur de l’érudition contemporaine sur les institutions et les mœurs de la Chine, si deux sinologues, ayant passé toute leur vie dans une Chine intellectuelle qu’ils ont redoublée autour d’eux comme les feuilles d’un paravent, se mettaient à écrire de leur côté une histoire du pays qu’ils n’ont pas cessé d’habiter par l’étude et par la pensée, il y avait lieu de croire, n’est-il pas vrai ? […] Mais des documents inconnus sur le Céleste-Empire, et des considérations supérieures à celles que deux siècles d’incertitudes et de travaux poursuivis plus ou moins à tâtons par les Quinze-Vingts de nos Académies des sciences ont mis en circulation dans le monde savant européen, nous en avons vainement cherché la trace.

2214. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Sahara algérien et le Grand Désert »

Ceux du général Daumas, au contraire, sont restés, dans l’opinion éclairée, juste à la hauteur où le premier moment les avait mis. […] Tout ce qui l’exalte, tout ce qui la raconte, tout ce qui nous apprend à l’aimer, tout ce qui nous fera mettre notre main dans sa main, notre cœur sur son cœur, est, littérature à part, digne d’applaudissement, d’encouragement, de popularité. […] Nous ne mettons rien au-dessus de cette force sociale qui recommencerait les sociétés, si les sociétés périssaient, parce que l’esprit de l’armée, c’est le sacrifice.

2215. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Jacques Cœur et Charles VII »

De ces deux êtres auxquels il devait sa couronne, Charles VII, que l’histoire appelle si amèrement « le Bien-Servi », laissa brûler l’une comme sorcière, et mettre en jugement l’autre comme concussionnaire et comme empoisonneur. […] Seulement, dès qu’on a traversé toute cette splendeur et qu’on a mis la main sur le cœur de l’homme, on ne trouve plus qu’un être abject, auquel Dieu — qui sait seul ses desseins — a fait une grande destinée. […] dans ce pays moitié soldat et moitié femme, là où la gloire et l’amour ont mis leur double rayon il y a fascination, éblouissement et sorcellerie ; mais l’honneur de l’Histoire est d’être impassible, et d’ailleurs l’amour de Charles pour Agnès n’était pas de si noble nature qu’il pût justifier son prestige.

2216. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme et l’Enfant » pp. 11-26

L’Histoire ouverte et splendide lui offrait un enseignement plus fécond que tous les systèmes ; mais il s’est détourné de l’Histoire, et, homme de système avant tout, il s’est mis à tourner autour de la chimère de ce temps : la production de la richesse. […] D’un autre côté, par cela même que Jobez, comme, du reste, tous les économistes de père en fils, déplace la question sociale et la met dans un accroissement de richesse au lieu de la mettre dans un accroissement de moralité, toutes les questions qui suivent celle-là et qui auraient dû trouver place dans ce livre n’y sont pas même abordées.

2217. (1880) Goethe et Diderot « Note : entretiens de Goethe et d’Eckermann Traduits par M. J.-N. Charles »

Et cela, mis ainsi à côté de l’Auguste lilliputien de la cour de Weimar, fait l’effet d’être gigantesque. […] Prenez les jugements de celui qu’il appelle le plus grand des critiques sur lord Byron, Molière, Voltaire, Shakespeare, Diderot, etc., tous ces esprits éclairés de tant de côtés à la fois par leur propre gloire, et sur lesquels on est tenu, pour être un grand elle plus grand critique, de dire un mot qui n’a pas été dit, démontrer une qualité ou un défaut qu’on n’avait pas vu jusque-là, et demandez-vous si toutes ces gloses de Gœthe au bon Eckermann ne sont pas faites avec des idées qui sont dans la circulation, ou qui, si elles n’y étaient pas, pourraient y être mises par la première plume moyenne venue, la première plume honnête et modérée. […] Parce qu’il ajustait avant tout le succès, le rapport, la chose utile, immédiatement utile, on a dit qu’il était un grand génie positif, qu’il avait la science de la vie, et tous les serviles du succès se sont mis à genoux et l’ont reconnu pour leur maître.

2218. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IV. M. Henri Martin. Histoire de France » pp. 97-110

Touchée, sans doute, de ce dévouement à la chose publique, l’Académie mit son estampille à cette teinture, en donnant à plusieurs reprises le prix Gobert à son auteur. […] Martin peut leur mettre. […] Voilà ce qui met sur l’oreille de M. 

