Il s’occupa peu de politique, et la laissa à Montesquieu, à Jean-Jacques et à Raynal ; mais en philosophie il fut en quelque sorte l’âme et l’organe du siècle, le théoricien dirigeant par excellence. […] Ces premières années, cette vie de famille et d’enfance, qu’il aimait à se rappeler et qu’il a consacrée en plusieurs endroits de ses écrits, laissèrent dans sa sensibilité de profondes empreintes. […] Du plus loin qu’il m’aperçut, il laissa son ouvrage, il s’avança sur sa porte et se mit à pleurer. […] » Madame de Vandeul, fille unique et si chérie de Diderot, nous a laissé quelques anecdotes sur l’enfance de son père, que nous ne répéterons pas, et qui toutes attestent la vivacité d’impressions, la pétulance, la bonté facile de cette jeune et précoce nature. […] Diderot, bon qu’il était par nature, prodigue parce qu’il se sentait opulent, tout à tous, se laissait aller à cette façon de vivre ; content de produire des idées, et se souciant peu de leur usage, il se livrait à son penchant intellectuel et ne tarissait pas.
C’est le châtiment de la vanité qui fait écrire de telles lettres ; pour vouloir y briller, on laisse dans l’ombre ce qu’on a de meilleur. Combien de nobles lettres Balzac aurait pu laisser, et Voiture combien d’aimables, s’ils n’eussent écrit qu’à ceux auxquels ils avaient affaire ! […] C’est ainsi que Mme de Grignan laissa copier plus d’une lettre où sa mère parlait de sa beauté comme eût fait un amant, et de l’esprit de sa fille comme on parlait du sien. […] Tout cela est léger, glisse, caresse en passant, et s’oublie, non sans nous laisser le désir d’y revenir. […] Les plus fortes laissent des impressions plus durables ; mais le tout demeure à la surface de l’esprit.
Le Malade imaginaire est complètement un imbécile, sans une ombre de goût et d’esprit, en dehors de sa maladie ; le Bourgeois gentilhomme, autre victime : on ne lui laisse pas même assez de bon sens pour se conduire, au-delà de sa passion d’être et de paraître. — Tout ou rien, voilà la comédie ; ou la honte absolue, ou la gloire sans tache ! […] Laissez de côté votre admiration pour Molière, ou plutôt, en convenant avec vous de l’esprit et de la gaieté de cette comédie, L’École des femmes, convenez avec moi que le fond en est obscène, que les détails n’en sont rien moins que pudiques ! […] Laissez-moi dire, et ne vous emportez pas ; n’est-il pas vrai que cette petite Agnès n’a rien de naïf, et que cette enfant est très avancée pour son âge ! […] Il abandonne à ses ennemis ses ouvrages, sa figure, ses gestes, sa parole son ton de voix, sa façon de réciter, mais il demande en grâce qu’on lui laisse le reste ! […] » Et la manière de les raconter ; quelle admirable place il laisse en fin de compte, à la critique et à l’histoire !
L’École historique à laquelle s’est laissé entraîner M. […] Il n’a pas cru, lui qui a touché pourtant à tout le bagage de fétidités, laissé par cette société pourrie et parfumée, qu’il y eût une lessive à faire pour blanchir le linge de ce siècle, taché du vermillon de tous les excès. […] Capefigue, qui n’y a pas assisté pourtant, s’est laissé enivrer aux soupers divins, comme il dit, où l’on buvait et l’on mangeait l’honneur de la France, et d’ivresse en ivresse, il a fini par épouser des deux mains et les yeux fermés la honteuse époque qu’un esprit comme le sien aurait dû répudier avec le mépris qu’elle inspire. […] Parce que M. de Maupeou soupait à Luciennes, parce que les coups d’État se brassaient devant elle, parce qu’elle avait la hardiesse de bec qu’on laisse prendre aux oiseaux de son espèce, parce qu’elle jonglait avec les oranges, saute, Choiseul ! […] Il faudrait laisser ces choses-là où elles sont et où elles doivent rester, — dans les bas-côtés de l’histoire.
