Grote au suprême degré, dans les premiers volumes où je viens de l’étudier, c’est une rectitude de bon sens et de bon esprit, qui, purgée de toute idée préconçue et de toute superstition traditionnelle, examine, pèse, discute et n’avance rien qui ne lui paraisse probable ou possible ; là où il doute, il le dit, et comme l’incertitude est partout à cette origine de l’histoire grecque qui débute par la mythologie, il ne nous donne d’abord aucune histoire, il ne nous propose aucune explication ni interprétation ; il se borne à exposer chaque récit mythique dans toute son étendue et avec ses variantes, tel que les Grecs se le racontaient entre eux. […] Malgré tout, l’Iliade, non pas lue comme la lisait Ronsard, en trois jours, avec ce degré de chaleur et d’intérêt qui s’attache à une lecture plus ou moins courante, mais examinée et relue avec des yeux ennemis, avec des yeux de critique, armés du microscope, l’Iliade laisse voir bien des contradictions, en effet, des disparates, des hors d’œuvre, des superfétations, des sutures plus ou moins habiles.
L’indépendance des idées est nécessaire à l’indépendance de l’admiration. » Ils veulent du présent, du vif, du saignant dans les œuvres : « En littérature, on ne fait bien que ce qu’on a vu ou souffert. » L’Antiquité leur paraît encore à juger ; ils ne paraissent accepter rien de ce qu’on en dit ; ils croient que tout est à revoir, et que le procès à instruire n’est pas même commencé ; ce respect du passé en littérature, ce culte des anciens à tous les degrés, qu’il s’agisse des temps d’Homère ou du siècle de Louis XIV, est, selon eux, la dernière des religions qu’on se prendra à examiner et à percer à jour : « Quand le passé religieux et politique sera entièrement détruit, peut-être commencera-t-on à juger le passé littéraire. » Ils ne font grâce entre les anciens qu’à Lucien, peut-être à Apulée, à cause de l’étonnante modernité qu’ils y retrouvent : ce sont pour eux des contemporains de Henri Heine ou de l’abbé Galiani. […] Hommes d’observation, de sincérité et de hardiesse, ils se sont fait une doctrine à leur usage : ils se sont dit de ne pas répéter ce qui a été dit et fait par d’autres ; ils vont au vif dans leurs tableaux, ils pénètrent jusqu’au fond et aux bas-fonds ; ils veulent noter la réalité jusqu’à un degré où on ne l’avait pas fait encore ; ils tiennent, par exemple, à copier et à reproduire la conversation du jour et du moment, les manières de dire et de parler si différentes de la façon d’écrire, et que les auteurs, d’ordinaire, ne traduisent jamais qu’incomplètement, artificiellement ; ils ne reculent pas au besoin devant la bassesse des mots, fussent-ils dans une jolie bouche et du jargon tout pur, confinant à l’argot ; ils imitent, sans rien effacer, sans faire grâce de rien ; ils haïssent la convention avant tout ; pas d’école : « Aussitôt qu’il y a l’école de quelque chose, ce quelque chose n’est plus vivant. » Ils haïssent la fausse image et le ponsif du beau : « Il y a un beau, disent-ils, un beau ennuyeux, qui ressemble à un pensum du beau. » Très-bien : Je les comprends, je les approuve, je les suis volontiers, ou à très-peu près, jusque-là.
Le problème moral que soulève le personnage de Talleyrand, en ce qu’il a d’extraordinaire et d’original, consiste tout entier dans l’assemblage, assurément singulier et unique à ce degré, d’un esprit supérieur, d’un bon sens net, d’un goût exquis et d’une corruption consommée, recouverte de dédain, de laisser-aller et de nonchalance. […] Napoléon, dans ce tête-à-tête avec Rœderer, se promenant de long en large, s’animait par degrés, et parlant du contenu de ces lettres : « Il y dit qu’il veut aller à Morfontaine, plutôt que de rester dans un pays acheté par du sang injustement répandu… Et qu’est-ce donc que Morfontaine ?
Hier encore (mai 1868), il m’insultait sans nécessité, sans motif suffisant129 ; il ne se disait pas que j’étais son confrère, que je l’avais toujours salué et respecté en public ; que j’avais allumé le premier un cierge à sa chapelle de sainte Élisabeth ; que je l’avais célébré orateur dans le Constitutionnel, journal habituel des voltairiens ; que, si hautain et aristocratique de nature qu’on soit, un peu de sympathie envers les bonnes gens d’une autre étoffe que nous n’est jamais un tort ; que si, depuis quelques années, il est éprouvé, je le suis aussi, et que cela peut-être devait faire un lien ; que là où la Providence a jugé à propos de le frapper douloureusement, la nature aussi m’a affligé presque de la même manière ; que nous sommes à quelque degré compagnons de maux… Mais M. de Montalembert répondra qu’il sévit au nom des principes. — Les principes, soit ; mais à la condition qu’ils ne se séparent jamais de l’humanité ! […] Les véhémences et les splendeurs de ce talent, il les a autant que jamais et au même degré ; son théâtre oratoire lui manquant, il les a retrouvés et ressaisis par sa plume ; il les applique diversement et avec une vigueur égale dans ses grands morceaux de considérations politiques et dans ses livres.
