/ 3448
1064. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XX. De Libanius, et de tous les autres orateurs qui ont fait l’éloge de Julien. Jugement sur ce prince. »

Que ces gens-là aient l’honneur d’être sages, et qu’ils laissent à d’autres l’espérance d’être grands. […] Photius lui reproche de laisser trop apercevoir dans ses discours l’empreinte du travail, et d’avoir éteint, par un désir curieux de perfection, une partie de ces grâces faciles et brillantes que lui donnait la nature lorsqu’il parlait sur-le-champ. […] les trésors ne leur suffisaient pas ; ils avaient l’audace de s’indigner s’ils ne partageaient point la considération attachée à la dignité, croyant voiler ainsi leur servitude… L’empereur chassa du palais ces animaux dévorants, ces monstres à cent têtes, et voulut qu’ils regardassent comme une grâce la vie qu’il leur laissait. » Il était difficile, sans doute, de mieux peindre la corruption profonde de la cour de Byzance, cette chaîne de brigandage et d’oppression, et l’abus du crédit, dans une classe d’hommes qui, voués par état à des emplois obscurs, mais approchant du prince, ou paraissant en approcher, imprimaient de loin l’épouvante, parce qu’ils habitaient le lieu où réside le pouvoir. […] On dira peut-être que ce sont là plutôt des vertus d’un cénobite que d’un prince ; on se trompe ; on ne pense point assez combien, dans celui qui gouverne, cette vie austère retranche de passions, de besoins, combien elle ajoute au temps, combien elle laisse au peuple, combien elle diminue les moyens de corruption et de faiblesse, combien, par l’habitude de se vaincre, elle élève l’âme.

1065. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — I »

Diderot, bon qu’il était par nature, prodigue parce qu’il se sentait opulent, tout à tous, se laissait aller à cette façon de vivre ; content de produire des idées, et se souciant peu de leur usage, il se livrait à son penchant intellectuel et ne tarissait pas. Sa vie se passa de la sorte, à penser d’abord, à penser surtout et toujours, puis à parler de ses pensées, à les écrire à ses amis, à ses maîtresses ; à les jeter dans des articles de journal, dans des articles d’encyclopédie, dans des romans imparfaits, dans des notes, dans des mémoires sur des points spéciaux ; lui, le génie le plus synthétique de son siècle, il ne laissa pas de monument. […] Georges Leroy, lieutenant des chasses du parc de Versailles, naturaliste spirituel et attentif de l’école en tout (comme on vient de le voir) de La Fontaine, de Buffon et de quelques autres plus modernes, a laissé des Lettres sur les animaux très intéressantes : elles ont été réimprimées en 1862 par l’éditeur Poulet-Malassis, avec une belle et savante Introduction du docteur Robinet. 

1066. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

Si vous dites, pour citer une théorie qui jouit aujourd’hui d’une faveur incroyable, non seulement parmi les pauvres sols tout éplorés qu’Alfred de Musset traîne à ses talons, mais auprès des esprits les plus graves de notre époque, si vous dites que le vrai poète doit être une espèce de don Juan fatal, victime prédestinée de cet insatiable besoin d’aimer qu’on appelle le génie, et semblable au pélican qui donne à ses petits son propre cœur en pâture, s’il vous plaît de répéter cette déclamation, nous vous laisserons faire, et, quand vous aurez fini, nous vous rappellerons simplement l’admirable possession de soi d’un Cervantes et surtout d’un Shakespeare, qui dans la force de l’âge et du talent, cesse tout à coup d’écrire et se met à cultiver son jardin, comme Candide, après avoir eu la tête traversée par un effroyable torrent d’idées et d’images, dont quelques flots auraient suffi pour faire perdre l’équilibre à la plus ferme de nos cervelles. […] Quant à leur propre doctrine à eux, la voici : Laissons-nous aller, disent-ils avec Molière, laissons-nous aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par les entrailles, et ne cherchons point de raisonnements pour nous empêcher d’avoir du plaisir.

