L’énonciation précise et immédiate d’un concept métaphysique ne va pas sans une sécheresse qui répugne au rythme, et ses lignes abstraites ne peuvent se montrer sous les formes harmonieuses et les couleurs de l’œuvre d’art. […] En l’impuissance de leur rêve Et languides sous la langueur De leur ciel morne et sans couleur, Elles regarderont sans trêve Les brebis des tentations S’éloigner lentes, une à une, En l’immobile clair de lune Mes immobiles passions. […] Encore, si l’unité formelle de l’ensemble est malaisée à saisir, on y découvre sans peine une unité générale d’impression, l’unité parfaite du style, avec une certaine atmosphère morale qui ne cesse de prêter sa couleur à toute l’œuvre. […] Elle ne reporte guère chez lui à la chose présente, car elle n’arrête que rarement à un détail particulier et son apparition est trop rapide et trop intermittente pour faire retomber l’illusion évoquée ; mais, s’alliant avec le rythme personnel et la couleur d’esprit de ce poète, elle donne souvent à la strophe une puissance dont l’énergie inattendue ne permet point de sentir qu’elle rompt la trame de l’harmonie : elle est la sœur et la fille de cette morale de l’action qu’elle accompagne.
Puis-je d’abord mettre d’un côté la blancheur et de l’autre la couleur ? […] Ôtez ce que cette sensation a d’individuel, vous la détruisez tout entière ; vous ne pouvez pas négliger la blancheur, et réserver ou abstraire la couleur ; car, une seule couleur étant donnée, qui est une couleur blanche, si vous ôtez celle-là, il ne vous reste absolument rien en fait de couleur. […] Combien de nuances dans la couleur, quelles richesses dans les moindres détails ! […] On ne désire guère une couleur plus vive, et l’expression est divine. […] Dira-t-on qu’il doit à la Flandre sa couleur ?
Pierre Camo, de sa terre natale a retenu le sens des couleurs, des parfums, l’harmonie voluptueuse des paysages. […] « Parcourons la table des Balcons sur la Mer : chaque titre évoque une couleur ou une forme nettes. […] John-Antoine Nau, dont les vers ont d’étranges couleurs, M. […] Malgré l’abus fréquent de la couleur et le trop de « Princesses de luxure », venues davantage de Jean Lombard que d’Ézéchiel, il faut lui reconnaître un emportement, une fougue trop rares désormais. […] Ce ne sont ni les sujets ni les couleurs qui manquent aux épopées.
« La figure était couleur de terre, les lèvres boursouflées et sèches, la langue ridée ; la peau rugueuse…, les yeux agrandis et liquoreux qui brûlaient d’un éclat fébrile dans cette tête de squelette hérissée de poils. […] Sans doute pour entourer son expérience de plus de couleur locale — car le déplacement n’était pas nécessaire pour se procurer la « fumée brune » — il alla passer deux ans en Extrême-Orient. […] Catulle Mendès fut plus indulgent ; il a conservé de ses expériences d’antan d’ingénieux souvenirs, comme celui qu’il a bien voulu lui-même nous détailler et qui indique très nettement le désir d’analyse poursuivant l’artiste : alors que, de concert avec Villiers de l’Isle-Adam, il s’essayait aux « Paradis artificiels », une vision obsédante, identique à elle-même, le hantait tous les soirs : dans une forêt dense et pourtant lumineuse, des arbres sans feuillage dressaient d’un seul jet leurs troncs cylindriques luisant comme de l’or, le long desquels montaient et descendaient, alternativement, de grands singes couleur d’émeraude.
Il trouve des charmes variés ou les autres n’apperçoivent qu’une couleur triste & uniforme. […] Son spectacle et celui de la Nature, c’est-là qu’il prépare ses pinceaux, & qu’il broye ses couleurs. […] Active imagination, tu es la source & la gardienne de nos plaisirs ; ce n’est qu’à toi que nous devons l’agréable illusion qui nous flatte ; tu sçais fournir à notre cœur les plaisirs dont il a besoin ; tu rappelles nos voluptés passées, & tu nous fais jouir de celles que l’avenir nous promet ; tu plais sur-tout à l’esprit ; c’est ta flamme subtile & légere qui colore & les Cieux & la terre & les Mers ; sans toi l’ame se refroidit, la fleur la plus précieuse de notre sensibilité tombe, se fanne, & tous les charmes de la vie disparoissent ; tu distingues dans les Arts celui qui est né avec du génie ; la pensée la plus profonde s’évanouit, si elle n’est revêtue de tes couleurs ; tu as peut-être découvert plus de vérités que la raison même, car tu joins la force à l’agrément, la persuasion à l’autorité ; tout ce qui est vif, délicat, riant est de ton ressort ; oui, tu es le miroir heureux où se peignent, se multiplient, s’embellissent tous les objets de la Nature.