Dans le temps ensuite, car le corps est matière, la matière est dans le présent, et, s’il est vrai que le passé y laisse des traces, ce ne sont des traces de passé que pour une conscience qui les aperçoit et qui interprète ce qu’elle aperçoit à la lumière de ce qu’elle se remémore : la conscience, elle, retient ce passé, l’enroule sur lui-même au fur et à mesure que le temps se déroule, et prépare avec lui un avenir qu’elle contribuera à créer. […] Une intoxication durable, comme en laissent derrière elles certaines maladies infectieuses, produira l’aliénation. […] Descartes, il est vrai, n’allait pas encore aussi loin : avec le sens qu’il avait des réalités, il préféra, dût la rigueur de la doctrine en souffrir, laisser un peu de place à la volonté libre. […] Tel est le rôle du cerveau dans l’opération de la mémoire : il ne sert pas à conserver le passé, mais à le masquer d’abord, puis à en laisser transparaître ce qui est pratiquement utile. […] Mais ce serait quelque chose, ce serait beaucoup que de pouvoir établir, sur le terrain de l’expérience, la possibilité et même la probabilité de la survivance pour un temps x : on laisserait en dehors du domaine de la philosophie la question de savoir si ce temps est ou n’est pas illimité.
Quoique son style ne soit ni noble ni élégant, il ne laisse pas d’être supérieur à celui de la plupart des Histoires publiées par ses Confreres ; car il est net, coulant, précis, & toujours égal. […] Puisqu'il s'étoit proposé de donner, dans cet Abrégé, la substance de sa grande Histoire, il auroit dû avoir plus d'attention à n'y faire entrer que les événements principaux, en les réduisant à une juste étendue ; au lieu que, s'étant laissé aller à l'envie de ne rien omettre, les faits y sont accumulés, & ne forment qu'une énumération qui rend cet Abrégé assez semblable à une Table des Matieres.
On voit qu'en exposant les fautes des Princes, les abus de la Religion, les torts de la Nation, il n'épouse aucun parti, en sorte que l'on a de la peine à deviner quel est son sentiment, tant il est éloigné de laisser transpirer le moindre mouvement d'opposition ou d'intérêt. L'Abbé Vély avoit laissé cette Histoire au neuvieme volume.
Mais il faut compter avec l’accident qui laisse ou fait mourir le feu. […] Guillaume Monod ne se laissa jamais émouvoir qu’à bon escient. […] Il ne faut jamais se laisser démonter par un paradoxe. […] Se laisser vivre, c’est glisser sur cette pente. […] Si on laisse la vie à un coupable, il faudrait peut-être lui laisser aussi l’espérance.
Inculpé odieusement et bassement calomnié hier encore pour avoir eu l’effroyable audace de se laisser porter par une forte minorité démocratique, et de rester jusqu’à la fin en concurrence et en lutte avec un homme du plus grand talent en effet, et qui est subitement devenu l’idole des Parisiens, comme le fut autrefois M. […] Je ne m’avancerai pas jusqu’à dire que ces Mémoires ne laissent rien à désirer : l’auteur dicte, il ressaisit par portions des groupes de souvenirs, il se relit peu : de là des répétitions, de fréquents retours en arrière, une absence trop fréquente de dates précises là même où il croit les avoir données ; bien des défauts enfin qui tiennent, pour ainsi dire, à la main plus qu’à l’esprit. […] Cependant un sentiment de solidarité s’y développe chez lui ; opprimé, il prendra aussitôt parti pour les opprimés : « Ces souffrances de l’éducation universitaire ont laissé dans mon âme des traces ineffaçables ; elles y ont développé de bonne heure les instincts de solidarité au point que je n’ai jamais été témoin, que jamais je n’ai entendu le simple récit d’une injustice sans en ressentir le contre-coup ; je leur dois encore d’avoir été, dans toute l’étendue du mot, un excellent camarade. » La lecture de Gibbon commença de bonne heure son émancipation en matière de croyances. […] C’est au moment d’y entrer que le citoyen Dalton, en avant de tous les grenadiers, a reçu un coup de fusil à bout portant, et il ne s’est laissé enlever du champ de bataille que lorsque l’ennemi a été forcé à la retraite.