1067. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre II. Utilité de l’ordre. — Rapport de l’ordre et de l’originalité »

Tout ce qu’on prétend laisser à l’inspiration, on le livre au hasard. […] Ici l’auteur se laissera aller sans nécessité, et même à contretemps, à développer quelque idée favorite ; il s’épanchera sur ce qui lui tient au cœur, sans trop regarder si c’est de son sujet. […] N’ayant pas rapporté chaque partie au tout et aux autres parties, il ne taillera point chacune de ses pensées à la convenance du sujet, il leur laissera trop de largeur ou trop peu : il n’y touchera pas avec précision le point par lequel elles tiennent à sa matière ; elles garderont du vague et de l’incertitude : elles resteront plus ou moins à l’état de simulacres flottants et sans consistance, de silhouettes lumineuses parfois et vives, mais où l’on ne sentira point le solide soutien des muscles et des os.

1068. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre III. Soubrettes et bonnes à tout faire »

» Willy, élève de Stanislas qui oublie ses condisciples vieillis pour Claudine « petit pâtre bouclé » et qui, devant l’objectif du photographe, ne boucle plus la boucle d’un p’tit jeune homme que si c’est Polaire qui offre ses grâces postérieures ; Willy qui ne sut jamais voir aux yeux d’autrui que ses propres vices, m’accusera, j’espère, d’avoir cédé à une nostalgie perverse : je viens de relire deux de ces volumes de contes où Mendès, fameux par ses imitations, se laisse saisir lui-même, fuyant et onduleux seulement comme une amuseuse qui s’amuse. […] J’ai eu le courage, pourtant, de relire un livre du gauche et laborieux baron, celui qui m’avait laissé le moins mauvais souvenir. […] Mais c’est fait d’anciens articles retapés par quelqu’un qui ne laisse rien perdre et qui n’a pas de temps à perdre, Autrefois ces articles parlaient au présent de faits récents.

1069. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le marquis de Grignan »

Bernis, tout méconnu qu’il ait été, avait, après tout, étoffe d’histoire, et l’étoffe même était opulente, mais l’inconnu que voici n’a pas laissé derrière lui le moindre petit chiffon historique qu’on puisse ramasser ! […] Les lettres seules de madame de Sévigné ont parlé jusqu’au radotage de ce petit marquis de Grignan, la poupée cassée de sa grand’mère ; car, revenues à l’enfance, les grand’-mères ont toutes pour dernières poupées leurs petits-enfants… C’est aux barbouillages de sa tendresse, laissés sur son nom, oublié sans elle, que l’obscur Grignan doit, dans les ténèbres où il gît, cette lueur de phosphore. […] Ils sont tous comme lui, élevés dans l’amour du roi, — ce sentiment qui était de France, — dans ce feu sacré de l’amour du roi que soufflaient alors toutes les mères au cœur de leurs fils, et que, plus religieuses que les Vestales, elles ne laissèrent éteindre jamais !

1070. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lessing »

De Diderot ou de Lessing, c’est certainement le champenois Diderot qui est, d’esprit, le plus allemand… Laissons, pour le moment, les deux créateurs de théâtre ; car Lessing et Diderot ont voulu créer un théâtre. […] Lessing ne se serait pas laissé enfiler jusqu’à ce point par Richardson ! […] Lessing savait bien ce que Voltaire ne savait qu’à peu près ou mal… Linguiste immense, fort dans les langues anciennes, dont Voltaire avait seulement éraflé le dictionnaire, Lessing lisait dans leur propre langue tous les théâtres de l’Europe moderne, et encore par là il tenait Voltaire, ce menteur et ce pickpocket de Voltaire, qui aurait si bien escroqué la gloire d’autrui, si on l’eût laissé faire.