Je confesserai pourtant, avant d’aller plus loin, ma faiblesse : je suis de ceux qui ont toujours reculé devant cette poésie Louis XIII, et je n’ai jamais pu m’en inoculer le goût ; tout en désirant qu’il s’en écrivît une histoire exacte et critique, et en croyant qu’il en résulterait des jours curieux et utiles sur la formation définitive du genre Louis XIV, il m’a été impossible d’admirer à aucun degré (j’excepte bien entendu Corneille et Rotrou) aucun de ces poëtes. […] Gautier a pu arriver de gaieté de cœur à ce degré d’injustice.
Quand il abordait l’histoire de France, il voyait dans l’affranchissement des communes « une véritable révolution sociale, prélude de toutes celles qui ont élevé graduellement la condition du Tiers État » : remontant plus haut, il crut trouver dans l’invasion franque « la racine de quelques-uns des maux de la société moderne : il lui sembla que, malgré la distance des temps, quelque chose de la conquête des barbares pesait encore sur notre pays, et que des souffrances du présent on pouvait remonter, de degré en degré, jusqu’à l’intrusion d’une race étrangère au sein de la Gaule, et à sa domination violente sur la race indigène ».
Aussi regarde-les, ceux qui ont passé par ses mains, à part quelques révoltés comme Herscher qui, dans sa haine du convenu, tombe à l’excessif et à l’ignoble, comme moi qui dois à cette vieille bête mon goût du contourné, de l’exaspéré, ma sculpture en sacs de noix, comme ils disent… tous les autres, abrutis, rasés, vidés… » Bien candide, ce bon Védrine… J’ai eu l’honneur d’être professeur de rhétorique, ce qui est un métier fort amusant ; et je jure devant Dieu que je n’ai jamais étouffé le génie et que je n’ai jamais vu personne l’étouffer autour de moi… Tous les autres personnages sont, à des degrés divers, vivants et vrais ; mais quelques-uns avec un peu d’inattendu et comme des trous, des solutions de continuité dans leur psychologie, Voici l’historien Astier-Réhu, Oh ! […] Au contraire, ce qui manque à son roman, je serais presque capable de l’y mettre, et le père Astier-Réhu lui-même saurait nous le dire et nous le développer… Le seul don de l’expression pittoresque, à un pareil degré, me fait passer aisément sur une psychologie peut-être sommaire et sur un certain manque de renanisme… Et puis, je ne sais plus.
L’oreille, l’œil, trouvent leur plaisir dans le rapport harmonique de deux sons ou de deux couleurs ; mais ici c’est pour ainsi dire le plus haut degré de consonance que l’âme puisse percevoir, car en même temps toutes ses puissances sont en jeu : l’imagination, les sens sont séduits, satisfaits par un des termes de la comparaison ; la raison spéculative ou le sens du beau moral, par l’autre ; et ce double plaisir est encore surpassé par celui qui naît simultanément du rapport entre les deux termes, c’est-à-dire de la similitude même. […] On sent combien cette manière, qui est le dernier degré du symbolisme de style, est compréhensive, poétique, précisément parce qu’elle est indéfinie, mais en même temps vague et obscure.
La dernière lettre qu’il lui adresse (12 octobre 1803) est remplie d’une tendresse émue ; on y sent comme une révélation, longtemps contenue, qu’il se fait enfin à lui-même ; il ne s’était jamais dit encore à ce degré combien il l’aimait, combien elle lui était nécessaire : Tout mon esprit, écrivait-il, m’est revenu ; il me donne de grands plaisirs ; mais une réflexion désespérante les corrompt : je ne vous ai plus, et sûrement je ne vous aurai de longtemps à ma portée pour entendre ce que je pense. […] Il avait à un trop haut degré le sentiment du parfait et du fini : Achever sa pensée !
L’abbé Lacordaire est du siècle à un certain degré, je l’ai dit, et il le reconnaît avec une grâce touchante : Dieu nous avait préparé à cette tâche en permettant que nous vécussions d’assez longues années dans l’oubli de son amour, emporté sur ces mêmes voies qu’il nous destinait à reprendre un jour dans un sens opposé. […] Il est généreux, en un mot, pour tous ceux qui croient à quelque degré.
Avant lui, le seul La Fontaine, chez nous, avait connu et senti à ce degré la nature et ce charme de la rêverie à travers champs ; mais l’exemple tirait peu à conséquence ; on laissait aller et venir le bonhomme avec sa fable, et l’on restait dans les salons. […] La sensualité de pinceau, à ce degré, ne saurait déplaire ; elle est sobre encore et n’est pas masquée, ce qui la rend plus innocente que celle dont bien des peintres ont usé depuis.
Voltaire, le premier, l’avait dénoncé au monde avec un sentiment de respect, chez lui bien rare, et qu’il n’a éprouvé à ce degré pour aucun de ses contemporains. […] Voltaire lui-même, si clair et si limpide, n’a pas à ce degré, dans les termes qu’il emploie, de ces empreintes de justesse et d’acception.
