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487. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre II. Utilité de l’ordre. — Rapport de l’ordre et de l’originalité »

Il ne faut pas se croire trop aisément leur parent et leur pareil ; il faut aller avec le vulgaire et penser qu’on en est, tant qu’on n’a pas de fortes preuves du contraire. […] Un moindre génie, qui sait ordonner ses inventions, touche plus sûrement le but, fait une œuvre plus forte et plus belle qu’un grand esprit qui dédaigne ce soin asservissant. […] Il abondera dans son sens, et, suivant le fil de son idée, il s’éloignera insensiblement du droit chemin, et se retrouvera soudain fort loin du but. […] Selon la disposition qui leur est assignée, les idées sont faibles ou fortes, fécondes ou stériles, non point en apparence, mais en effet.

488. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Madame Therbouche » pp. 250-254

Ce n’est pas le talent qui lui a manqué, pour faire la sensation la plus forte dans ce pays-ci, elle en avait de reste, c’est la jeunesse, c’est la beauté, c’est la modestie, c’est la coquetterie ; il fallait s’extasier sur le mérite de nos grands artistes, prendre de leurs leçons, avoir des tétons et des fesses, et les leur abandonner. […] Cette femme pense qu’il faut imiter scrupuleusement la nature ; et je ne doute point que si son imitation était rigoureuse et forte et sa nature d’un bon choix, cette servitude même ne donnât à son ouvrage un caractère de vérité et d’originalité peu commun. […] Ses autres portraits sont froids, sans autre mérite que celui de la ressemblance, excepté le mien qui ressemble, où je suis nu jusqu’à la ceinture, et qui, pour la fierté, les chairs, le faire, est fort au-dessus de Roslin et d’aucun portraitiste de l’académie. […] Comme depuis le péché d’Adam on ne commande pas à toutes les parties de son corps comme à son bras, et qu’il y en a qui veulent quand le fils d’Adam ne veut pas, et qui ne veulent pas quand le fils d’Adam voudrait bien ; dans le cas de cet accident, je me serais rappellé le mot de Diogène au jeune lutteur : mon fils, ne crains rien, je ne suis pas si méchant que celui-là. si cette femme s’est un peu promenée au sallon, elle aura vu passer avec dédain devant des productions fort supérieures aux siennes, et pueri nasum… etc., et elle s’en retournera un peu surprise de la sévérité de nos jugemens, plus sociable, plus habile, et moins vaine.

489. (1925) Proses datées

Mallarmé avait des goûts fort simples, mais que relevait celui de la perfection. […] Une forte barbe blanche couvrait les joues et le menton. […] M. de Lamartine y était fort populaire et son arrivée y était un événement d’importance. […] C’est un fort beau palais que ce Labia et vous le trouvâtes, il me semble, fort à votre gré. […] Il y a de fort bons tableaux à Venise et vous sûtes les distinguer.

490. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Bathild Bouniol »

L’image, qui presque partout (et même en philosophie) a culbuté l’idée, l’image, dans ce poète dépaysé, n’a ni la puissance ni l’imprévu qui nous enlèvent ; on la connaît, on l’a déjà vue… Enfin, ce rhythme dont nous parlions tout à l’heure, et qui est d’un travail si agencé et si merveilleux sous la plume de Gramont, cette guirlande flexible et forte que tout poète moderne semble tenu d’enlacer et de sertir autour de sa pensée, tant les travaux sur le rhythme et la langue du mètre ont été multipliés en ces derniers temps, Bouniol, s’il ne le dédaigne, semble l’oublier ; et c’est ainsi qu’il se présente tout d’abord, modeste et hardi, dans son livre, dénué des trois forces de la poésie telle que l’Imagination l’aime et la veut au xixe  siècle. […] car les satiriques ne manquent pas à la littérature française, mais aucun de ceux-là qui l’ont illustrée n’ont le caractère de force douce, comme l’est la vraie force, qui distingue la poésie satirique de ce chrétien qui trempe son fouet dans l’huile de la charité avant de frapper, et qui n’en frappe que plus fort après. […] Seulement, quelque idée qu’on s’en fasse, on n’aura une notion juste du mouvement de cet esprit qui, si nous ne nous trompons, a le signe des forts : l’abondance, qu’en lisant dans le livre même : La France devant Dieu, Le Souverain et les sujets, La Leçon d’anatomie, La Barricade, Le Théâtre, La Peste littéraire, Les Catastrophes, Le Journaliste, Le Doigt de Dieu dans les révolutions, La Graine du Comédien, L’Amour des bêtes, Comment on se marie, La Morgue, et tant d’autres morceaux dont les titres seuls attestent éloquemment la largeur de circonférence dans laquelle l’auteur de la Croisade étend les rayons de son observation poétique.

491. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

Son talent d’écrivain sortit tout brillant et coloré du milieu de ses fortes études, comme un fleuve déjà grand s’élance du sein d’un lac austère. […] L’orgueil est immense de sa nature : il détruit tout ce qui n’est pas assez fort pour le comprimer ; de là encore les succès de ce prosélytisme. […] N. aurait les griffes assez fortes pour la retenir dans le moment présent, croyez-vous que ce fût pour longtemps ? […] Mais chez lui les défauts de goût, notez-le bien, ne sont que passagers, pas beaucoup plus forts, après tout, que ceux de Montesquieu lui-même. […] Malgré tout ce qu’on me dit, je suis fort en peine, non pas tant pour cette blessure de Troyes que pour tout ce qui a suivi ; car il fait chaud dans cette France.

492. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Là encore il est un fort honnête homme. […] Ce soir-là, je m’en allai fort perplexe. […] Si j’y arrive, ce sera déjà fort beau. […] Zola me semble fort méritoire. […] Zola, il est fort extravagant et fort plat en même temps.

493. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

Taine regrettant les superbes et tranquilles Vénus, « fortes comme des chevaux » ? […] Cette division se fera, comme elle se fait toujours en musique, à l’aide d’un temps fort que marquera la voix. […] Le temps fort, multipliant ainsi l’accent tonique, constituera la césure. […] Dans cette phrase la sixième note (hémistiche) tombe sur le temps fort de la première mesure, et la douzième sur le temps fort de la seconde. […] Elle présente des rapports numériques complexes, qui sont fort désagréables à l’oreille.

494. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

D’autre part, le style simple est fort souvent figuré, par la raison qu’il n’est pas abstrait ; plus une langue est populaire, plus elle est concrète et riche en images ; seulement ce ne sont pas des images cherchées, mais empruntées au réel. […] Son style, c’est sa pensée elle-même, et, comme cette pensée est toujours grande et forte, son style aussi est toujours grand, solide et fort. […] Un membre de phrase plus long contient souvent une idée ou une image plus forte ou plus importante. […] Réduire la poésie à cette gymnastique de rimes, y subordonner tout le reste, pensées et sentiments, c’est ce que, fort heureusement, Hugo n’a point fait, et ce que ses prétendus imitateurs veulent faire. […] Renan fait un si grand éloge.Ce serait le style vraiment fort d’une littérature de vérité, un style exempt du jargon à la mode, prenant une solidité et une largeur classiques.

495. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

Debidour l’a fort lumineusement démontré, qui aurait pu le désirer ? […] On se battit fort. […] Successivement le Sénat et la Chambre adoptèrent la « manière forte » de M.  […] Elle le déteste et elle le redoute, parce qu’il est fort ; et parce qu’étant fort, il n’a aucun besoin de se soumettre à elle et lui échappe. […] Mais vous ne tenez ni à être chrétiens ni à être forts.

496. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

Il faut donc qu’elle ait crû ce tour fort honnête, et je n’ai qu’à l’en remercier. […] On se fait fort de ces trois mille ans de suffrages. […] de l’unité d’action. l’unité d’action fait sans doute un fort bel effet dans un poëme. […] Il semble même que les dieux qui se déclarent pour les grecs, soient plus forts que les autres. […] Voilà un zêle fort loüable, s’il étoit bien placé ; mais qu’est-ce au fond que ce secret que je révele ?

497. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

« Ils y vont la plupart fort pauvres et y pillent le plus qu’ils peuvent. […] Ils ont beaucoup de mémoire, écrivent d’une manière nette et concise ; ils comprennent fort « vite. […] Il est fort poli, fort prudent, presque obséquieux, mais absolu dans ses goûts, qu’il appelle des principes ; il admirait tout avec des superlatifs, et je le conduisais, un peu embarrassé de son admiration. […] Ces émotions ont été en moi fort précoces et fort vives, parce que j’habitais sur la frontière de deux pays, l’un vert et beau, l’autre terne et laid, à Vouziers, limite de la terre blanche et de la terre brune. […] Un matin, nous apprenons qu’un vieux château fort délabré, fort en désarroi, et situé du côté du midi, sur nos derrières, va recevoir comme propriétaire un proche parent de la maison aux douze fusils, en sorte qu’à l’occasion, déjà fusillés en pleine poitrine, nous pourrons bien être fusillés dans le dos.

