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1278. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VII »

C’est une surprise émouvante que cette rencontre subite, et la simple antithèse qu’elle met en scène produit l’effet d’un coup de théâtre. […] Elle mit son vainqueur à la porte. […] Augier a voulu mettre et a mis en scène : la tonsure réparait sous la calotte de ses cheveux gris ; la soutane perce sous la longueur de sa redingote. […] Alors à quoi bon ce siège gratuit, ces mines inutiles, pour s’emparer d’une fortune qui mettra son assaillant à la porte aussitôt qu’il y aura installé le prétendant pour lequel il lutte ? […] Emile Augier, qui a montré tant de fois un sens si net et si clair de la vie moderne, devient légendaire dès qu’il met le journal en scène.

1279. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE XIV »

Votre Claude est un saint, je le veux bien ; mais, jusqu’à présent du moins, c’est un saint de cire, à mettre en chasse et non pas en scène. […] Cependant Claude s’est ruiné dans les recherches de son canon philosophal, et il a mis sa maison en vente. […] Les personnages qu’il met en scène sont imaginaires ou monstrueux. […] Ou ne pouvait mettre plus de hardiesse et de tact à représenter l’infamie. […] Un prêtre peut absoudre ainsi une faute qui en fin de compte, lui est étrangère ; un mari ne saurait y mettre tant d’impassible sang-froid.

1280. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — II. (Lettres écrites du donjon de Vincennes.) » pp. 29-50

Dans une lettre à Sophie, où il lui développe les principes de la tolérance civile (car cette correspondance n’est qu’un déversoir à toutes les pensées et à toutes les études qui l’occupent aux divers moments), il se mettra tout à coup à s’écrier : « Voyez la Hollande, cette école et ce théâtre de tolérance !  […] Il s’était mis à étudier le métier de la guerre et tout ce qui en dépendait, génie, artillerie, même le détail des vivres, comme il étudiait toutes choses, avec acharnement, avec l’ardeur propre à sa nature laborieuse et absorbante, à cette nature rapace et vorace, et jamais assouvie. […] Ce Mémoire est plus que suffisant pour te mettre en état de montrer toi-même le français par principes à ta fille. […] Toutes les fois qu’il parle d’eux, il est indulgent, il est modeste, il se met à la suite, il les admire vraiment à l’excès. […] Et ailleurs, se fâchant aussi qu’elle l’ait mis en balance avec Buffon : « Point de ces phrases légères, Sophie.

1281. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

C’est ce même enthousiasme, prompt à se communiquer à l’auditeur, qui met tant de différence entre l’éloquence parlée, si on peut se servir de cette expression, et l’éloquence écrite. […] Notre âme a deux ressorts par lesquels on la met en mouvement, le sentiment et l’imagination. […] Un des moyens les plus sûrs pour juger si le style a cette simplicité si précieuse et si rare, c’est de se mettre à la place de l’auteur, de supposer qu’on ait eu la même idée à rendre que lui, et de voir si, sans effort et sans apprêt, on l’aurait rendue de même : Ô malheureux Phocas ! […] « L’éloquence, dit très bien M. de Voltaire, a tant de pouvoir sur les hommes, qu’on admira Balzac de son temps, pour avoir trouvé cette petite partie de l’art ignorée et nécessaire, qui consiste dans le choix harmonieux des paroles, et même pour l’avoir souvent employée hors de sa place. » Le style de Thucydide, auquel il ne manque que l’harmonie, ressemble, selon Cicéron, au bouclier de Minerve par Phidias, qu’on aurait mis en pièces. […] Qu’on change l’ordre des mots, et qu’on mette comprobavit filii temeritas, il n’y aura plus rien, jam nihil erit. » Voilà, pour le dire en passant, de quoi ne se seraient pas doutés nos latinistes modernes, qui prononcent le latin aussi mal qu’ils le parlent.

