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569. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « L’idolâtrie au théâtre »

Plus coupable que le public, parce qu’elle devrait le diriger et le conduire, la critique de théâtre a fait au comédien, et surtout à la comédienne, une position exceptionnelle, anarchique et folle, à ne voir même que le théâtre et les intérêts de l’art dramatique ; car, si l’on place dans le ciel le simple interprète d’une œuvre de talent ou de génie, où placera-t-on celui qui l’a faite ? […] … Où mettront-elles, par exemple, leurs grands généraux, leurs prêtres saints, leurs juges intègres, tous ceux enfin qui sont bien plus qu’un grand génie, parce qu’ils pratiquent de grandes vertus ? […] Mais Napoléon l’a tirée, lui, quand il disait, avec cette profondeur de bon sens qui caractérisait son génie, que, « toujours et partout, la main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit ». […] que devient la conversation, cette chose divine, cette création spontanée, ce génie sur place, qui fut notre gloire autrefois ? […] à ces esprits-là tout est possible ; mais quand l’importance des vaudevilles ou des tragédies de salon paraîtrait à ces forts penseurs un droit à maintenir au génie, quand tel hôtel, à la porte blasonnée, serait devenu pour le théâtre français une succursale d’émulation honorable et utile, il resterait toujours la question qui prime toutes les autres, — la question des mœurs.

570. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Grèce antique »

il n’a pas manqué d’hommes de génie et de talent pour la soutenir. […] Ronsard y perdit son génie. […] Entre les manières de penser et de sentir d’un peuple mort, mais qui laissa sur le front du peuple vivant comme les dernières haleines de son génie, entre la civilisation de l’un et de l’autre, il y a un lien, un rapport, une espèce de communauté qui tient à bien des causes, visibles ou mystérieuses, mais qui est. […] gouverner passait son génie. […] Une critique savante et profonde, enrichie de toutes les découvertes historiques de notre époque, une critique qui, après avoir fait la part du génie grec, ôte avec un tact souverain l’imagination des Allemands de leurs travaux pour s’appuyer sur ce que ces travaux ont de plus solide, voilà ce qui donne au livre de Lerminier un mérite et un poids qu’aucun ouvrage sur la Grèce ne pouvait avoir plus tôt.

571. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Les Césars »

Dans les premières années de ce siècle, deux hommes de génie, mais d’un génie qui finissait en rêverie, comme la flamme la plus pure finit en fumée, Ballanche et Niebuhr, frappèrent, avec des préoccupations diverses, au cœur même de la chose romaine ; mais l’exactitude de leurs travaux plus illuminés que lumineux, n’est-elle pas une question encore ?… Ainsi, excepté quelques aperçus tout-puissants d’un grand écrivain oublié, de ce Saint-Évremond tué et enterré par Montesquieu en vertu de la loi cruelle qui veut que le génie tue toujours celui qu’il a pillé, excepté la préface si hardie des Études historiques de Chateaubriand et quelques pages profondes, majestueuses et amères de Bonald dans ses Mélanges de littérature, on n’avait rien de jugé, de satisfaisant, rien de conclu sur Rome par la raison moderne, quand le livre de Champagny parut. […] Selon nous, l’Empire romain n’est point l’institution que la plupart des écrivains modernes, en cela faibles comme des anciens, ont traitée avec un dédain qui n’honorait pas leur génie. […] Nous avons vu ce qui les distinguait l’une de l’autre ; ce qui fit l’une forte, malgré ses orages intérieurs, ses guerres civiles, sa corruption même et ses crimes ; ce qui fit l’autre faible, malgré l’éclat de quelques victoires et la beauté de quelques génies.

572. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Crétineau-Joly » pp. 247-262

Mais cette gloire qui sort de l’obscurité et de l’obstacle, peu à peu, comme un chêne sort de terre, et sur le gland duquel, les racines et les premières pousses, des troupeaux de bêtes ont passé, cette gloire, qui fut celle de Joseph de Maistre, ce génie de trempe immortelle qui pouvait attendre et qui attendit, je ne crois point que Crétineau-Joly l’ait jamais, et peut-être n’était-il pas fait pour elle. […] Ce grand de Maistre, qui passa sa vie dans la société des empereurs et des rois sans y rabaisser son génie ; qui commença en la société intellectuelle par les Considérations sur la France, et ne trouva pas, après trente ans de services de génie, un prêtre ou un évêque pour rendre compte du livre du Pape, ce chef-d’œuvre consacré à Rome, et qui mourut, frappé au cœur, de l’ingratitude du sacerdoce, aussi grande alors que celle des gouvernements ; ce grand de Maistre a été vengé de tout cela par sa gloire… Crétineau, moins grand et moins infortuné, eut tout de suite ce qui lui revenait. […] Tant mieux si ce jugement définitif eût été le trait du génie ! […] Ce chouan manqué, qui n’avait pu l’être comme il l’aurait été du temps de Charette, avait le génie de l’action et la lestesse d’exécution des chouans militaires, et il le prouva dans deux occasions, dans deux aventures de police rapportées par son biographe.

573. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Funck Brentano. Les Sophistes grecs et les Sophistes contemporains » pp. 401-416

Ils nous corrompent, nous rongent, nous dévorent… Ils sont la maladie pédiculaire de ce temps sans génie, qui n’a plus dans le sophisme, comme en autre chose, que des insectes… Les Sophistes contemporains ! […] Il peut y avoir des parcelles de vérité dans un système philosophique, mais les erreurs foisonnent dans tous, et le génie lui-même a le sort de Sylla : il meurt des poux qu’il a engendrés. […] Funck Brentano… Peut-être qu’au fond de sa pensée il conclut que tout système philosophique a droit au respect ou à l’admiration des hommes, non pour la vérité qu’il prouve, mais pour le génie qu’il a prouvé ! […] Génie au bras long, il embrassa tout en France, de Malebranche et de Bossuet à Cousin, et il a ramassé dans le vaste cercle de son axiome toute l’Europe pensante, depuis Berkeley et Spinosa jusqu’à Kant, Fichte et Hégel ! […] Les formes que le génie artistique de la Grèce mettait à tout les grandissait… Quand nous les regardons à distance, nous nous trouvons bien loin de nos minces claque-dents, avec leur guenille noire moderne sur leurs maigres jambes.

574. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Achille du Clésieux »

Il l’a, cet accent, — adouci, plaintif et calmé ; mais il l’a… Comme Lamartine, il est un poète de grande inspiration spiritualiste et religieuse, et, disons-le, soit qu’il l’imite, soit qu’il lui ressemble, il procède évidemment de ce beau génie. […] Si le génie de l’expression rayonne davantage dans Lamartine, si le pathétique de la passion et des larmes est incomparable dans son poème sublime où la nature muette, après les cris qu’y pousse la nature vivante, est peinte avec plus de relief et plus de grandeur que dans Virgile, — et par la raison que la nature vivante s’empreint sur cette nature muette pour la spiritualiser et la transfigurer, — la supériorité morale appartient pourtant à du Clésieux, et la supériorité morale n’est pas une chose indifférente ou vaine en littérature. […] Du Clésieux est un poète à la voix pleine, harmonieuse, étendue, mais qui chante dans un medium dont il ne sort jamais par ces éclats si magnifiques dans Lamartine, qui, en sa qualité de génie poétique absolu, ayant tous les dons, a aussi le don de peindre avec des puissances, des délicatesses et des chastetés de pinceau véritablement raphaélesques, et quoique le musicien soit bien au-dessus du peintre dans son génie. […] Corneille, avec tout son génie, pouvait être un mauvais ministre, car, dire, et même sublimement, n’est pas faire.

575. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Roger de Beauvoir. Colombes et Couleuvres. »

Ces Poètes, qui, du reste, se nomment eux-mêmes des artistes, et qui ont réellement plus d’art dans leur manière que de génie et d’inspiration, travaillent leur langue comme un sculpteur travaille son vase, comme un peintre lèche son tableau, et nous donnent au xixe  siècle une seconde édition affaiblie de la Renaissance qui, elle aussi, avec le large bec, ouvert et niais, d’un Matérialisme affamé, happait la forme et s’imaginait tenir le fond, l’âme et la vie ! […] Nous n’avons pas, il est vrai, parmi nous le génie et la grande figure jupitéréenne de Ronsard, sa dictature indiscutée et funeste, funeste même pour lui, car le faux système a tué sa gloire en l’écrasant dans son œuf d’aigle ; mais, si l’on cherchait bien, on trouverait Desportes, et, en disant cela, nous ne disons de mal de personne… M.  […] Après cela, on comprendra sans doute le genre de génie qui sourit dans le livre, tout à la fois riant et mélancolique, que M.  […] … Quelques stances de cet Ariel de la poésie, de cet Hégésippe mort dans le premier duvet de fleur de son génie, dureront davantage, chastes beautés idéales, préservées par leur pure immatérialité ! […] Un homme de race germanique a morfondu un rare génie dans ce qui aurait dévoré la supériorité de Goethe lui-même, c’est Bysshe Shelley, l’ami de Byron, le gendre de Godwin, l’auteur d’Alastor, et il est enseveli sous son œuvre comme un philosophe allemand sous son système.

576. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »

La plupart, sinon tous (et je ne vois guère que Shakespeare qu’on puisse excepter), n’ont presque jamais eu dans l’esprit qu’un seul sujet qu’ils reprennent, retournent, renouvellent et transforment ; préoccupation qui n’est qu’un esclavage sublime, thème incommutable, posé par Dieu dans leur pensée, et sur lequel ils sont condamnés, pour toute gloire et pour tout génie, à faire d’éternelles variations ! […] On trouve, ou plutôt on retrouve partout devant soi de l’Homère, du Dante, du Rabelais, de l’Arioste, du Byron, du Cervantes, du Goldsmith, etc., mais ce qu’il y a de ces hommes de génie n’y est reconnaissable que pour faire lumière à la stérilité foncière de ce singulier poète, qui s’imagine inventer peut-être, quand il ne fait que se souvenir ! […] Voilà le génie de M.  […] C’est un génie né de plusieurs pères, et qui, justement parce qu’il n’en faut qu’un, ressemble à trop de gens pour pouvoir ressembler jamais beaucoup à personne. Plagiaire involontaire, et caméléon qui s’ignore ; ruisselant, comme un homme qui sort de l’eau, des lectures que tout le monde a faites et que dans son livre on peut aisément suivre à la trace, ce génie, à personnalité incertaine et confuse, ne vivrait même pas de sa pauvre manière d’exister, si des autres n’avaient pas existé avant lui… En dehors des fabulations qu’ils ont fécondées ou ornées, je peux bien concevoir les autres poètes, épiques ou non, que M. 

577. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Agrippa d’Aubigné »

Mais y en a-t-il assez pour être plus que des zig-zags de feu qui passent, et pour former l’étoffe de ce tonnerre, qui est le génie, et qui, de sa puissance continue, emplit tout le cintre du ciel ? […] Plus heureux en cela qu’André Chénier, le guillotiné de génie dont toute la vie fut dans la mort, Agrippa d’Aubigné eut une vie poétique jusqu’à sa dernière heure, et cette heure fut tardive. […] dans l’Hécatombe à Diane, en ces cent sonnets qui se suivent sous le titre de Printemps, lequel semble vouloir leur donner l’unité d’un poème, savez-vous combien j’en ai compté dignes d’être repêchés au fil du torrent qui les emporte et mis à l’écart et gardés comme les épaves d’un génie écumant, mais qui s’est noyé dans sa propre écume ? […] Mais il est nonobstant certain que ces grandes articulations d’écrivains se meuvaient dans le milieu d’une langue contre laquelle ils avaient plus à faire pour montrer du génie que leurs descendants, fils d’une langue plus achevée et d’un milieu plus lumineux. […] Avoir besoin de ce pauvre rayon d’une date au-dessus de sa tête, n’est-ce pas tout ce qu’on peut dire de pis du génie, qui ne relève pas du temps et qui est absolu comme Dieu ?

578. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. De Mascaron et de Bossuet. »

Le génie se monta ensuite à une élévation pleine de grandeur, mais inégale. […] En général, Mascaron était né avec plus de génie que de goût, et plus d’esprit encore que de génie. […] Comme le style n’est que la représentation des mouvements de l’âme, son élocution est rapide et forte : il crée ses expressions comme ses idées ; il force impérieusement la langue à le suivre, et, au lieu de se plier à elle, il la domine et l’entraîne ; elle devient l’esclave de son génie, mais c’est pour acquérir de la grandeur. […] Tel est cet orateur célèbre, qui par ses beautés et ses défauts, a le plus grand caractère du génie, et avec lequel tous les orateurs anciens et modernes n’ont rien de commun.

579. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

Ce sang est la sève sauvage ou civilisée du génie. […] Ce livre, le plus magistral qu’il ait peut-être composé, est le commentaire de l’histoire romaine par le génie des affaires. […] Machiavel, indigné, brisa sa plume ; elle nourrissait la postérité de son génie, et elle ne le nourrissait lui-même que d’amertume ! […] L’occasion ne peut rien sans l’homme, l’homme rien sans l’occasion ; c’est du mariage de la fortune avec le génie que naît la puissance ; sans cela, rien. […] Cela est pensé par l’âme du Tacite florentin, écrit à la façon de Bossuet par le vigoureux génie de San-Casciano.

580. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 14 mars 1885. »

Peut-être irait-il même jusqu’à encourager des hommes d’un plus fort génie à se jeter dans la carrière ! » Ainsi Beaumarchais, le plus railleur des esprits, a été l’annonciateur du plus raillé des génies. […] Toutes les finesses patientes du vieux génie gothique y sont rassemblées, mais transformées et rajeunies par le génie moderne. […] On croirait voir le génie de l’ancienne Allemagne prêt à sacrer le génie naissant de l’Allemagne future. […] 3° Eugen Aragon ; — Génie et Démon. — M. 

581. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mars 1886. »

Eh bien non, je n’admets pas que le génie de Wagner, pas plus que celui d’un autre, ne puisse se révéler que dans un petit coin de la terre et à quelques douzaines d’initiés : le génie est le génie, la lumière est la lumière, une étoile se voit de partout ; c’est une question de hauteur, Shakespeare, Goethe, Molière, Dante, Corneille, Raphaël, Racine, Homère, Virgile, Weber, Schiller, Beethoven, Mozart, sont beaux sous toutes les latitudes, dans tous les musées, tous les théâtres, toutes les bibliothèques ; inutile de voyager pour les admirer. […] Rions de Wagner et plaignons le quand il écrit des sottises injurieuses en vers ou en prose, mais admirons le toujours et quand même, alors qu’il fait œuvre de génie ; quel insensé s’est jamais soucié de savoir ce que pensait de lui le rossignol qui charmait son oreille ! […] Cela ne touche en rien au génie théâtral français qui est encore respectable même pour des français ; qu’on en juge d’après les emprunts que lui fait l’étranger, depuis ses chefs-d’œuvre jusqu’à ses moindres vaudevilles. […] Si j’avais quelque influence sur l’esprit de Mme Cosima Wagner, je la supplierais également de ne pas livrer le génie de son mari aux hasards des attroupements. […] En un mot, ce n’est pas la ligue des patriotes, mais celle des envieux et des avortés, se recrutant parmi les innombrables individus pour lesquels c’est une satisfaction que de barrer la route au génie.

582. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Questions d’art et de morale, par M. Victor de Laprade » pp. 3-21

L’Empereur avait fondé un prix de 30,000 fr. pour l’œuvre ou la découverte que l’Institut jugerait la plus propre à honorer le génie national. […] Et puis ce Raphaël, dont on parle trop vaguement, sait-on bien ce qu’on fait quand on rattache à son génie l’idée de croyance ? […] A un endroit, par exemple, il définit le génie et le distingue du talent. […] Puis, s’exaltant sur ce mot de génie et y mêlant une idée mystique, il en vient à dire « qu’un grand génie n’est guère autre chose pour celui qui le porte qu’un plus douloureux fardeau ; — que toute grande mission emporte avec elle ici-bas la nécessité d’un crucifiement. » Cela est bon à mettre en vers ; ce qui ne peut pas se dire, on le chante. […] Pour moi je concevrais au point de vue naturel et physiologique, qu’on soutînt la thèse toute contraire : Un grand génie, pour celui qui le possède, est l’instrument d’une grande joie. — Je prends cet exemple et j’en pourrais choisir maint autre chez M. de Laprade.

583. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Un homme de son temps, au contraire, un habile que la nature avait doué d’une rare faculté philologique comme elle avait doué Malebranche d’un génie métaphysique éminent, avait entrepris cet examen puisé aux sources et avait fondé la véritable critique des Écritures en l’appuyant sur la connaissance de l’hébreu, des langues orientales prochaines qui en sont comme autant de branches, et sur la familiarité avec les anciens commentateurs juifs les plus compétents. […] Le génie social et civilisateur des Grecs l’a surtout gagné et lui inspire de belles paroles : « Le mot de Civilité, dit-il, ne signifiait pas seulement parmi les Grecs la douceur et la déférence mutuelle qui rend les hommes sociables ; l’homme civil n’était autre chose qu’un bon citoyen qui se regarde toujours comme membre de l’État, qui se laisse conduire par les lois et conspire avec elles au bien public sans rien entreprendre sur personne. » Le mot de Civilisation n’est pas dans Bossuet, mais il fait rendre à ce mot de Civilité tout ce qu’il peut contenir de meilleur et de plus étendu. […] De même sur les Macédoniens et sur Alexandre : chez Bossuet, c’est une première et large vue ; l’homme est bien compris dans son ensemble et posé avec son vrai caractère en termes magnifiques ; l’historien orateur est égal à son sujet, à son héros ; ce portrait d’Alexandre est un portrait d’oraison funèbre ; il a le mouvement et comme le souffle oratoire : chez Montesquieu, les raisons de la politique et du génie d’Alexandre sont bien autrement recherchées et déduites ; c’est bien autrement expliqué ; chaque parole frappe comme un résultat, et l’expression est vive, figurée ; le tout gravé en airain : c’est un long bas-relief d’Alexandre. […] Il l’a sentie par les institutions et par le génie social, autant que Fénelon a pu la sentir par la poésie et par le goût. […] Après avoir exposé à si grands traits la constitution et le génie des Romains, Bossuet revient comme en arrière et se met à énumérer une série des faits principaux depuis Romulus.

584. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

Elle répudiait même Ernest Hello cet homme de génie avec des éclairs de platitude, comme disait Léon Bloy. […] S’il s’emporte avec tant d’indignation contre « l’homme médiocre », c’est parce que l’homme médiocre est un féroce ennemi du génie. […] « L’œuvre capitale de l’initiation, dit Guaita, se résume dans l’Art de devenir artificiellement un génie. » On peut, par elle, forcer l’inspiration et communiquer à son gré avec le grand Inconnu. […] Il est le signe du génie. […]  » Il aurait pu ajouter en guise d’exemple, que les plus grands génies poétiques dont s’honore l’humanité, Lucrèce, Virgile, Dante, Shakespeare, Goethe, furent instruits de la gnose22.

585. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre III. Les explications anthropologique, idéologique, sociologique »

Et c’est pourquoi tout ce qu’on enlève à l’influence du « génie des races » pour l’attribuer à l’influence de circonstances précises est autant de gagné pour la science. […] Les idées acceptées par les masses sont les idées inventées par les hommes de génie. […] Nous renvoyer tout uniment, pour nous rendre compte de l’expansion d’une idée sociale, à une invention de génie, c’est nous renvoyer au mystère. […] Le succès de l’égalitarisme ne doit plus dès lors être présenté comme la résultante pure et simple de mouvements de propagation qui auraient traversé indifféremment toutes les sociétés, quelles que fussent leurs formes, pourvu seulement qu’un homme de génie s’y fût rencontré pour donner la chiquenaude initiale : cette propagation même a pour condition l’existence de certaines formes sociales qui, modelant les esprits en un certain sens, les prépare à recevoir l’empreinte des idées égalitaires. […] Du moment d’ailleurs où l’on reconnaîtra que des formes sociales existent, qui ne varient pas comme varient les individus qu’elles encadrent, il faudra bien reconnaître que la permanence de ces formes impose aux actions des individus, même de génie, certaines limites.

586. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIV. »

Nous avons à chercher comment ce génie lyrique, souverain des âmes dans la Grèce, se reproduisait, ailleurs. Il n’est pas indifférent d’en étudier la puissance chez une nation moins musicale que les Hellènes, moins née pour la spéculation et la poésie, mais partageant le même culte, attirée par la même gloire, et demeure le dernier modèle antique sur lequel devait se greffer et croître à l’avenir le génie moderne. […] Pour nous, studieux collecteurs des reliques de l’antiquité, réduits souvent à la deviner sur de bien faibles indices, nous croyons, avec un de ses plus beaux génies, que chez les Grecs, innover dans la musique, c’était bouleverser l’État ; nous voyons la constitution de Sparte garantie par ce magistrat qui coupe deux cordes nouvelles ajoutées à la lyre d’Alcman ; et nous supposons, en revanche, sur le théâtre et dans les fêtes d’Athènes une musique aussi hardie, aussi diverse que les orages de la démocratie. […] Il mettait à rendre le génie du poëte, non seulement tout son art, mais sa propre douleur. […] disait-il, celui qui d’une âme si ferme étayait la république et l’affermissait, le rempart des Grecs, celui qui, dans les chances douteuses, n’hésita jamais d’offrir sa vie, n’épargna jamais ses jours, ce grand ami dans une si grande crise, cet homme doué d’un si grand génie, ô ingrats Argiens !

587. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Béranger, Pierre-Jean de (1780-1857) »

Loin de là ; son génie tenait trop de l’humeur de Franklin et de la verve courante de Voltaire pour être essentiellement un génie poétique. […] Leconte de Lisle Le génie de Béranger est à coup sur la plus complète des illusions innombrables de ce temps-ci, et celle à laquelle il tient le plus ; aussi ne sera-ce pas un des moindres étonnements de l’avenir, si toutefois l’avenir se préoccupe de questions littéraires, que ce curieux enthousiasme attendri qu’excitent ces odes-chansons qui ne sont ni des odes ni des chansons.

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