on a le droit d’aller chercher partout ses couleurs et de les broyer sur sa palette, mais une palette, fût-elle splendide, ne peut jamais être donnée ou acceptée pour un tableau. […] Or, l’une de ces convictions, et même la plus forte, doit être assurément de croire qu’il possède, lui, Maxime du Camp, l’expression plastique, et la couleur, et la technique de l’auteur d’Émaux et Camées, et qu’il joue avec la puissance de son maître avec tout ce style, difficile à manier, d’un Dictionnaire des Arts et Métiers qui fait le beau ! […] il n’a ni les opinions de sa forme, ni la forme de ses opinions, et par-dessus tout cela il est teinté de saint-simonisme et de fouriérisme, qui, réunis et pour un homme de cette palette, font une assez drôle de couleur.
Quand on voit des insectes phytophages affecter la couleur verte, et d’autres qui se nourrissent d’écorce, un gris pommelé ; le Lagopède Ptarmigan ou Perdrix des neiges (Tetrao lagopus) blanc en hiver, le Coq de Bruyère ou Tétras écossais (T. Scoticus) couleur de bruyère et le Tétras Berkan ou petit Coq de Bruyère (Tetrao Tetrix) couleur de tourbe, il faut bien admettre que ces nuances particulières sont utiles à ces espèces qu’elles protègent contre certains dangers. […] Je ne puis donc douter que la sélection naturelle n’ait été cause de la couleur affectée par chaque espèce de Tétras, et n’ait continué d’agir pour la rendre permanente une fois acquise. […] Il ne faut pas croire non plus que la destruction accidentelle des individus de couleur particulière ne puisse produire que peu d’effet sur une race. Nous avons déjà vu combien il est essentiel dans un troupeau de Moutons blancs de détruire tout agneau portant les plus petites taches noires, et qu’en Floride la couleur décide de la vie ou de la mort des Porcs exposés à manger d’une certaine racine64 ?
Elle est coiffée d’un filet couleur feu, elle porte une robe agrémentée de dessins légèrement cabalistiques, et est couverte de bijoux pareils à des amulettes : un costume de nécromancienne vivant dans le monde des peintres. […] Elle porte rebroussés et relevés très haut, des cheveux bouffants et pommadés qu’on sent gros, et qui lui donnent l’air de ces femmes coloriées dans de petits cadres peints couleur d’or, et qu’on gagne aux macarons. […] Dans leurs impressions en couleur, les Japonais seuls, ont osé ces étranges effets de nature. […] Il a ajouté que dans l’Asie Mineure, pays de hautes montagnes et de plaines inondées une partie de l’année, il existe un brouillard opalisé, dans lequel les couleurs baignent et scintillent comme dans une évaporation d’eau de perle, leur donnant l’harmonie la plus chatoyante… Bref, une poétique palette des Mille et Un Jours. […] Puis une série de changements mourants de nuances, une succession de pâlissantes agonies de couleurs, parmi lesquelles les arbres passent du ton cannelle au ton d’un dessin à la sanguine brûlée, pendant que dans l’ombre de la nuit tombante, de rouge, le ciel devient peu à peu pâlement et froidement blanc.
De plus la couleur des marbres ou des métaux sert à imiter les tons de la chair ou les nuances des vêtements. […] Point de choix ni dans les couleurs, ni dans les expressions. […] La couleur prime la ligne. […] Il assemble les couleurs les plus disparates, comme le fait la réalité elle-même. […] L’orchestre enrichi de timbres nouveaux servit à donner aux airs une sorte de couleur locale.
