/ 2687
768. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

Un groupe de très jeunes écrivains qui se sont rapidement groupés autour de l’étendard du « naturisme », vient de manifester son culte enthousiaste pour le romancier fameux, que la génération néo-idéaliste ne cessa d’accabler de son indifférence et de son mépris. […] Il expose de foudroyantes fresques où toute l’humanité palpite, chante, se répand… Cet homme a conçu une cosmogonie… La Terre, puissante fresque énorme, qui semble un pan de paysage arraché du monde par un jeune géant ! […] En niant les vieilles et profondes intuitions de la métaphysique, en n’apercevant pas le lien qui les unit aux jeunes découvertes de la physique (au sens large), il a brutalement dissocié l’être humain, et méconnu une part énorme de sa richesse. […] Je trouve chez l’un des plus clairvoyants parmi les jeunes critiques anglais, M.  […] Voilà pourquoi je trouve que les jeunes écrivains dont j’ai parlé au début de cette étude font une œuvre de justice en réhabilitant Zola vis-à-vis des irréalistes de toutes nuances.

769. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Valentine (1832) »

Chaque auteur, si jeune, si plein d’avenir qu’il soit, du moment qu’il a levé la tête et que son nom a été prononcé dans la cohue, est comme un ambitieux qui, se sentant miné d’une fièvre lente et voulant arriver au ministère, fait œuvre, sur l’heure, de toutes ses ressources, accumule et jette aux yeux tous ses expédients, et blanchit en deux ou trois chétives saisons plus qu’autrefois Sully en quarante ans. […] Une fois dans ce riant paysage du Berry, sous les érables si frais de la Vallée noire, à deux pas de l’Indre qui n’est là qu’un joli ruisseau, après le premier regard de connaissance jeté à la famille Lhéry et aux jeunes habitants de la ferme Grangeneuve, j’oubliai tout le reste, je me laissai vivre et aller au cours des choses ; je me sentais introduit dès l’abord dans un monde facile et nouveau. […] Si Louise était une toute jeune sœur de Valentine, une sœur de huit à dix ans au plus ; si, dans son bonheur de retrouver son aînée, et au milieu des baisers reçus et rendus avec ivresse, l’enfant naïve s’écriait : « Et ce pauvre Bénédict, il n’y a donc rien pour lui, ma sœur, pour lui qui a été assez bon pour vous amener à moi ! 

770. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « BRIZEUX et AUGUSTE BARBIER, Marie. — Iambes. » pp. 222-234

Mais ce n’est pas un parallèle que nous faisons ; nous n’avons voulu que nous justifier de réunir ici l’un à côté de l’autre deux jeunes poëtes si divers au premier abord, jumeaux dans leur apparition, unis d’ailleurs entre eux par une étroite amitié, et en ce moment même compagnons heureux de voyage vers la belle et toujours nouvelle Italie. […] Cet amour fidèle pour la jeune paysanne bas-bretonne Marie est comme le son fondamental que divisent d’autres sons harmoniques, mais qui reparaît d’espace en espace à certains nœuds. […] J’introduis dans cette édition quelques articles de date ancienne que je n’avais point recueillis tout d’abord dans les volumes de Portraits contemporains : c’étaient, à proprement parler, des articles d’annonce, et en partie de citations, le coup de trompette y domine, mais aussi on y sent quelque chose du premier entrain et du souffle qui animait toute notre jeune génération au moment du départ pour la poétique croisade.

