1839 Nous avons eu occasion déjà, dans cette série d’écrivains français, d’en introduire plus d’un qui n’était pas né en France, et d’étonner ainsi le lecteur par notre louange prolongée autour de quelque nom nouveau. […] Pourquoi lui faire dire en termes exprès par manière d’enseignement au lecteur : « Tout le secret de ma patience est dans cette unique pensée : Dieu le veut. […] laissez, laissez le lecteur conclure sur la simple histoire ; il tirera la moralité lui-même plus sûrement, si on ne la lui affiche pas ; laissez-le se dire tout seul à demi-voix que ce Lépreux, dans sa résignation si chèrement achetée, est plus réellement heureux peut-être que bien des heureux du monde : mais que tout ceci ressorte par une persuasion insensible ; faites, avec le conteur fidèle, que cet humble infortuné nous émeuve et nous élève par son exemple, sans trop se rendre compte à lui-même ni par-devant nous.
Mais surtout il a une rare délicatesse d’oreille : il a le sens et la science des rythmes, des sonorités, de leurs rapports subtils et efficaces au caractère de l’objet, aux émotions du lecteur. […] Raison, vérité, nature, c’est tout un370 ; et Boileau, par ses formules favorites, qui ont révolté tant de lecteurs superficiels, pose seulement en principe le respect du modèle naturel. […] Il pose les lois de la versification, qui sera correcte d’abord, mais aussi harmonieuse, expressive ; il pose les lois du style, qui sera correct et clair, mais efficace et expressif, les lois de la composition qui sera juste et proportionnée : vers, langage, plan, ce sont trois moyens, qui doivent concourir à approcher l’objet naturel, sans le déformer, de l’esprit du lecteur.
D’ailleurs, les opinions que j’ai énoncées récemment dans la Revue Wagnérienne ont été à ce point attaquées que je dois donner aux lecteurs qui me suivent depuis deux ans et demi une explication positive. […] — Les lecteurs de la Revue Wagnérienne m’ont vu jadis confiant dans les promesses de M. […] Ce serait là une lourde accusation, que j’ignorerais cependant, si y répondre n’était, du même coup, éclairer bien des choses. « Question wagnérienne et question personnelle », ai-je mis en tête de cet article ; et mes lecteurs comprendront que ma propre sécurité doit être la garantie, pour eux, de ma franchise et de mon exactitude absolue.
Que dire de Gil Blas qui n’ait pas déjà été dit, que n’aient pas senti et exprimé tant de panégyristes ingénieux, de critiques délicats et fins, et que tout lecteur judicieux n’ait pas pensé de lui-même ? […] Il doit à cette conformité de nature avec tous, et à sa franchise heureuse, à son ingénuité de saillies et d’aveux, de rester, malgré ses vices, intéressant encore et aimable aux yeux du lecteur : quant au respect, a-t-on dit très spirituellement, c’est la dernière chose qu’il demande de nous. […] Le juge le plus compétent en pareille matière, Walter Scott, a très bien caractérisé l’espèce de critique vive, facile, spirituelle, indulgente encore et bienveillante, qui est celle de Gil Blas : « Cet ouvrage, dit-il, laisse le lecteur content de lui-même et du genre humain. » Certes, voilà un résultat qui semblait difficile à obtenir de la part d’un satirique qui ne prétend pas embellir l’humanité ; mais Lesage ne veut pas non plus la calomnier ni l’enlaidir ; il se contente de la montrer telle qu’elle est, et toujours avec un air naturel et un tour divertissant.