2219. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Émile de Girardin » pp. 45-61

Le premier venu qui a de l’audace et un chiffon de papier met ce qui lui vient dessus, et le voilà journaliste, tandis que pour être homme de lettres il faut évidemment un peu plus. […] La cause de l’argent étant donnée et puisqu’il s’agissait de la plaider sous forme de comédie, on pouvait y mettre du talent. […] Tous les autres rôles, qui tournent autour de ceux-là, n’existent que pour mettre en relief la fille du millionnaire, bête comme une dot de six millions, et qui abuse encore de cet énorme droit.

2220. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Sabran et le chevalier de Boufflers »

Toujours, en voulant la mettre, elle la déchire, et c’est une lutte charmante dont le naturel sort vainqueur. […] toute d’amour pour ce que Madame de Sabran y a mis, et où les lettres de Boufflers mettent un Boufflers grave, — presque aussi grave que le bailli de Mirabeau, qui fut aussi un gouverneur de colonie, — un Boufflers enfin que Napoléon, qui le négligea sur sa réputation de faiseur de bouquets à Chloris, aurait pu très bien employer.

2221. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVII. Saint-Bonnet »

D’aucun côté (jusqu’ici du moins) ne s’était levée, pour en finir, une de ces intelligences supérieures qui ferment les débats sur une question, comme Cromwell ferma la porte du parlement et en mit la clef dans sa poche ; et la Critique attendait toujours le mot concluant et définitif qui devient, au bout d’un certain temps, la pensée de tout le monde, ce mot qui est le coup de canon de lumière après lequel il peut y avoir des ennemis encore, mais après lequel il n’y a plus de combattants. […] Saint-Bonnet, la Raison, c’est la faculté divine, impersonnelle, qui nous met en rapport avec l’infini. […] Saint-Bonnet sera de mettre fin à la thèse du traditionalisme exclusif.

2222. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVIII. Lacordaire »

Or, c’est bien d’amitié qu’il s’agit et d’amitié humaine, car le livre s’ouvre justement par la plus singulière théorie sur l’amitié, l’amitié que l’auteur met, de son autorité privée de moraliste, au-dessus de tous les sentiments de l’homme. […] Mais le Père Lacordaire, moderne lui-même comme le roman, a trouvé que ce n’était pas assez que les quelques mots, rayonnants dans les placidités du divin récit, que les quelques faits qui donnent Dieu et l’homme en bloc ; il a voulu, qu’on me passe le mot, y mettre plus d’homme, et il l’a voulu pour émouvoir les âmes où il y a plus de créature humaine que de chrétienne, car ce livre — on le sent par tous ses pores, — est écrit surtout pour les femmes et pour les âmes femmes, quel que soit leur sexe. […] On fit mettre dans un reliquaire d’or « le chef qui représentait par excellence le cœur de la sainte ! 

2223. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXI. Philosophie positive »

nous voulons mettre l’Académie des Sciences dans la rue en attendant que nous la mettions dans l’Église, et vive la science ! […] Comte ; Cabanis, Broussais et le docteur Gall, le docteur Gall surtout, dont directement il procède, et auquel il emprunte son système de petites boîtes numérotées sur le crâne, pour mettre là-dedans les facultés de l’âme qu’il y a vues probablement, ce grand observateur qui n’invente rien, et pas même sa philosophie !

2224. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Edgar Quinet »

Aux fougues du jeune homme il joint même des naïvetés de fillette ; il met des coquillages à ses oreilles et parle avec ses coquillages. […] Mais nous, nous ne voulons pas être des messieurs Jourdain, et nous nous mettons à rire ! […] Elle ressemble à celle des Indiens, qui mettent le monde sur un éléphant, l’éléphant sur un œuf, l’œuf sur rien.

2225. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »

Quinet rappelle l’Arioste, mais l’Arioste avec cette fameuse tête qu’Ariel mit un jour sur les épaules de Puck, et qui, je crois bien, ne trouvera pas cette fois-ci de Titania ! […] Avant de le mettre au tombeau de sa légende, dans lequel il recommence de vivre, après la mort, absolument comme il vivait, avant d’être dans le tombeau (par parenthèse une des plus grandes bêtises par impuissance de ce poëme d’impossibilités), M.  […] Edgar Quinet ne sera pour nous que ce qu’il est aujourd’hui, — un homme qui a mis douze ans à faire un livre, mortellement ennuyeux, dans un genre faux, avec un talent faux et une poésie fausse !

