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950. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre II. Le Rire » pp. 28-42

Mais fabriquer un personnage comme Fier-en-Fat, ce n’est pas peindre les faiblesses du cœur humain, c’est tout simplement faire réciter, à la première personne, les phrases burlesques d’un pamphlet, et leur donner la vie. […] Le riche Voltaire se plaît à clouer nos regards sur la vue des malheurs inévitables de la pauvre nature humaine. […] Il faut qu’on me présente des images naïves et brillantes de toutes les passions du cœur humain, et non pas seulement et toujours les grâces du marquis de Moncade6.

951. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Édouard Rod »

Il découvre très vite qu’il est incapable de pratiquer pour de bon, et dans la rigueur réelle de ses obligations, la « religion de la souffrance humaine », et qu’il n’est, comme tant d’autres, qu’un brave homme assez pitoyable et pas méchant, mais non pas héroïque… Et il souffre de cette constatation. […] Car, d’abord, comme je l’ai dit, ce livre, où se déroule une vie humaine si douce, si unie, si exempte de catastrophes et même d’ennuis matériels, est plus triste que s’il y ruisselait des larmes et du sang. […] Bossuet nous parle de l’ennui qui est naturel à toute âme bien née. « Quelle solitude que ces corps humains ! 

952. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les Kœnigsmark »

Le rideau, jusque-là baissé, en se relevant doit nous permettre de plonger dans le coin le plus sombre, le plus noir et le plus tragique d’un siècle (le XVIIe) qui a tout couvert de sa pourpre, et aussi dans cet autre coin de l’âme humaine qui résiste à toute lumière, et au fond duquel le moraliste, moins heureux que l’historien, enfonce ses regards et sa torche, sans pouvoir jamais l’éclairer ! […] On a retrouvé les faits matériels de la chronique de Kœnigsmark, le Disparu de l’Histoire sans laisser derrière lui, quelque part, comme le dernier des Ravenswood, la plume noire de sa toque, pour dire : « C’est là qu’il a passé et qu’il fut englouti. » Mais les causes de ces faits, étudiées à leur sinistre clarté, dans ces âmes d’une énergie presque fabuleuse en ces temps où, pour le bien comme pour le mal, l’âme humaine se ramollissait, pouvons-nous dire que nous les ayons ? Et n’est-ce pas à ces causes humaines que l’historien philosophe devait s’attacher ?

953. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « César Daly »

Comme, en matière de vérité humaine, il n’y a point de dictature, il ne peut en avoir la clémence ; mais il en a l’impartialité ! […] Ce qu’on appelle de mots si grands, l’invention humaine, le génie, la faculté de créer, n’aboutissent jamais qu’à ce résultat : idéaliser un peu l’histoire ! […] Où l’idéal se brise pour moi et devient l’impossible, il continue, pour lui, d’être à la portée de la main humaine.

954. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Gustave III »

Dans ce temps du xviiie  siècle, dans ce temps d’anarchie si universelle que le désordre semblait passer jusque dans la physiologie humaine, et où des Chevalières d’Éon intéressaient toute l’Europe, la monstruosité s’arrêtait à cette limite, chez Gustave III et Catherine II, que l’homme qui gagne les batailles, l’homme toujours l’épée au vent, quand le danger souffle, était perpétuellement debout en Gustave l’efféminé, dans le Sardanapale au miroir qui ne demandait pas mieux, ma foi ! […] Tous les deux, par ce côté, du moins, restent imposants devant l’Histoire, au-dessus ou à côté du ridicule et du mépris qui s’attachent aux prétentions ou aux faits contraires aux lois de la nature humaine ; mais elle plus imposante que lui, — et c’est justice !  […] Mais Léouzon-Leduc se soucie bien d’aller chercher les mystères de la nature humaine à travers les écorces, obscures ou transparentes, de l’Histoire !

955. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Henri de L’Épinois » pp. 83-97

C’est, en effet, une des erreurs les plus profondes du spiritualisme humain, que de croire à la puissance spirituelle réduite à sa seule force isolée ; c’est la plus vaine des abstractions que de la cantonner dans la sphère mystérieuse de la conscience sans qu’elle passe à l’instant même au dehors, dans la sphère visible et les faits apparents. […] — et le livre de M. de L’Épinois ne permettrait pas, d’ailleurs, de l’oublier, — c’était principalement cette action morale intervenant dans les choses humaines au nom de Dieu, que la Papauté défendait en défendant son gouvernement temporel, comme c’était encore son action morale qu’elle sauvegardait dans son gouvernement spirituel, quand, à force de décrets, de bulles et de conciles, elle sauvegardait la pureté et l’intégrité de la Foi. […] Je n’ai point à raconter ici les résistances héroïques, au point de vue divin tout autant qu’au point de vue humain, de la Papauté contre des hommes de l’acharnement des Frédéric II, des Philippe le Bel, des Henri VII et des Louis de Bavière, des Visconti, des antipapes, ni à dérouler les résultats de ces luttes glorieuses de la Papauté, qui profitèrent même à la liberté de l’Italie que la Papauté s’efforça toujours d’affranchir du joug étranger et des interventions impériales, et qui créa contre elles ce gouvernement des municipalités italiennes, sorti si généreusement du sien !

956. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Gustave D’Alaux »

Il s’agit de nègres, de ceux qui furent longtemps le rebut du genre humain, et qui n’en sont pas l’honneur encore ! […] Eunuque spirituel, même quand il semble posséder le plus de qualités cérébrales, ayant les vaines rages de l’eunuque, le nègre appartient-il à une de ces races déchues comme il en est plusieurs dans la grande famille humaine, et que la Bible, ce livre de toute vérité, a désignées comme devant servir les autres et porter les fardeaux à leur place, ainsi qu’elle s’exprime dans son style imagé et réel ? […] Quand on ne croit pas au hasard, aussi bête que les couleuvres africaines adorées par Soulouque et dont d’Alaux se moque avec juste raison, lorsqu’on a le bon sens d’admettre la variété providentielle des fonctions pour tous les peuples, les nègres, qui probablement ont leurs origines comme les autres races, semblent avoir été mis particulièrement dans le monde pour montrer combien est pesant aux créatures humaines le fardeau de la liberté.

957. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Mm. Jules et Edmond de Goncourt. » pp. 189-201

Mais c’est tout autre chose aujourd’hui qu’ils font un roman, lequel, — comme tout roman, — doit être d’abord une idée, — puis une action, — et enfin un développement de nature humaine sous ses trente-six faces, avec un dénoûment qui éclaire le tout d’une suprême clarté ! […] Janin qui descend, comme on sait, de Diderot, mais du côté gauche, toutes ces influences, toutes ces dominations ont repris et enlevé au plan de leur livre, à la vérité sobre, à la nature humaine, ces messieurs de Goncourt, ces deux jeunes gens dont les uns disent : « C’est un Janin double », et les autres, « C’est un Janin dédoublé. » Évidemment, ils ont glissé dans ce qu’ils aiment. […] Comparez cette variété d’intelligences qui représentent, sous les noms de Daniel Darthès, de Michel Chrétien, de Canalis, de Bianchon, de Nathan, de Bixiou, de Blondet, etc., chacun un degré de l’esprit humain et de la civilisation parisienne, et mettez-les à côté des cinq gringalets pervers de MM. de Goncourt, Mollandeux, Nachette, Couturat, Malgras et Bourniche, ces gamins grandis et pourris sur leur tige de voyou (un mot de messieurs de Goncourt !).

958. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Les Mémoires d’une femme de chambre » pp. 309-321

Le Diable boiteux de Lesage, les Mémoires du Diable de Frédéric Soulié, ce Shakespeare des portières, dans lesquels il y a tant de vie et de vérité pourtant, ne reposent, après tout, que sur les plus grossières inventions fantastiques ; mais les Mémoires d’une femme de chambre, qui sont aussi des Mémoires du Diable à leur façon, s’appuient sur une donnée humaine d’un tout autre intérêt et d’une toute autre réalité ! […] Mais le grand observeur, dont un pareil sujet chaussait admirablement les facultés incomparables, mais cette tête qui pensait à tout ne pensa point précisément à ces Mémoires d’une femme de chambre, qui auraient si bien trouvé la place d’un chef-d’œuvre de plus parmi les chefs-d’œuvre de La Comédie humaine, et il nous a laissé, à nous qui vivons après lui, l’occasion de bénéficier, si nous pouvons, de cette distraction de son génie. […] Quel plus excellent cadre de mœurs, de comédie humaine ou sociale !

959. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

La mort de Laforgue était, pour les lettres, irréparable ; il emportait la grâce de notre mouvement, une nuance d’esprit varié, humain et philosophique ; une place est demeurée vide parmi nous. […] Toute idée qui traverse son cerveau est à ses yeux une idée humaine et naturelle : autrement d’où la percevrait il ? […] Il existe, dans le cercle humain qui lui est contingent, une vieille usurière, fille desséchée, procureuse rapace, synthèse de toute difformité morale. […] Mais le fait et des tortures qui mènent l’assassin à l’aveu, et de l’aveu même dérive du remords purement humain. […] Un pédant incapable, Malthus, enseigne qu’il faut sacrifier la génération humaine à l’agrégat du capital : il plane sur son temps un demi-siècle.

960. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

Fi des doctrines, des lois de l’art ou de l’esprit humain ! […] Il devient une preuve vivante de l’incertitude universelle, du peu de sûreté de la raison humaine. […] La peinture des caractères est humaine : celle des conditions l’est fort peu. […] Il constate avec une joie malicieuse cette contradiction très humaine chez son illustre confrère. […] Quel enthousiasme pour cet observateur des infiniment petits du cœur humain, et surtout du cœur féminin !

961. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Faire croire à quelqu’un qu’il vous a pleinement compris, lui présenter une phrase apparemment claire, des idées carrées de partout, peut-être au fond est-ce le tromper, l’induire faussement à supposer qu’une pensée humaine, un acte humain, se laisse, dans son entier, pénétrer. […] Mais leur poésie est devenue le cœur humain lui-même. […] Une logique abstraite, une continuité forment le sel conservateur de toute parole humaine. […] A plus forte raison existe-t-il autant de durées vivantes qu’Il y a de vies humaines. […] ou celles-là qui plus loin encore éveillent sur nos fibres profondes les basses les plus graves du sentiment humain ?

962. (1913) Les livres du Temps. Première série pp. -406

La précellence du classique n’exige pas de sacrifices humains. […] C’est un lieu commun, un développement sur les vicissitudes humaines. […] Élémir Bourges a décidément une triste opinion du genre humain. […] Il a été à la fois chrétien et humain. […] » La charité est bonne et n’exclut rien d’humain.

963. (1896) Le livre des masques

Mais ce rien ne laisse pas d’avoir quelque importance pour les atomes humains qui le forment et qui le déterminent ; il est le délicieux nouveau que nous respirons et dont nous vivons. […] En fixant ses yeux monstrueux, mon corps tremble… Il y a comme une auréole de lumière éblouissante autour de lui… Qu’il est beau… Tu dois être puissant, car tu as une figure plus qu’humaine, triste comme l’univers, belle comme le suicide… Comment ! […] Il y a là un malentendu, vieux sans doute des six mille ans d’âge que La Bruyère donnait à la pensée humaine ; et, ce malentendu, basé sur un raisonnement très logique et très solide, nargue du haut de son socle tous les essais de conciliation. […] Sans talent et sans conscience, nul ne représenta sans doute aussi divinement que Verlaine le génie pur et simple de l’animal humain sous ses deux formes humaines : le don du verbe et le don des larmes. […] La Femme vertueuse, Paris, 1835. — Ce titre a disparu dans la Comédie Humaine.

964. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Sa déception va être le scandale du siècle ; son échec va être la défaite du droit et celle de la conscience humaine. […] C’est encore un moyen de découvrir la réalité humaine que de la chercher dans son cœur : « J’ai mon cœur humain, moi !  […] Il se peut d’ailleurs que, lorsqu’on parle de la plante humaine ou de l’animal humain, l’expression ait une autre valeur que celle d’une simple métaphore ; il n’en reste pas moins que l’homme ne devient lui-même qu’en se différenciant de la plante et de l’animal. […] Il n’a essayé de ruiner aucun des appuis dont l’âme humaine a de tout temps étayé sa faiblesse. […] J’ai fait comme un confesseur et un casuiste, j’ai jaugé les immondices du cœur humain.

965. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le cardinal de Bernis. (Fin.) » pp. 44-66

Ces dernières paroles de Bernis doivent toujours nous être présentes comme un sommet dans le lointain, lorsque nous nous abandonnons avec lui aux distractions et aux grâces humaines du voyage. […] Voltaire, en cela moins humain qu’il ne convient, se met à rire par moments de voir le roi de Prusse, son ancien ingrat, sur les dents, et la lutte acharnée des chasseurs et du sanglier : « Riez et profitez de la folie et de l’imbécillité des hommes. […] Un jour Voltaire lui envoie le Jules César de Shakespeare et l’Héraclius de Calderon, à titre de farces ou de folies, pour le divertir et le mettre en belle humeur ; et Bernis répond par une lettre pleine de grâce et de sens : Notre secrétaire (celui de l’Académie) m’a envoyé l’Héraclius de Calderon, mon cher confrère, et je viens de lire le Jules César de Shakespeare : ces deux pièces m’ont fait grand plaisir comme servant à l’histoire de l’esprit humain et du goût particulier des nations. […] Quant aux moyens, il les désire et il les conseille lents, modérés, aussi humains et aussi conciliants qu’il est possible dans un acte de cette vigueur. […] Heureux pourtant et favorisé jusqu’à la fin, puisqu’il lui fut donné, par ses derniers sacrifices, de pouvoir racheter et expier en quelque sorte les mollesses de ses débuts, de confesser une religion de pauvreté par un coin d’adversité salutaire, et de prouver qu’il y avait en lui, sous ces formes tour à tour aimables et dignes, un fonds sincère de générosité humaine et chrétienne !

966. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

Il sent qu’il est près de lui accorder ce titre, et à l’instant, par une sorte de respect humain philosophique, il s’arrête ; mais, en le lui retirant, il le retira aussi à tout ce qu’il y a eu de grand dans le monde. […] Que l’observateur ne se laisse point éblouir, même par le génie ; qu’il cherche, tout en l’admirant, à en mesurer la hauteur et ne ferme pas les yeux sur ses défauts, il ne se peut rien de plus légitime et de plus digne d’un esprit indépendant et juste : mais qu’on ne voie entre les génies proprement dits et la médiocrité qui les entoure que du plus ou du moins sans démarcation aucune, sans un degré décisif à franchir, je ne saurais appeler cela que myopie et petite vue qui étudie le genre humain comme une mousse et qui n’entend rien aux esprits d’aigle. […] L’esprit humain, à un moment donné, est le produit de tout ce qui reste de l’esprit des âges antérieurs accumulé comme une sorte de terre végétale, et qui devient ainsi le point de départ et l’excitant à demi artificiel d’une façon légèrement nouvelle de penser et de sentir. […] Telles sont quelques-unes des idées vraiment originales et à la Fontenelle, que Marivaux énonce avec autant de netteté que de hardiesse : à quoi il faut ajouter cette remarque très fine qu’il n’omettait pas, et qu’il aurait pu s’appliquer à lui-même et à ses amis, à savoir que le goût d’une époque n’est pas toujours en raison du nombre des idées qui y circulent ou qui y fermentent, et qu’il y a des temps où la critique et le goût peuvent s’altérer ou disparaître, « pendant que le fonds de l’esprit humain va toujours croissant parmi les hommes ». […] Ainsi nous avons très rarement le portrait de l’esprit humain dans sa figure naturelle : on ne nous le peint que dans un état de contorsion ; il ne va point son pas, pour ainsi dire, il a toujours une marche d’emprunt… J’arrête la pensée au moment où lui-même il va en abuser, et tandis qu’il est juste encore et qu’il est clair.

967. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

La création de l’Institut qui assemblait dans un même lien toutes les branches de l’esprit humain, tous les ordres de savoir et de talents, consacra le fait en principe ; mais qu’il restait encore à faire en pratique et dans la réalité ! […] Il ne s’agit pas de déplacer les genres, d’échanger les procédés, de transporter un art dans un autre, ce serait aller trop loin ; mais il importait, en effet, de multiplier les points de vue, de comprendre, d’embrasser sans acception de métier, toutes les expressions de talent et de génie, toutes les originalités de nature, tous les modes de l’imagination ou de l’observation humaine. […] « Un soir que nous parlions à Gavarni de ses légendes, racontent MM. de Goncourt, et que nous lui demandions comment elles lui venaient : « Toutes seules, nous dit-il ; j’attaque ma pierre sans penser ‘a la légende, et ce sont mes personnages qui me la disent… Quelquefois ils me demandent du temps… En voilà qui ne m’ont pas encore parlé… » Et il nous montrait les retardataires, des pierres lithographiques adossées au mur, la tête en bas. » Ces mots décisifs, ces paroles stridentes qui ouvrent des jours soudains sur une action, sur un ordre habituel de sentiments, et qui sont comme des sillons de lumière à travers la nature humaine, font de Gavarni un littérateur, un observateur qui rentre, autrement encore que par le crayon, dans la famille des maîtres moralistes. […] On y voit, et je l’ai déjà dit, ce qu’il pense de la politique ; on n’y voit pas moins ce qu’il pense de cette philosophie essentiellement idéale et illusoire qui, sans tenir compte de la pratique humaine et de l’expérience, prétend que « le beau n’est que la forme du bon. » Et il a même, à ce sujet, une manière de parabole ou d’apologue assez remarquable. […] Dans une lettre à Forgues sur les Petites miser es de la vie humaine qui ne put être insérée qu’en partie au National 32 à cause du trop d’irrévérence en politique, il y a une page des plus vraies et des plus touchantes d’humanité et de sentiment d’égalité, que je citerai peut-être un autre jour.

968. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Ce monde spirituel des vérités et des essences, dont Platon a figuré l’idée sublime aux sages de notre Occident, et dont le Christ a fait quelque chose de bon, de vivant et d’accessible à tous, ne s’est jamais depuis lors éclipsé sur notre terre : toujours, et jusque dans les tumultueux déchirements, dans la poussière des luttes humaines, quelques témoins fidèles en ont entendu l’harmonie, en ont glorifié la lumière et ont vécu en s’efforçant de le gagner. […] Il faut, en effet, pour arriver à elles, pour prétendre à les ravir et à être nommé d’elles leur bienfaiteur, joindre à un fonds aussi précieux, aussi excellent que celui de l’Homme de Désir, une expression peinte aux yeux sans énigme, la forme à la fois intelligente et enchanteresse, la beauté rayonnante, idéale, mais suffisamment humaine, l’image simple et parlante comme l’employaient Virgile et Fénelon, de ces images dont la nature est semée, et qui répondent à nos secrètes empreintes ; il faut être un homme du milieu de ce monde, avoir peut-être moins purement vécu que le théosophe, sans que pourtant le sentiment du Saint se soit jamais affaibli au cœur ; il faut enfin croire en soi et oser, ne pas être humble de l’humilité contrite des solitaires, et aimer un peu la gloire comme l’aimaient ces poëtes chrétiens qu’on couronnait au Capitole.  […] Ces deux derniers qui, sous l’appareil de la philanthropie ou de l’orthodoxie, couvraient des portions de tristesse chagrine et de préoccupation assez amère, dont il n’y a pas trace chez leur rivale expansive, avaient le mérite de sentir, de peindre bien autrement qu’elle cette nature solitaire qui, tant de fois, les avait consolés des hommes ; ils étaient vraiment religieux par là, tandis qu’elle, elle était plutôt religieuse en vertu de ses sympathies humaines. […] Et en même temps, sa forme, la moins circonscrite, la moins matérielle, la plus diffusible des formes dont jamais langage humain ait revêtu une pensée de poëte, est d’un symbole constant, partout lucide et immédiatement perceptible. […] Et dans ton sein coulait cette harmonie humaine, Sans laisser d’autre ivresse à ta lèvre sereine  Qu’un sourire suave, à peine s’imprimant ; Ton œil étincelait sans éblouissement, Et ta voix mâle, sobre et jamais débordée, Dans sa vibration marquait mieux chaque idée !

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