L’art qui médite, qui édifie, qui vit en lui-même et dans son œuvre, l’art peut se représenter aux yeux par quelque château antique et vénérable que baigne un fleuve, par un monastère sur la rive, par un rocher immobile et majestueux ; mais, de chacun de ces rochers ou de ces châteaux, la vue, bien qu’immense, ne va pas à tous les autres points, et beaucoup de ces nobles monuments, de ces merveilleux paysages, s’ignorent en quelque sorte les uns les autres ; or la critique, dont la loi est la mobilité et la succession, circule comme le fleuve à leur base, les entoure, les baigne, les réfléchit dans ses eaux, et transporte avec facilité, de l’un à l’autre, le voyageur qui les veut connaître. […] est-ce l’image qui fait loi ? […] S’il y a une loi générale selon laquelle les littératures et les poésies, arrivées à un certain point de perfection et de maturité, dépérissent en se raffinant, il y a toujours moyen, pour les individus d’élite, de faire exception, et c’est surtout l’exception qui compte dans les arts. […] Si nous savions tous ces Alexandrins, nous aurions bien des exemples de la manière ingénieuse d’échapper à cette décadence inévitable dont on exagère la loi.
…) je te parle au nom de la nature, qui est la même partout, chez les civilisés comme chez les sauvages, à Constantinople comme à Paris, et que les hommes ont violée partout par des lois particulières, malheur des femmes… » Or, c’est cette nature interrogée, cette physiologie bien apprise, qui donneraient à la jeune fille de Weill, s’il avait vraiment une fille à marier, les notions nécessaires pour résister à tout, même à l’infidélité de son mari, s’il était jamais infidèle. […] que l’idéal de la femme résidât dans sa fidélité à un seul homme », loi sans texte, mais qu’en fille suffisamment instruite de ses devoirs physiologiques la fille de Weill admettra. […] Faux en métaphysique, si on peut dire qu’il y ait de la métaphysique dans ces bigarrures de philosophie sans étoffe ; — faux en morale, puisqu’il la fait naturelle ; — et faux en conception du rôle social de la femme, qui n’est plus qu’un rôle physiologique, car l’idéal est imposé par la nature au nom des lois physiologiques, lesquelles, pour Weill, doivent comprendre toutes les espèces de lois, il est faux encore, le plus souvent, par le style romanesco-philosophique, et, par-dessus tout cela, il n’est pas amusant !
« Il n’y a de beau que les commencements », a dit une femme qui savait que le génie de son sexe n’est pas plus durable que sa beauté, et c’est cette beauté des commencements, c’est cette loi qui fait, chez la femme, quand il a le plus l’air d’exister, quelque chose d’aussi délicat, d’aussi fragile et d’aussitôt passé que l’humidité de ses yeux et le rose de sa joue, c’est cette loi que va nous démontrer aujourd’hui le volume de poésies de Mme de Girardin, qui furent ses commencements, à elle ! […] J’ai dit que c’était là une loi. C’est cette loi qu’il faut dégager… Née pour faire des choses très-différentes de celles que nous avons à faire dans la vie, — je ne voudrais pas écrire ce mot d’inférieure qui fait cabrer les amours-propres, — mais posée, dans la hiérarchie sociale et dans la famille, à une autre place que nous, la femme est et doit être le plus transitoire, le plus éphémère de tous les poètes, tandis que chez l’homme, au contraire, la poésie s’exalte par la vieillesse et atteint un degré sublime.
Les règles d’un genre sont les lois de ce genre, telles qu’on tâche à les induire de la nature et de l’histoire de ce genre. […] Et, en effet, ils ne sont point chargés de critiquer ou de juger les lois, mais de les interpréter. […] Le classicisme a très bien vu que les genres ont leurs lois ; — et il le faut bien, puisqu’elles sont contenues dans la définition même du genre ; — mais il a cru que ces lois pouvaient servir de règles. […] Mais il s’agit ici du droit que nous disions tout à l’heure : celui d’être soi-même en tout, de ne tirer que de son fond la forme de son œuvre, et de faire de sa fantaisie la règle ou la loi de son art. […] Peut-on nier qu’il y ait des lois des genres ?