498. (1892) Impressions de théâtre. Sixième série

Ai-je besoin de vous dire qu’elle a été fort amusante ? […] Monval se dispensera fort sagement d’avoir une opinion politique. […] On se dit : « Comme il est fort ! […] Mme Ducler est une fort gracieuse et fort aimable jeune femme. […] Il la repousse fort brutalement.

499. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

En 1688, Bossuet publia son Histoire des Variations des Églises protestantes, qui fut fort attaquée par les protestants français et étrangers, par Basnage, Burnet, et surtout Jurieu. […] Alors, sur le conseil de Fénelon, elle invoqua l’arbitrage de Bossuet, qui, fort occupé d’ailleurs, et peu mystique de sa nature, n’entra dans l’affaire qu’avec répugnance. […] Avec sa forte intelligence, ce fut toujours une âme candide, presque naïve. […] Car il unit à un fond d’amples ou profondes vérités, de principes universels et transcendants, une forme concrète, colorée, vivante, de fortes et nettes images, des symboles immenses et saisissants. […] L’église de la rue Saint-Antoine était trop petite quand il prêchait, et les lettres de Mme de Sévigné nous attestent la forte impression qu’il faisait.

500. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Mais les choses sont fort compliquées, impossibles à prévoir et à diriger à notre gré. […] Les philosophes, pour des raisons de métier, d’une part, et d’autre part, sous la pression de l’instinct social, en ont fort exagéré l’importance. […] La société, étant la plus forte, pourrait lui répondre très brièvement si elle lui parlait avec la même franchise ; « Ce que tu dis est vrai ; seulement je n’ai pas à en tenir compte. […] Sans doute s’il est intelligent et d’esprit souple, ou simplement si l’esprit social est encore assez fort en lui, le criminel pourra fort bien apprécier les raisons de la société. […] Elle ordonne, elle prononce son « sic jubeo » parce qu’elle n’a pas de raison assez forte à faire valoir.

501. (1895) Les confessions littéraires : le vers libre et les poètes. Figaro pp. 101-162

Si elle est noble, pure et forte — comme pour Lamartine et Vigny — le chef-d’œuvre est promis. […] — parce qu’ils sont fort beaux. […] — Une fort malencontreuse coquille s’est glissée au début du fragment inédit de M.  […] Je suis dans un ̃pays où les communications sont fort difficiles, et votre lettre m’est arrivée avec quelque retard. […] Pour des raisons diverses, et souvent peu louables, les uns et les autres ont fort embrouillé la question.

502. (1903) Le problème de l’avenir latin

Or, en pays germain, la foi nouvelle ne pénétra que fort tard — première différence. […] Un peuple sain est un peuple fort, virtuellement au moins. […] C’est une part fort importante de la besogne générale : mais une part seulement. […] Il risquerait fort d’être emporté dès le premier jour. […] Nous serions alors les victimes d’un destin plus fort que nous.

503. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mort de M. Vinet »

Profondément estimé en France de tous ceux qui avaient lu quelques-uns de ses morceaux de morale et de critique dans lesquels une pensée si forte et si fine se revêtait d’un style ingénieux et savant, il laisse un vide bien plus grand que la place même qu’il occupait, et il serait impossible de donner idée de la nature d’une telle perte à quiconque ne l’a pas vu au sein de ce monde un peu extérieur à la France, mais si étendu et si vivant, dont il était l’une des lumières. […] Il n’est point de petites patries, et le cœur surtout n’y bat ni moins vite ni moins fort que dans les grandes. […] Druey, par exemple, homme d’une intelligence puissante et un peu grossière, d’une forte éducation allemande, une espèce de sanglier hégélien : les autres étaient purement socialistes et radicaux dans le sens politique et non philosophique.

504. (1874) Premiers lundis. Tome II « L. Bœrne. Lettres écrites de paris pendant les années 1830 et 1831, traduites par M. Guiran. »

Cette comparaison, qu’un célèbre critique anglais, Hazlitt, a déjà appliquée fort heureusement au poète Wordsworth, ne saurait convenir à l’allure ferme et serrée, à la touche contenue et approfondie du peintre d’Inès et de Catalina. […] … » Nous signalerons un portrait fort spirituel de M. de Talleyrand. […] La poésie ne rassasie aucun prince, et s’il a un cœur faible qui ne puisse rien digérer de fort, il s’affaiblit lui-même. » M. 

505. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les brimades. » pp. 208-214

Cela est fort bien, cela est fort estimable : cela n’est pas éblouissant. […] C’est un fort travailleur qui avait un petit don, et que le fantasque hasard des examens a favorisé ; voilà tout. […] Je crois d’ailleurs que, si les amitiés y sont fortes, la « camaraderie » proprement dite y est moindre qu’à l’X.

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