Ou bien l’expression n’a retenu de la pensée qu’une faible réminiscence qu’elle laisse à peine entrevoir sous sa pâleur, ou bien elle a prêté à cette pensée trop d’éclat, trop de saillie, et l’a altérée en y ajoutant : c’est même là le défaut ordinaire d’un esprit impétueux et fort. […] En poésie, comme ailleurs, rien de si périlleux que la force : si on la laisse faire, elle abuse de tout ; par elle, ce qui n’était qu’original et neuf est bien près de devenir bizarre ; un contraste brillant dégénère en antithèse précieuse ; l’auteur vise à la grâce et à la simplicité, et il va jusqu’à la mignardise et à la simplesse ; il ne cherche que l’héroïque, et il rencontre le gigantesque ; s’il tente jamais le gigantesque, il n’évitera pas le puéril. […] Quand on a fait ces vingt vers, on doit comprendre qu’il est un moyen de laisser voir la pensée, sans s’épuiser à la peindre. […] Hugo le fait surtout par inadvertance et illusion ; c’est une sorte de simplicité enfantine qui se laisse prendre par les yeux.
Souvent on se laisse tromper par une apparence de brièveté ; et l’on prend pour brièveté ce qui n’est que longueur : ainsi l’on tâche de dire brièvement beaucoup de faits, au lieu de s’attacher à en réduire le nombre et à n’exprimer que les nécessaires. […] Les princes traînaient derrière sournoisement, et le laissaient seul, afin, disaient-ils, de lui faire moins de poussière. […] Le roi n’avait même pas ses parents ; ils se laissaient sommer de leur service féodal, et alors ils se faisaient marchander ; il fallait les payer d’avance, leur distribuer des provinces, le Languedoc, le duché d’Orléans. […] » On lui fit lâcher la bride, mais on le laissa suivre le roi et crier une demi-heure.
Pour mon compte, je ne la trouve intéressante, cette Correspondance, que parce qu’elle dépoétise et déshonore Sophie Arnould, le Voltaire femelle, pour l’esprit sur place, dont les de Goncourt font l’histoire comme si elle ne vivait pas assez dans les mots qu’elle a laissés derrière elle, puisqu’elle avait le don de ces étincelles qui ne s’éteignent pas, et qu’il fallût la chercher dans le détail, les misères et les turpitudes de sa vie ! […] Je me suis laissé dire qu’il y avait un Arnouldiana quelque part, mais j’aurais préféré le leur. […] Mais Sophie Arnould, qui ne savait pas l’orthographe, n’était qu’une jouisseuse en toute chose, et elle laissait perdre la mousse de son esprit comme la mousse du vin de Champagne, sur le pied du verre, à souper… Spirituelle, n’étant que spirituelle en tout, cette diablesse d’esprit n’était pas jolie, et même le portrait qu’en donnent MM. de Goncourt, à la tête de leur ouvrage et d’après un dessin du xviiie siècle, nous la crache fort laide. […] Il ne fallait pas se laisser absorber par cette courtisane dangereuse encore, après sa mort, et qui a des séductions d’outre-tombe… Quand MM. de Goncourt publièrent cette chronique, hardie et quelquefois effrontée comme elle, de Sophie Arnould (c’était en 1857), ils étaient jeunes, — et dans la fougue et la flamme d’un talent qu’ils avaient allumé à tous les candélabres du xviiie siècle.
Quand il parut, il y a quelques mois, et qu’attiré par ce titre que je m’obstine à trouver très-piquant et plein de promesses, je lus cette platitude qui voulait avoir de la pointe, je me laissai aisément persuader qu’il ne fallait attacher sur chose de cet ordre la cocarde d’aucune critique. […] Mais le grand observeur, dont un pareil sujet chaussait admirablement les facultés incomparables, mais cette tête qui pensait à tout ne pensa point précisément à ces Mémoires d’une femme de chambre, qui auraient si bien trouvé la place d’un chef-d’œuvre de plus parmi les chefs-d’œuvre de La Comédie humaine, et il nous a laissé, à nous qui vivons après lui, l’occasion de bénéficier, si nous pouvons, de cette distraction de son génie. […] Mme de Motteville, qui était à la bonne reine Anne, nous a laissé les siens. […] Or cette question n’est point, comme on pourrait le croire, le pamphlet, l’ignoble pamphlet sous forme romanesque que j’ai laissé là, de dégoût, mais le roman lui-même, le genre de roman introduit en ces Mémoires, et qui n’est pas, il faut le dire, beaucoup plus propre que le pamphlet !