« Il est bon, avait-il dit, de ne pas donner trop de vêtements à sa pensée ; il faut, pour ainsi dire, voyager dans les langues, et, après avoir savouré le goût des plus célèbres, se renfermer dans la sienne. » Rivarol ne s’y renferma que pour l’approfondir, et, dès ce temps, il conçut le projet d’un Dictionnaire de la langue française, qu’il caressa toujours en secret à travers toutes les distractions du monde et de la politique, auquel il revint avec plus de suite dans l’exil, et dont le Discours préliminaire est resté son titre le plus recommandable aux yeux des lecteurs attentifs. […] Voici quelques vues sur Paris et sur sa destination naturelle comme ville européenne, qui sentent assurément l’homme d’une civilisation très avancée, très amollie, et l’épicurien politique plus que le citoyen-soldat ; nous les livrons toutefois, fût-ce même à la contradiction de nos lecteurs, parce que les réflexions qu’elles présentent n’ont pas encore trop vieilli : Paris est-il donc une ville de guerre ? […] Il nous prouve très bien, par l’exemple des langues, que la métaphore et l’image sont si naturelles à l’esprit humain, que l’esprit même le plus sec et le plus frugal ne peut parler longtemps sans y recourir ; et, si l’on croit pouvoir s’en garder en écrivant, c’est qu’on revient alors à des images qui, étant vieilles et usées, ne frappent plus ni l’auteur ni les lecteurs.
Au lieu de nous raconter ses marches, l’emploi de ses journées, et de nous permettre de le suivre, il n’a donné que les résultats de ses observations durant trois ans : « J’ai rejeté comme trop longs, dit-il, l’ordre et les détails itinéraires ainsi que les aventures personnelles : je n’ai traité que par tableaux généraux, parce qu’ils rassemblent plus de faits et d’idées, et que, dans la foule des livres qui se succèdent, il me paraît important d’économiser le temps des lecteurs. » Il a donc composé un livre, un tableau, et n’a pas senti qu’il y avait plus de charme pour tout lecteur dans la simple manière d’un voyageur qui nous parle chemin faisant, et qu’on accompagne. […] Volney a peur de tout ce qui est charme ; il semble craindre toujours de rien ajouter aux choses, et de présenter les objets d’une manière trop attachante : Je me suis interdit tout tableau d’imagination, dit-il, quoique je n’ignore pas les avantages de l’illusion auprès de la plupart des lecteurs ; mais j’ai pensé que le genre des voyages appartenait à l’histoire et non aux romans.
Ceux qui ont le sentiment de l’exactitude littéraire sont très-sensibles à ces taches déshonorantes, dont le gros des lecteurs ne se doute même pas ; ceux qu’on a surtout accusés d’incorrection, de barbarie, et qui ne sont coupables que de chercher des raffinements de pureté et des rajeunissements d’élégance, ont presque droit de s’en alarmer.
A considérer ces Pieces du côté de la chaleur, du sentiment & du pathétique, elles sont au dessus de tout ce que nous ont donné en ce genre les Auteurs de nos jours les plus prônés, & seront toujours regardées comme des Drames écrits avec une sensibilité, une force & une énergie capables d’attendrir le Lecteur le plus froid.
N’eût-il fait que ce Mémoire, M. de Beaumarchais mériteroit de figurer dans le petit nombre des Gens de Lettres qui, au mérite d’écrire avec autant de clarté que de corrections, réunissent le talent de nourrir la curiosité du Lecteur, par un style aussi varié que piquant.
M. de Raynal n’a peut-être pas eu cette prétention : c’est pourquoi nous regarderons ces deux Histoires comme une source d'amusement pour le Lecteur, en le prémunissant toutefois contre les dangers de la séduction.
Je ne sais si j’ai réussi ; ce qui me ferait croire au moins à un certain mérite de vérité, c’est que presque tous ceux de mes lecteurs que j’ai rencontrés m’ont parlé d’eux-mêmes comme ayant été dans la position de mon héros.
Ainsi je ne sçaurois esperer d’être approuvé, si je ne parviens point à faire reconnoître au lecteur dans mon livre ce qui se passe en lui-même, en un mot les mouvemens les plus intimes de son coeur.
Est-il même un seul ouvrage de valeur qui ne contienne une conception particulière de la vie, qui n’incline le lecteur dans un sens déterminé ? […] Il existe une recette connue pour étonner, voire même pour effarer et méduser le lecteur. […] Je sais telle tirade ample et superbe, qui a le tort d’être dans la bouche, d’un agonisant (Zachario) et qui force le lecteur à dire en souriant : Ô poète ! […] Il ne peut être question de les discuter ici, et j’ai hâte d’arriver, d’ailleurs, à ce qui doit le plus intéresser les lecteurs de ce journal. […] Elle intéressera le petit nombre de lecteurs pour qui elle est écrite.