La continuité et la réciprocité d’action existent partout dans la nature : c’est la grande loi et le grand mystère ; une fois ce point admis, une fois ce lien universel reconnu (ce qui est le fond même du déterminisme), les individus ne sont plus que des concentrations relatives de la sensibilité universelle. […] Ainsi on peut poser cette loi importante : le moi, le sujet, dès qu’il devient par l’idée un objet de conscience distincte, devient du même coup un motif, et tend à se réaliser par la volonté, par l’intelligence, par la sensibilité. […] Nous disons je pense, et, si le sujet désigne notre individualité, l’attribut désigne quelque chose qui la dépasse, qui est valable pour les autres comme pour nous, qui est soumis à des lois communes et générales, à une logique impersonnelle : la pensée. Je pense signifie au fond : moi, je pense comme vous, selon les mêmes lois que tous. […] Dès qu’une substance nerveuse reçoit le choc des forces extérieures, quelque désordonnées, multiples et diverses que soient ces forces, une résultante s’établit bientôt, par le seul jeu des lois mécaniques ; un rythme se produit, une forme quelconque qui permet la distribution et l’intégration des forces.
Par une loi éternelle, tout prince doit naître, vivre, mourir, et être enterré au bruit des éloges : l’habitude, la reconnaissance et le respect satisfirent à tout. […] Elle conquit des provinces, et vit ses provinces épuisées ; elle donna la loi à l’Europe, et fut sur le point d’être démembrée par toutes les puissances de l’Europe. […] On voit Louis XIV, à travers un enchaînement de conquêtes et de victoires, s’occuper des lois, des arts, de la population, de l’agriculture et du commerce ; mais l’homme qui discute et qui juge, en admirant tant de travaux célèbres, examine ce qui leur a manqué du côté de la perfection ou de la durée. On remarque sur les lois, qu’en diminuant l’abus des procédures, et réglant la forme des tribunaux, il laissa subsister le vice de cent législations opposées, et ne fit qu’ébaucher un ouvrage immense, qui, parmi nous, attend encore le zèle d’un grand homme ; sur l’agriculture, qu’il connut peu les vrais principes qui l’encouragent, principes découverts par Sully, employés dans les belles années de Henri IV, oubliés sous le ministère orageux et brillant de Richelieu, retrouvés ensuite par Fénelon, et développés avec succès dans ce siècle, où les grands besoins font chercher les grandes ressources ; sur le commerce, qu’il eut peut-être sur cet objet des vues beaucoup plus vastes que solides ; que ses vues même étant en contradiction avec ses besoins, d’un côté il voulait le favoriser, et de l’autre il le chargeait d’entraves ; sur les manufactures, qu’il les encouragea avec grandeur, mais qu’il fit quelquefois de ces arts utiles le fléau de l’État, en immolant le laboureur à l’artisan ; enfin, sur la partie militaire, que sa perfection même nous donna une gloire éclatante et dangereuse, qu’elle arma la France contre l’Europe, et l’Europe contre la France, et fut récompensée et punie par trente ans de carnage. […] Au-dehors, ils donnaient des lois ; au-dedans, ils mêlaient l’obéissance à la gloire.
Nous soutenons et nous allons démontrer que les positions respectives de la parole intérieure et de la pensée dans le temps, bien loin d’être déterminées par une loi unique, varient, d’une part selon le degré de l’effort personnel déployé par l’intelligence, et, d’autre part, suivant que cet effort est un effort d’invention pure ou un effort d’assimilation. […] Et, à mesure qu’avec l’âge les souvenirs de nos inventions s’accumulent en nous plus nombreux, nos idées nouvelles sont moins nouvelles ; à tâche égale, un moindre effort suffit et pour innover et pour exprimer nos découvertes ; l’intervalle diminue donc pour les idées nouvelles comme pour les idées que nous répétons ; on dirait, — pure illusion, — que nous nous habituons peu à peu à ne pas suivre nos habitudes, comme si le contraire de l’habitude était soumis lui-même à la loi de l’habitude. […] À l’âge où l’esprit est capable de s’observer lui-même, l’intervalle étant généralement réduit à un mininum indiscernable, le signe et l’idée paraissent simultanés ; mais cette simultanéité n’est ni réelle, ni primitive, ni constante ; elle n’est qu’une apparence acquise et plus fréquente que les faits qui permettent de