1282. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Philarète Chasles » pp. 147-177

Il y mettait du bel esprit et une phrase qu’il tournait très bien. […] Seulement, si au lieu de l’Église, si au lieu de la Papauté, on mettait des prêtres, des jésuites envieux, toute une société aux mœurs corrompues, et si, de la bonté qu’on montra au vieillard on pouvait faire une cruauté plus réfléchie et plus féroce, l’embarras n’existerait plus. […] les noms mêmes y auraient été mis en toutes lettres ! […] Philarète Chasles, cet écrivain à l’imagination humouristique, à la verve mousseuse et pétillante, à la grâce italienne, aurait mis, comme Beaumarchais, de la gaieté dans sa vengeance, — ce qui fait, en France, la vengeance meilleure. […] sont d’avoir trop aimé… non pas les femmes, mais les sommets, comme de Laprade, « n’ayant pas — dit-il — l’habileté de son ami Sainte-Beuve, qui se met d’abord dans les vallées pour bondir sur les sommets ensuite (sic) » ; sauteur cauteleux que ce Sainte-Beuve, dont Chasles (fantaisie dernière !)

1283. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Sainte-Beuve. Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. »

Sainte-Beuve, après avoir débuté dans les lettres par un livre qui doit être mis au premier rang des Œuvres poétiques du xixe  siècle et mieux qu’au premier rang, à part des autres livres en raison de sa profonde individualité, comment M.  […] Littérairement, la valeur n’en est pas très grande ; mais au point de vue de la puissance qu’exercent les poètes sur leur pensée, elle a son intérêt et doit, selon nous, être maintenue à la place où elle fut mise pour la première fois. […] — rappelle le René de Chateaubriand, mais vulgarisé, mis à la portée de tout le monde, descendu d’accent de dix octaves et dont le médium, dans Joseph Delorme, nous a si intimement pénétrés, allez, M.  […] Il n’en reste plus, à deux ou trois endroits, que cette coquetterie modeste qui se met derrière les autres (page 241) : Et, comme un nain chétif, en mon orgueil risible, Je me plaisais à dire : « Où donc est l’invisible ?  […] Oui, du Joseph Delorme, mis à genoux, mais non tombé à genoux, car tomber à genoux implique la foi, et se mettre à genoux n’implique que la convenance !

1284. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (1re partie) » pp. 413-491

« Ici, pour l’intelligence du lecteur, je dois dire ce que j’entends par ces mots dont je me sers si souvent, concevoir, développer et mettre en vers. […] C’est de lui que me vint l’idée de mettre au théâtre la conjuration des Pazzi. […] Il s’y refusa avec énergie ; mais, quelque temps après, elle quitta elle-même le prince, sous prétexte de mettre sa fille au couvent à Paris. […] Le difficile était de déjouer la surveillance du comte, qui ne la quittait pas un instant, et la mettait littéralement sous clef chaque fois qu’il était obligé de sortir sans elle. […] Votre nom de comtesse d’Albany vous mettra à l’abri de mille tracasseries, sans déroger en rien au respect qui vous est dû, et sur ma parole, vous en recevrez des marques de tout côté.

1285. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Les religions ont été formées à une époque où l’homme se mettait dans toutes ses œuvres. […] Une léthargie à laquelle il a mis fin par son art devient une résurrection. […] Si l’on était de bonne foi, on mettrait Sénèque au-dessus de Démosthène 146. […] Après sa mort, on mit sérieusement en délibération si on n’abandonnerait pas son œuvre religieuse pour continuer seulement son œuvre politique. […] Pourquoi dont crierait-on à l’envahissement si nous mettions sur nos monnaies saint Martin ou saint Remi ?

1286. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

C’est du reste la mise en action d’une idée chère à la romancière. […] Si l’on doutait de la marche parallèle des deux arts, ce qui se passe lors de la Renaissance suffirait à la mettre hors de contestation. […] Ces raffinés ont laissé des traces de leur passage dans certaines particularités de langage ; ils ont parfois modifié la prononciation usuelle ; ainsi les courtisans du xvie  siècle se plaisaient à mettre une s là où le commun des mortels mettait une r ; ils disaient un pazoquet pour un perroquet ; une chaise pour une chaire, et, comme le montre ce dernier exemple, nous parlons encore à leur manière sans nous en douter. […] Des hommes accoutrés à la scandinave essayaient de mettre le feu à un sapin et chantaient d’un air inspiré en s’accompagnant d’une guitare. […] Les fillettes mettent des épingles dans un rond, et avec une balle qui, lancée contre le mur, revient sur le rond, elles essaient d’en faire sortir les épingles ; celle qui réussit à regagner ainsi sa mise a « retiré son épingle du jeu ».