1071. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « V. Saint-René Taillandier »

Pendant que les talents qui fondèrent l’une et rejetèrent l’autre, et qui avaient trop de personnalité et de vie pour se laisser grossièrement éteindre, s’en allaient successivement à la file, il resta et passa maître, les maîtres partis. […] Taillandier nous étant assez indifférente, à nous qui avons aussi notre opinion sur ces Messieurs, nous ne ferons pas aujourd’hui de la critique sur de la critique, et nous laisserons M.  […] Seulement ce qu’ils laissent sur les littératures est moins brillant que la trace des colimaçons des jardins sur les feuilles vertes dépliées.

1072. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Lefèvre-Deumier »

Il n’avait pas seulement, comme tous les romantiques du temps, fait ses humanités dans Shakespeare et bu dans la coupe Tête de mort où lord Byron avait laissé le sang de ses lèvres pour sa peine d’avoir osé jouer avec la douleur ! […] Il a tordu souvent l’expression  jusqu’à la fausser, jusqu’à la briser, pour lui faire dire ce qu’enfin la langue ne dit pas et ne veut pas dire ; mais quand il l’a laissée tranquille et qu’il s’est fié à elle, il a eu de magnifiques parties de poète et il a réussi ! […] Un jour, cette passion, dont Les Confidences sont l’écho, l’entraîna en Pologne, au siège de Varsovie, pour s’y faire tuer, et il y fut laissé pour mort sur des monceaux de cadavres.

1073. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Gères. Le Roitelet, verselets. »

. — l’admiration ou la mystification de leurs contemporains, — ils laissent sur l’imagination publique des teintes dont elle reste colorée. […] N’importe le sujet qu’il traite, il a le mot inattendu et final qui coupe et renoue et que les Anciens aimaient tant, ce dard d’abeille qu’on laisse dans la dernière strophe, — lethalis arundo ! […] Par l’aube éternelle guidée, Entrevoyant d’autres beautés, L’âme, au sort commun décidée, S’acclimate aux vives clartés Et se fait à la grande idée, Voit la terre avec d’autres yeux, Se prépare au voyage étrange, Laisse à tout d’intimes adieux, S’observe, s’écoute, se range, Se tourne souvent vers les cieux ; Se concentre dans elle-même Laissant déborder par moments Dans l’amitié de ceux qu’elle aime Les précurseurs épanchements De la fin prochaine et suprême !

1074. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VIII. De Platon considéré comme panégyriste de Socrate. »

Une ville grecque demanda une statue à un artiste célèbre, et lui laissa le choix du sujet. […] Depuis, il avait été témoin des honneurs extraordinaires rendus à sa mémoire ; il avait vu les Athéniens, ce peuple léger, cruel et sensible, qui tour à tour féroce et tendre, après l’avoir laissé périr, le vengeait. […] Socrate, laisse-toi persuader, et ne préfère ni tes enfants, ni ta vie, ni rien même à la justice. » Criton cède ; il admire Socrate qui finit par lui dire : « Marchons par où Dieu nous conduit. » Le troisième discours, beaucoup plus connu que les deux autres, est ce Phédon si fameux qui contient le récit des derniers entretiens de la mort de Socrate ; c’est un des ouvrages les plus célèbres de l’antiquité ; c’est celui que Cicéron, comme il nous l’apprend lui-même, n’avait jamais pu lire sans verser des larmes.

1075. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre IV. Trois espèces de jugements. — Corollaire relatif au duel et aux représailles. — Trois périodes dans l’histoire des mœurs et de la jurisprudence » pp. 309-320

César nous a laissé beaucoup de détails sur celle qui avait lieu chez les Gaulois. […] L’Empereur était à la porte, les lances baissées, les épées nues, tout prêt à user de la victoire ; cependant malgré sa colère, il laissa échapper tous les habitants qu’il allait passer au fil de l’épée. […] Plus tard les Empereurs durent écarter tous les voiles dont les préteurs avaient enveloppé l’équité naturelle, et la laisser paraître tout à découvert, toute généreuse, comme il convenait à la civilisation où les peuples étaient parvenus.