la rectifier ; l’intervalle reparaît de temps à autre dans des faits qui nous révèlent et la nature primitive et la loi véritable des rapports temporels du signe et de l’idée245. […] Si les plus grands philosophes des temps modernes, comme Kant et Maine de Biran, sont de si maladroits écrivains, s’ils sont morts avant d’avoir trouvé l’expression limpide où chacun aurait pu lire sans équivoque leur vraie pensée, c’est que la grandeur même de l’œuvre entreprise imposait à leurs facultés d’expression une tâche qu’ils n’ont pas eu le loisir ou le courage ou la générosité d’entreprendre ; la plupart ont laissé à leurs disciples le soin de les vulgariser, moins par dédain de la postérité que par suite de cette loi de la nature humaine qui veut que l’on perde en souplesse ce que l’on gagne en profondeur et que la spécialité soit la rançon du génie. […] Plus une pensée est banale, plus facilement elle s’exprime ; plus elle est neuve, moins de chances elle a d’être énoncée vite et bien ; dire cela, c’est formuler une loi psychologique indiscutable ; mais dire que les penseurs le plus originaux sont des écrivains barbares, tandis que les maîtres du style sont les apôtres du sens commun, et qu’en général les qualités du style sont en raison inverse de la pénétration de la pensée, c’est formuler une loi d’éthologie ; or les lois de cet ordre ne sont jamais vraies qu’entre certaines limites et souffrent toujours un certain nombre d’exceptions ; il y a des esprits médiocres qui cherchent leurs mots et ne trouvent pas ceux qu’il faudrait ; il y a des esprits inventifs qui les trouvent promptement et chez lesquels ils se combinent heureusement du premier coup.
Dans les journées de juillet 1830, après la violation des lois par le pouvoir existant, M. […] Quelle était la part des accidents, quelle était l’action intime, sourde et fondamentale, de certaines lois ? […] Littré un instrument presque infaillible pour la plupart des cas d’étymologie : c’est la loi de l’accent. […] Il a son explication de l’histoire, sa loi trouvée ; il applique ensuite sa formule à des cas particuliers : elle est, en toute rencontre, un peu rigide, cette formule, et arrange quelque peu les choses après coup. […] Littré, tout est réglé, prévu, pondéré et sentencieux ; on marche de loi en loi, on est dans la philosophie historique du langage.
Quelle est son essence, sa loi ? […] Est-ce la vie humaine vécue selon sa loi, que nous avons vue être la loi de toute vie ? […] Elle donne moins une loi qu’un principe intime d’harmonie. […] Obéissance est requise à sa loi. […] L’erreur de Taine est d’étendre aux lois physiques le caractère nécessitant des lois mathématiques.
Est-ce contre le système de l’univers qu’il se révolte, ou contre la part qu’il a dans un ensemble soumis à d’invariables lois ? […] Cependant ces variétés comme ces ressemblances ne sont-elles pas pour la plupart compensées, et ne sont-elles pas toutes, je le répète, également comprises dans les lois de la nature ? […] Quelles sont les lois que la religion chrétienne nous impose relativement au Suicide ? […] -C. dans ses discours remonte plutôt aux principes des actions qu’à l’application détaillée de la loi : mais ne suffit-il pas que l’esprit général de l’Évangile tende à consacrer la résignation ? […] Leur respect pour toutes les lois, c’est-à-dire pour la loi morale, la loi politique et la loi des convenances réprime au-dehors leur ardeur naturelle : mais elle n’en existe pas moins, et quand les circonstances ne leur donnent pas d’aliment ; quand l’ennui s’empare de ces imaginations si vives ; il y produit des ravages incalculables.
Son développement subit les lois même de tout développement artistique, celles qui régirent (depuis les premières sculptures des Egyptiens, jusque les dessins modernes) les progrès de l’art plastique. Voici les plus graves de ces lois : C’est d’abord le passage constant d’un état plus simple, relativement homogène, à un état plus complexe d’hétérogénéité. […] L’univers apparaît dominé par des lois constantes : les faits deviennent inconcevables, s’ils n’obéissent à ces lois. […] C’est la loi de la simplification des signes, dans la complication des notions. […] Zola fut jadis le chef d’une école, dénommée pour lui naturaliste, et qui fut seulement une réduction du romantisme aux lois nouvelles de la réalité sensible.