1287. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Chacun de ces personnages primordiaux, ceux encore que nous négligeons de citer, présentés sans cesse, se témoignant vivants en des incidents toujours renouvelés et produits non tant par la marche même du récit, que par le besoin où est l’auteur, où ils sont pour ainsi dire eux-mêmes, de manifester et d’être manifestés, apparaissent par la constance même de leur mise en évidence, comme irrécusablement existants. […] Et que l’on mette en regard de ces personnages douteux toute la masse des hommes et des femmes qui peuplent les grands romans de Tolstoï ; que l’on se rappelle cet ensemble de physionomies gracieuses, mâles, vieillottes, vénérables, nobles ou basses, du capitaine, Timokhine à Sonia, du colonel Berg à la princesse Bolkonsky, que l’on énumère Karénine, Drone Dologhof, le prince Basile, la princesse Hélène, qu’on les mette en regard des types usuels de la jeune fille, de l’officier, de la femme corrompue, de l’intendant, du joueur, du fonctionnaire, tels que les aurait conçus par exemple Victor Hugo, et que l’on ressaisisse du même coup la différence de deux arts, et celle qui sépare un être véritablement existant à part lui, d’une personnification fictive de catégorie qui n’a en somme d’autre titre à la vie que le mot même qui la désigne. […] Si la traduction de ses œuvres ne permet pas de reconnaître exactement la contexture de leur style, l’absence d’une coupe de phrase propre, d’une qualité de vocabulaire, d’un ton clairement déterminé, la pauvreté des tournures et des mots sont cependant visibles et à certains détails, comme les comparaisons mal déduites de La Guerre et la Paix (III, pp. 263 et 266), on reconnaît le peu de soin mis à l’écriture. […] Les œuvres de Tolstoï tendent à représenter une société entière ; ils en embrassent et le contenu moyen et les extrêmes de conditions, d’événements, de caractères, de scènes, d’âge ; ils la reproduisent non de haut, de loin, vaguement, par synthèses et abstractions, mais de près, par des descriptions où le lecteur se sent comme mis face à face avec la réalité, par des personnages étrangement vivants et individuels. […] Si l’artiste ou le penseur réalistes, exposés à percevoir tout le réel, ne peuvent mettre leur esprit et leur œuvre en correspondance avec cet immuable non moi, ni s’astreindre à reconnaître la juste nécessité des choses et qu’un péril de l’actuel conditionné par tout le passé, conditionne tout le futur, ils sont, entre leur science et leurs désirs, eu un trouble douloureux.

1288. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — II. (Fin.) » pp. 62-79

J’ai une fois joliment repris un de nos ducs ; comme il se mettait à la table du roi, devant le prince de Deux-Ponts, je dis tout haut. : « D’où vient que M. le duc de Saint-Simon presse tant le prince de Deux-Ponts ? […] » Tout le monde se mit si fort à rire qu’il fallut qu’il s’en allât. […] D’abord, après son lever qui était toujours vers les neuf heures19, elle se mettait à sa toilette ; de là, elle passait dans son cabinet où, après avoir été quelque temps en prière, elle se mettait à écrire jusqu’à l’heure de sa messe. […] Un jour, elle fit devant tous une scène à la duchesse de Berry, sa petite-fille, qui était venue chez elle le soir en déshabillé, dans une mise de fantaisie, et qui se préparait à aller aux Tuileries en cet équipage : Non, madame, rien ne peut vous excuser, lui disait-elle en coupant court à toute explication ; vous pouvez bien vous habiller le peu souvent que vous allez chez le roi, puisque je m’habille tous les jours, moi qui suis votre grand-mère. […] elles mirent sur son visage et dans ses yeux toute l’émotion et tout le feu d’une pudeur indignée.