Alors dans Besançon, vieille ville espagnole, Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole, Naquit d’un sang breton et lorrain à la fois Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ; Si débile, qu’il fut, ainsi qu’une chimère, Abandonné de tous, excepté de sa mère, Et que son cou ployé comme un frêle roseau Fit faire en même temps sa bière et son berceau. […] Cependant Hugo, par son humeur active et militante, par son peu de penchant à la rêverie sentimentale, par son amour presque sensuel de la matière, et des formes, et des couleurs, par ses violents instincts dramatiques et son besoin de la foule, par son intelligence complète du Moyen-Âge, même laid et grotesque, et les conquêtes infatigables qu’il méditait sur le présent, par tous les bords enfin et dans tous les sens, dépassait et devait bientôt briser le cadre étroit, l’étouffant huis clos, où les autres jouaient à l’aise, et dans lequel, sous forme de sylphe ou de gnome, il s’était fait tenir un moment. […] La chute de M. de Chateaubriand mit la désunion dans les rangs royalistes, et une bouffée perdue de cet orage emporta en mille pièces le pavillon couleur de rose, guitares, cassolettes, soupirs et mandores : il ne resta debout que deux ou trois poëtes. […] Dans cette confiante indifférence, le présent échappait inaperçu, la fantaisie allait ailleurs ; le vrai Moyen-Âge était étudié, senti, dans son architecture, dans ses chroniques, dans sa vivacité pittoresque ; il y avait un sculpteur , un peintre parmi ces poëtes, et Hugo qui, de ciselure et de couleur, rivalisait avec tous les deux.
M. de Maistre a beaucoup plus peut-être réfléchi et raisonné sur celui des deux arts auquel il ne doit pas sa gloire : il manie l’autre sans tant d’étude et d’analyse des couleurs. […] L’auteur du Lépreux, de la Jeune Sibérienne et des Prisonniers du Caucase a, sans doute, bien moins de couleur, de relief et de burin, bien moins d’art, en un mot, que l’auteur de la Prise d’une redoute ou de Matteo Falcone, mais il est également parfait en son genre, il a surtout du naïf et de l’humain. […] Dans cette postérité, plus ou moins directe, je me permets à quelques égards de ranger, et je distingue la trop sensible Ourika, chez qui la lèpre n’est du moins que dans cette couleur fatale d’où naissent ses malheurs. […] On y retrouve le même genre d’application délicate que l’auteur avait déjà donnée à la peinture, aux couleurs et au procédé par l’encre de Chine.)
Un coup-d’œil général en rassemblerait utilement plusieurs comme assez voisins de procédé et de couleurs, et comme caractéristiques surtout des goûts du jour. […] De telles pièces où peut pâlir la couleur, mais où chaque mot fut dicté par le sentiment, ne devraient jamais vieillir : Quelle faveur inespérée M’a rouvert les portes du jour ? […] Ses premières poésies attirèrent l’attention dans le moment ; un peu antérieures, par la date de leur publication, à l’éclat de la seconde école romantique de 1828, on les trouva pures, sensibles, élégantes ; on ne les jugea pas d’abord trop pâles de style et de couleur. […] Labinsky, depuis ses premiers essais, n’a pas persévéré par de sérieux efforts, et n’a pas cherché à soutenir, à élargir ses horizons et ses couleurs.
La seule chose que je veuille conclure de ces détails qui assaisonnent en toute occasion la partie aimable des Mémoires de Marmontel, c’est qu’il était de sa nature un peu sensuel et qu’il le laisse voir, ce qui ne nuit pas à l’intérêt et ce qui fait que le lecteur se dit en le suivant : « Le bon homme embellit quelquefois le passé de trop faciles couleurs, mais il s’y montre avec naïveté en somme et tel qu’il était, il ne ment pas ! […] Un de mes amis qui connaît à fond son Limousin prétend que si les nièces de curé et les jeunes filles du pays en général sont fraîches et jolies, elles n’ont nullement de ces airs du Corrège ni de ce parler couleur de rose. […] Cette veine de sensualité ne va pas pour lors plus loin qu’il ne faut chez cette nature honnête ; mais j’y relève surtout l’habitude de voir les choses un peu autrement qu’elles ne sont, de les peindre avec un certain coloris bienveillant et amolli qui n’est pas leur juste couleur ; j’y note, en un mot, cette disposition de l’auteur à marmontéliser la nature. […] Dieu, la vertu, les saintes lois de la morale naturelle, n’y furent jamais mis en doute, du moins en ma présence. » Il en était des sons comme des couleurs : Marmontel adoucissait et amollissait aisément ce qu’il entendait comme ce qu’il voyait.