Mais quand on a dit tout cela, on n’a rien prouvé ; le talent de l’auteur, dans ce qu’il a précisément de neuf, de puissant et de grand, ne laisse pas de vous prendre, de vous remuer étrangement et de triompher. […] Je l’ai dit ailleurs : « malgré tout, Atala garde non pas son charme (c’est un mot trop doux et que j’aime mieux laisser à Virginie), mais son ascendant troublant ; au milieu de toutes les réserves qu’une saine critique oppose, la flamme divine y a passé par les lèvres de Chactas ou de l’auteur, qu’importe ? […] S’il y a laissé des gaucheries, c’est à vous que je m’en prendrai ; mais vous m’avez paru si rassurée sur ce point, que je n’ai aucune inquiétude.
Cette lecture m’a laissé une impression singulière. […] Voilà quelques-unes des raisons (et je laisse de côté le caractère de l’homme) qui font que, tout en admirant ce voyageur extraordinaire, je ne saurais aller jusqu’à l’amour ni à la confiance. Je lui en veux de ne pas nous laisser goûter avec sécurité les belles choses qu’il a faites.
Et Paul Verlaine finissait par laisser entendre qu’à son avis, rimer mal ou assoner était une marque d’impuissance. […] Catulle Mendès : Elle marchait — avec un lys — dans chaque main… Des prisonniers — cloués au mur — à coups d’épieu… comme ceux de François Coppée : Le lévrier — qui dort en rond — sur le tapis, obéissaient toujours au vieux précepte de Boileau et laissaient subsister la césure au milieu du vers. […] Lente extase, houleux sommeil exempt de songe… De pesants bracelets hors du satin des boîtes… Je sais bien que j’ai tort et que c’est détestable… Laisse-moi, dis-je, étant en proie à la pensée… L’œil le plus prévenu contre l’hiatus est satisfait en lisant ces vers, mais l’oreille ?
Horace ne parle pas de sa mère, morte sans doute pendant qu’il était en bas âge, esclave peut-être avant l’affranchissement de la famille ; mais il témoigne pour ce modèle des pères toute la tendresse et toute la reconnaissance qu’une mère laisse ordinairement dans la mémoire et dans le cœur de l’enfant. […] Il ne laissa en mourant à Horace qu’un patrimoine très modique, à peine suffisant à l’existence d’un jeune homme élégant à Rome. […] Horace ne pouvait s’empêcher d’admirer de loin cette douceur qui rappelait celle de César ; il se laissait allécher involontairement par tant d’attraits d’esprit qui lui déguisaient le pouvoir suprême ; un hasard l’en rapprocha tout à coup. […] Horace, qui avait contre Mécène les préventions d’un ennemi politique, mais qui était las de son opposition sans espérance, finit par se laisser séduire. […] L’homme illustre, surtout l’homme aimé, laisse comme le cygne une plume de ses ailes et une harmonie de son chant suprême aux lieux où il s’est abattu.
remplis le vide qu’elle a laissé dans mon âme ! […] « Ma mère avait laissé des romans ; nous les lisions après souper, mon père et moi. […] À l’inverse de la première Héloïse, elle se laisse entraîner elle-même à une affection trop tendre pour son élève. […] Thérèse, plus tendre que l’ancien amant, baise cette main et y laisse une larme. […] Elle ne lui laissa dérober que des coquetteries d’amitié et d’innocentes illusions de tendresse.
Les monuments gigantesques des Aztèques ont laissé sur la terre des traces d’intelligence et de force très supérieures jusqu’ici aux édifices exclusivement utilitaires des Américains du Nord. […] Ce voyage de deux cents milles m’a laissé de délicieux souvenirs. […] Elle sortait d’une hutte isolée, dont la porte entrouverte laissait pénétrer mon regard jusqu’au foyer allumé ; une figure d’homme ou de femme passait et repassait entre la flamme et moi. […] Tout-à-coup l’Indien se lève, passe devant moi, se promène dans la hutte : je crois que sa douleur devenue insupportable cause cette agitation qu’il laisse paraître. […] Nous déliâmes leurs pieds, mais nous laissâmes leurs mains garrottées, et nous les forçâmes de nous suivre.