1289. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Chateaubriand. Anniversaire du Génie du christianisme. » pp. 74-90

Quand je dis qu’il y avait tout mis et tout versé de lui-même, je me trompe : il y avait des points sur lesquels il s’était montré moins explicite et moins décidé qu’il ne l’était au fond réellement Aussi, quelques mois après avoir publié cet écrit et quand il comptait en donner une seconde édition, il avait noté de sa main en marge sur un exemplaire diverses modifications à y introduire, et, oubliant bientôt que l’exemplaire était destiné à des imprimeurs, il s’était mis à y ajouter pour lui-même en guise de commentaires ses plus secrètes pensées. […] Mais il en est sorti, et c’est ce beau côté victorieux que je tiens à mettre pour le moment en pleine lumière. […] Je ne saurais guère vous en donner une idée à cause de l’extrême variété des tons qui le composent ; mais je puis vous assurer que j’y ai mis tout ce que je puis, car j’ai senti vivement l’intérêt du sujet. […] Mon nom est inutile sur l’adresse, mettez seulement après Dulau deux étoiles. […] La lettre à M. de Fontanes qu’on vient de lire, écrite dans le feu de la composition du Génie du christianisme, est évidemment celle d’un homme qui croit d’une certaine manière, qui prie, qui pleure, — d’un homme qui s’est mis à genoux auparavant et après, pour parler le langage de Pascal22.

1290. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Le jugement que j’aurai à donner ne sera pas nouveau, mais il n’a pas été mis suffisamment en lumière jusqu’ici, et ce qui a été dit de vrai sur un ou deux points essentiels est demeuré trop épars et sans assez de développement. […] Né et nourri au milieu des livres, élevé dans le quartier latin, il témoigna de bonne heure des dispositions excellentes que ses parents mirent à profit. […] »), que Charron ne craint pas de mettre dans la bouche du sage. Il y a quelque égoïsme et bien de la superbe dans ce portrait si méprisant du monde, mis en regard de cette sorte d’insensibilité mi-sceptique et mi-stoïque qu’il caresse et qui est son idéal secret. […] Honnête homme, écrivain probe, et par-dessus tout admirateur passionné de Montaigne, Charron est aussi loin d’une telle ambition qu’incapable d’un pareil procédé ; il ne vise qu’à mettre les pensées qu’il admire et qu’il accueille dans un plus beau jour et dans un ordre plus exact, pour les répandre et les faire réussir auprès d’un plus grand nombre d’esprits ; il les range mieux pour les faire pénétrer.

1291. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — I » pp. 20-38

Mais il faut raconter tout cela par ordre et avec méthode, et mettre chacun à même de bien juger de l’état au moins de la question. […] On l’emmène, il s’enivre de sa parole, il ne s’appartient plus ; et en même temps il met tout en train autour de lui, il fait le divertissement et les délices de la table qui l’accueille et qui le retient, que ce soit celle d’un bourgeois, d’un magistrat ou d’un prince ; et il s’en revient le soir à son couvent comme il peut. […] Il fit un distique pour mettre sur la porte de la chambre criminelle de Paris ; Hic scelerum Poenae ultrices posuere tribunal. […] Santeul, qui se flattait avec raison d’être tout de feu et qui mettait la poésie dans la verve, ne tarissait pas quand il parlait des vers exsangues de du Périer, qui usait ses ouvrages à force de les polir, et qui s’y consumait lui-même : Fecerat exsuccum labor improbus arsque poetam, Dum probat et damnat, dumque retractat opus. […] Le Tourneux, que, sans mettre votre nom à votre recueil, ni faire d’oraison en vers, vous missiez quelque chose en prose, à peu près en ces termes : Tuum est quodcumque verum et sanctum dixi ; meum quod bona non bene tractavi, quod non ex animo tibi placendi.

