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1014. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

La foi y manquait, elle n’était pas remplacée par le luxe des expressions ; c’était de l’admirable dorure, ce n’était pas de l’or. […] Ni Démosthène, ni Cicéron, ni Machiavel, ni Bossuet, ni Fénelon, ni Mirabeau, ni les premiers des écrivains ou des orateurs dans toutes les langues antiques ou modernes, qui ont essayé d’atteindre à cette perfection du langage humain, n’ont jamais pu y parvenir ; ils n’ont laissé après eux dans leurs œuvres que des débris de leurs tentatives, témoignage aussi de leur impuissance ; cela est plus remarquable encore dans les orateurs qui semblent se rapprocher davantage encore des poëtes par la force et par la soudaineté de la sensation ; aucun d’eux n’a pu dérober une strophe à Pindare ou dix vers à Homère, à Virgile, à Pétrarque, à Racine, à Hugo ; il semble qu’ils vont y atteindre ; mais, au dernier effort, la force leur manque, ils échouent, ils restent en arrière, ils ne peuvent pas, le pied leur glisse, ils se rejettent dans la prose, ils se sentent vaincus. […] Il me manquait quelque chose pour remplir l’abîme de mon existence : je descendais dans la vallée, je m’élevais sur la montagne, appelant de toute la force de mes désirs l’idéal objet d’une flamme future ; je l’embrassais dans les vents ; je croyais l’entendre dans les gémissements du fleuve ; tout était ce fantôme imaginaire, et les astres dans les cieux, et le principe même de vie dans l’univers. » « C’est juste l’Isolement de Lamartine, toujours avec la différence des complexions et des natures : Que le tour du soleil ou commence ou s’achève, D’un œil indifférent je le suis dans son cours ; En un ciel sombre ou pur qu’il se couche ou se lève, Qu’importe le soleil ? […] Le mystère qui donne à l’écrivain le droit de dire : Je chante, lui manqua ; il ne fit jamais que parler et écrire, le chant inspiré faillit sur ses lèvres.

1015. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Il n’a rien manqué à la gloire du dix-septième siècle. […] Mais où le sujet manque, ces lettres sont courtes, sèches, sans épanchement. […] Où la plupart des esprits ne voient que les mauvais côtés, soit manque d’élévation, soit envie, il voit les bons, et son admiration n’est que la forte impression qu’il en reçoit. […] Ne cherchons donc pas ce qui manque à la langue de Saint-Simon ; admirons-y plutôt cette justesse rapide, ces grands traits non tâtés, ces mâles appas que Molière admire dans la fresque.

1016. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

Homère est l’homme et Virgile est la femme… Idée bien simple, mais que, pour cette raison sans doute, tous les parallèles entre Virgile et Homère ont oubliée… Sainte-Beuve lui-même, qui darde si bien sa lancette dans la veine des sujets dont il veut nous faire voir le sang, Sainte-Beuve a omis comme les autres cette différence de sexe, dans la même nature de génie, qui pose d’un trait le rapport à établir entre Homère et Virgile et que la Critique a toujours manqué ! […] Supposez que le point d’histoire aperçu eût été plus vaste, son cadre moins déterminé et moins circonscrit, Sainte-Beuve l’eût manqué ; il se serait perdu dans un grand horizon. […] Les lettres, ces espèces de photographies dans lesquelles on est aussi laid et aussi manqué que dans l’autre, les lettres, voilà ce qui va incessamment remplacer les livres à cette époque, vouée aux moi les plus drôles et qui fait plus cas d’un autographe que de la plus belle page, car une belle page, cela est écrit pour tout le monde, et un autographe, c’est personnel ! […] Rien n’a pu corriger le manque de race et la gaucherie première.

