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607. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Georges Caumont. Jugements d’un mourant sur la vie » pp. 417-429

Je ne crois pas que l’homme de ces effroyables pages eût, s’il eût vécu, fait, je ne dis pas mieux, mais plus fort que cela… Créateur, s’il l’avait été, ses créations n’auraient jamais eu l’énergie du cri que pousse en lui la simple créature… Il fallait, dans une âme assoiffée de vivre comme il n’en exista peut-être jamais, la fureur et l’horreur de la mort pour exaspérer l’expression, telle qu’elle est ici, jusqu’au génie. […] Il y a bien des âmes, parmi les plus fortes comme parmi les plus faibles, que l’approche du dernier moment a tout à coup décomposées, depuis le maréchal de Biron, qui faisait trembler ses bourreaux et les planches de son échafaud, sur lequel il courait, terrible comme à la bataille, prêt à faire une massue du billot qui attendait sa tête, jusqu’à la misérable Du Barry, griffant au visage l’homme de la guillotine, comme une chatte forcée ; depuis l’héroïque Masséna, mourant platement dans son lit, en disant « qu’il ne croyait pas si difficile de mourir », jusqu’à la foule de ceux-là qui ne sont pas des héros, et qui, ne disant rien de leur désespoir, meurent comme le loup d’Alfred de Vigny, en silence. […] Quelle forte et résistante personnalité, au contraire ! […] … Son éditeur (un ami au doigt sur sa bouche) ne le dit pas, et j’aurais pourtant bien voulu savoir le dernier mot de cette rugissante agonie, qu’il nous décrit, à mesure qu’elle vient, avec une rage plus forte que la vie.

608. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. Des oraisons funèbres de Bourdaloue, de La Rue et de Massillon. »

Est-il vrai que dans tous les genres il n’y ait qu’un certain nombre de beautés marquées, et que lorsqu’une fois elles ont été saisies par des hommes supérieurs, ceux qui marchent ensuite dans la même carrière, soient condamnés à rester fort au-dessous des premiers, et peut-être à n’être plus que des copistes ? […] Son génie austère et dépourvu de sensibilité comme d’imagination, était trop accoutumé à la marche didactique et forte du raisonnement pour en changer ; et il ne pouvait répandre sur une oraison funèbre cette demi-teinte de poésie qui, ménagée avec goût et soutenue par d’autres beautés, donne plus de saillie à l’éloquence. […] Tel est le fond du tableau que nous présente l’orateur ; il peint en même temps la jeune duchesse de Bourgogne, adorée de la cour, et dont les vertus aimables mêlaient quelque chose de plus tendre aux vertus austères et fortes de son époux ; il la peint frappée comme lui, expirante avec lui, sentant et le trône et la vie, et le monde qui lui échappaient, et répondant à ceux qui l’appelaient princesse : Oui, princesse aujourd’hui, demain rien, et dans deux jours oubliée. […] Cet orateur, si connu par son éloquence, tantôt persuasive et douce, tantôt forte et imposante, qui développait si bien les faiblesses de l’homme et les devoirs des rois, et qui, à la cour d’un jeune prince, parlant au nom des peuples comme au nom de Dieu, fut digne également de servir à tous d’interprète ; cet orateur, qui sut peindre les vertus avec tant de charmes, et traça de la manière la plus touchante le code de la bienfaisance et de l’humanité pour les grands, n’a pas, à beaucoup près, le même caractère dans ses éloges funèbres.

609. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Un grand voyageur de commerce »

Stanley sont, à aller au fond des choses, des entreprises commerciales  dont le bénéfice est, je le sais, à longue échéance, ce qui leur communique une certaine beauté ; mais enfin les actes, pris en eux-mêmes, sont ici fort supérieurs aux pensées. […] Stanley découvre que la forêt est l’image de la société, en ce que, chez les arbres comme chez les hommes, les plus forts tuent les plus faibles. […] On se dit : « Assurément, ce journaliste ne veut pas nous tromper ; mais qui sait s’il ne se trompe pas lui-même et si, dans son désir de frapper fort et de nous étonner, il n’arrange pas un peu ses souvenirs, sans le savoir ?

610. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les Zutistes » pp. 19-27

Par contre, Fernand Icres, miné de phtisie malgré ses fortes apparences, faisait entendre un chant vaillant. […] Il arrivait qu’on vît, au fort des récitations, se ruer dans la salle un flot d’aèdes en tournée qui s’y arrêtaient le temps d’évacuer quelques truculences dans le goût du jour et qui, chargés d’applaudissements frénétiques, libéralement octroyés pour prix de leur dérangement, repartaient aussitôt vers les cabarets de Montmartre dans le fiacre qui les avait amenés. […] Leur avantage était d’être enracinés de fortes lectures, au moment même où l’on proclamait que le génie supplée à tout, et qu’à voyager dans les livres, l’écrivain risque de perdre son originalité.

611. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VIII » pp. 70-76

Votre façon d’écrire est fort jolie ; Mais gardez-vous de faire de folie, Ou je saurai, ma foi, vous châtier        Comme un galant. […] Le succès de cet ouvrage, que l’auteur reconnaît être fort défectueux, « fut, dit-il, surprenant ; il donna lieu à l’établissement d’une nouvelle troupe de comédiens malgré le mérite de celle qui était en possession de s’y voir l’unique ». […] La qualification de naïf, que Corneille donne au style de ses interlocuteurs, style fort différent de celui des personnages de Molière, qui est aussi estimé naïf, m’a paru rendre nécessaires quelques observations sur la naïveté.

612. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — I. Faculté des arts. Premier cours d’études. » pp. 453-488

Il y a une petite Analomie fort courte par Kulm. […] Voilà une des raisons pour lesquelles je relègue l’étude des belles-lettres dans un rang fort éloigné. […] L’idiome de tous ces auteurs est très-difficile, et je demande si les choses qu’ils ont traitées sont fort à la portée de la jeunesse. […] Les autres poètes font des vers et même de fort beaux, mais on y sent le travail et la composition. […] Dictionnaire de Chimie et Dictionnaire des Drogues simples, où il y a une forte dose de vieilles traditions sans valeur.

613. (1888) Poètes et romanciers

Dieu des forts ! […] Tomber en se taisant, c’est être plus fort que ce qui vous renverse. […] La Charité, plus forte que le Désir, va donner à l’homme la mesure du sacrifice divin. […] La conservation du fort y est assurée par son propre égoïsme, et celle du faible par des instincts dérivés de l’égoïsme, qui lient l’intérêt des forts aux siens. […] Ce défaut était déjà fort sensible chez Georges, l’ami de la petite comtesse.

614. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 11-15754

Ce mot n’est pas fort usité. […] Les adverbes qui viennent des noms de qualité se comparent, justement, plus justement, très ou fort justement, le plus justement, bien, mieux, le mieux, mal, pis, le pis, plus mal, très mal, fort mal, &c. […] C’étoit deux cylindres de bois fort égaux ; l’un étoit entre les mains de l’un des correspondans, & l’autre en celles de l’autre correspondant. […] Le tems que l’on employe à hausser la main est appellé arsis, & la partie du tems qui est mesuré en baissant la main, est appellée thesis ; ces mesures étoient fort connues & fort en usage chez les Anciens. […] Forte unam adspicio adolescentulam, (Ter.

615. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Il s’aime fort et il aime les hommes. […] » Le sophisme est un peu fort ; mais encore pour cette fois l’amour-propre s’est tiré d’affaire. […] Jacob commence par n’accepter que quelques écus de la dame et de la femme de chambre ; il refuse une forte somme, parce qu’elle est trop forte, et d’origine suspecte. […] Il n’a ni conviction forte, ni sensibilité profonde. […] Il les redresse, à la rencontre, fort heureusement.

616. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la société des visiteurs des pauvres. » pp. 230-304

Mais, avec les meilleures intentions et le plus ferme propos de n’être point égoïste ni avare, on est souvent fort embarrassé. […] À un moment, il raconte « la plus forte émotion de sa vie ». […] Il y a dans Paméla deux endroits fort attendrissants. […] Cette dose me semble plus forte dans Mariage bourgeois que dans les autres pièces de M.  […] La donnée est donc fort simple, mais elle est développée avec une rare puissance verbale et une outrance étonnamment soutenue.

617. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

Il ne la savait point, mais il la devinait par la forte intuition de son génie. […] Le sujet a été plus fort que les ressources de son esprit. […] Si on vivait fort, on ne s’ennuierait pas. Mais voilà précisément le cas fâcheux de ce grand Gœthe : il n’a pas la puissance de nous faire vivre fort. […] si après avoir écrit cela il est impossible à Gœthe de se croire un sot, c’est qu’il est plus fort que Voltaire.

618. (1929) Critique et conférences (Œuvres posthumes III)

Dès lors, une forte et combien douce amitié nous unit étroitement, car nos caractères sympathisaient singulièrement. […] Et bien d’autres gentillesses, mais fortes et savoureuses. […] et c’est ainsi qu’on va à la postérité, quand on a, outre la verve qui importe, la bonne et forte volonté d’encore mieux faire, toujours ! […] Le Révérend Père Sabela prêchait avec un fort accent tudesque, mais très correctement et non sans émouvoir son assistance. […] Dès lors une forte amitié nous unit.

619. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 504

Ses ouvrages de Biographie sont aujourd’hui fort négligés, indifférence que cet Auteur n’eût pas dû éprouver. […] Le style de son Histoire de l’Eglise est fort au dessous de la gravité du sujet ; les récits qu’il y fait entrer, la déparent entiérement.

620. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Mais j’en connais plusieurs, d’un esprit fort différent. […] Je la signale comme une œuvre originale et forte. […] Je tiens d’une personne fort spirituelle et fort sensée que la gaieté est la forme la plus aimable du courage. […] Mais je suis fort occupé des soins du gouvernement. […] Rome eut des idées simples, fortes, peu nombreuses.

621. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

Gérome, il faut bien le dire, n’a jamais été forte ni originale. […] Dans de plus fortes proportions aujourd’hui, M.  […] Ici, mon cher ami, je suis obligé, je le crains fort de toucher à une de vos admirations. […] Il y a de lui un paysage fort simple : une chaumière sur une lisière de bois, avec une route qui s’y enfonce. […] Tout le monde a loué fort justement son Taureau romain ; c’est vraiment un fort bel ouvrage ; mais, si j’étais M. 

622. (1929) La société des grands esprits

Dans tout son ouvrage, il soutient des propositions fort dangereuses de son temps. […] Le grand Condé, assez esprit fort, désira voir Spinoza. […] Il doute fort de l’immortalité de l’âme et de son existence distincte. […] Des phrases me font pâmer qui leur paraissent fort ordinaires… ». […] La plaisanterie, un peu forte, n’avait aucune chance de réussir.

623. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

Il n’était pas fort tendre ; il bousculait parfois ses petites sœurs. […] Cet art suprême devenu invisible s’est cherché fort longtemps. […] Depuis plusieurs années, Lamartine était fort répandu dans les salons aristocratiques. […] C’est une de ces preuves de pur sentiment, qui sont les plus faibles ou les plus fortes selon les cas. […] Chanter comme on respire, cela est exquis ; mais soutenir cet exercice comme il le fit, cela est fort.

624. (1930) Le roman français pp. 1-197

Ils marquent seulement les faits individuels ou sociaux d’un trait si fort qu’ils en deviennent inoubliables. […] Trois mentons, et, sans mentir, l’air d’un fort marchand de porcs. » Tel est le portrait qu’en fait Gozlan. […] Henry Bordeaux, dans le cas aussi, à plus forte raison, de M.  […] C’est qu’il est déjà fort ancien, vieux d’une quarantaine d’années. […] L’œuvre est remarquable : une des plus vigoureuses, des plus fortes qui aient paru dans ces dernières années.

625. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxiiie entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff »

une forte tête. […] vraiment, cela se trouve fort à propos. […] Le voyage s’accomplit du reste fort heureusement ; le seul accident qui arriva n’eut point de suites fâcheuses. […] Mais il est fort possible que le lecteur ne sache point ce que ce terme signifie. […] — Il est fort, me répondit l’apparition.

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