771. (1874) Premiers lundis. Tome II « Alexis de Tocqueville. De la démocratie en Amérique. »

Pleins d’un amour sincère pour la patrie, ils sont prêts à faire pour elle de grands sacrifices : cependant la civilisation trouve souvent en eux des adversaires ; ils confondent ses abus avec ses bienfaits, et dans leur esprit l’idée du mal est indissolublement unie à celle du nouveau. » Cette absence de lien entre les opinions et les goûts, entre les actes et les sentiments, entre l’énergie des désirs et la justesse des vues, ce divorce trop habituel entre les convictions chrétiennes restantes et les sympathies de l’avenir, toute cette confusion morale attriste le jeune philosophe et lui semble un symptôme presque unique dans l’histoire. […] Une fois entré dans son sujet, M. de Tocqueville s’y tient avec sévérité, et les considérations générales, éloquentes, de son Introduction font place à une analyse savante, exacte et sans aucune de ces digressions sentimentales auxquelles s’abandonnent trop volontiers beaucoup de nos jeunes historiens et publicistes. […] Il est bon toutefois, il est salutaire, au milieu de tant d’hymnes généreuses, mais toutes puisées en nous-mêmes, sur l’infaillibilité et les délices de cet avenir inconnu, d’entendre un rappel jeune et grave à la réalité, d’écouter un observateur positif et sévère.

772. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre V, la Perse et la Grèce »

Les Ethiopiens donnaient des dents d’éléphant et du bois d’ébène ; les Arabes, comme les mages de l’Évangile, offraient de l’encens ; les tribus caucasiques envoyaient cent jeunes garçons et cent vierges. […] Une autre fois il fit enterrer vifs douze jeunes nobles, la tête en dehors du sol, sans prétexte aucun, sans colère, parce que telle était sa fantaisie du moment. — Un jour, il ordonne de faire mourir Crésus qui, depuis la conquête de son royaume par Cyrus, vieillissait honorablement à la cour de Perse. […] Darius, passant par la Pœonie, avait été saisi, comme d’une apparition, par la rencontre d’une jeune femme qui, portant gracieusement un vase sur son front, conduisait un cheval à l’abreuvoir, et filait en même temps sa quenouille.

773. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Maintenon » pp. 27-40

L’établissement de madame de Maintenon et de Louis XIV — car, ici, il faut mettre madame de Maintenon avant le grand roi, — n’a, au fond, rien de commun que le nom avec ce Prytanée de 1805, devenu une école d’officiers ; et, cependant, sous le nœud de ce nom commun qui les lie, ne dirait-on pas une même institution à double visage, autrefois visage de jeunes filles, maintenant visage de jeunes soldats ? […] Les idées et les sentiments de ce siècle, si splendidement civilisé, se réfléchissaient et se raffinaient en ces jeunes personnes chez qui l’éducation s’ajoutait à la race, de même que les choses les plus grandes qui nous environnent peuvent se réfléchir dans une des facettes de la pierre précieuse qu’on porte au doigt, tout en s’y opalisant des propres couleurs de la pierre. […] C’est par là que, n’étant plus jeune, et que, n’étant presque plus belle, elle avait arraché Louis XIV — l’homme le plus difficile à séduire et le plus difficile à captiver — à la plus belle de ses maîtresses, à la plus altière, à la plus sanguinement spirituelle, à cette Armide des Mortemart qui l’avait enlacé par plus puissant que ses bras, — l’habitude, — et qui lui avait mis aux quatre membres ce boulet des enfants qui fait enfoncer un homme dans une liaison encore plus que le boulet de bronze ne fait s’enfoncer celui qu’on y jette dans la mer !

774. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Vauvenargues » pp. 185-198

Mais il mourut jeune, à temps, avec la beauté d’une espérance que la mort a trompée, mais que la vie n’a pas trahie. […] Il y a dans Vauvenargues, dans son jeune sage, dans son ami, dans son modèle, des choses qui affligent la philosophie de Voltaire. […] Vauvenargues, s’il avait vécu à Paris de 1824 à 1840, eût compté dans la légion de ces jeunes graves cravatés de noir : « l’espoir du siècle », comme disait Stendhal, qui s’en moquait.

775. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XV. Vauvenargues »

Mais il mourût jeune, à temps, avec la beauté d’une espérance que la mort a trompée, mais que la vie n’a pas trahie. […] Il, y a dans Vauvenargues, dans son jeune sage, dans son ami, dans son modèle, des choses qui affligent la philosophie de Voltaire. […] Vauvenargues, s’il avait vécu à Paris de 1824 à 1840, eût compté dans la légion de ces jeunes gravés, cravatés de noir, « l’espoir du siècle », comme disait Stendhal, qui s’en moquait.

776. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. Des oraisons funèbres de Bourdaloue, de La Rue et de Massillon. »

On sait que, par une circonstance, presque unique, l’orateur avait à déplorer trois morts au lieu d’une ; on sait que la jeune Adélaïde de Savoie, duchesse de Bourgogne, princesse pleine d’esprit et de grâce, était placée dans le même cercueil, entre son époux et son fils. […] Tel est le fond du tableau que nous présente l’orateur ; il peint en même temps la jeune duchesse de Bourgogne, adorée de la cour, et dont les vertus aimables mêlaient quelque chose de plus tendre aux vertus austères et fortes de son époux ; il la peint frappée comme lui, expirante avec lui, sentant et le trône et la vie, et le monde qui lui échappaient, et répondant à ceux qui l’appelaient princesse : Oui, princesse aujourd’hui, demain rien, et dans deux jours oubliée. […] Cet orateur, si connu par son éloquence, tantôt persuasive et douce, tantôt forte et imposante, qui développait si bien les faiblesses de l’homme et les devoirs des rois, et qui, à la cour d’un jeune prince, parlant au nom des peuples comme au nom de Dieu, fut digne également de servir à tous d’interprète ; cet orateur, qui sut peindre les vertus avec tant de charmes, et traça de la manière la plus touchante le code de la bienfaisance et de l’humanité pour les grands, n’a pas, à beaucoup près, le même caractère dans ses éloges funèbres.

777. (1889) Impressions de théâtre. Troisième série

Elmire est une jeune Espagnole qui est entrée au sérail il y a un mois. […] Au fond, le théâtre est une représentation de la vie qui convient aux sociétés encore jeunes, aux peuples encore enfantins. […] Ainsi quelquefois une jeune femme, par une matinée douteuse, met bravement sa toilette d’été et dit : « Bah ! […] Elle est de plus en plus jeune et plus en plus ignorante. […] Cette jeune personne romanesque ne voulait point entendre parler de Bicoquet et avait donné son cœur au jeune Malgachon à cause de sa physionomie « lumineuse ».

778. (1898) Impressions de théâtre. Dixième série

Ils ont des indulgences infinies pour les viveurs jeunes ou vieux. […] Il a fourni à la plupart des jeunes dramatistes aujourd’hui en vogue l’occasion de se produire pour la première fois. […] » Et le gars répond : « Je suis jeune, je ne veux pas travailler, je veux vivre, vivre, vivre ! […] La voix est claire et fine, plus jeune que le visage. […] J’ai même résisté à la grâce niaise de la jeune Néra.

779. (1910) Victor-Marie, comte Hugo pp. 4-265

Et pourtant j’commence à (n’) pas être jeune. […] Il est vrai qu’il était jeune. […] Toute cette générosité jeune et chevalière promue, qui devient cette jeune générosité de sainteté. […] Dans le jeune. […] (Toujours jeune).

780. (1894) Critique de combat

a passé sur les âmes jeunes. […] Puissent à présent les jeunes, les vrais jeunes, ceux qui ont au cœur de la flamme, du courage, de l’audace, créer l’art nouveau, l’art viril et sain, que la démocratie attend ! […] Un jeune, M.  […] Madame, pour achever de s’anoblir, se jette à la tête d’un jeune prince italien. […] La jeune femme cède… pour la Pologne !

781. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

mon âme, éternellement jeune, a le tort involontaire d’habiter une maison périssable. […] lui demanda un des convives. — C’est tout simplement parce qu’il n’y avait pas de « jeunes » ! […] L’histoire était toute jeune encore ; mais, enfin, elle était et pourchassait déjà la légende. […] C’est l’aventure d’un académicien, jeune encore, assez pour n’avoir pas oublié ce qu’est l’amour. […] Il est vrai que, dans cette histoire, l’homme n’est plus très jeune et que la femme l’est un peu trop.

782. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Ne vous moquez pas : le jeune spectateur devient pensif ; car la poupée n’est rien moins que le docteur Faust. […] Il frémit à l’idée des jeunes margraves qu’on rencontre chez Mme de Baldereck. […] Le jeune chef de cette famille n’a pas été ingrat. […] Le jeune Antoine, qui assiste à ces spéculations idéales, est bientôt brûlé de la même fièvre. […] On la peut juger sur le titre ainsi travesti : Les Passions du jeune Werther.

783. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Souvenirs militaires et intimes du général vicomte de Pelleport, publiés par son fils. » pp. 324-345

Lui et ses compagnons sont jeunes, dit-il, peu soucieux de l’avenir. […] Necker ne prévoyait point l’expédition d’Égypte ; mais il vit un jeune officier qui lui parut plus sérieux et plus réfléchi que beaucoup d’autres, et il voulut lui procurer une lecture solide, qui montrait, dans un parfait exemple, comment on peut tirer profit de ses observations en tout voyage. […] La conversation roulait sur les événements politiques ; s’interrompant au milieu d’une de ces périodes à effet comme il savait les faire, le général lui dit : « Rappelez-vous, Pelleport, et vous êtes trop jeune pour que vous ne puissiez un jour ou l’autre mettre à profit mon avertissement, rappelez-vous qu’en révolution il ne faut jamais se mettre du côté des honnêtes gens : ils sont toujours balayés. » — « Après ce court dialogue, ajoute Pelleport, la conversation reprit son cours ordinaire, et je me promis bien de désobéir à mon général. » De retour en France, Pelleport continue sa marche d’un pas égal. […] Général de brigade en 1813, Pelleport fait les campagnes de Saxe et de France dans le corps de Marmont ; ses jugements, quoique toujours prudents et sobres, font sentir à quoi tint surtout l’issue fatale dans cette lutte héroïque, dès l’abord si disproportionnée. « L’armée fut toujours digne d’elle-même, mais elle était trop jeune. » — Et puis, à propos des graves résolutions militaires qui signalèrent le milieu de cette campagne, après la bataille de Dresde : « On pensait généralement que Napoléon se déciderait enfin à abandonner la ligne de l’Elbe et à se rapprocher du Rhin : les vieux de l’armée ne furent pas écoutés. » Il est blessé à Leipsick ; il est blessé à la défense du pont de Meaux ; il l’est surtout grièvement sur les hauteurs de Paris, à la butte Saint-Chaumont. […] un maréchal de France, deux généraux luttant avec 300 jeunes conscrits pour la défense de la capitale du grand Empire, voilà ce qu’on aurait pu voir dans les rues de Belleville le 30 mars 1814 !

784. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Élevé dans la cabane paternelle jusqu’à l’âge de quatorze ans, allant ramasser du bois mort et faire de l’herbe pour la vache dans la mauvaise saison, ou accompagnant l’été son père dans ses tournées pédestres, le jeune Eckermann s’était d’abord essayé au dessin, pour lequel il avait des dispositions innées assez remarquables ; il n’était venu qu’ensuite à la poésie, et à une poésie toute naturelle et de circonstance. […] Le corps auquel il appartenait guerroya, puis séjourna dans les Flandres et dans le Brabant ; le jeune soldat en sut profiter pour visiter les riches galeries de peinture dont la Belgique est remplie, et sa vocation allait se diriger tout entière de ce côté. […] Le bonheur de le voir, d’être près de lui, me troublait à tel point que je ne trouvais que peu ou rien à dire. » C’est l’émotion dont est saisi tout jeune poëte ou artiste qui se trouve pour la première fois face à face en présence de l’objet vivant de son culte, l’émotion de tel d’entre nous et de nos générations devant Chateaubriand ou devant Lamartine, l’émotion de Wagner abordant dévotement Beethoven. […] Plaçant alors devant Eckermann deux volumes du Journal littéraire de Francfort, dans lequel il avait publié, très jeune, des articles de critique en 1772, 1773 : « Ils ne sont pas signés, dit-il, mais comme vous connaissez ma manière de penser, vous les distinguerez bien des autres. […] J’emprunte pour ces parties si bien traduites à un travail inédit d’un jeune admirateur de Gœthe, M. 

785. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. (suite et fin) »

Jeune, il avait passé ensuite plusieurs années en province, dans la solitude, à étudier, à bien lire un petit nombre de livres, à méditer surtout les écrits des géomètres, Clairaut, d’Alembert, Euler : il s’adressa une ou deux fois par lettres à l’abbé Bossut pour lui demander des conseils généraux ; mais il étudiait seul, et c’est ainsi qu’il se forma l’esprit : la géométrie, ce fut sa logique. Il passa de là au barreau, qui n’est pas accoutumé à recevoir pour siens de ces élèves d’Euclide ; il vint habiter dans l’île Saint-Louis, où la Révolution le trouva encore obscur, jeune avocat, ayant plaidé cependant non sans succès à la Grand’Chambre ; l’illustre Gerbier avait été son introducteur et son patron. Gerbier, Port-Royal et Clairaut, ce jeune, homme choisissait bien en tout point ses parrains intellectuels. Il me racontait un jour, comme il aimait à le faire en se parlant à lui-même dans une sorte de monologue, toute sa première vie et ses débuts ; qu’étant jeune avocat à Paris, reçu d’abord dans quelques maisons de l’île Saint-Louis, il se retira vite de ce monde secondaire de robins et de procureurs, dont le ton l’avait suffoqué. […] » Qu’on veuille y réfléchir : ce n’est pas là un accident oratoire que cette opposition ainsi proférée et proclamée au début de la carrière, par un homme public jeune et grave, âgé de trente-quatre ans ; c’est une intention, une volonté réfléchie et formelle, un système ; c’est tout un engagement et un serment ; et il l’a tenu !

786. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

Un jour vint et une heure, un moment social, non calculé, non prévu, général, universel, où il se trouva, — sans que personne pût dire ni à quelle minute précise, ni par quelle transformation cela s’était fait, — où, dis-je, il se trouva qu’une langue nouvelle était née au sein même de la confusion, que cette langue toute jeune, qui n’était plus l’ancienne langue dégradée et dénaturée, offrait une forme actuelle et viable, animée d’un souffle à elle, ayant ses instincts, ses inclinations, ses flexions et ses grâces : le français des XIe et XIIe siècles, cette production naïve, simple et encore rude et bien gauche, ingénieuse pourtant, qui allait bientôt se diversifier et s’épanouir dans des poèmes sans nombre, dans de vastes chansons chevaleresques, dans des contes joyeux, des récits et des commencements d’histoires, venait d’apparaître et d’éclore aux lèvres de tout un peuple. […] Roger Bacon, ce moine de génie, aborde les sciences, envisage en face l’autorité et la réduit à ce qu’elle est : « L’autorité n’a pas de valeur, dit-il, si l’on n’en rend compte : elle ne fait rien comprendre, elle fait seulement croire. » Lui, il ne veut plus croire, mais vérifier ; et, arrachant à l’antiquité son titre même, le retournant au profit de l’avenir, il pose ce principe du progrès moderne, que « les plus jeunes sont en réalité les plus vieux ». Trois siècles et demi après, l’autre Bacon ne fera que le répéter, lorsqu’il dira dans un autre aphorisme mémorable : « Antiquitas sæculi, juventus mundi ; ceux qu’on appelle les anciens sont de fait les plus jeunes ». […] De très bonne heure le jeune Viollet a usé de son crayon pour vivre ; il faisait des décorations, des modèles pour des étoffes, pour des meubles, un peu de tout. […] Delécluze, fier au-delà de tout de ce jeune neveu, son élève, qui contrariait pourtant ses idées les plus chères, répondit : « Si Eugène a dit qu’il s’en chargeait, ne craignez rien, il réussira. » Depuis lors, M. 

/ 2687