1017. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

La flamme divine manqua toujours à ce cœur plein d’un sang grossier. […] Si, comme l’a remarqué avec un reproche sévère l’auteur du Développement de la doctrine chrétienne, les historiens ecclésiastiques n’avaient pas toujours manqué à l’Angleterre, on pourrait suivre pas à pas le mouvement d’idées que nous indiquons et en marquer vivement le progrès par les hommes qui le représentèrent. […] Une telle tactique manqua d’effet en présence du spectacle que présentait l’Angleterre. […] ce n’est ni la science, ni la piété, ni les intentions élevées qui manquent aux hommes du parti anglo-catholique et surtout au Dr Pusey en particulier.

1018. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gill, André (1840-1885) »

Quel qu’il soit, on ne saurait lui reprocher de manquer de philosophie ni de charme.

1019. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 111-112

Rarement on respecte les droits de la société privée, quand on manque ainsi de respect à la société générale.

1020. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Si l’on manque à leur répondre, on est conduit dans une prison d’où l’on a beaucoup de peine à se tirer. […] Gobineau manque de lyrisme. […] Du reste, on ne relève contre La Fontaine qu’un manque d’ascétisme et de régularité : péchés véniels ! […] La poésie lyrique manque à la gloire du siècle de Louis XIV. […] Il est poète et ne manque point de reprendre ce thème obligatoire et traditionnel.

1021. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Valentine (1832) »

Ce sera pourtant une belle fête que celle où il va conduire sa fiancée ; et Athénaïs ne peut manquer d’être la première, la reine du bal, à moins que ces dames du château ne viennent et que Mlle Valentine de Raimbault n’y montre sa pure et noble beauté. […] Si les jeunes hommes de la génération de Bénédict lisaient et savaient Voltaire, il n’aurait pas manqué de se redire à lui-même, en voyant danser à ce bal de mai Mlle de Raimbault, ces vers noblement voluptueux qui eussent rassemblé pour lui comme de flottants souvenirs :  L’étranger admirait dans votre auguste cour  Cent filles de héros conduites par l’Amour,  Ces belles Montbazons, ces Châtillons brillantes,  Ces piquantes Bouillons, ces Nemours si touchantes,  Dansant avec Louis sous des berceaux de fleurs.

1022. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IV. Des femmes qui cultivent les lettres » pp. 463-479

Certainement il vaut beaucoup mieux, en général, que les femmes se consacrent uniquement aux vertus domestiques ; mais ce qu’il y a de bizarre dans les jugements des hommes à leur égard, c’est qu’ils leur pardonnent plutôt de manquer à leurs devoirs que d’attirer l’attention par des talents distingués. […] L’intérêt qu’inspire une femme, la puissance qui garantit un homme, tout lui manque souvent à la fois : elle promène sa singulière existence, comme les Parias de l’Inde, entre toutes les classes dont elle ne peut être, toutes les classes qui la considèrent comme devant exister par elle seule, objet de la curiosité, peut-être de l’envie, et ne méritant en effet que la pitié.

1023. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre II. Le Rire » pp. 28-42

Il avait trop de naturel, ainsi que Sédaine ; il leur manquait l’esprit de Voltaire, qui, en ce genre, n’avait que de l’esprit. […] Le 4 décembre 1822, l’on donnait le Tartufe ; Mlle Mars jouait ; rien ne manquait à la fête.

1024. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 22, que le public juge bien des poëmes et des tableaux en general. Du sentiment que nous avons pour connoître le mérite de ces ouvrages » pp. 323-340

Monsieur Despreaux se fonde sur cette raison pour avancer que la plûpart des critiques de profession qui suppléent par la connoissance des regles à la finesse du sentiment qui leur manque bien souvent, ne jugent pas aussi sainement du mérite des ouvrages excellens, que les esprits du premier ordre en jugent sans avoir étudié les regles autant que les premiers. […] Mais dès que les mouvemens de leur coeur qui opere mécaniquement, viennent à s’exprimer par leur geste et par leur contenance, elles deviennent, pour ainsi dire, une pierre de touche qui donne à connoître distinctement si le mérite principal manque ou non dans l’ouvrage qu’on leur montre ou qu’on leur lit.