Lui qui revient d’Égypte, — qui sait l’Égypte à fond, dit-on, — il ne s’est donc pas demandé, avant d’écrire son roman, pourquoi les lois de l’Égypte punissaient de mort l’adultère, si ce n’est parce qu’elles savaient, ces lois sages, que tout adultère, même celui qui dort le mieux dans l’affreuse innocence de son crime, est toujours armé, décidé à tout et à priori assassin ? […] C’est la même loi. […] Après avoir, comme Childe-Harold et comme René, promené ça et là sa noire misanthropie, Daniel (c’est Daniel sans autre nom, Daniel, toujours comme René et comme Childe-Harold) rencontre au bord des mers une jeune fille qu’il décrit pendant tout le roman et qu’il ne nous montre pas une seule fois avec ce trait qui grave une image dans notre âme ; et, cette jeune fille, il se met à l’aimer dès la première vue avec la passion de l’épigraphe du livre, une de ces passions qui font deux êtres l’un à l’autre de par la nature et de droit divin, plus légitimes par conséquent que les lois et les conventions ! […] C’est comme une justice, et, à coup sûr, c’est une douceur que de voir le talent manquer à ceux qui manquent aux lois morales ! […] tant mieux que ce contempteur de la société, telle qu’elle est faite et qui pose comme la loi, l’abaissement, le foulement aux pieds de toute loi par la passion désordonnée, n’ait pas le prestige du talent, ne soit pas couvert par cette éblouissante et effrayante magie, et qu’ainsi il ne puisse entraîner les imaginations charmées et troubler le fond des consciences en remuant puissamment le fond des cœurs !
Entreprendre la guérison des plaies sociales, amender les codes, dénoncer la loi au droit, prononcer ces hideux mots, bagne, argousin, galérien, fille publique, contrôler les registres d’inscription de la police, rétrécir les dispensaires, sonder le salaire et le chômage, goûter le pain noir du pauvre, chercher du travail à l’ouvrière, confronter aux oisifs du lorgnon les paresseux du haillon, jeter bas la cloison de l’ignorance, faire ouvrir des écoles, montrer à lire aux petits enfants, attaquer la honte, l’infamie, la faute, le vice, le crime, l’inconscience, prêcher la multiplication des abécédaires, proclamer l’égalité du soleil, améliorer la nutrition des intelligences et des cœurs, donner à boire et à manger, réclamer des solutions pour les problèmes et des souliers pour les pieds nus, ce n’est pas l’affaire de l’azur. […] Aide des forts aux faibles, aide des grands aux petits, aide des libres aux enchaînés, aide des penseurs aux ignorants, aide du solitaire aux multitudes, telle est la loi, depuis Isaïe jusqu’à Voltaire. Qui ne suit pas cette loi peut être un génie, mais n’est qu’un génie de luxe. […] Être le serviteur de Dieu dans le progrès et l’apôtre de Dieu dans le peuple, c’est la loi de croissance du génie. […] Les lois morales anciennes veulent être constatées, les lois morales nouvelles veulent être révélées ; ces deux séries ne coïncident pas sans quelque effort.
L’Irlande, menacée d’une véritable mise hors la loi, a l’allure plus effervescente, plus insurrectionnelle que jamais. […] Le fait parisien et français, le plus capital, le plus caractéristique, depuis quinze jours, ce n’a été ni l’abandon à la dérobée de la loi sur l’état de siège, ni l’espèce de triomphe oratoire de M. de Broglie devant nos députés, ni même la chevaleresque étourderie royaliste de M. […] non, tu ne reviens jamais après l’absence ; Ailleurs, toujours ailleurs, en avant, c’est ta loi ; Ta loi, c’est d’obéir à qui, dès ta naissance, Te crie, à travers tout : Viens à moi, viens à moi !
Les lois, qui furent traditionnelles avant d’être écrites ; les préceptes religieux ou moraux, les connaissances primitives, sources des traditions ; les formes de l’intelligence humaine, l’intuition des vérités nécessaires, la faculté de pénétrer l’essence des êtres et des choses, pour imposer les noms, l’insufflation divine pour imprimer mouvement à la sensation et à la pensée : c’est dans tout cela que j’avais cherché les éléments de la parole ; c’est cet ensemble que j’avais signalé comme étant la révélation du langage. […] Court de Gébelin a voulu se rendre compte de la loi qui préside à la formation des différentes parties du discours, à leur construction grammaticale, à leur réunion en propositions ; et, à son tour, il a bien mérité de la science. […] Par une transformation opérée en vertu des lois merveilleuses de l’analogie, l’on s’est servi de ces mêmes sons vocaux pour représenter soit nos perceptions intellectuelles, soit les rapports intellectuels, les volontés, les actes de l’esprit, que faisaient naître nos sensations et nos besoins. […] Fabre d’Olivet avait dit ailleurs : « Il n’y a rien de conventionnel dans la parole. » Oui ; mais une loi existe, et il s’agit de savoir s’il est possible de la découvrir.