1292. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — III » pp. 337-355

Il écrivit au roi, qui était à Nîmes, pour demander une personne de qualité et autorisée, qui le conduisît jusqu’à Venise, lieu désigné pour sa retraite, craignant ou feignant de craindre quelque danger en chemin de la part des princes d’Italie ; il désirait peut-être se mettre par là à l’abri de tout soupçon de nouvelles intrigues. […] L’importance que met Richelieu à cette sortie de France du duc de Rohan ne laisse pas de faire bien de l’honneur au vaincu : Ce fut, dit-il, une chose glorieuse au roi de voir là (à Gênes) arriver le duc de Rohan hors de France, où il s’était maintenu dans la rébellion si longtemps. […] Il semblait qu’il n’y eût plus qu’à agir ; mais ce ne fut qu’au commencement de 1635, c’est-à-dire après trois ans de retards et d’ambiguïtés et quand la France enfin se décida ouvertement à la guerre, que Rohan fut mis à même de se distinguer. […] Le père Griffet, auteur d’une si estimable histoire de Louis XIII, où l’on trouve tant de choses singulières et curieuses que de plus bruyants et de plus habiles se sont mis à découvrir depuis, le père Griffet a très bien jugé de ce point comme de beaucoup d’autres. […] L’armée des impériaux, composée de 6000 hommes, fut mise en déroute ; beaucoup se noyèrent : il y eut mille prisonniers.

1293. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

Rigault répond aux uns et aux autres : il montre qu’on ne touche pas dans les classes à l’épicurisme d’Horace sans y mettre le correctif moral, et qu’on ne se rencontre pas face à face avec les Gracques sans avertir du danger des lois agraires : « On semble se persuader, dit-il, que nous n’admirons l’Antiquité qu’en ne la jugeant pas, et qu’à peine nous mettons le pied sur les ruines de Rome, nos habits deviennent des tuniques. […] Nous sommes obligés de connaître Rome, comme des petits-fils de connaître leur vieille mère. » Il montrait que ce n’est pas tant à l’Université qu’il faut s’en prendre des maladies morales de la jeunesse qu’aux familles elles-mêmes, à l’esprit public et à l’air vicié du dehors, à la littérature enfin ; et faisant allusion à la grande plaie, selon lui régnante, au roman, il appelait de ses vœux un roman pareil à Don Quichotte, c’est-à-dire qui mît à la raison tous les mauvais romans du jour ou de la veille, et en sens inverse de Don Quichotte ; car, en ce temps-là, c’était la chevalerie, avec sa fausse exaltation idéale, qui était la maladie à la mode, et du nôtre c’est le contraire : « c’est le goût du bien-être personnel, c’est l’amour des jouissances positives, c’est l’égoïsme, c’est Sancho, en un mot, et non pas Don Quichotte. […] Dans le second discours, prononcé à Louis-le-Grand, s’inquiétant moins des attaques du dehors, il disait agréablement et en famille bien des vérités à la jeunesse : non pas qu’il fut décidé à louer le passé en tout aux dépens du présent : « Cette élégie sur la décadence perpétuelle du genre humain est d’ancienne date, disait-il ; elle a probablement précédé l’Iliade, et j’affirmerais volontiers que l’aïeul de Nestor lui a reproché plus d’une fois de n’être, en comparaison du vieux temps, qu’un parfait mauvais sujet. » Mais, tout en se gardant des banalités du lieu commun, il opposait, dans un parallèle ingénieux, l’éducation sévère ef terrible d’autrefois à celle d’aujourd’hui, si molle et si propre à faire de petits sybarites ; l’élève choyé de Louis-le-Grand était mis en présence de l’écolier si souvent fouetté et si affamé de Montaigu : « Et cependant, dans ces séjours terrifiés, on voyait accourir en foule une jeunesse prête à tout souffrir, la faim, le froid et les coups, pour avoir, le droit d’étudier. […] Partout il en est ainsi ; l’élégance et l’ornement y sont continus ; pas un moment de relâche, pas un interstice : c’est un tissu où on ne laisse passer aucune occasion de mettre une fleur, épithètes, appositions ingénieuses, allusions à des passages connus, etc. […] Chargé en 1848 de conférences de rhétorique à Louis-le-Grand et ayant à expliquer un auteur français, il avait pris pour texte Victor Hugo, rien que lui, et, dans ses œuvres, rien que ses drames ; il s’était mis à y relever les fautes, les exagérations : il se faisait la partie belle et s’en amusait ; il triompha ainsi pendant près d’une année à huis clos.