1025. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VIII. Suite du chapitre précédent. De la parole traditionnelle. De la parole écrite. De la lettre. Magistrature de la pensée dans ces trois âges de l’esprit humain » pp. 179-193

Une telle législation ne pouvait être qu’incomplète et insuffisante, parce qu’elle tenait à un état transitoire ; parce que, depuis longtemps, l’unité manque aux directions de la société ; parce que enfin aucun des pouvoirs ne possédait en entier le dépôt des traditions sociales. […] Le temps est toujours sur le point de nous manquer.

1026. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre II. Mme Le Normand »

Malheureusement, surprise qui manqua de charmes ! […] Une Vie donc de Mme de Staël, tel serait le titre sincère, le titre loyal du livre d’aujourd’hui, — souricière où ne manqueront pas de se prendre tous ceux qui voudront grignoter un peu de cette guipure, de ce splendide point d’Angleterre qu’on appelle l’esprit de Mme de Staël !

1027. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIII. Henry Gréville »

Et voilà pourquoi son livre manque de la beauté grandiose, dont elle pouvait le faire resplendir. […] On doit y applaudir, d’autant plus qu’à présent, les livres femmes deviennent plus rares, — les livres femmes que les femmes manquent toutes, par la prétention d’être, ma foi ï aussi hommes que nous.

1028. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

Et pourtant ces deux jeunes gens, qui n’ont pas craint de se mesurer avec un sujet formidable et de s’adonner au seul genre d’histoire, l’histoire des mœurs, que Malebranche ne méprisait pas, ces deux jeunes gens, de si bonne volonté et de tant de courage, ne manquent, croyez-le bien ! […] Les paillettes de quelques anecdotes n’en sauraient couvrir le manque d’étoffe et de solidité.

1029. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les Kœnigsmark »

Tout manqué que son livre puisse être, malgré l’indigence absolue de conception supérieure et les vices d’un langage prétentieux et déplacé, le sujet qu’il traite n’en reste pas moins d’un intérêt prodigieux, qui prend l’esprit et le passionne. […] Les autres, si énergiques d’attitude ou de visage qu’ils puissent être, manquent tous ou presque tous de l’originalité éclatante ou profonde qui timbre nettement une physionomie et en font une personnalité.

1030. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Royalistes et Républicains »

Qu’importe cet inconséquent manque de juste milieu, dans un homme de juste milieu faisant une justice historique ! […] Depuis qu’il y a des partis, ils se sont toujours comptés avant la patrie, et voilà pourquoi ce qu’il faut contre eux, c’est un genre de gouvernement qui ne s’imagine pas se les concilier, mais qui les dompte ; et le gouvernement parlementaire, qui traite avec eux, qui leur fait même une place au soleil de ses institutions, leur donne une importance qu’ils ne manquent jamais de retourner contre lui.

1031. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Quitard »

je me garderai bien de manquer à ces publications, d’un intérêt si vif et d’une érudition si piquante. […] En lisant son Étude historique, littéraire et morale, sur les proverbes, qui est un véritable traité ex professo sur la matière, et cet amusant Dictionnaire, que le duc de Richelieu n’aurait pas fait lire à son fils comme celui de l’Académie quand il le mettait en pénitence, on regrette vivement que le tempérament — sinon les connaissances — ait manqué.

1032. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Antoine Campaux » pp. 301-314

I Ce livre n’est pas, comme on pourrait le croire, une nouvelle édition des œuvres de François Villon, mais tout simplement un mélange de critique et de biographie, entrepris dans le dessein de tirer de l’obscurité, dont elle n’est jamais suffisamment sortie, la figure originale de cet ancien poète à qui pourtant la gloire n’a pas manqué, mais une gloire coupée d’oubli, à interruptions ou à ressauts. […] Cette corde manquait à ce poète de sac et de corde, qui avait toutes les autres qualités du grand poète, mais qui, par là, fut incomplet.

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