2226. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Stendhal et Balzac » pp. 1-16

justement parce qu’ils n’étaient pas si étroitement attachés à l’intérêt le plus grossier de leur négoce, parce qu’ils n’étaient pas si marchands au pied raccourci de la lettre, ils faisaient naturellement de plus grandes affaires dans un commerce où l’appréciation de la chose mise en circulation exige presque l’intelligence du critique, qui voit les deux bouts de la chaîne : le mérite d’un livre et son effet probable sur le public. […] — et ils finissaient par trouver que c’était bien jouer, même au point de vue du comptoir, que d’avoir de l’initiative, que d’oser mettre en avant des noms nouveaux ou ressusciter des noms anciens trop oubliés, que de publier enfin, à ses risques et périls, des livres vierges, ou de refaire sans peur une édition de quelque vieux livre épuisé. […] Eh bien, le libraire qui, comme l’écrivain, se fait la courtisane des fantaisies de son époque et n’ose prendre aucune initiative en dehors de ce que ces fantaisies lui imposent, encourt un peu de ce mépris qui revient aux hommes littéraires, profanateurs de leur génie, qui ont mis en petits morceaux, dans des compositions proportionnées à la taille de leur époque, cet arbre merveilleux que Dieu leur avait planté dans la tête et qui devait s’épanouir et fleurir dans quelque beau livre, orgueil de la patrie et de la postérité !

2227. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Honoré de Balzac » pp. 1-15

— la manière d’un homme assez épique de facultés pour harmoniser une création derrière un personnage qu’il veut mettre en saillie, et faire tourner toute une civilisation autour de lui ! […] Aujourd’hui nous ne mettons qu’un nom où il faudrait tout un livre, car il ne faut pas moins que tout un livre pour juger les facultés de l’œuvre de l’immortel auteur de la Comédie humaine. […] Telle est la raison qui nous a fait mettre ici un examen qui aurait mieux sa place dans le volume des Critiques (les Juges jugés).

2228. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Prosper Mérimée. » pp. 323-336

… A ce compte-là, s’il fallait l’admettre, l’art du roman ne serait plus que la puissance « de bâtir un Alhambra sur une pointe d’aiguille », et l’art dramatique, composé autrefois de caractères, de passion et d’esprit — le plus que l’on pouvait en mettre, et on n’en mettait jamais assez ! […] Il faudrait peut-être rappeler ici que nous avons mis le nom du xixe  siècle à la tête du livre intitulé : Les Œuvres et les hommes.

2229. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVI. Des éloges académiques ; des éloges des savants, par M. de Fontenelle, et de quelques autres. »

Il y a une foule d’hommes qui, sans avouer aux autres leur secret, et sans trop se l’avouer à eux-mêmes, se mettent, sans qu’on s’en doute, aux premières places. […] Il consiste presque toujours dans des allusions fines, ou à des traits d’histoire connus, ou à des préjugés d’état et de rang, ou aux mœurs publiques, ou au caractère de la nation, ou à des faiblesses secrètes de l’homme, à des misères qu’on se déguise, à des prétentions qu’on ne s’avoue pas ; il indique d’un mot toute la logique d’une passion ; il met une vertu en contraste avec une faiblesse qui quelquefois paraît y toucher, mais qu’il en détache ; il joint presque toujours à un éloge fin une critique déliée ; il a l’air de contredire une vérité, et il l’établit en paraissant la combattre ; il fait voir ou qu’une chose dont on s’étonne était commune, ou qu’une dont on ne s’étonne pas était rare ; il crée des ressemblances qu’on n’avait point vues ; il saisit des différences qui avaient échappé ; enfin, presque tout son art est de surprendre, et il réussit presque toujours. […] Par le même caractère, il devait se faire un plan raisonné du bonheur ; il consentait bien à instruire, mais il voulait plaire ; il ne mettait assez d’intérêt ni à la vérité, ni aux hommes, pour se compromettre : il ne devait donc jamais présenter la vérité avec chaleur ; et son système devait être de la laisser entrevoir plutôt que de la dire.

2230. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

Cependant, parmi les belles œuvres et les ferveurs non moins belles, une réaction tenta de mettre quelque entrave à la triomphante révolution littéraire. […] Il serait tout à fait chrétien si l’on avait mis Aphrodite en croix ! et, d’ailleurs, on l’y a mise. […] De sorte que je me demande si l’émotion intellectuelle que les Symbolistes espérèrent mettre dans leurs vers et y mirent en effet, j’y consens sur leur propre témoignage, est en réalité transmissible. […] Quand je me courbai vers lui, pour lui mettre au front mon adieu, je m’étonnai de ne pas voir sur sa face la sérénité où se détend d’ordinaire l’inutile révolte de l’agonie.

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