Nous avons vu, depuis, les inconvénients de la manière opposée, le débordement des couleurs à tout propos, et le déluge des impressions personnelles. […] Son expression, exempte de toute phrase et sobre de couleur, se marque par une singulière propriété et une rigueur parfaite. […] Ce que Volney, dans sa description, n’avait rendu que d’une manière pour ainsi dire géométrique et graphique, Decamps l’a revêtu de couleur, l’a mis en action, et y a versé de toutes parts la splendeur de la nature, l’éclat de la vie. […] Je ne veux pas faire tort à Volney ; je ne prétends point lui imposer la poésie : ce n’est point à Lamartine parcourant les mêmes lieux et les revêtant de ses couleurs trop vastes et de son luxe trop asiatique ; ce n’est pas à Chateaubriand, plus sobre et plus déterminé de contours, mais pittoresque avant tout, que je le comparerai : c’est à un savant de son temps, à un observateur et à un physicien du premier ordre, à l’illustre Saussure visitant, le baromètre et le marteau du géologue à la main, les hautes cimes des Alpes qu’il a comme découvertes.
L’art peut, pour cela, se servir seulement des sensations, qu’il gradue d’une manière plus ou moins ingénieuse, des saveurs, des odeurs, des couleurs. […] L’industrie, après avoir été ainsi l’art primitif des hommes, s’est subtilisée toujours davantage : elle a travaillé sur des matériaux de moins en moins grossiers, depuis le bois et le silex, façonnés par l’artisan des premiers âges, jusqu’aux couleurs mêlées de nos jours sur la palette du peintre ou aux phrases arrangées par le poète et l’écrivain. […] L’émotion artistique est donc, en définitive, l’émotion sociale que nous fait éprouver une vie analogue à la nôtre et rapprochée de la nôtre par l’artiste : au plaisir direct des sensations agréables (sensation du rythme des sons ou de l’harmonie des couleurs) s’ajoute tout le plaisir que nous tirons de la stimulation sympathique de notre vie dans la société avec les êtres d’imagination évoqués par l’artiste. […] Les couleurs ont d’ailleurs par elles-mêmes, comme le fait observer Fechner, une valeur symbolique, expressive de la vie et des sentiments, par conséquent des mouvements mêmes.
Sainte-Beuve une unité de substance poétique, un effet d’ensemble dans le sentiment et la couleur, tout-puissant sur l’imagination, puisqu’il la frappe toujours à la même place, et bien préférable à une discordante variété. […] Les Rayons jaunes, admirable merveille d’optique d’âme dans le spleen, qui étend sur tout la couleur de sa rêverie ! […] Le monde extérieur qu’il décrit passe à travers son âme malade, avant d’éclore sous son pinceau, y charrie des couleurs prises à cette âme envenimée, et sa peinture n’en est que plus vraie, car, au lieu d’une, elle exprime deux vérités. […] Fruits sans saveur, sans couleur, sans parfum !
Puis des taches de diverses couleurs, quelquefois ternes, quelquefois aussi d’un éclat singulier. […] Mais il s’en faut que les sons tiennent autant de place que les formes et les couleurs dans la plupart des songes. […] Il est intéressant de voir comment les sensations de pression, remontant jusqu’au champ visuel et profitant de la poussière lumineuse qui l’occupe, peuvent s’y transposer en formes et en couleurs. […] Eh bien, parmi les souvenirs-fantômes qui aspirent à se lester de couleur, de sonorité, de matérialité enfin, ceux-là seuls y réussiront qui pourront s’assimiler la poussière colorée que j’aperçois, les bruits du dehors et du dedans que j’entends, etc., et qui, de plus, s’harmoniseront avec l’état affectif général que mes impressions organiques composent.
Beaucoup de ces hymnes ne sont que de tendres et mélodieuses prières, où les couleurs de la nature, les enchantements de la poésie, viennent prêter leur charme à l’expression d’une foi paisible et soumise. […] Ses blonds cheveux flottent encore, Les fraîches couleurs de l’aurore Teignent toujours son front charmant, Et dans l’azur de sa paupière Brille encore assez de lumière Pour fasciner l’œil d’un amant !
Ainsi perfectionnée, l’Iliade se réduit à douze chants : et ce qui tombe, c’est tout ce qui n’est pas la notation sèche du fait, tout ce qui est sentiment, couleur, poésie. […] La Motte parle de la poésie comme un aveugle des couleurs.