Cela sent un reste de mauvais goût natif et de grossièreté septentrionale, et l’on a pu dire, avec une juste sévérité, des lettres de Frédéric : « Il y a de fortes et grandes pensées, mais tout à côté il se voit des taches de bière et de tabac sur ces pages de Marc Aurèle. » Frédéric, qui avait du moins le respect des héros, a dit : « Depuis le pieux Énée, depuis les croisades de saint Louis, nous ne voyons dans l’histoire aucun exemple de héros dévots. » Dévots, c’est possible, en prenant le mot dans le sens étroit ; mais religieux, on peut dire que les héros l’ont presque tous été ; et Jean Muller, l’illustre historien, qui appréciait si bien les mérites et les grandes qualités de Frédéric, a eu raison de conclure sur lui en ces mots : « Il ne manquait à Frédéric que le plus haut degré de culture, la religion, qui accomplit l’humanité et humanise toute grandeur18. » Je ne veux plus parler aujourd’hui que de Frédéric historien. […] Il a manqué à ce roi consommé de monter un degré de plus sur la hauteur pour recevoir au front le rayon qui dore et aussi celui qui éblouit.
… Il se dira encore : « Quiconque n’est pas poète à vingt ans ne le deviendra de sa vie… Tout homme qui n’est pas né français, ou habitué depuis longtemps à Paris, ne saurait posséder la langue au degré de perfection si nécessaire pour faire de bons vers ou de la prose élégante. » Il se comparera aux vignes « qui se ressentent toujours du terroir où elles sont plantées ». […] Qu’on dise à présent si celui qui sentait à ce degré Voltaire, et qui trouvait de ces façons françaises pour lui insinuer les douceurs après l’amertume, n’était pas l’homme de son temps qui avait le plus d’esprit à côté et en face de Voltaire !
L’héroïde n’était pour La Harpe qu’un degré pour arriver à la tragédie. […] Ceux qui ont été habitués dès l’enfance à entendre parler de La Harpe comme d’un oracle, d’un dictateur du goût, et du Quintilien français, seront étonnés de voir à quel degré de discrédit il était tombé à ce moment.
Théophile Gautier, qui se plaît à déployer plus que jamais dans ses rimes de sculpteur ou de peintre les opulences de la nature corporelle et de la matière vivante ; c’est le luxe et la floraison du genre porté au dernier degré de l’épanouissement. […] M. de Laprade possède au plus haut degré ce qui manque trop à des poètes de ce temps, distingués, mais courts ; il a l’abondance, l’harmonie, le fleuve de l’expression ; il est en vers comme un Ballanche plus clair et sans bégayement, comme un Jouffroy qui aurait reçu le verbe de poésie.
Ils restent d’abord un peu au-dessous de leur modèle ; peu à peu ils s’en écartent davantage ; du quatrième degré de portraitiste, de copiste, ils se ravalent au centième. […] Je prétens que la raison principale pour laquelle les arts n’ont pu dans aucun siècle, chez aucune nation atteindre au degré de perfection qu’ils ont eue chez les grecs ; c’est que c’est le seul endroit de la terre où ils ont été soumis au tâtonnement ; c’est que, grâce aux modèles qu’ils nous ont laissés, nous n’avons jamais pu, comme eux, arriver successivement et lentement à la beauté de ces modèles ; c’est que nous nous en sommes rendus plus ou moins servilement imitateurs, portraitistes, et que nous n’avons jamais eu que d’emprunt, sourdement, obscurément le modèle idéal, la ligne vraie ; c’est que si ces modèles avaient été anéantis, il y a tout à présumer qu’obligés comme eux à nous traîner d’après une nature difforme, imparfaite, viciée, nous serions arrivé comme eux à un modèle original et premier, à une ligne vraie qui aurait été bien plus nôtre, qu’elle ne l’est et ne peut l’être : et pour trancher le mot, c’est que les chefs-d’œuvre des anciens me semblent faits pour attester à jamais la sublimité des artistes passés, et perpétuer à toute éternité la médiocrité des artistes à venir.
. — Le titre de frère, donné à un camarade, caractérise l’amitié à son plus haut degré. […] C’est encore le cas, quoique à un moindre degré, puisqu’elle a déjà le pouvoir de fait, pour le dévouement de la reine Aoura Pokou sacrifiant son fils au fleuve Comoé dans le conte rapporté par Delafosse.
L’éclat de nos armes rajeuni ; la bonne foi de nos négociations attestée par nos juges les plus prévenus ; la France replacée, parmi les autres nations, au rang qui lui appartient ; le trône à jamais raffermi sur un sol qu’aucune secousse n’ébranlera plus ; et le crédit public s’élevant à un degré de prospérité inouï parmi nous : voilà des faits réels, constants, irrécusables, qui ont ouvert bien des yeux et changé bien des cœurs. […] Il est, dans les arts, un excès de naturel qui est la pire des affectations, et un degré de vérité niaise ou abjecte qui ferait préférer une élégante imposture.