Ces discours, ou dialogues philosophiques, ont toujours pour prétexte une petite anecdote, une fable, à la vérité, mais la fable est comme dévorée par le discours, par la conversation de l’auteur et n’est plus, évidemment, pour l’auteur qu’un prétexte, pour le lecteur qu’un petit divertissement. […] Mais La Fontaine nous montre par là qu’il aime à discuter on le sait par ailleurs qu’il aime à exposer des thèses philosophiques ou scientifiques, et que peut-être il y avait un peu trop d’inclination même, puisqu’il s’attarde tellement sur de pareilles choses, qui parfois ne sont pas précisément très agréables pour le lecteur ; mais là où il montre que cette faculté de dialecticien il l’avait, éminemment et avec une souplesse, une aisance, avec une grâce tout à fait extraordinaires, c’est dans le passage suivant, que l’on trouve dans le Discours à Madame de La Sablière et que je vais vous lire. […] Mais voyez comme, presque sournoisement, l’avocat qu’est La Fontaine, dépose en passant, jette, en passant, une idée qui sera féconde, il le suppose et il a bien raison de le supposer, dans l’esprit de son lecteur, et qui achemine le lecteur à la conclusion où lui, auteur, veut atteindre.
La complexité, qui est l’essence même de cet esprit distingué, fait aussi le cachet de son œuvre, et a pu faire hésiter quelquefois le lecteur superficiel sur son but véritable. […] Il n’y a donc rien d’étonnant que le lecteur même attentif soit partagé quelquefois comme l’auteur, et qu’il éprouve quelques-uns des embarras dont celui-ci a eu à triompher.
Il énonce une chose juste, il propose une réforme utile, vous l’approuvez, il n’est pas content : pour la mieux établir et pour vous convaincre à satiété, il va s’amuser à énumérer les objections les plus futiles, se donnant le plaisir de les réfuter à son aise, une à une, premièrement, secondement…, vingt-huitièmement… Il ne s’arrêtera qu’après nous avoir accablés ; il tient à rester victorieux jusqu’au bout sur le papier, et à dormir sur le champ de bataille : dormir est bien le mot, surtout pour le lecteur. […] [NdA] Un de mes obligeants lecteurs me rappelle ici ce qui m’avait d’abord échappé : il y a un autre passage de Rousseau, et des plus curieux, sur les mœurs de l’abbé de Saint-Pierre : c’est au livre iii de l’Émile, lorsqu’il s’agit de faire apprendre au jeune élève un métier, mais un métier honnête.
Il finit par demander presque pardon au lecteur de dire encore Homère : « Je me sers, dit-il, d’une expression convenue pour éviter une périphrase. » Nous ne saurions, après l’avoir lu, nous sentir aussi édifié que lui. […] Dugas-Montbel (je le cite comme plus à portée de tout lecteur) commence par produire les deux scholies qui servent de base au système ; l’une des deux renferme une erreur grossière, et c’est pourtant sur ce scholiaste inepte qu’on s’appuie, en même temps qu’on trouve moyen d’infirmer le témoignage gênant de Plutarque, qui tendrait à faire remonter jusqu’à Lycurgue l’existence prouvée des poëmes homériques.
Comme le chroniqueur ingénu ne paraît guère préoccupé de l’idée de pudeur, cela fait que le lecteur est médiocrement choqué lui-même, et qu’il laisse courir le récit du moins prude des mondains. […] Quoi qu’il en soit, l’honnête lecteur doit se tenir pour bien averti.
J’abonde dans cette idée ; seulement, comme les jours des heureux se ressemblent tous et que l’histoire en est plus difficile que celle des malheureux, on trouvera que ce commencement rempli de conversations et d’extases n’a pas, pour le lecteur, la vivacité qu’il eut pour les amants. […] Mais ce ne sont là que des traits accessoires auxquels le lecteur prend garde à peine, tant l’ensemble va, marche, se presse, tant le drame ne vous laisse pas ; tout est bien jusqu’au moment où Steven se trouve face à face avec Charles XII.