En 89, tout était à détruire, clergé d’État, noblesse à privilèges, monarchie prodigue et dévorante, parlements usurpateurs et stationnaires ; le tiers état, accablé d’humiliations et de charges, se ressaisissait de ses droits ; une philosophie hostile battait en brèche la religion ; une politique absolue, éprise de certaines formes, tendait à se réaliser dans les lois. […] Cette haine s’était lentement grossie et avait sommeillé durant des années ; elle se tempérait de mépris, du sentiment de sa force, du respect pour les lois. Un jour les lois furent violées par d’autres que par le peuple ; et la haine du peuple éclata comme la foudre : après quoi, tout fut dit.
Il y a sans doute des lois secrètes de la pensée et du langage, qui peuvent dispenser parfois un écrivain d’obéir au code de la grammaire : mais c’est la postérité qui prononce dans ce cas s’il y a abus ou beauté, et, en tout cas, ces libertés ne sont pas à l’usage de ceux qui apprennent à écrire. […] Voici une large période qui n’est au fond qu’une antithèse : Cent mille hommes criblés d’obus et de mitraille, Cent mille hommes couchés dans un champ de bataille, Tombés pour leur pays par leur mort agrandi, Comme on tombe à Fleurus, comme on tombe à Lodi, Cent mille ardents soldats, héros et non victimes, Morts dans un tourbillon d’événements sublimes, D’où prend son vol la fière et blanche Liberté, Sont un malheur moins grand pour la société, Sont pour l’humanité, qui sur le vrai se fonde, Une calamité moins haute et moins profonde, Un coup moins lamentable et moins infortuné Qu’un innocent, un seul innocent, condamné, Dont le sang ruisselant sous un infâme glaive, Fume entre les pavés de la place de Grève, Qu’un juste assassiné dans la forêt des lois, Et dont l’âme a le droit d’aller dire à Dieu : “Vois ! […] Ici la faute est juste et la loi criminelle ; Le prince pèche ici bien plus que le rebelle ; J’offense justement un injuste pouvoir Et ne crains pas la mort qui punit le devoir…..
Il a fallu, pour produire cette pauvre forme d’embryon, il a fallu que la population gallo-celtique de la Gaule fût réduite sous la loi de Rome, qu’elle prît les mœurs, la culture, la langue de ses vainqueurs, que l’empire romain et la culture latine, formes vénérables et vermoulues, tombassent en poussière au contact, non hostile, mais brutal, des barbares, et que les Francs, fondus dans la masse gallo-romaine, y déterminassent cet obscur travail, d’où sortirent ces deux choses, une race, une langue française. […] Rome, après la conquête, importe chez nous ses lois, sa langue, ou plutôt ses langues : elle installe dans les prospères écoles, elle déploie dans l’abondante littérature de la Gaule romaine sa sévère langue classique, ennoblie d’hellénisme, solidement liée par les rigoureuses lois de sa syntaxe et de sa prosodie ; elle livre à la masse populaire le rude, instable, usuel parler de ses soldats, de ses marchands et de ses esclaves, ce latin que, dès le temps d’Ennius, la force de l’accent et de vagues tendances analytiques commençaient à décomposer.
Dire que la chasteté du langage ne doit pas aller au-delà de celle des mœurs, quelque corrompues qu’elles soient, c’est prétendre que la société de mœurs honnêtes est condamnée à entendre et à parler un langage qui respire le mépris de l’honnêteté et de la morale ; c’est avancer que le langage peut mettre à découvert des mœurs que la morale oblige à cacher ; c’est aussi établir en principe que des esprits délicats et polis n’ont pas le droit d’exclure de leur langage des expressions grossières et brutales, et j’observe ici que si la décence est une loi de la morale, c’est aussi une loi du goût. Bien que les bonnes mœurs soient la plus sûre garantie du bon goût, cependant le bon goût a ses lois à part ; elles procèdent d’un instinct qui se développe dans la société avec la politesse des esprits, avec la délicatesse des âmes, avec l’élégance des manières, et s’exalte dans les douceurs des communications habituelles des esprits.