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613. (1894) Études littéraires : seizième siècle

Il faut bien se garder surtout de la confondre avec la Renaissance. […] C’est bonne médecine et pertinent dépuratif qu’il ne faut pas garder pour soi. […] Il n’y avait autre chose qui les induit à demeurer en l’Église au milieu des méchants que l’affection qu’ils avaient de garder unité. […] Calvin a tenu et gardé avec un soin jaloux les clefs du tabernacle, il en a peu répandu l’huile sainte. […] Leur honneur est du moins de les avoir sentis, ce qui est le commencement de s’en corriger, et de les avoir signalés, ce qui est le commencement d’en garder les autres.

614. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Alexis Piron »

Rosette (c’est le nom de la jeune fille) sait très-bien disputer et garder à travers maint péril la fleur de rosier qu’elle ne doit donner qu’à l’hymen ; un jeune berger, en définitive, l’emporte sur un vieillard chargé de pommes d’or et sur un bel esprit qui est d’une Académie. […] Piron enrhumé a gardé la chambre trois jours, et il dit que de plusieurs côtés on a envoyé savoir de ses nouvelles : « Voltaire, avec tant d’autres, a envoyé régulièrement chez moi ces trois jours-là ; aussi hier je ne l’oubliai pas dans mes visites. […] On a les deux hommes en présence : Piron fait bien de noter complaisamment ses triomphes d’un soir ; Voltaire tient le haut bout auprès des neveux ; il le gardera. […] Dépouillons nos femmes, enrichissons des filles perdues ; ne gardons du beau tragique usé qu’un peu de comique larmoyant ; du haut comique, que des farces et des parades : nous bâtirons les théâtres chez nous ; nos jeunes parasites barbouilleront les pièces ; et nous, marguilliers, échevins, magistrats, officiers généraux, ducs et princes même, nous y jouerons, si l’on veut, les rôles d’Arlequin, Scaramouche, Pierrot, etc. […] Tabarin est l’Apollon du jour ; que le nôtre s’en retourne chez Laomédon gâcher du plâtre, ou chez Admète garder les dindons.

615. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Le but sérieux que je me proposerais d’examiner et de réfuter toutes ces erreurs ; le respect qu’on doit toujours garder pour la pensée d’autrui, lorsqu’elle est raisonnée et sincère ; la nécessité pénible d’avoir à répéter des sottises, et surtout ma préoccupation constante d’être un interprète à la fois intelligible, intelligent et fidèle : tout cela m’interdirait la gaieté. […] Nous verrons si Molière a toujours gardé la mesure et la délicatesse convenables, et si ses personnages, trop grossiers dans leur comique, n’accentuent pas eux-mêmes à l’excès leurs propres ridicules. […] À la faveur de la perte à jamais regrettable des ouvrages de Ménandre, et grâce à l’ignorance des critiques français qui méprisaient Aristophane, ne connaissaient pas Shakespeare, et néanmoins imposaient leur goût à l’Europe étonnée, un homme s’est rencontré qui a usurpé et gardé jusqu’à aujourd’hui le premier rang parmi les poètes de la comédie nouvelle et même de toute la littérature comique. […] Grâce à ce système d’équilibre et de pondération qui ne laisse aucune sottise se développer sans que le bon sens ne reçoive un développement parallèle ; grâce à ces docteurs qui savent                           Pour toute leur science, Du faux avec le vrai faire la différence96, le poète, mêlant l’utile à l’agréable, nous empêche de prendre le mal pour le bien, le bien pour le mal, et de tomber dans l’erreur d’Orgon, auquel Cléante disait : Vous ne gardez en rien les doux tempéraments. […] Pourquoi Legrand n’a-t-il pas gardé le sceptre qu’un tel critique lui avait rendu ?

616. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

Ce jeune homme a gardé son cœur, et il a près de vingt ans, et ce cœur est sensible, aimant ; c’est le cœur d’un poète. […] Je croyais voir alors l’Ange à la torche sainte : Terrible, il me chassait du divin paradis, Et, debout à la porte, il en gardait l’enceinte,        Ainsi qu’il la garda jadis. […] Et son front et ses yeux ont gardé le mystère De ces chastes secrets qu’une femme doit taire. […] « Si votre ami est beau, bien fait, amoureux des avantages de sa personne, ne négligez pas trop la vôtre ; gardez-vous qu’une maladie ne vous défigure, qu’une affliction prolongée ne vous détourne des soins du corps ; car cette sorte d’amitié, qui vit de parfums, est dédaigneuse, volage, et se dégoûte aisément.

617. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLIXe Entretien. L’histoire, ou Hérodote »

Car enfin, ajouta Astyage, puisque tu voulais donner la royauté à quelque autre et ne pas la garder pour toi, n’était-il pas juste, du moins, que la puissance tombât entre les mains d’un Mède, plutôt que dans celles d’un Perse ? […] Quant à Astyage personnellement, Cyrus ne lui fit aucun mal, et le garda constamment près de lui jusqu’à sa mort. […] Il prit un certain nombre d’ânes, sur chacun desquels il plaça une outre remplie de vin, et les chassa devant lui, se dirigeant vers les soldats qui gardaient le corps suspendu à la muraille. […] Interrogé par elle comme les autres, il lui dit : « que ce qu’il avait fait de plus hardi et de plus criminel était d’avoir coupé la tête de son frère, pris à un piége tendu dans le trésor du roi ; et que ce qu’il avait fait de plus adroit était d’être parvenu à enlever le corps de ce frère, après avoir enivré les soldats chargés de le garder. » Lorsque la fille du roi entendit cet aveu, elle se jeta sur le jeune homme et crut l’avoir arrêté, mais comme elle n’avait saisi que le bras mort dont il s’était muni, il s’évada par la porte et parvint à s’enfuir. […] Les Grecs, rangés par ordre de peuples, prirent part tour à tour à ces divers combats, à l’exception cependant des Phocidiens, qui, placés sur la montagne en gardaient les sentiers.

618. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

De plus, le souvenir tend à laisser échapper ce qui était pénible pour ne garder que ce qui était agréable ou au contraire franchement douloureux. […] Il nous raconte que tous les matins il allait se promener au Luxembourg, un Virgile ou un Jean-Baptiste Rousseau dans sa poche : « Là, jusqu’à l’heure du dîner, je remémorais tantôt une ode sacrée et tantôt une bucolique. » S’il a gardé de Jean-Baptiste Rousseau un restant de mauvais goût, il a conservé aussi quelque chose du mouvement de la strophe, quelque chose de la contrefaçon de l’enthousiasme prophétique. […] Tandis que, dans les arts plastiques, les objets représentés gardent une beauté intrinsèque de forme ou de couleur, dans la littérature ils valent surtout comme centre et noyau d’associations d’idées et de sentiments. […] La poussière, aussi éternelle en Egypte que le granit, avait moulé ce pas et le gardait depuis plus de trente siècles, comme les boues diluviennes durcies gardent la trace des pieds d’animaux qui la pétrirent.

619. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIII : Affinités mutuelles des êtres organisés »

Ainsi, on sait qu’il faut se garder de classer ensemble deux variétés de l’Ananas, simplement parce que leurs fruits, bien que fournissant un caractère important, sont à peu près identiques. […] Dans l’une comme dans l’autre supposition, nous pouvons supposer que la Viscache a gardé plus de ressemblances héréditaires avec son ancien progéniteur que ne l’ont fait d’autres Rongeurs ; et, par conséquent, elle ne doit avoir de rapports particuliers avec aucun des Marsupiaux vivants, mais indirectement avec tout ou presque tous les représentants de cet ordre, parce qu’elle a retenu partiellement les caractères de leur commun progéniteur ou d’un très ancien membre du groupe. […] Les organes rudimentaires gardent quelquefois leurs facultés actives, et ne manquent que d’un développement suffisant. […] C’est pourquoi aussi l’on dit souvent d’un organe rudimentaire chez un adulte qu’il a gardé son état embryonnaire. […] Tout changement de fonction qui peut s’effectuer par des degrés insensibles est du ressort de la sélection naturelle ; de sorte qu’un organe, devenu inutile ou nuisible à certains égards, par suite d’un changement dans les habitudes de vie, peut se modifier de manière à servir à quelque autre usage ; ou bien un organe peut ne garder qu’une seule de ses fonctions primitives et s’y adapter exclusivement.

620. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

Aujourd’hui elles peuvent être en grande toilette sans en garder la moindre trace. […] Il se garda bien d’y oublier le colonel : « Brave homme, écrivit-il, un peu bête peut-être, mais si décoratif !  […] Il m’a été impossible jusqu’ici de garder mes domestiques. […] Quelle contenance gardera-t-il sous leurs félicitations ? […] Qui donc, pensez-vous, a gardé intactes à travers les siècles notre religion et notre nationalité ?

621. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Un sentiment, un désir n’entrent dans la conscience qu’en forçant une résistance dont ils gardent l’empreinte et qui les déforme. […] Il faut garder à la pensée de Freud sinon un certain vague, du moins une certaine généralité pour bien en comprendre toute la valeur. […] Mais il faut se garder de trahir par trop de précipitation l’idée même de Freud, sa conception de la sublimation. […] Mais justement c’est le moment où il s’est trop dit, cet Inconscient, pour avoir gardé aucune fécondité. […] Cet amour était vrai, puisque je subordonnais toutes choses à les voir, à les garder pour moi seul, puisque je sanglotais si, un soir, je les avais attendues.

622. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Jules Sandeau » pp. 322-326

Gardons-nous bien de confondre le bon ton et le bon goût.

623. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « [Béranger] » pp. 333-338

Une place modeste dans une administration publique suffisait à ses besoins ; il la garda jusqu’au jour où il s’aperçut que son indépendance allait en souffrir.

624. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame du Hausset, femme de chambre de madame de Pompadour. »

Mais le vice était devenu un besoin d’habitude ; on le garda, et comme on n’avait plus à faire ses preuves, on en usa désormais à son aise, à son loisir, ne le voilant ni même ne l’affichant plus ; on en fut à cette indifférence raisonnée, dernier degré de l’impudeur.

625. (1874) Premiers lundis. Tome II « Dupin Aîné. Réception à l’Académie française »

Et puis ce paysan du Danube qui, devenu bourgeois et avocat, sait encore si bien régenter l’illustre sénat assis pour l’écouter, a des moments singuliers où il lui prend une fluxion ou un mal de gorge, comme à Démosthènes, duquel on disait alors qu’il philippisait, et il garde ces jours-là un silence aussi prudent que celui que garda toute sa vie l’académicien Conrart.

626. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les brimades. » pp. 208-214

Elles scellent entre eux l’engagement mutuel de garder fidèlement cette naïve croyance ; de n’estimer qu’eux au monde ; d’être rogues, dédaigneux, formalistes ; d’être absolus et abstraits ; d’appliquer à tout une étroite et outrecuidante logique ; d’user aveuglément de l’« esprit géométrique » là même où l’« esprit de finesse » serait le plus nécessaire ; de mépriser les autodidactes (si intéressants !)

627. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — E. — article » pp. 238-247

Le Roi ordonna à son Chirurgien de prendre un soin particulier de Mlle Déon, qui ne put se servir de sa jambe qu’après avoir gardé plus de trois mois le lit.

628. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Sophocle, et Euripide. » pp. 12-19

Soit par douceur de caractère, soit par considération pour son ancien maître, Euripide ne vouloit pas éclater, Il garda toujours les bienséances.

629. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Charles Magnin ou un érudit écrivain. »

Il a été l’organe d’idées justes, neuves, opportunes le plus souvent, immédiates, qui ont eu leur effet au moment où elles se produisaient ; il a coopéré à l’éducation littéraire de son époque ; ces services de journaliste et d’écrivain de revue, si essentiels en eux-mêmes et si méritoires, sont depuis longtemps consommés et épuisés : nous, ses contemporains et ses amis, nous en avons mémoire et conscience, notre devoir est de les rappeler et de les mentionner ; mais nous ne saurions exiger des nouveaux venus de s’en former la même idée et d’en garder la même reconnaissance que nous. […] Il voulait, dit-on, les unir, les coordonner suivant les matières pour en former un volume nouveau : il aurait mieux fait de suivre simplement l’ordre des dates et de recueillir tout ce qui avait gardé de l’intérêt. […] Il faut se garder d’oublier son Histoire des Marionnettes (1852), qui promet pourtant un peu plus qu’elle ne tient.

630. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LOUISE LABÉ. » pp. 1-38

Louise, en terminant, allait au-devant des objections, et, s’adressant au cœur des personnes de son sexe, elle faisait noblement appel à leur indulgence : Ne reprenez, Dames, si j’ai aimé,… Et gardez-vous d’estre plus malheureuses. […] Le silence que Louise a gardé dans les dix dernières années de sa vie et le soin qu’elle prit, dans sa publication de 1555, de marquer à plusieurs reprises que ces petits écrits ont été composés depuis longtemps et que ce sont œuvres de jeunesse, pourrait faire conjecturer qu’elle entra à un certain moment dans un genre de vie un peu moins ouvert à la publicité. […] Qui nous dit même que l’ode légère d’Olivier de Magny (1559) n’est pas du fait d’un ami brouillé qui gardait quelque rancune au mari ?

631. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre IV. Services généraux que doivent les privilégiés. »

. — Quand un corps a gardé dans sa main les cordons de sa bourse, il obtient bien des complaisances ; elles sont l’équivalent de l’argent qu’il accorde. […] Bref, grosses ou petites, les quinze cents sinécures ecclésiastiques à nomination royale sont une monnaie à l’usage des grands, soit qu’ils la versent en pluie d’or pour récompenser l’assiduité de leurs familiers et de leurs gens, soit qu’ils la gardent en larges réservoirs pour soutenir la dignité de leur rang. […] Ici encore la noblesse s’est laissé dérober l’autorité, l’action, l’utilité de sa charge, à condition d’en garder le titre, la pompe et l’argent109.

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