1076. (1854) Causeries littéraires pp. 1-353

Madame de Girardin nous laisse le choix des conjectures. […] — mort en 1584, laissa un fils, appelé Démétrius, et né de son septième mariage. […] Lamartine, Victor Hugo, Alfred de Musset, ont laissé dans notre mémoire un idéal qui nous rend dédaigneux et difficiles quand nous lui comparons de nouveaux vers. […] Plus tard, lorsque ce gendre, ruiné à son tour, prend la fuite et laisse la pauvre Laure dans l’abandon et les larmes, M.  […] ils laissent entendre, à demi-voix, que La Calprenède et Scudéry ne sont pas à mépriser.

1077. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre premier. Rapports de l’invention et de la disposition »

Il faut le laisser quêter à sa guise : en chasse, on découple les chiens, on ne les tient pas en laisse.

1078. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mikhaël, Éphraïm (1866-1890) »

Il laissa pourtant une œuvre glorieuse, encore qu’inachevée, où puisèrent, trop impunément peut-être, puisqu’il n’était plus là pour la garder jalousement, ceux qui suivirent la trace altière de ses pas pour moissonner ses posthumes floraisons. […] Remy de Gourmont Puisqu’il ne nous laissa que de trop brèves pages, l’œuvre seulement de quelques années ; puisqu’il est mort à l’âge où plus d’un beau génie dormait encore, parfum inconnu, dans le calice fermé de la fleur, Mikhaël ne devrait pas être jugé, mais seulement aimé… Parallèlement à ses poèmes, Mikhaël avait écrit des contes en prose ; ils tiennent dans le petit volume des Œuvres, juste autant, juste aussi peu de place que les vers… Il suffit d’avoir écrit ce peu de vers et ce peu de prose : la postérité n’en demanderait pas davantage, s’il y avait encore place pour les préférés des dieux dans le-musée que nous enrichissons vainement pour elle et que les barbares futurs n’auront peut-être jamais la curiosité d’ouvrir.

1079. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VII. Objections à l’étude scientifique d’une œuvre littéraire » pp. 81-83

. — « Soit, dira-t-on, nous voulons bien à la rigueur qu’une œuvre soit contrainte par une analyse sévère de livrer la plupart de ses secrets, de laisser paraître au grand jour les mystères de sa nature intime et même de révéler les principales qualités de son auteur. […] Telle espèce s’est éteinte presque sans laisser de traces.

1080. (1908) Jean Racine pp. 1-325

Il se laisse vivre ; il se laisse protéger et nourrir par Fouquet, par madame de Bouillon, par madame de la Sablière, par madame Hervart, par les Vendôme (le duc et le grand prieur). […] Alexandre pardonne à tout le monde ; il marie Porus et Axiane et leur laisse leurs deux royaumes. […] Ne peuvent-ils me laisser la paix ?  […] Vous l’avez quitté il y a longtemps, laissez-le juge des choses qui lui appartiennent. […] C’est de croire qu’elle préside le Sénat, derrière son rideau, et de s’y laisser deviner.

1081. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

Tel que vous me voyez, je ne me suis jamais laissé entraîner, moi ! […] Je ne conteste pas les longueurs, elles existent, — mais il fallait les y laisser. […] Laissez-moi le manuscrit, et repassez dans une huitaine. […] Et Don Juan n’a pas laissé d’enfants. […] — « Allez, mes beaux, et ne vous laissez pas rebuter par la senteur de l’ail ! 

1082. (1924) Souvenirs de la vie littéraire. Nouvelle édition augmentée d’une préface-réponse

Ces malices d’hommes de lettres le laissaient ordinairement insensible. […] Paul de Saint Victor le traînait comme à la laisse. […] … » Et quel air penaud, si on le laissait seul ! […] C’est une énigme qu’il nous a laissé à résoudre. […] Il déclarait aimer les voyages, mais le Pôle Nord le laissait froid.

/ 3448