1294. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier »

Quoique le récit de Mme Lenormant soit net et spirituel, j’eusse préféré pourtant les lettres mêmes de Mme de Staël toutes seules, mises dans l’ordre des dates et complètes. […] Croit-on mettre la charité à couvert en ajoutant d’un air contenu : « Le secret de ses convictions intimes est resté entre Dieu et lui. » Non, c’était le cas de citer, si l’on voulait être complet, une autre lettre très explicite de Schlegel, qui ne saurait se séparer de la précédente, une lettre fort belle qu’il adressa plus de vingt-cinq ans après (le 13 août 1838) à la duchesse de Broglie qui ne cessait de le presser sur l’article de la foi, et dans laquelle il expose ses variations de sentiments, ses aspirations, sa crise morale et sa solution philosophique, ou, comme il le dit poétiquement, « ses erreurs d’Ulysse et son Ithaque ». Je ne puis que renvoyer les curieux de ces sortes de questions à cette profession de foi finale du philosophe et du critique éminent, laquelle est à mettre pour la portée bien au-dessus de la page tant vantée de Jouffroy, et qui est plus vraie ou du moins plus largement religieuse que la solution de Pascal44. […] Et le 7 septembre 1811 il écrivait encore, et de Coppet même : « Il n’arrive jamais à Mme de Staël de se mettre à la place des autres, et tout son esprit ne lui suffit pas pour comprendre ce qui n’est pas elle ; et puis, si l’on voulait bien entendre les riches, il n’y aurait de malheur que pour eux. […] Dans une lettre à sa mère, du 16 janvier 1812, il disait avec une naïveté parfaite et en livrant le fond de son cœur : « Genève est devenue chaque année plus triste et plus déserte pour Mme de Staël ; elle en a de l’humeur ; elle juge avec une extrême sévérité, et elle ne met presque rien de son cru pour réparer tout cela : il m’arrive très souvent de m’ennuyer chez elle, et cela arrivait aussi l’année passée, et cependant elle parle de l’ennui des autres d’une manière qui me met souvent en hostilité avec elle.

1295. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid. »

Après avoir commencé par demander un Lexique de Molière, l’Académie a mis au concours, en 1858, un Lexique de Corneille, indiquant assez par là même que le Commentaire de Voltaire sur le grand tragique était remis en question, et entièrement à refaire. […] Est-il un homme de goût, de rapide lecture, un Voltaire tout le premier, est-il un correcteur d’imprimerie attentif, qui laisse passer cela ; qui ne se dise aussitôt : « Dans le trône n’est pas possible, c’est sur le trône qu’il fallait mettre ? […] Mais Corneille a bien mis pourtant « dans le trône. » C’est que le trône était alors, apparemment, quelque chose non-seulement d’élevé, mais de plus ou moins fermé. […] Une jeune marquise se mit à railler sa coiffure ; car Mme de Motteville aurait eu, ce soir-là, des fleurs ou des feuilles dans les cheveux. — « Quelle est la plante qui sert de parure aux ruines ?  […] C’est dans des Notes (comme il les intitule), mises en tête de sa petite comédie en vers, Corneille à la bulle Saint-Roch (Dentu, 1802).

1296. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

La Presse était devenue, comme on l’appelait, « le journal conservateur de la République. » Pour être conservateur dans un ordre de choses qui allait si vite et qui se déplaçait à chaque moment, il fallait se mettre au pas et se multiplier : c’est alors que M. de Girardin prit cette fameuse devise : Une idée par jour ! […] Le général Cavaignac, dictateur, pour couper court à ce qu’il appelait « les publications imprudentes » de M. de Girardin, fît poser les scellés sur le matériel de son journal et donna l’ordre de mettre le rédacteur à la Conciergerie. […] Le journaliste fait bien d’y pousser sans trop se soucier des retards, c’est la fonction et le métier du journal : l’homme de gouvernement ferait bien d’y regarder à deux et trois fois, s’il était mis en demeure d’appliquer. Il a manqué aux idées et à l’esprit de M. de Girardin l’épreuve décisive du pouvoir, cette épreuve qui vous met en présence de difficultés que la logique seule et la science ne résolvent pas. […] On dirait qu’il a mis quelque chose de son esprit d’administrateur au service de sa logique et de sa polémique.

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